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Le Sénat

Préavis de motion tendant à demander au gouvernement de désigner immédiatement le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme entité terroriste--Ajournement du débat

27 avril 2023


L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Conformément au préavis donné le 14 février 2023, propose :

Que, compte tenu des informations faisant état de violations des droits de la personne, de répression et d’exécutions de ses citoyens, en particulier les femmes, en Iran par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le Sénat demande au gouvernement de désigner immédiatement le CGRI comme entité terroriste.

 — Honorables sénateurs, il est tard et nous avons froid, mais je vous invite à tourner votre cœur et votre esprit vers un endroit situé loin d’ici, un endroit magnifique peuplé de gens magnifiques, mais qui est gouverné depuis 43 ans avec une brutalité et une oppression sans pareil : l’Iran.

L’Iran est peuplé de gens d’un grand courage. Les femmes sont particulièrement courageuses, elles qui manifestent dans les rues et luttent pour leur liberté. Elles enlèvent leur foulard et le brûlent; elles se coupent les cheveux; elles se rassemblent dans les villes et les villages d’Iran. Il ne faut pas s’y tromper : quand elles protestent contre le hidjab, ce n’est pas seulement contre ce morceau de tissu qu’elles en ont. Le hidjab touche au cœur de leur insatisfaction, de leur désespoir et de la discrimination qu’elles vivent. Chaque fois qu’elles se font entendre, elles mettent leur vie et celle de leur famille en péril.

Comme vous le savez tous, j’ai fui ce pays il y a quatre décennies, même si je l’adorais, parce que je ne pouvais pas imaginer vivre sous ce régime avec ma fille. La décision de partir pour toujours ne se prend pas sans risques ni sans peur, mais la peur mène aussi au courage.

Voilà le courage qui est libéré par la révolution que mènent les Iraniennes. Si je souhaitais faire une comparaison littéraire, trouver une image qui illustre le destin de l’Iran, je proposerais comme image une version moderne de La Servante écarlate.

Récemment, lors de la réunion du Groupe d’amitié interparlementaire canadien pour la liberté en Iran, la célèbre actrice et militante Nazanin Boniadi et la militante des droits de la personne Masih Alinejad ont décrit l’Iran comme un État d’apartheid sexiste, car les femmes n’y font pas simplement l’objet d’attitudes et de comportements discriminatoires; le traitement qui leur est réservé est inscrit dans la Constitution et le Code pénal de la République islamique d’Iran.

Elles n’ont pas le droit de porter ce qu’elles veulent. Elles n’ont pas le droit de chanter en solo. Elles n’ont pas le droit de mettre les pieds dans un stade. Certaines professions leur sont interdites. Leurs droits à la propriété sont limités et, pire encore, elles sont obligées de renoncer au droit de voir leurs enfants en cas de divorce, elles ne peuvent pas voyager sans l’autorisation de leur père, de leur conjoint, de leur frère, ou d’un autre homme qui exerce sur elles une autorité démesurée.

Des organismes de défense des droits de la personne ont fait état de l’assassinat, dernièrement, de 500 civils. Les forces de l’ordre, notamment le Corps des Gardiens de la révolution islamique, ont utilisé des fusils de chasse, des fusils d’assaut et des armes de poing contre des manifestants pacifiques. Environ 20 000 personnes ont participé à des manifestations dans tout le pays, et tenez-vous bien : 74 enfants ont été assassinés.

Pour les femmes, cependant, le Corps des Gardiens de la révolution islamique privilégie l’emploi d’une arme spéciale : l’agression sexuelle, qui a des effets catastrophiques sur la victime et sur sa famille. Pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres, IranWire a fait état de l’agression d’une jeune femme, Afsaneh, qui a été arrêtée pour le simple fait d’avoir participé à une manifestation. Elle a été emprisonnée, violée à plusieurs reprises au cours de son interrogatoire par le Corps des Gardiens de la révolution islamique, et s’est ensuite suicidée.

Il y a une autre histoire que j’ai même du mal à lire. Il n’est pas dans ma nature de mettre des mots sur la violence explicite à l’encontre des femmes, mais permettez-moi de dire qu’il y a de la vérité dans ces histoires. Je ne vais pas lire cette histoire, parce que je ne pense pas que j’en serais capable, et l’histoire que j’avais à l’esprit sur une agression sexuelle violente n’est qu’une parmi tant d’autres. C’est la pointe de l’iceberg.

Récemment, l’Iran a déclaré qu’il gracierait des prisonniers, mais, comme pour tout, il y a un prix à payer. Pour être graciés, les prisonniers doivent s’engager à regretter leur participation aux manifestations, faute de quoi ils ne seront pas libérés.

Les crimes du régime islamique et du Corps des Gardiens de la révolution islamique dépassent les frontières de l’Iran. Ce pays contribue à l’invasion brutale de l’Ukraine par la Russie. L’Iran a fourni des drones kamikazes qui ont été déployés plus de 90 fois contre des civils. L’Iran et le Corps des Gardiens de la révolution islamique financent et soutiennent le Hamas et le Hezbollah, créant ainsi une importante instabilité régionale. L’Iran — encore une fois, je suis désolée, chers collègues — ou plutôt la République islamique d’Iran n’est pas une spectatrice sur la scène mondiale. Le régime a commis des activités terroristes autour du pays.

Comme l’a souligné Marcus Kolga, le Corps des Gardiens de la révolution islamique a été :

[...] impliqué dans des attentats sur des ambassades, des attaques contre des Juifs, des exactions contre des Syriens et le massacre de manifestants iraniens. L’organisation est également responsable d’avoir abattu le vol PS752 d’Ukraine International Airlines Flight et tué 176 passagers et membres d’équipage, dont 55 citoyens canadiens [...]

Je dois également souligner que la vie de Canadiens est en jeu. CBC a rapporté qu’au moins trois Canadiens ont été menacés de mort. Pour les Canadiens d’origine iranienne, il est difficile de voir que les membres du Corps des Gardiens de la révolution islamique et leur famille profitent de la sécurité offerte par la démocratie au Canada, alors que l’organisation continue de mettre en péril la vie de leurs compatriotes en Iran.

Pour plus de précisions, avant de vous demander d’appuyer ma motion, je veux rappeler ce que le Corps des Gardiens de la révolution islamique est et ce qu’il n’est pas. Il ne s’agit pas de forces armées professionnelles dont le mandat serait de protéger la population iranienne. Le Corps des Gardiens de la révolution islamique est une force paramilitaire dont le mandat est décrit dans la Constitution de la République islamique d’Iran : protéger le régime islamique et ses intérêts sur le territoire iranien, mais également à l’étranger, comme le montre son soutien au Hezbollah. C’est ce que Shirin Ebadi, lauréate du prix Nobel de la paix, a bien fait comprendre au Parlement européen. En tolérant l’existence du Corps des Gardiens de la révolution islamique, la communauté internationale soutient l’action du régime islamique autant sur le territoire iranien que dans le reste du monde.

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique est omniprésent. Il a une forte présence. Il a des tentacules dans tous les aspects de la vie iranienne. Nul n’est à l’abri. Le Corps des Gardiens de la révolution islamique a des yeux et des oreilles partout. Il est composé d’agents autoproclamés et alimenté par un flot constant de conscrits. Le service militaire est obligatoire pour les jeunes hommes en Iran. Aucun jeune homme ne peut obtenir un emploi ou voyager avant d’avoir terminé son service militaire.

Toutefois, contrairement à l’époque où mon époux a été conscrit, il existe maintenant deux voies : un jeune homme peut être conscrit dans l’armée ou dans le Corps des Gardiens de la révolution islamique, mais le choix ne lui appartient pas. Évidemment, cela approvisionne constamment le Corps des Gardiens de la révolution islamique en recrues jeunes d’esprit et de corps. Cependant, cela entraîne une importante stigmatisation sociale des jeunes, ce qui a des conséquences inattendues pour les familles.

Le Corps des Gardiens de la révolution islamique satisfait-il aux critères de l’inscription sur la liste des entités terroristes? Selon le Code criminel, le gouvernement peut inscrire sur la liste toute entité dont il est convaincu, sur la recommandation du ministre de la Sécurité publique et du ministre de la Protection civile, qu’il existe des motifs raisonnables de croire : premièrement, que, sciemment, elle s’est livrée ou a tenté de se livrer à une activité terroriste, y a participé ou l’a facilitée; deuxièmement, que, sciemment, elle a agi au nom d’une telle entité, sous sa direction ou en collaboration avec elle.

Honorables sénateurs, je vous ai expliqué ce qu’est le Corps des Gardiens de la révolution islamique et ce qu’il fait au nom du régime islamique. Je pense qu’il répond ainsi à la définition d’une entité terroriste. En outre, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu dans une décision que Corps des Gardiens de la révolution islamique est une entité terroriste.

Selon Irwin Cotler et Brandon Silver, du Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne, il n’y a pas d’obstacles juridiques à la désignation du Corps des Gardiens de la révolution islamique en tant qu’organisation terroriste. Le gouvernement du Canada a déjà désigné la Force Al-Qods, qui est une branche du Corps des Gardiens de la révolution islamique, comme organisation terroriste, et je suggère que le gouvernement inscrive la totalité du Corps des Gardiens de la révolution islamique sur la liste des organisations terroristes, plutôt qu’une seule de ses branches.

Voici ce que font d’autres pays : le 18 janvier, le Parlement européen a approuvé avec une écrasante majorité une résolution demandant à l’Union européenne d’ajouter le Corps des Gardiens de la révolution islamique et ses forces subsidiaires à la liste des organisations terroristes de l’Union européenne et d’interdire toute activité économique et financière impliquant des entreprises et des activités commerciales liées au Corps des Gardiens de la révolution islamique ou à ses affiliés. Au début de janvier, les députés de la Chambre des communes du Royaume-Uni ont voté à l’unanimité une motion exhortant le gouvernement britannique à inscrire le Corps des Gardiens de la révolution islamique iranien sur la liste des organisations terroristes. Nous devons joindre notre voix à la leur dans cette enceinte.

Chers collègues, Ottawa a imposé des interdictions de voyager à des milliers d’Iraniens, ainsi que des sanctions à 127 personnes et 189 entités, mais il faut faire plus. Les personnes et les entités sanctionnées sont visées par une interdiction de faire des affaires et une interdiction de voyager, mais nous devons aussi faire en sorte de saisir leurs biens pour les réaffecter à leurs victimes. Selon certains rapports, il y a beaucoup d’argent iranien au Canada, et le Canada pourrait bien abriter une grande quantité d’argent souillé par le Corps des Gardiens de la révolution islamique.

Je sais que le fait de désigner le Corps des Gardiens de la révolution islamique pose certains problèmes, et je vais parler brièvement de l’hésitation du gouvernement à cet égard. Le procureur général du Canada et ministre de la Justice David Lametti a dit que comme le Corps des Gardiens de la révolution islamique fait partie de l’armée iranienne et que le service militaire est obligatoire, une telle mesure ratisse très large. Selon certains, en agissant ainsi, on n’attraperait pas seulement le requin, mais aussi tous les petits poissons qui nagent autour.

Telle ne devrait pas être notre intention, j’en conviens. J’ai reçu de nombreux courriels d’anciens conscrits se trouvant au Canada qui ne peuvent pas voyager aux États-Unis ou y occuper certains postes parce que les États-Unis ont décrété que le Corps des Gardiens de la révolution islamique est une entité terroriste.

Cependant, comme l’ont indiqué Danny Eisen et Sheryl Saperia, de la Coalition canadienne contre le terrorisme, le Canada peut désigner le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme une entité terroriste d’abord, et régler les problèmes ensuite. Nous pouvons le faire de façon à nous attaquer non pas aux petits poissons, mais aux requins. Je les cite :

Par exemple, l’article 42.1 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contient un mécanisme pour faire exception à une interdiction de territoire au Canada. Il permet au ministre d’autoriser l’entrée au pays malgré l’appartenance à une organisation terroriste, s’il juge que cette décision est justifiée selon des considérations relatives à la sécurité nationale et à la sécurité publique. Le recrutement forcé et le fait de ne pas avoir participé aux violences commises par le Corps des Gardiens de la révolution islamique devraient répondre à ces critères si ces faits s’appuient sur des preuves. Si d’autres exceptions dans la loi sont nécessaires, nous sommes convaincus qu’on pourra les ajouter rapidement.

Honorables sénateurs, la République islamique d’Iran nous a montré sa vraie nature. C’est un régime qui opprime ses propres citoyens, qui les prive de leurs droits fondamentaux et qui soutient le terrorisme dans le monde. Il est grand temps que le gouvernement du Canada désigne le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme une entité terroriste. Ce faisant, le Canada adoptera une position de principe ferme et sans équivoque pour indiquer que la brutalité du régime islamique ne sera pas tolérée.

Ce faisant, nous défendons les femmes, la vie et la liberté.

Merci.

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Bien sûr, sénateur.

Je vous remercie de votre exposé, sénatrice Omidvar. C’est un grave problème qui préoccupe toute la communauté internationale. Je vous remercie d’avoir pris le temps de nous informer un peu plus sur le sujet.

Quand vous faites référence aux requins et aux petits poissons, il me semble que nous n’avons même pas pensé aux petits poissons. Il est possible que les petits poissons aient été conscrits de force.

Pourrait-il y avoir d’autres raisons qui justifient l’hésitation du gouvernement? Certains enjeux commerciaux sont-ils en cause? Quelle serait votre réponse aux autres préoccupations que l’on pourrait vous présenter?

La sénatrice Omidvar [ - ]

Merci beaucoup pour cette question. La désignation du Corps des Gardiens de la révolution islamique comme entité terroriste ne présenterait pas beaucoup de difficultés pour le Canada. Nous n’avons pas de relations diplomatiques avec l’Iran. Nous avons très peu de relations commerciales avec ce pays. Nous avons une importante diaspora iranienne, qui a des liens avec l’Iran, mais l’étiquette de terroriste du Corps des Gardiens de la révolution islamique ne les toucherait pas, à moins que leur argent ne soit associé d’une manière ou d’une autre à ce groupe et à ses activités violentes.

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