Projet de loi de mise en œuvre de l’Accord Canada--États-Unis--Mexique
Deuxième lecture--Débat
13 mars 2020
Propose que le projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis mexicains, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-4, Loi portant mise en œuvre de l’Accord entre le Canada, les États-Unis d’Amérique et les États-Unis du Mexique.
Chers collègues, comme vous tous, je ne m’attendais pas à ce que l’étude de ce projet de loi se fasse aujourd’hui. Toutefois, de toute évidence, nous vivons en ce moment une crise de santé publique mondiale. Ainsi, au lieu du discours de 45 minutes que j’avais préparé, mon discours d’aujourd’hui durera 5 ou 6 minutes.
La pandémie de la COVID-19 nous oblige à prendre des mesures extraordinaires pour nous protéger nous-mêmes, ainsi que tous les membres de la famille du Sénat. Voilà pourquoi nous avons été rappelés ce matin pour traiter d’affaires urgentes du gouvernement.
L’Accord Canada—États-Unis—Mexique, ou l’ACEUM, dit « CUSMA » en anglais, est aussi appelé le nouvel ALENA. Aux États-Unis, on l’appelle l’USMCA et au Mexique, le T-MEC. Cet accord trinational est, essentiellement, une version modernisée du traité initial de 1994. C’est l’ALENA du XXIe siècle.
Peu importe de quel côté sont vos allégeances — ou si vous balancez d’un côté à l’autre, comme il m’arrive de le faire —, cet accord sera profitable pour le Canada, ainsi que pour l’économie, l’industrie, le secteur agricole et agroalimentaire et les travailleurs du pays. Tous les Canadiens sont gagnants. Une fois qu’il sera mis en œuvre, l’accord ne fera pas que protéger les emplois des Canadiens, il préparera également le pays aux emplois de demain. Il assurera également la stabilité, la prévisibilité et le plus important, la croissance à long terme du marché nord-américain.
Nous ne devons pas seulement être satisfaits du résultat de plus d’un an de négociations ardues avec au moins un opposant particulièrement coriace. Nous devons également être satisfaits de l’équipe qui nous a conduits au point où nous en sommes. L’équipe de négociation canadienne — il s’agissait bel et bien d’une équipe dirigée par l’ancienne ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, et le négociateur commercial en chef, Steve Verheul — était composée de certains des meilleurs et des plus brillants fonctionnaires du Canada et du monde. Je suis honoré d’avoir travaillé avec plusieurs d’entre eux au cours de ma carrière précédente. Toutes les Canadiennes et tous les Canadiens devraient être fiers des personnes qui nous représentent et qui défendent nos intérêts à l’échelle internationale.
Comme je l’ai dit, ceci est une version très abrégée du discours à l’étape de la deuxième lecture que j’avais préparé. Je tenais simplement à le mentionner. J’avais prévu de faire un retour en arrière, à l’année 1854, année d’adhésion au traité de réciprocité original, et de parler des élections de 1911 au centre desquelles figurait l’enjeu de la réciprocité, et ainsi de suite. Je vous épargne tous ces détails, et je peux ressentir votre déception.
Je voulais également formuler quelques observations au sujet de l’entente bilatérale entre le Canada et le Mexique puisque cette relation importante est souvent éclipsée par celle que nous entretenons avec les États-Unis.
La relation entre le Canada et le Mexique a évolué. Au départ, le Mexique représentait une charmante destination vacances pour les touristes canadiens durant l’hiver, puis il est devenu un important partenaire commercial du Canada grâce à l’adoption de l’ALENA en 1994. Il s’agissait de notre première entente officielle avec le Mexique et, depuis, notre relation s’est épanouie et continuera de prospérer.
Ce nouvel accord — signé à Mexico le 10 décembre 2019 — renforce l’accord initial de 1994 en modernisant des chapitres clés, dont certains devaient assurément être revus. Ni le Canada ni le Mexique ne voulaient renégocier l’ALENA, même s’il était généralement admis que des changements devaient y être apportés. Après tout, depuis l’entrée en vigueur de cet accord, nous sommes entrés dans l’ère du numérique, nos chaînes d’approvisionnement mondiales se sont multipliées, et l’environnement fait face à une menace accrue. On nous a poussés à renégocier un accord commercial qui, à tous égards, a très bien servi le Canada et l’Amérique du Nord pendant plus de 25 ans. On semblait nous offrir le choix suivant : l’élimination de l’ALENA ou son amélioration. La question était de savoir à quelles conditions.
Nous avons choisi d’améliorer l’ALENA. L’accord que nous avons obtenu conserve tous les éléments de l’ALENA qui revêtent de l’importance pour le Canada, tout en apportant des améliorations à plusieurs d’entre eux.
Plus d’un an de négociations houleuses, marqué par une période d’incertitude pour les entreprises et les travailleurs partout sur le continent, a finalement mené à la signature d’un bon accord en novembre 2018. La ratification a ensuite été retardée pendant plus d’un an parce que les démocrates du Congrès voulaient que des modifications soient apportées aux normes du travail et aux politiques environnementales. Les changements ont rendu beaucoup plus solide l’accord modernisé, signé en décembre dernier, mais le délai prolongé a apporté son lot d’incertitude et d’inquiétude. Bon nombre d’intervenants se préoccupaient, à juste titre, des événements politiques qui se déroulaient aux États-Unis.
Toutes ces difficultés — qui ont été gérées de main de maître par l’équipe canadienne — ont rendu la conclusion de l’entente encore plus satisfaisante. Cela dit, j’imagine que les négociateurs du Canada auraient été pleinement satisfaits de parvenir à une entente sans cette série de problèmes épineux. Notre équipe de négociation a fait un travail remarquable dans des circonstances difficiles. Ses membres méritent certainement nos remerciements et notre respect. Non seulement ils ont obtenu un accord solide pour les Canadiens, mais ils ont également offert leurs loyaux services au pays.
Le Conseil de l’ALENA du gouvernement mérite aussi des félicitations pour son travail. Il était composé d’éminents Canadiens de tous les horizons et de toutes les allégeances politiques, notamment de Rona Ambrose, ancienne chef intérimaire du Parti conservateur, de Perry Bellegarde, chef national de l’Assemblée des Premières Nations, de James Moore, ancien député et ministre conservateur, et de Hassan Yussuff, président du Congrès du travail du Canada depuis 2014.
La somme des efforts de tous les membres de l’équipe a abouti à un accord qui est fortement appuyé par des groupes importants, comme le Conseil de la fédération, qui réunit les 13 premiers ministres des provinces et des territoires — un appui crucial —, la Chambre de commerce du Canada et la Fédération canadienne des municipalités. Tous ont exhorté les parlementaires à ratifier rapidement l’entente, non seulement pour mettre fin à des années d’incertitude pour les travailleurs, l’industrie et le milieu des affaires du Canada, mais également pour permettre aux Canadiens de bénéficier enfin d’un accord commercial moderne et progressiste.
Enfin, je remercie les membres et le personnel dévoué de notre Comité permanent des affaires étrangères et du commerce international — qui s’est avéré beaucoup plus temporaire que je ne m’y attendais — ainsi que les témoins qui ont comparu pendant les trois réunions que nous avons tenues dans la dernière semaine.
Honorables sénateurs, j’estime qu’il s’agit d’un bon accord pour le Canada et pour tous les Canadiens, voire tous les Nord-Américains, et qu’il assurera la stabilité, la fiabilité et la prévisibilité de nos échanges commerciaux avec nos voisins du continent, et ce, pour bon nombre d’années.
Le nouvel ALENA est un accord que vous pouvez appuyer avec fierté, ce que je vous exhorte à faire, honorables collègues.
Honorables sénateurs, j’aimerais soulever trois points dont il faudra tenir compte au cours de la mise en œuvre du nouvel accord avec les États-Unis et le Mexique, après sa ratification.
Premièrement, soulignons que l’industrie canadienne de l’aluminium est la quatrième en importance au monde. Elle produit un peu plus de la moitié de l’aluminium consommé aux États-Unis. Huit des neuf alumineries du Canada sont situées au Québec. J’interviens en tant que représentant du Québec.
Il se trouve que l’ACEUM exclut l’aluminium de la définition des règles d’origine relatives aux automobiles. Cela signifie que les producteurs du Mexique auront toujours accès à de l’aluminium moins cher et de moindre qualité en provenance de marchés asiatiques comme la Chine. Soixante-dix pour cent de l’acier utilisé dans la production des automobiles en Amérique du Nord doit être fondu et coulé en Amérique du Nord, mais cette règle ne s’applique pas à l’aluminium. Ainsi, l’aluminium chinois peut être recyclé au Mexique et utilisé dans le processus de production. Cela élimine tout avantage concurrentiel que l’aluminium canadien pourrait avoir par rapport à l’aluminium chinois.
Certes, c’est un coup dur pour le Québec, mais il s’agira de gérer la situation dans le futur. Toute négociation comporte des aspects positifs et négatifs. La négociation de l’accord a abouti à de bons résultats pour le pays, mais nous devons demeurer vigilants concernant certains éléments et gérer ceux-ci, car il importe que nous conservions notre avantage concurrentiel.
Le deuxième secteur est celui de l’industrie laitière. Le Canada a conservé le contrôle du secteur laitier soumis à la gestion de l’offre, mais il a accordé une concession en ouvrant jusqu’à 3,6 % du marché canadien des produits laitiers. Avec les autres accords que nous avons conclus — l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste avec l’Asie et l’Accord économique et commercial global avec l’Europe —, quelle part du marché avons-nous cédée? Est-ce 3,6 %? Est-ce 5 %? Est-ce 7 %? Est-ce 10 %?
Dans l’industrie laitière, il y a deux classes de produits en particulier, soit les classes de lait 6 et 7, qui ont des prix très élevés et qui génèrent d’importantes retombées économiques. Les classes de lait 6 et 7 appartiennent à un système intérieur de fixation des prix qui régit les substances laitières, comme le lait écrémé en poudre et les protéines laitières. Ces concessions élargissent l’accès de l’industrie laitière états-unienne au marché canadien et lui permettent d’écouler les excédents nationaux qui se sont accumulés au fil des ans.
Steve Verheul, négociateur en chef du Canada, a indiqué que le secteur laitier des États-Unis dispose effectivement d’excédents. Ce secteur connaît un problème récurrent à cet égard. L’industrie est même allée jusqu’à entreposer du lait écrémé en poudre — écoutez bien — dans des grottes en Pennsylvanie parce qu’elle ne savait pas quoi en faire. Il s’agissait de l’un des éléments les plus difficiles des négociations dans ce dossier.
Aux États-Unis, les producteurs laitiers emploient une hormone que l’on appelle la somatotrophine bovine recombinante et que l’on injecte aux vaches pour augmenter la quantité de lait qu’elles produisent. L’utilisation de cette hormone est interdite au Canada. Nous ne permettons pas l’importation de produits contenant cette hormone. Par conséquent, dans ce cas aussi, nous devrons exercer les contrôles nécessaires et gérer le dossier. Ce n’est pas une critique que je fais. Lorsqu’on négocie avec un gros joueur — et ces gens-là ont la première économie au monde —, on doit faire preuve de souplesse et de pragmatisme si l’on veut pouvoir conclure un accord. Cependant, il nous faudra quand même gérer les effets de l’accord. Voilà donc pour le secteur laitier.
Troisièmement, voyons les retombées économiques de l’accord. Le gouvernement les a évaluées en comparant deux scénarios : celui où le nouvel accord commercial serait ratifié et celui où il n’y aurait aucun accord commercial. C’est ainsi que l’évaluation a été effectuée, et elle présente l’accord sous un jour entièrement favorable. Le gouvernement estime que, par rapport à ce qui se serait produit si les États-Unis s’étaient retirés de l’ALENA, l’ACEUM assurera une augmentation du PIB de 6,8 milliards de dollars ou 0,249 % et préservera 38 000 emplois, soit une proportion de 0,16 %. Affaires mondiales Canada prévoit qu’une fois que l’ACEUM sera en vigueur, il contribuera à maintenir des exportations canadiennes à destination des États-Unis d’une valeur de 16,9 milliards de dollars, tout en garantissant des importations canadiennes de 20,4 milliards de dollars en provenance des États-Unis. On voit qu’il y a un écart qu’il nous faudra gérer.
L’Institut C.D. Howe s’est doté d’un modèle prévisionniste afin de connaître les retombées de l’ACEUM par rapport à l’ALENA. Selon ses calculs, le Canada devrait voir son PIB diminuer de 0,4 % et perdre 10 milliards de dollars.
Voilà qui résume les obstacles et écueils que nous devrons affronter du fait de notre petite taille relative. Notre pouvoir d’influence une fois l’accord ratifié aura énormément d’incidence sur les éventuelles répercussions de l’accord. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour nous, mais soyons honnêtes, nous devrons travailler fort pour le rendre encore meilleur. Le succès qu’il connaîtra à long terme sera largement tributaire de l’habileté des négociateurs canadiens et de tous ceux qui poursuivront le dialogue avec les États-Unis.
C’était les trois points dont je tenais à parler; il y en a encore d’autres, mais le temps file et ce projet de loi doit être adopté.