Projet de loi de mise en œuvre de l'Accord économique et commercial global entre le Canada et l'Union européenne
Deuxième lecture—Ajournement du débat
16 février 2017
L’honorable Sénateur Percy E. Downe :
Honorables sénateurs, après cet appui enthousiaste du sénateur Pratte au projet de loi C-30, il m'a semblé que je devais parler de quelques petites choses.
Monsieur le sénateur Pratte, d'après l'interprétation, vous auriez dit que nous devrions adopter le projet de loi rapidement. J'espère que c'est bien ce que vous avez dit et que ce n'est pas une erreur d'interprétation. C'est pour moi un signal d'alarme. Pendant les premiers temps où je siégeais au Sénat — plusieurs d'entre vous m'ont déjà entendu en parler —, nous avons agi avec les meilleures intentions du monde. En 2005, le premier ministre Martin, le chef de l'opposition, M. Harper, et le chef du NPD, M. Layton, se sont rendus aux Pays-Bas pour assister à une cérémonie organisée pour honorer les Canadiens qui avaient combattu pendant la Seconde Guerre mondiale. Sur le chemin du retour, évidemment émus par les manifestations, ils ont décidé qu'il fallait adopter une charte des anciens combattants à toute vitesse, sans aucun délai. En effet, qui n'est pas en faveur d'une aide pour les anciens combattants et leurs familles, qui peut s'opposer à ce qu'ils reçoivent les ressources dont ils ont besoin?
La charte a été mise à l'étude aux Communes, où elle a été proposée par la ministre des Anciens Combattants. La motion a été adoptée, le projet de loi a été lu pour la deuxième fois, étudié en comité, renvoyé, approuvé, lu pour la troisième fois et adopté en une minute à la Chambre des communes. Le projet de loi est ensuite arrivé au Sénat, la Chambre de second examen objectif, où nous étions tous enthousiastes, car nous souhaitions faire ce qui s'imposait. Là encore, qui peut s'élever contre la bonification des prestations des anciens combattants? Qui peut s'opposer au versement de prestations aux familles et aux enfants?
Au Sénat, nous avons pris un peu plus de temps. La première et la deuxième lecture ont eu lieu le même jour. Il a été convenu qu'il y aurait un intervenant et une demi-heure de questions. Puis, le Sénat a décidé collectivement de renvoyer le projet de loi à un comité, à la différence de ce qui s'était fait aux Communes. À quel comité? On aurait pu supposer que ce serait au Comité des affaires des anciens combattants, où nous avions des membres qui avaient étudié les problèmes des anciens combattants pendant des années. À défaut, cela aurait pu être le Comité de la défense nationale.
Dans sa hâte de faire étudier le projet de loi à la première séance de comité disponible, le Sénat a décidé de le renvoyer au Comité des finances. La Charte des anciens combattants a donc été étudiée au Comité des finances, où nous avons eu une seule longue séance. Je m'en souviens très bien, puisque je faisais alors partie de ce comité. Je me souviens de sa précipitation à adopter cette mesure. Je ne veux rien dire de mal des sénateurs en cause. Ils étaient mus par les meilleures intentions qui soient. Tout le monde a agi de la sorte pour les bonnes raisons, mais l'institution qu'est le Sénat n'a pas fait son travail. Il n'a pas fait ce second examen objectif.
Au Comité des finances, nous avons entendu le témoignage de Sean Bruyea, ancien combattant des Forces canadiennes. Il y a eu des reportages dans les médias. Je ne raconte donc pas d'histoires. Il souffre du syndrome de stress post-traumatique. Il l'a déclaré publiquement. Voici ce qu'il a dit au cours de cette séance :
Nous savons tous que le gouvernement veut paraître honorer les anciens combattants, mais cela ne veut pas forcément dire que sa charte des anciens combattants est exempte d'erreurs. Étant donné qu'on dit que la contribution des anciens combattants à la société est, à bien des égards, intemporelle, il y a lieu de se demander pourquoi on se précipite pour faire adopter un projet de loi en seulement deux jours, alors qu'Anciens Combattants Canada traîne les pieds depuis plus de 15 ans. Nous croyons que les anciens combattants handicapés et les FC préféreraient que la charte soit bonne, plutôt qu'imparfaite et injuste comme elle l'est maintenant.
Eh bien, nous avons passé de longues années à tâcher de rafistoler la charte. Des anciens combattants s'en plaignent toujours. Les ministères essaient toujours de régler les problèmes, tout cela parce que la charte a été adoptée dans la précipitation.
Sénateur Pratte, je le répète, je ne veux dire du mal de personne. Votre enthousiasme pour le projet de loi est bien inspirée, mais faisons notre travail. Vérifions les faits.
Nous avons aussi un exemple récent de précipitation au Sénat. Cela s'est passé l'an dernier. Au Comité sénatorial des affaires étrangères, la ministre du Commerce international, Mme Freeland, a témoigné à l'appui de la loi habilitante d'un accord de l'Organisation mondiale du commerce que le Canada avait signé. Il était urgent de l'adopter.
La ministre a déclaré à la réunion que le Canada devait assurer la ratification « le plus rapidement possible » pour que l'Accord sur la facilitation des échanges puisse entrer en vigueur.
[...] cet accord doit, avant d'entrer en vigueur, être ratifié par 108 pays membres de l'OMC. Jusqu'à aujourd'hui...
— c'était le 22 novembre 2016 —
... 96 pays l'ont ratifié. Il est vraiment important, pour confirmer sa stature comme participant efficace et énergique dans le monde du commerce, que le Canada soit parmi les pays qui, en le ratifiant, permettront l'entrée en vigueur de l'accord.
Il vaut peut-être la peine de signaler que le projet de loi était à l'étude au Sénat depuis cinq semaines. Il lui a fallu 27 semaines pour être adopté aux Communes, où il avait l'appui de tous les partis. Le besoin d'agir énergiquement a été plutôt lent à se manifester. Il a fallu attendre que le projet de loi parvienne au Sénat.
Plusieurs d'entre nous, dont moi-même, ont remis en question cette urgence et la nécessité d'un calendrier aussi contraignant. J'ai dit à la ministre : « Si le Canada ratifie l'accord après les 110 premiers pays, nous y adhérerons toujours... Je comprends que nous veuillons sauver la face, comme la ministre l'a dit tout à l'heure, mais prévoit-elle que 14 pays ratifieront l'accord au cours de la prochaine semaine? » C'était le nombre qu'il fallait pour atteindre 110? Si nous avions besoin de la semaine suivante, c'est que nous voulions de l'information sur des marchandises en transit au Canada, au cas où il y aurait eu des accidents ou quelque problème. Nous avions besoin d'une semaine ou deux encore pour obtenir ces renseignements.
La ministre a répondu : « Absolument. » L'accord allait être ratifié. Lorsque je l'ai interrogée de nouveau, elle a dit : « Oui. Tout le monde a fait avancer le dossier. » Autrement dit, le temps pressait. Nous devions agir rapidement. Nous n'avions pas une semaine à perdre.
Comme la ministre estimait qu'il y avait urgence, le comité n'a tenu qu'une seule séance de plus, a adopté le projet de loi, en a fait rapport le 24 novembre et le Sénat l'a adopté le 30 novembre. Le projet de loi a été à l'étude sept semaines au Sénat, le quart du temps passé aux Communes.
Qu'en est-il de ces 14 pays qui devaient ratifier l'accord dans la semaine suivante, selon ce que la ministre affirmait? Aujourd'hui, trois mois plus tard, 108 pays ont ratifié l'accord et non pas 110. Nous nous sommes fait dire que nous disposions d'une semaine. Or, nous pourrions adopter le projet de loi aujourd'hui, et nous serions toujours parmi les 110 premiers pays.
Encore une fois, je ne veux médire de personne, mais parler de ce sentiment d'urgence qui pèse toujours sur nous. Notre travail consiste à étudier les documents et les projets de loi avec soin, et, comme une longue expérience nous l'apprend et comme le sénateur Baker l'a tant de fois souligné, nous ne pouvons compter sur les Communes pour faire cette analyse. Les Canadiens doivent s'en remettre au Sénat.
En guise de conclusion, je rappelle à mes collègues que le Canada est le signataire de 12 accords de libre-échange. Ce n'est là qu'une mesure de l'efficacité parmi d'autres, mais elle est importante. Parmi ces 12 accords, il y en a 8 qui ont permis d'accroître la balance commerciale. Je vais vous donner quelques chiffres.
Avant la signature de l'ALENA avec le Mexique, notre balance commerciale accusait un déficit de 2,9 milliards de dollars. Elle accuse maintenant un déficit de 24 milliards de dollars. La sénatrice Martin a parlé de la Corée. En un an, notre balance commerciale avec ce pays est passée de 3,1 à 3,9 milliards de dollars. Avec le Pérou, elle est passée de 2,1 milliards de dollars au moment de la signature, en 2009, à 2,4 milliards l'an dernier, d'après les chiffres disponibles.
Je ne vais pas tout reprendre ici. Ce sont des données du domaine public, mais nous devons considérer avec prudence les effets de ces accords. Nous devons prendre un soin particulier pour en expliquer les avantages aux Canadiens. Nous sommes un pays commerçant. Nous dépendons beaucoup du commerce, mais il faut que les Canadiens sachent comment tout le monde est touché, et pas seulement les entreprises canadiennes, qu'ils sachent que, pour une usine fermée, il y a des occasions qui surgissent ailleurs. Le gouvernement n'a pas particulièrement bien expliqué les avantages des accords commerciaux, et c'est un aspect que nous devons aussi considérer avec soin.
Chers collègues, je voulais simplement vous livrer ces quelques observations avant que le projet de loi soit renvoyé au comité.