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Projet de loi sur le projet de pipeline Trans Mountain

Deuxième lecture—Débat

24 avril 2018


L’honorable Sénatrice Rosa Galvez :

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-245, Loi prévoyant que le projet de pipeline Trans Mountain et les ouvrages connexes sont déclarés d’intérêt général pour le Canada.

À la suite de l’étude d’impact sur l’environnement du projet, Kinder Morgan s’est officiellement engagée à prendre des mesures précises pour réduire ces impacts. Si le gouverneur en conseil approuve le projet, l’Office national de l’énergie émettra un nouveau certificat moyennant le respect de 157 conditions. Ces conditions portent sur la protection de l’environnement, la consultation des personnes touchées, y compris les communautés autochtones, ainsi que la sûreté et l’intégrité du pipeline.

J’ai lu de nombreux rapports et articles du gouvernement, de l’industrie et de groupes de réflexion et j’ai tenu compte de ces sources relativement à l’étude d’impact sur l’environnement et à d’autres questions. Mes observations d’aujourd’hui sont fondées sur une analyse complète des faits.

Le projet d’expansion du réseau Trans Mountain présente trois problèmes concrets, mais auxquels il est possible de remédier : on a sous-estimé les impacts sur l’environnement, on a surestimé les retombées économiques et on n’a pas suffisamment consulté les propriétaires et les intendants des terres.

Le fardeau de la preuve pour ces conditions préalables appartient à Kinder Morgan, une société qui exploite un pipeline au Canada, mais n’y en a jamais aménagé. Malgré des lacunes importantes et une situation déséquilibrée, comme en témoignent les 157 conditions, l’Office national de l’énergie a donné son approbation. Le respect de la primauté du droit signifie qu’il faut procéder à la réalisation du projet d’expansion du pipeline.

Cependant, pouvons-nous blâmer la Colombie-Britannique de vouloir protéger ses eaux côtières? La raison pour laquelle l’Alberta et les Canadiens doivent appuyer le projet est-elle claire? Pouvons-nous blâmer les Autochtones d’exiger des consultations complètes et des conditions équitables en échange de leur consentement? Le projet de loi S-245 est-il la bonne solution pour résoudre le désaccord entre deux provinces canadiennes?

[Français]

L’économie de l’Alberta a vécu bon nombre de cycles au cours des dernières décennies et elle émerge maintenant d’un ralentissement. On prévoit que l’économie de l’Alberta s’accroîtra de 6,7 p. 100 cette année, dépassant largement celle des autres provinces canadiennes. Les prévisions les plus récentes du Conference Board du Canada, de 2018, et celles du gouvernement de l’Alberta, de 2017, indiquent que cette croissance est menée par l’agriculture, le secteur agroalimentaire, l’énergie renouvelable, le tourisme, le secteur financier, immobilier et des assurances, ainsi que le commerce de détail, et non pas par le secteur du pétrole. Cette croissance a créé une augmentation de la création d’emplois de 18,4 p. 100.

[Traduction]

C’est une bonne chose pour l’Alberta que l’économie de cette province se diversifie de plus en plus. La diversification élargit la base sur laquelle l’économie peut croître et est cruciale pour en assurer la stabilité à long terme. Ceux qui ont à cœur le développement stable de l’Alberta doivent favoriser la diversification économique de plus en plus importante de cette province, en particulier lorsqu’on connaît les changements majeurs qui se produisent dans les secteurs du pétrole, du gaz et de l’énergie au Canada et dans le monde.

(1510)

En 1971, une seule entreprise exploitait les sables bitumineux à Fort McMurray. La production était de 30 000 barils par jour. Depuis les années 1990, seulement 40 p. 100 du pétrole provenant des sables bitumineux est extrait par des entreprises canadiennes. Le reste de la production est faite par des sociétés des États-Unis ou d’autres pays.

En 2014, la production de pétrole des sables bitumineux était de 2,3 millions de barils par jour, soit près de 30 p. 100 du PIB de 300 milliards de dollars de l’Alberta. Selon Statistique Canada, 98,5 p. 100 du pétrole brut des sables bitumineux est exporté aux États-Unis. Étant donné la faible diversification de l’économie et la vente du pétrole à un acheteur unique, l’économie est soumise aux fortes variations du prix du pétrole brut, qui est passé de 140 dollars américains le baril en 2009 à 30 dollars américains en 2016. En décembre dernier, le prix du baril de Western Canada Select a atteint un creux de 20 dollars américains le baril. La vieille monoéconomie de l’Alberta peinait déjà dans un monde où le prix était de 50 dollars américains le baril. En 2016, plus de 3 millions de barils de pétrole brut canadien ont été vendus aux États-Unis chaque jour à un prix dérisoire.

La baisse des investissements dans les combustibles fossiles constitue un autre problème majeur qui plombe l’exploitation des sables bitumineux. Le fonds souverain de la Norvège, d’une valeur de 1 billion de dollars, se débarrassera entièrement de ses participations dans le secteur des combustibles fossiles, ce qui peut avoir un effet sur le cours des actions canadiennes dans le secteur du pétrole et du gaz. Actuellement, ces actions valent 2,86 milliards de dollars américains. La décision de la Norvège pourrait avoir une incidence sur 61 capitalisations boursières canadiennes du secteur du pétrole et du gaz, y compris Suncor, TransCanada, Enbridge, Canadian Natural Resources Ltd., Encana, Cenovus et Imperial Oil. Le désinvestissement se produit à l’heure où de grosses pétrolières étrangères, y compris ConocoPhillips, Royal Dutch Shell et Statoil, liquident leur participation dans la production de pétrole des sables bitumineux, ce qui représente une valeur de 30 milliards de dollars. Pas plus tard qu’hier, la Banque HSBC, qui est la plus importante d’Europe, a annoncé qu’elle ne financerait plus les projets d’exploitation des sables bitumineux.

L’Agence internationale de l’énergie a indiqué, dans son rapport intitulé Perspectives énergétiques mondiales, que les États-Unis pourraient être un exportateur net de pétrole d’ici 10 ans et qu’ils sont voués à devenir le leader de la production de pétrole et de gaz dans le monde au cours des prochaines décennies. Les États-Unis, autrefois notre plus grand partenaire, sont en train de devenir notre plus grand concurrent.

Les sables bitumineux non conventionnels et enclavés, qui nécessitent des capacités particulières de raffinage, peuvent-ils faire concurrence aux pétroles bruts légers classiques des États-Unis, qui sont plus faciles à raffiner?

[Français]

Étant donné l’historique des sables bitumineux, il est plutôt troublant que moins de cinq raffineries canadiennes puissent accepter les sables bitumineux comme matière première, alors que les raffineries du Golfe et du Midwest américain ont subi des modifications pour ce faire. Les nouvelles mégaraffineries, qui sont en construction en Asie et au Moyen-Orient, sont également conçues spécifiquement pour l’exportation de produits raffinés. Cela leur donne la flexibilité d’accepter les pétroles bruts sulfurés les plus lourds. Puisque les raffineries les plus vieilles ferment leurs portes graduellement, les raffineries complexes représentent la grande majorité de la capacité mondiale de raffinage.

La première raison d’être du projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain est de maximiser le prix en connectant les sables bitumineux aux voies maritimes. Toutefois, ce pétrole, qui est possiblement vendu en Asie, commande un prix plus bas qu’aux États-Unis, compte tenu des coûts élevés de transport. D’ailleurs, l’OCDE a récemment révélé que la croissance en Asie a diminué et demeurera stable. En même temps, la consommation d’énergie renouvelable en Asie a doublé en un peu plus de deux décennies, selon l’International Renewable Energy Agency. La Chine investit 364 milliards de dollars américains dans la production d’énergie renouvelable.

[Traduction]

Maintenant, étant donné que les sociétés pétrolières réduisent leurs activités, que les États-Unis vont devenir un exportateur net, que le Canada n’a pas la capacité nécessaire pour raffiner les sables bitumineux, que les acheteurs potentiels en Asie se tournent vers les énergies renouvelables, que les raffineries et les sociétés de pipelines appartiennent à des intérêts étrangers, et que la diversification de l’économie de l’Alberta est sur la bonne voie, la construction de nouveaux oléoducs est-elle une sage décision politique? Peut-être, mais il faudra le prouver avec la diligence et la transparence nécessaires.

Le projet d’expansion de l’oléoduc Trans Mountain de la société Kinder Morgan, dont le siège social est situé au Texas, qui s’appuierait sur le transport par pétrolier, représente 6,8 milliards de dollars. Cette expansion porterait la capacité quotidienne à 890 000 barils, soit le triple de la capacité actuelle, et augmenterait le nombre de pétroliers de près de 700 p. 100 dans le port de Vancouver, là où s’étendent des centaines de kilomètres de plage, d’îles et de littoral sauvage.

Les retombées économiques du projet d’expansion de Trans Mountain sont-elles suffisantes pour justifier les risques accrus de déversement de pétrole le long des côtes de la Colombie-Britannique et la contribution au changement climatique résultant de l’accroissement de la production de bitume?

Le gouvernement albertain annonce que 37 000 emplois directs, indirects ou induits seront créés par année d’exploitation, de même que 15 000 emplois dans le secteur de la construction et 1 300 dans le secteur maritime, tandis que le Conference Board du Canada estime à 34 000 le nombre d’emplois qui seront créés chaque année sur une période de 20 ans. Ces estimations diffèrent largement des 2 500 emplois annuels, créés sur deux ans, indiqués par Kinder Morgan dans le volume 5B de sa demande à l’Office national de l’énergie. Chose certaine, lorsqu’on compare ce projet à d’autres projets semblables, on constate que ce sont plutôt quelques milliers d’emplois qui sont créés, et ce, principalement au cours de la période de construction de deux à trois ans.

Au cours des 60 ans d’existence de l’oléoduc Trans Mountain, 82 incidents différents ont entraîné le déversement de 5,5 millions de litres de pétrole. Il faut le remplacer. Des navires transportant du carburant ont récemment provoqué des déversements dans les eaux côtières de la Colombie-Britannique, ce qui a révélé la faiblesse de l’intervention en cas de déversement en milieu marin. Un déversement pourrait mettre grandement à risque 98 000 emplois dépendant des côtes, de même que les rivières à saumon, la faune, le tourisme et la santé des habitants des côtes et des écosystèmes.

L’examen initial de l’Office national de l’énergie n’a pris en considération ni les émissions de gaz à effet de serre en amont ni les émissions de gaz à effet de serre en aval du projet. L’intensité des émissions de GES provenant des sables bitumineux est de 8 à 37 p. 100 supérieure à celles provenant du brut classique. On prévoit que l’oléoduc ajoutera de 13 à 15 millions de tonnes par année à cause de la hausse de la production des sables bitumineux.

En 2016, l’Académie des sciences des États-Unis a mené une étude approfondie sur les déversements de bitume dilué causés par des pipelines. L’étude s’est penchée sur les propriétés physico-chimiques du bitume dilué, ou dilbit, la toxicité pour l’environnement et la planification des interventions en cas de déversement. Pour paraphraser le rapport, la forte densité du dilbit, sa viscosité et son pouvoir adhésif le rendent très différent des autres pétroles bruts. Ces propriétés physico-chimiques sont pertinentes en ce qui a trait aux répercussions environnementales, et elles exigent qu’on apporte des modifications aux règlements sur la planification des interventions et les nettoyages en cas de déversement.

Environnement Canada, conjointement avec Pêches et Océans et Ressources naturelles Canada, a également souligné la composition chimique unique des sables bitumineux, à savoir la présence de composés complexes comme les alcanes, les HAP, les HAP alkylés et les biomarqueurs saturés.

[Français]

Un rapport présenté à Transports Canada, en 2014, par le consortium WSP-SL Ross a évalué les risques liés aux déversements d’hydrocarbures causés par les navires dans les eaux canadiennes au sud du 60e parallèle en effectuant une analyse des risques. Parmi les principaux constats, il y a une plus grande probabilité de déversements de grande taille dans les eaux près de la pointe sud de l’île de Vancouver, et ces déversements pourraient causer des dommages considérables dans ce secteur de grande sensibilité le long de la côte Sud de la Colombie-Britannique.

Avant l’élaboration du projet, cet aspect posait donc des risques et des vulnérabilités déjà élevés dans la zone visée par le pipeline.

D’autre part, le gouvernement du Canada a la responsabilité « de consulter et d’accommoder » les Premières Nations avant d’accorder la permission à un tel projet d’accéder à leurs terres ancestrales. Cependant, cela ne se traduit pas par un droit de veto sur un projet. Or, certaines Premières Nations se sont opposées au projet Trans Mountain.

(1520)

Dans une récente décision contre Kinder Morgan Canada et le gouvernement fédéral, la Cour d’appel fédérale a conclu que le gouvernement n’aurait pas agi dans l’intérêt supérieur de la bande indienne de Coldwater en ne modernisant pas une décision qui date de 1952 et qui permet que le pipeline original soit construit sur la réserve.

[Traduction]

Cette analyse montre, je l’espère, qu’il y a des problèmes légitimes que l’on peut résoudre par une plus grande transparence et des mesures d’atténuation ou d’indemnisation si, en dépit des solides arguments qui sont présentés, les politiciens et les entreprises souhaitent quand même procéder à la construction de cet oléoduc.

Le projet de loi S-245 pourrait avoir à long terme des conséquences inattendues pour l’industrie et les citoyens canadiens. Il pourrait endommager de manière irréversible les relations interprovinciales et entraîner une détérioration des pouvoirs provinciaux. Une chose est sûre. Jeter de l’huile sur le feu qui brûle déjà entre deux provinces sœurs n’est ni avantageux ni intéressant pour le Canada. Merci.

 

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