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Le Sénat

Motion concernant les pêcheurs et les communautés mi’kmaq--Suite du débat

19 novembre 2020


Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer la motion présentée par le sénateur Francis à son nom et au nom du sénateur Christmas. Je remercie nos collègues d’avoir amené le Sénat à discuter de cette importante question.

Je n’ai pas l’intention de répéter tous les importants points qu’ont soulevés nos collègues dans leurs éloquents discours, mais je veux qu’on sache que j’appuie cette motion sans ambages. Je crois que cette situation et l’escalade qu’elle a provoquée vont beaucoup plus loin qu’un simple conflit régional relatif à la pêche.

En tant que sénateur de l’Ontario, où, c’est bien connu, il ne se fait pas beaucoup de pêche au homard, je ne peux pas parler d’un point de vue personnel des sentiments et des tensions historiques qui existent entre les pêcheurs autochtones et les pêcheurs commerciaux non autochtones. Ce que je peux faire par contre, c’est de prendre la parole en tant que Canadien qui croit fermement que ce qui touche un groupe nous touche tous, que ce soit directement ou non. Il n’était pas nécessaire d’être Franco-Ontarien ni même francophone pour défendre les droits linguistiques en Ontario lorsque le gouvernement de la province a tenté de sabrer les services en français en 2018. Il n’était pas nécessaire, lors du débat d’urgence tenu ici en juin, d’être une personne de couleur pour dénoncer le racisme et la discrimination au Canada, pas plus qu’il est nécessaire de l’être pour être en faveur de l’interpellation actuelle sur le racisme et la discrimination dans les institutions canadiennes.

Il n’est donc pas nécessaire d’être un pêcheur autochtone ni même d’être Autochtone ou d’habiter en Nouvelle-Écosse pour se soucier de ce conflit, pour appuyer les droits légaux des pêcheurs autochtones et pour condamner la violence et les actes d’agression injustifiés qui ont aggravé le problème. Ce qui se passe est plus qu’un conflit de pêches ou une question juridique. À mon avis, ce qui se passe est au cœur d’une question beaucoup plus large, celle de la réconciliation, une question qui devrait être importante aux yeux de tous les Canadiens.

C’est l’impression que j’avais il y a deux ans, lorsque j’ai pris la parole pour appuyer ce qui était alors le projet de loi C-262, au sujet de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, et c’est l’impression que j’ai maintenant.

Outre mon rôle au Sénat, je suis profondément convaincu, depuis bien longtemps avant que je devienne sénateur, de l’importance de la réconciliation, qui est nécessaire pour que le Canada atteigne son plein potentiel.

En 1998, lorsque j’étais ambassadeur et représentant permanent du Canada auprès de l’Organisation des États américains, j’ai fait pression pour que Phil Fontaine, qui était alors chef national de l’Assemblée des Premières Nations, prenne la parole devant le Conseil permanent de l’OEA à Washington.

Jamais un chef autochtone n’avait pris la parole devant cette instance auparavant. Ce fut donc un événement important, car il était historique, particulièrement dans le contexte de l’histoire de l’hémisphère occidental.

Lorsque j’étais ambassadeur du Canada en Allemagne, on me posait souvent des questions sur le lourd passé du Canada et sur ses relations difficiles avec les peuples autochtones et on me posait aussi des questions à propos de la réconciliation.

J’ai tenté de dissiper de nombreux mythes et idées romantiques. Ces discussions sont déjà suffisamment difficiles à tenir au Canada, mais tenter d’expliquer tout cela à des observateurs de l’extérieur présentait, et présente toujours, un défi.

Plus récemment, en 2018, juste avant d’être nommé au Sénat, j’occupais le poste de sous-ministre et j’ai participé à l’organisation du Sommet du G7. J’ai participé à une émission de radio de la nation huronne-wendat à Québec, et nous avons offert à ce moment-là des perspectives d’emplois liés au sommet à de jeunes Autochtones.

Je m’étais également fait un point d’honneur de rencontrer les dirigeants autochtones de la région de Charlevoix, où se déroulait le sommet cette année-là, afin de discuter avec eux de leurs espoirs et de leurs rêves pour leurs peuples, ainsi que de leurs préoccupations pour l’avenir.

En fin de compte, chers collègues, ces dirigeants veulent ce que nous voulons tous : subvenir aux besoins de nos familles dans la paix. C’est tout ce que veulent les pêcheurs autochtones de la Nouvelle-Écosse aussi. Ils veulent pouvoir gagner leur vie et subvenir aux besoins de leur famille et ils ont ce droit. Ce point n’est pas remis en question, chers collègues.

Nous pouvons parler de ce qu’est une pêche de subsistance convenable et du rôle de la GRC et du ministère des Pêches et Océans, mais le fait est que les Premières Nations micmaques et malécites de la Nouvelle-Écosse, du Nouveau-Brunswick, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Gaspésie ont toutes le droit et de pêcher et de chasser et de pratiquer la cueillette, un droit qui leur est garanti par les traités de paix et d’amitié de 1760 et de 1761. Cela fait 260 ans. Pour mettre les choses en contexte, ces communautés autochtones ont un droit de pêcher, de chasser et de cueillir protégé par la Constitution qui date de 107 ans avant que le Canada ne devienne un pays. Je pense que c’est un détail important, et c’est le moins qu’on puisse dire.

C’est sous le régime de ces traités vieux de quelques siècles que Donald Marshall Jr., un Mi’kmaq de Membertou, en Nouvelle-Écosse — la communauté même au Cap-Breton où habite le sénateur Christmas — est allé pêcher l’anguille en août 1993.

En juin 1996, M. Marshall a été condamné dans un jugement fondé sur une interprétation très étroite des traités de 1760 et 1761 par la cour provinciale de la Nouvelle-Écosse pour les trois chefs d’accusation portés contre lui après son arrestation en vertu de deux lois fédérales : la Loi sur les pêches, ainsi que la réglementation des provinces maritimes sur les pêches. Plus précisément, il a été arrêté pour l’infraction suivante :

 . . . avoir vendu des anguilles sans permis, avoir pêché sans permis et avoir pêché pendant la période de fermeture au moyen de filets illégaux.

M. Marshall a dû vendre les 463 livres d’anguilles qu’il avait pêchées.

En mars 1997, les condamnations de M. Marshall ont été confirmées par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. Cela nous amène à novembre 1998, date à laquelle M. Marshall a porté son affaire devant la Cour suprême du Canada. Bien qu’aucun des tribunaux de première instance de la Nouvelle-Écosse n’ait reconnu les droits de M. Marshall, qu’il savait posséder en vertu des traités de paix et d’amitié, la Cour suprême les a reconnus et a annulé ses condamnations en septembre 1999.

Fait particulièrement important, la Cour suprême a jugé que M. Marshall pêchait simplement pour subvenir à ses « besoins »; dans le langage des traités, c’est ce que l’on appelle aujourd’hui une pêche de subsistance convenable pour lui-même et son épouse, ce qui relevait de ses droits conventionnels.

Dans une esprit de réconciliation et pour souligner l’importance de la relation de nation à nation, la Cour suprême a dit ceci :

Le présent pourvoi doit être accueilli parce que rien de moins ne saurait protéger l’honneur et l’intégrité de la Couronne dans ses rapports avec les Mi’kmaq en vue d’établir la paix avec eux et de s’assurer leur amitié, autant qu’il soit possible de dégager aujourd’hui la teneur des promesses faites par traité.

Non seulement le droit de M. Marshall de pêcher pour s’assurer une subsistance convenable est garanti par les traités de paix et d’amitié, mais il est aussi protégé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, tout comme l’ensemble des droits issus de traités dont jouissent les peuples autochtones du Canada.

Cela nous amène, chers collègues, à la situation sur le terrain en Nouvelle-Écosse. La flambée de violence qui a eu lieu dans cette province au début de l’automne est, en partie, si difficile à comprendre parce que, même si la « subsistance convenable » n’a jamais été légalement définie, les pêcheurs autochtones ont été ciblés pour avoir exercé leurs droits issus de traités inscrits dans la Constitution et établis depuis longtemps.

Les pêcheurs autochtones ne cherchent pas, comme le dit la Cour suprême, « l’accumulation de richesses illimitées » et ils ne sont pas autorisés à le faire. Ils ne font que ce qu’ils ont fait pendant des siècles, c’est-à-dire subvenir aux besoins de leurs familles, comme nous le faisons tous.

L’arrêt Marshall a été un moment décisif pour les droits des Autochtones issus de traités. Il permet aux pêcheurs autochtones de s’assurer une « subsistance convenable », ce qui, s’ils étaient autorisés à mettre pleinement en œuvre une telle pêche, donnerait aux communautés des Premières Nations, dont beaucoup sont pauvres, les moyens de se développer économiquement et socioéconomiquement, ce qui renforcerait ensuite leur autosuffisance.

Au lieu de voir ces éléments pour ce qu’ils sont, soit des aspects positifs, certains pêcheurs commerciaux non autochtones ont perçu l’exercice légal des droits issus de traités — qui, je le répète, permettent de s’assurer une subsistance convenable — comme une menace pour leurs profits.

Depuis le mois de septembre dernier, quand la Première Nation de Sipekne’katik, en Nouvelle-Écosse, a lancé sa propre pêche au homard pour s’assurer une subsistance convenable dans la baie Sainte-Marie, elle est victime d’actes de violence et d’intimidation de la part de pêcheurs commerciaux non autochtones.

Des bateaux détenus par des Mi’kmaq ont été brûlés et des casiers ont été volés et endommagés.

Un exemple particulièrement grave, sans qu’il soit toutefois isolé, de ces actes d’agression, de la tension historique ainsi que du racisme et de la discrimination profondément enracinés qui les sous-tendent est survenu à la mi-octobre.

Des centaines de pêcheurs commerciaux se sont alors rendus en masse à un entrepôt fraîchement rempli de homards. Ils ont commencé à jeter des pierres sur la camionnette d’un membre de la bande, camionnette qu’ils ont ensuite incendiée, puis ils ont détruit les prises de homard.

Nous avons tous vu les photos et l’enregistrement vidéo, chers collègues. Une semaine plus tard, l’entrepôt a également été détruit. Selon la GRC, il s’agissait d’un « acte suspect ».

Les actes de violence et d’intimidation ont dégénéré à un point tel que, le 30 octobre, la Première Nation Sipekne’katik a annoncé qu’elle ne pêcherait pas de homard dans la zone de pêche 34 durant la saison qui vient tout juste de commencer, en dépit du fait qu’elle détient le droit et les permis requis pour le faire.

Les pêcheurs craignaient tellement pour leur vie, et ce, à juste titre, qu’ils n’ont pas voulu risquer leur sécurité pour exercer leurs droits garantis par la Constitution.

Ces événements se produisent au Canada, chers collègues, pas dans un autre pays.

La colère des pêcheurs non autochtones concernant l’arrêt a explosé peu après qu’il a été rendu quand des pêcheurs mi’kmaqs de la Première Nation de Burnt Church, au Nouveau-Brunswick, ont commencé à poser des casiers à homard hors saison. Ce geste a déclenché un conflit alarmant de trois ans appelé la crise de Burnt Church, qui comporte un certain nombre de similitudes avec la situation en Nouvelle-Écosse, notamment les actions et l’inaction de la GRC et des agents du ministère des Pêches et Océans. Je ne raconterai pas les détails troublants de cet événement, étant donné que je suis convaincu que les sénateurs s’en souviennent parfaitement bien, particulièrement nos collègues des Maritimes, mais surtout ceux du Nouveau-Brunswick.

Plus tard en 1999, en réponse à l’intensification du conflit à Burnt Church, la Cour suprême a voulu clarifier son premier arrêt en déclarant que les droits des pêcheurs autochtones issus de traités n’étaient pas illimités et qu’ils pouvaient être limités pour des motifs de conservation. Tout comme le premier arrêt Marshall avait mis en colère les pêcheurs non autochtones, le deuxième avait mis en colère les pêcheurs autochtones parce qu’ils estimaient qu’il s’agissait d’un effort pour apaiser les pêcheurs commerciaux non autochtones.

Autrement dit, chers collègues, ce qui s’est produit en Nouvelle-Écosse ces derniers mois n’a rien de neuf. C’est simplement le dernier des moments explosifs qui ont marqué ce long conflit, un conflit néfaste pour tous les Canadiens puisqu’il fragilise notre relation de nation à nation et complique le chemin de la réconciliation. Quelles que soient votre région et vos origines, chers collègues — que vous veniez des côtes ou de l’intérieur des terres, que vous soyez autochtone ou non, pêcheur ou non — nous devons considérer que cet enjeu interpelle tout le Canada. Notre façon d’interagir dans un coin du pays influence notre façon de vivre ensemble partout dans ce grand territoire.

Étant donné le genre d’année que nous vivons, nous conviendrons tous, je crois, que la patience et la compréhension sont de mise.

La réconciliation n’est pas une destination mais un cheminement qui évolue constamment. Le parcours est parfois un peu cahoteux, mais ce qui est arrivé en Nouvelle-Écosse n’était pas un simple cahot. La violence et l’agressivité à l’endroit de pêcheurs autochtones qui exercent des droits issus de traités qu’ils détiennent depuis 260 ans — droits confirmés par la Constitution et la Cour suprême — sont inacceptables. Il faut les dénoncer.

C’est une chose qu’un groupe de personnes soient frustrées parce qu’elles se sentent désavantagées par une loi, mais c’en est une autre de recourir aux actes de violence collective pour les contester. Ce genre de conduite n’est jamais justifiée dans un pays comme le Canada. Le Sénat, comme on l’a dit et démontré à de nombreuses reprises, existe pour protéger et défendre les droits des minorités. Nous sommes maintenant appelés à remplir cette obligation.

Je tiens à remercier le sénateur Christmas et le sénateur Francis de leur leadership et j’appuie leur motion sans réserve. J’exhorte tous les sénateurs à faire de même.

Merci, chers collègues. Wela’lioq.

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