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Ordre du jour

Le Code criminel, La Loi sur le ministère de la Justice - Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

24 avril 2018


L’honorable Sénatrice Kim Pate :

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-51, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur le ministère de la Justice et apportant des modifications corrélatives à une autre loi.

J’aimerais remercier le sénateur Sinclair du travail qu’il a accompli à titre de parrain du projet de loi. À ce titre, et comme il l’a fait à maintes reprises tout au long de sa carrière, il contribue à un système de justice pénale plus clair et plus juste pour tous.

Comme l’a expliqué le sénateur Sinclair, ce projet de loi s’inscrit dans le cadre de l’examen permanent du système de justice pénale par la ministre de la Justice. Il vise en particulier à préciser et à renforcer le droit régissant les agressions sexuelles, à abroger ou à modifier des dispositions jugées inconstitutionnelles par les tribunaux ou qui soulèvent des risques évitables au regard de la Charte et à supprimer des dispositions désuètes ou redondantes du Code criminel. De plus, il exige que, pour tout nouveau projet de loi ministériel, le ministre de la Justice dépose au Parlement un énoncé qui expose ses répercussions potentielles sur les droits et libertés garantis par la Charte canadienne.

J’appuie les objectifs de ce projet de loi, mais j’ai des réserves quant aux dispositions visant le droit relatif aux agressions sexuelles et l’énoncé concernant la Charte qui, selon moi, doivent être étudiés plus en profondeur en comité.

Qui plus est, comme on l’a mentionné pendant l’étude au comité à l’autre endroit, les dispositions du projet de loi C-51 qui visent à supprimer des articles du Code Criminel jugés inconstitutionnels ne permettent pas d’éliminer les peines minimales obligatoires, qui ont été invalidées soit par les cours d’appel, soit par la Cour suprême du Canada. La ministre a indiqué que son examen du système de justice pénale englobait les questions liées à ces peines; or, on ne voit nulle trace de réforme ni dans ce projet de loi ni dans les autres qui découlent de cet examen.

Je n’entrerai pas dans les détails en ce qui concerne les risques de violation de la Constitution découlant des peines minimales obligatoires, du fait d’obliger les juges à imposer des peines qui ne conviennent pas aux circonstances d’une cause donnée. Je me contenterai de dire que c’est une question dont nous devrions tous nous préoccuper.

Les tribunaux ont déjà statué qu’une poignée de peines minimales obligatoires violent la Charte.

Comme on propose dans le projet de loi C-51 de supprimer les soi-disant dispositions zombies — c’est-à-dire les dispositions qui ont été jugées inconstitutionnelles, mais se trouvent toujours dans le Code criminel —, j’estime que nous devons également envisager la possibilité de supprimer les peines minimales obligatoires, qui sont jugées inconstitutionnelles, mais n’ont pas encore été abrogées. À l’absence de données fiables démontrant qu’elles ont un effet dissuasif s’ajoute le fait qu’il est établi que ces peines peuvent inviter des plaidoyers de culpabilité qui ne devraient pas être, surtout chez les personnes marginalisées en raison de leur race, de leur sexe ou de leur revenu. Le risque d’une lourde peine d’emprisonnement peut amener les personnes qui ne bénéficient ni de soutien ni de ressources et ne croient pas avoir une chance d’être traitées de façon équitable à plaider coupable, même dans les cas où elles auraient pu être innocentées. Le maintien de ces dispositions a donc de graves conséquences sur les droits des personnes à un procès équitable et à une défense adéquate.

Les dispositions du projet de loi C-51 qui ont trait aux agressions sexuelles reconnaissent que les stéréotypes misogynes et racistes au sujet des plaignants continuent d’influencer les tribunaux quant à l’interprétation et à l’application de la loi. Les pratiques discriminatoires victimisent une deuxième fois les femmes qui dénoncent une agression sexuelle, particulièrement les femmes autochtones et les autres femmes racialisées. Elles empêchent également de signaler une activité criminelle et, par conséquent, nuisent à la crédibilité du système de justice. Comme la professeure Elizabeth Sheehy l’a fait remarquer à l’autre endroit, même si les femmes inondent les médias traditionnels et les médias sociaux de dénonciations de comportements sexuels répréhensibles, le taux officiel de signalement a chuté de 1 sur 10 à 1 sur 20 au cours des dernières années.

Par ailleurs, lors des débats au Sénat sur le projet de loi C-337, on a présenté plusieurs exemples flagrants qui montrent que le système judiciaire n’a pas protégé comme il se doit les plaignants, particulièrement les femmes autochtones. Ces cas ont provoqué un tollé de protestations et amené les Canadiens à réclamer une amélioration de la formation des juges. Les préjugés misogynes et racistes ne sont que plus puissants lorsque les intervenants du système de justice pénal, notamment les policiers, les avocats et les juges, ne sont pas conscients de l’influence de ces attitudes et préjugés discriminatoires sur la violence faite aux femmes et sur l’application de la loi dans les cas d’agressions sexuelles.

Le projet de loi C-51 propose des modifications pour clarifier certaines dispositions du Code criminel à la lumière de principes établis dans la législation sur les agressions sexuelles. Les experts souscrivent généralement aux objectifs du projet de loi C-51, mais ont signalé que le libellé de certaines dispositions, déjà modifié à l’autre endroit, pourrait être encore amélioré. Par exemple, les modifications apportées à l’autre endroit au projet de loi C-51 améliorent la codification de la jurisprudence concernant l’incapacité à consentir, en précisant que le consentement ne peut être donné à l’avance et « doit être concomitant à l’activité sexuelle ». Toutefois, ces modifications n’ont pas dissipé les préoccupations des experts au sujet de l’inclusion de la notion d’inconscience au paragraphe 273.1(2) du Code criminel, concernant l’incapacité à consentir.

La Cour suprême a établi que l’incapacité peut inclure des états qui s’approchent de l’inconscience sans en être vraiment. Selon Mme Sheehy, le Code criminel devrait le dire expressément au lieu de parler simplement d’inconscience et de laisser entendre que d’autres états dans lesquels une personne peut se trouver peuvent l’empêcher de donner son consentement. Elle recommande notamment de détailler les facteurs permettant de déterminer quand il y a incapacité sans qu’il y ait nécessairement inconscience.

Cet exercice doit se faire à l’aide de trois critères : la personne plaignante doit être capable de comprendre la nature sexuelle de l’acte et les risques associés à cet acte, être capable de comprendre qu’elle peut choisir de refuser d’y participer et être capable de communiquer son libre consentement à l’acte.

La professeure Janine Benedet est du même avis et elle croit elle aussi que le mot « inconscience » devrait être retiré de cette disposition afin de rappeler aux décideurs qu’ils ne doivent pas écarter les situations où une personne, sans être inconsciente, est incapable de donner son consentement pour toutes sortes de raisons, par exemple parce qu’elle a consommé de la drogue ou de l’alcool.

En terminant, les représentantes de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic ont insisté auprès du comité de l’autre endroit sur le fait qu’il ne servira à rien de modifier le Code criminel si on n’accompagne pas le projet de loi C-51 de certaines mesures bien précises. Le projet de loi permet, par exemple, à une plaignante de se faire représenter par un avocat lorsque l’accusé souhaite présenter en preuve des renseignements personnels la concernant. Or, pour qu’une plaignante puisse vraiment avoir accès aux services d’un avocat, il faudrait que le gouvernement délie les cordons de la bourse.

Hier, dans sa déclaration de fin de mission, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes, Dubravka Šimonović, rappelait que, pour améliorer la manière dont l’appareil judiciaire traite les causes d’agression sexuelle et de violence contre les femmes, il faudrait que le gouvernement fédéral fournisse le financement nécessaire pour que les victimes aient accès gratuitement à des conseils juridiques, que ce soit à l'échelon fédéral, provincial ou territorial. C’est entre autres parce que les victimes n’ont pas accès à ce type de conseils ou qu’elles ne sont pas représentées par un avocat que si peu de causes d’agression sexuelle se rendent jusqu’à un procès. Tant qu’elles ne se trouvent pas dans cette situation, bon nombre de victimes ignorent que les procureurs de la Couronne ne sont pas là pour les représenter et que leur rôle à elles se borne à celui de témoin appelé à étayer la preuve à partir de laquelle le juge ou le jury déterminera si l’inculpé a enfreint la loi ou pas. Les victimes sont souvent laissées à elles-mêmes et elles doivent se retrouver dans les dédales de l’appareil judiciaire. On ne les tient pas au courant de la progression de leur dossier et elles sont incapables de participer pleinement au processus.

La directrice générale de la Barbra Schlifer Clinic, Mme Amanda Dale, croit aussi que la mise en œuvre du projet de loi C-51 devra être assortie de mécanismes de reddition de comptes. Elle recommande au gouvernement d’établir un processus de consultation des collectivités et d’y faire participer les organismes de première ligne et les victimes afin de voir comment sont appliquées les dispositions du projet de loi portant sur les agressions sexuelles et de déterminer si elles ont l’effet escompté.

Je crois que le projet de loi bénéficiera d’un examen plus poussé de ces questions en comité.

Des experts au comité de l’autre endroit ont aussi insisté sur le fait qu’il faut aller au-delà du projet de loi C-51 pour remédier à la discrimination fondée sur le sexe et sur la race. La mesure législative doit s’inscrire dans une approche multidimensionnelle, qui prévoit une formation judiciaire et une plus grande transparence dans le cadre du processus décisionnel, comme le prévoit le projet de loi C-337. Il faut prévoir de la formation pour d’autres personnes qui font partie du système judiciaire, tout particulièrement les policiers et les avocats. Il faut aussi rétablir les commissions sur la détermination de la peine et sur la réforme du droit, qui ont toutes deux été démantelées.Ces commissions, qui sont des composantes essentielles et permanentes des systèmes de justice pénale de la plupart des autres pays du Commonwealth, effectuent des recherches et des analyses du régime de justice pénale sur le plan systémique afin d’élaborer des lignes directrices et de fournir des conseils d’experts au Parlement.

Pour tenir compte de la misogynie et du racisme dans une mesure législative relative aux agressions sexuelles, il est essentiel de prévoir du soutien pour les femmes qui sont marginalisées et victimisées dans nos collectivités. L’omniprésence de la discrimination dans les procédures de droit criminel relatives aux agressions sexuelles nous rappelle à quel point il est important d’analyser les projets de loi dans une optique de conformité à la Charte, tout particulièrement l’article 15, qui garantit l’égalité réelle.

Les énoncés concernant la Charte qui figurent dans le projet de loi C-51 confirment nos obligations, à titre de sénateurs, pour ce qui est de faire respecter la Charte, ainsi que l’importance de tenir compte de cette question dans nos débats. Des témoins au comité de l’autre endroit ont soulevé des préoccupations quant à l’efficacité des énoncés concernant la Charte. Ils craignent que l’on puisse porter atteinte aux énoncés si ceux-ci ne sont pas suffisamment détaillés. Je partage cette préoccupation et j’estime que les énoncés concernant la Charte doivent inclure, outre les précédents et les normes, des discussions sur les principes et les critères juridiques, les facteurs connexes, ainsi que les solutions de rechange envisagées par le gouvernement. J’appuie donc les éventuelles recommandations du comité en vue de modifier le projet de loi C-51, qui feront en sorte que les énoncés concernant la Charte permettent davantage aux parlementaires et au public d’évaluer les répercussions constitutionnelles d’une mesure législative.

Honorables sénateurs, j’espère que vous voterez avec nous afin de renvoyer le projet de loi C-51 au comité, afin que nous puissions poursuivre l’étude du projet de loi et assumer nos responsabilités, qui consistent à promouvoir la justice et l’égalité pour tous.

Merci. Meegwetch.

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