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Recours au Règlement

14 décembre 2023


L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) [ + ]

J’invoque le Règlement, si vous le permettez, Votre Honneur.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Oui, sénateur Plett.

Le sénateur Plett [ + ]

Merci, Votre Honneur. Je sais qu’il reste environ deux minutes avant que vous ne m’interrompiez. C’est ainsi que le sort en a décidé.

Honorables sénateurs, j’invoque le Règlement au sujet des agissements de l’un d’entre nous, le sénateur Cardozo, qui sont ressortis lors d’une récente réunion du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre des communes.

Ce comité a été chargé — par un vote unanime de la Chambre des communes — d’étudier la participation publique du Président de la Chambre à un congrès du Parti libéral de l’Ontario. Permettez‑moi de lire une partie de l’ordre de renvoi :

Que la participation publique du Président à un congrès du Parti libéral de l’Ontario, en tant que Président de la Chambre des communes, constitue un manquement à la tradition et à l’attente d’impartialité requises pour cette haute fonction, constituant une grave erreur de jugement qui mine la confiance requise pour s’acquitter de ses fonctions et responsabilités et, par conséquent, la Chambre renvoie la question au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre avec l’instruction de recommander une mesure corrective appropriée [...]

Le lundi 11 décembre, le comité s’est réuni, et l’un des témoins était le Président de la Chambre des communes, M. Greg Fergus. La députée de Longueuil—Charles-LeMoyne, au Québec, Mme Sherry Romanado, a dit à M. Fergus ce qui suit :

Monsieur le Président, vous n’êtes probablement pas au courant, mais, tard hier soir, de nombreux membres du comité ont reçu des lettres vous appuyant dans votre rôle de Président [...]

Puis, elle a ajouté :

Je voulais vous dire personnellement qu’il y a des gens qui vous soutiennent et qui nous ont écrit à tous pour nous dire que vous étiez nouveau [...]

Elle a conclu en disant :

Je tiens à vous remercier et à vous faire savoir qu’il y a du soutien à l’égard du modèle que vous représentez pour les jeunes Noirs canadiens, et je tenais à vous en remercier.

Une des lettres en question a été envoyée sous le nom de Carl Nicholson. Il n’y avait pas de signature sur cette lettre. Il n’y avait qu’un nom. Il n’y avait pas d’adresse non plus; simplement la mention « Ottawa ».

Lors de la réunion de lundi du comité, il a été noté que cette lettre avait été écrite par le sénateur Andrew Cardozo. Les propriétés du document Microsoft Word l’indiquent clairement.

Le fait que la lettre a été écrite par le sénateur Cardozo a été soulevé vers 10 h 30 lundi. Le Sénat s’est réuni plus tard ce jour-là pendant deux heures, puis mardi, de 14 heures à 23 h 41, et hier, de 14 heures à 23 h 31. À aucun moment, le sénateur Cardozo n’est intervenu au Sénat pour expliquer son rôle concernant cette lettre et, à ma connaissance, il n’a fait aucune déclaration publique à ce sujet. Cette affaire soulève trois questions sur lesquelles les sénateurs pourraient bénéficier de vos conseils, Votre Honneur. La première concerne l’ingérence dans les affaires internes de la Chambre des communes.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je suis désolée de vous interrompre, sénateur Plett. Honorables sénateurs, il est maintenant 18 heures. Conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je suis obligée de quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, moment où nous reprendrons nos travaux, à moins que vous souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Le sénateur Plett [ + ]

Cette affaire soulève trois questions pour lesquelles les sénateurs, comme je l’ai dit, pourraient bénéficier de vos conseils, Votre Honneur.

La première concerne l’ingérence dans les affaires internes de la Chambre des communes. Bien entendu, les sénateurs sont libres d’exprimer leurs opinions — c’est d’ailleurs leur rôle. Rien n’empêche un sénateur d’écrire aux députés pour soulever des questions d’intérêt public ou pour faire part des préoccupations d’un citoyen ou d’un groupe de citoyens. Cependant, je trouve étrange qu’un sénateur veuille s’impliquer dans une affaire purement interne à la Chambre des communes.

L’avenir de Greg Fergus en tant que Président de la Chambre des communes est une question qui sera réglée par les députés élus et personne d’autre. Je crois que les tentatives du sénateur Cardozo de s’ingérer dans les affaires de l’autre endroit étaient, pour le moins, malavisées. Elles témoignent d’une mauvaise compréhension de la façon dont chacune des Chambres du Parlement gère ses affaires de manière tout à fait indépendante. Je suis convaincu que le sénateur Cardozo serait le premier à intervenir si Pierre Poilievre envoyait un message au Comité sénatorial sur l’éthique pour lui demander d’être clément à l’égard d’un sénateur conservateur. Je sais que le sénateur Cardozo nie être libéral. Cependant, je crois qu’il ne trompe personne.

Mais libéral ou pas...

Son Honneur la Présidente [ + ]

On ne peut pas invoquer le Règlement pendant un rappel au Règlement.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Il enfreint le Règlement.

Le sénateur Plett [ + ]

Je suis désolé. Je ne sais plus où j’étais rendu, alors je vais reprendre du début.

Je crois que les tentatives du sénateur Cardozo de s’ingérer dans les affaires de l’autre endroit étaient, pour le moins, malavisées. Elles témoignent d’une mauvaise compréhension de la façon dont chacune des Chambres du Parlement gère ses affaires. Je suis convaincu que le sénateur Cardozo serait le premier à intervenir si Pierre Poilievre envoyait un message au Comité sénatorial sur l’éthique pour lui demander d’être clément à l’égard d’un sénateur conservateur. Je sais que le sénateur Cardozo nie être libéral. Cependant, je crois qu’il ne trompe personne. Cela dit, libéral ou non, il est sénateur. Donc, nous avons un sénateur qui tente d’influencer des députés dans leur enquête au sujet d’un député qui aurait manqué à ses devoirs de député, un sénateur qui s’insère dans une affaire qui relève des députés et qui sera tranchée par des députés et seulement par des députés.

Votre honneur, je crois que les sénateurs bénéficieraient de vos conseils à savoir où est la limite entre exprimer une opinion sur une affaire publique et s’ingérer dans les affaires internes de l’autre endroit. Selon moi, le sénateur Cardozo a dépassé cette limite, et je crois que vous le confirmerez. Si, par contre, vous ne pensez pas que le sénateur Cardozo a dépassé la limite, il serait bénéfique à chacun de nous de savoir où se trouve cette limite, si tant est qu’elle existe.

Deuxièmement, comme je l’ai mentionné précédemment, le sénateur Cardozo n’a pas signé la lettre qu’il a rédigée. La lettre a été signée par un certain Carl Nicholson. Les députés ne pouvaient donc pas savoir que celle-ci provenait du sénateur Cardozo. Je ne sais pas pourquoi le sénateur a choisi d’utiliser le nom d’un tiers. Peut-être savait-il que le Règlement interdit à un sénateur de s’immiscer dans les affaires de la Chambre des communes, comme je l’ai déjà expliqué. Quelle que soit la raison pour laquelle le sénateur a décidé de ne pas signer sa lettre, je pense que ce n’est pas la conduite à laquelle on s’attend de la part d’un sénateur. Pour un sénateur, envoyer des lettres de manière anonyme ou sous un pseudonyme constitue un grave manquement à ses devoirs et n’est pas digne de sa charge. M. Nicholson a-t-il dicté la lettre au sénateur Cardozo? Il faudrait alors accepter que le sénateur Cardozo travaille au noir les fins de semaine en tant qu’adjoint administratif. Le sénateur Cardozo a-t-il fait appel à M. Nicholson dans le cadre de sa campagne pour tenter de sauver la carrière de son ami libéral, Greg Fergus? Nous l’ignorons.

Cette affaire a été rendue publique lundi, mais le sénateur Cardozo ne s’est toujours pas expliqué. Peut-être qu’il pourrait nous dire pourquoi il n’a pas signé la lettre de son nom. Peut-être que le fait que j’en parle l’incitera à s’expliquer. Toutefois, pour l’instant, Votre Honneur, tout ce que nous savons, c’est que le sénateur Cardozo n’a pas signé la lettre qu’il a écrite. Pourquoi il n’a pas fait preuve de transparence envers les députés à qui il écrivait reste un mystère, et nous ne savons pas si des ressources du Sénat ont servi à la rédaction et à l’envoi de cette lettre.

Votre Honneur, je crois que vous devez nous dire s’il est acceptable que des sénateurs envoient des lettres et d’autres messages de façon anonyme et s’il est acceptable de les faire signer par un tiers. Plus précisément, il faudrait établir si le fait qu’un sénateur a utilisé des ressources du Sénat pour rédiger et envoyer ces lettres constitue un facteur prépondérant pour déterminer s’il a commis une faute dans l’exercice de ses fonctions. Je sais que des députés qui ont reçu cette lettre dimanche n’ont pas été impressionnés qu’un sénateur envoie une lettre anonyme. Cela ternit l’image du Sénat.

Troisièmement, comme je l’ai dit, la lettre préparée par le sénateur Cardozo a été envoyée aux membres du Comité de la procédure et des affaires de la Chambre la veille de jour où M. Fergus devait témoigner devant le comité au sujet de sa participation publique à un congrès du Parti libéral de l’Ontario, en tant que Président de la Chambre des communes. Comme je l’ai dit, cette lettre était signée par M. Carl Nicholson et on peut y lire l’affirmation suivante : « Carl Nicholson est un membre actif de la communauté noire canadienne. »

La lettre souligne que l’élection de M. Fergus a été une excellente nouvelle pour la communauté noire, ce que je ne contesterai pas, bien sûr. Puis, l’auteur de la lettre défend les actions de M. Fergus, demandant aux membres du comité de lui pardonner parce que réclamer sa démission pourrait envoyer le mauvais message. Je ne remettrai pas en question ces arguments à ce moment-ci. Ce n’est pas mon intention aujourd’hui. Cependant, ce qui m’agace, c’est le fait que la lettre a été envoyée par un sénateur qui n’est pas noir.

Encore une fois, Votre Honneur, en l’absence d’une explication de la part du sénateur Cardozo, trois jours après que cette information ait été révélée au Comité, je me dois de vous demander de trancher sur la question de l’utilisation de prétextes par un sénateur pour communiquer par écrit à de tierces parties — en l’occurrence, des députés.

Il est intéressant de noter que la lettre, après le nom de M. Nicholson en tant qu’auteur, inclut une biographie de M. Nicholson rédigée à la troisième personne. L’usage veut que l’on dise quelque part dans la lettre : « Je suis M. Untel, je fais ceci et j’occupe ce poste ». Qui, dans une lettre, écrit sa biographie à la troisième personne? La seule explication logique, c’est que ce n’est pas M. Nicholson qui s’exprime dans cette lettre.

En conclusion, Votre Honneur, le sénateur Cardozo aurait facilement pu répondre aux questions soulevées aujourd’hui. Comme je l’ai dit, plus de trois jours se sont écoulés depuis qu’on a soulevé la question de la lettre anonyme au Comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Il pourrait certainement nous dire pourquoi il a cru que c’était une bonne idée de s’impliquer dans un examen mené par un comité de la Chambre des communes concernant les actions d’un député. Il pourrait nous dire pourquoi il a pensé que c’était une bonne idée de ne pas agir de façon ouverte et transparente et de ne pas signer son propre nom. Il pourrait nous expliquer pourquoi il s’est fait passer pour quelqu’un d’autre. S’il ne le fait pas, Votre Honneur, je vous invite à intervenir.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Sénateur Cardozo, voudriez-vous répondre?

Il me faudrait un peu de temps pour considérer les points que le sénateur a soulevés. Si je me souviens bien, il y a deux semaines environ, lorsque de sérieuses allégations d’intimidation ont été présentées, après qu’un préavis nous a été donné, vous avez accordé au sénateur Plett deux jours de plus pour considérer la question. Par conséquent, je vous demanderais de m’accorder deux jours ouvrables de plus pour que je donne ma réponse.

Je dirais seulement que je n’ai rien écrit anonymement. M. Nicholson a choisi d’envoyer une lettre, et j’en parlerai de façon détaillée en temps opportun. Néanmoins, je pense que c’est une sorte de surprise qu’on me fait aujourd’hui et je serais heureux de répondre en détail pourvu que vous m’accordiez très gentiment deux jours, ce qui est la pratique normale en pareil cas.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

Honorables sénateurs, je n’ai pas vraiment compris ce qui se passe. Le sénateur Plett fait un recours au Règlement au sujet d’un message anonyme qui a été déposé et qui concerne la Chambre des communes. Je ne sais pas jusqu’où on peut aller dans les recours au Règlement au Sénat, mais j’ai toujours pensé que ces recours étaient réservés aux affaires du Sénat et aux affaires étudiées par le Sénat.

Tant le sénateur Plett que moi regrettons que la Chambre des communes tente de s’ingérer dans nos affaires à l’occasion et essaie de nous dire quoi faire, mais il est évident que je vais résister à l’idée de dire quoi faire au comité de la Chambre des communes qui étudie la question du comportement du Président de l’autre endroit.

J’ai devant moi un gazouillis du député Eric Duncan, qui dit ceci :

Les libéraux voulaient que tous les gens qui nous regardent sachent que des membres de notre comité ont reçu des « lettres anonymes » appuyant le maintien à la présidence de Greg Fergus.

J’aimerais bien savoir comment le sénateur Plett peut attribuer des lettres anonymes à des membres du Sénat. Je ne sais pas à quel point il faut aller fouiller dans les courriels du sénateur Plett à son bureau pour voir s’il a écrit des lettres à M. Poilievre, pour lui dire quoi faire en ce qui concerne la Chambre des communes ou le Sénat. Il doit y avoir une limite à la décence. Des lettres anonymes ne méritent pas notre considération; nous sommes une institution trop importante pour commencer à mener des enquêtes sur des lettres anonymes.

À mon avis, honorables sénateurs, ce recours au Règlement est irrecevable. Tout ceci n’est pas lié aux affaires du Sénat. Si le sénateur veut déposer une plainte au conseiller à l’éthique pour se plaindre du comportement d’un sénateur, c’est autre chose, mais il veut faire un recours au Règlement, et la question n’a rien à voir avec le Sénat.

Merci.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Honorables sénateurs, si le Sénat considère qu’il est de son devoir de soulever une question de privilège parce qu’un sénateur a « aimé » un gazouillis se rapportant à des déclarations publiques, les allégations concernant la conduite d’un sénateur qui a envoyé un courriel à un comité parlementaire qui étudie et évalue l’indépendance du Président de la Chambre et si sa conduite a été éthique ou non méritent certainement d’être examinées de plus près, en particulier l’allégation concernant un sénateur qui aurait envoyé une lettre dans le cadre de cette enquête et qui n’aurait pas eu le courage d’assumer la responsabilité de la lettre en question.

Je pense que nous sommes d’accord pour dire que c’est une grave erreur de la part d’un sénateur de s’approprier une identité devant un comité parlementaire, d’essayer de le faire en secret et d’essayer d’influencer ce comité, et de ne pas en assumer la responsabilité. En réponse au sénateur Dalphond, dois-je comprendre qu’il est de notre ressort de juger le comportement des sénateurs lorsqu’ils marchent dans la rue Wellington, mais pas de juger et d’évaluer si un sénateur a utilisé les ressources du Sénat dont il dispose en tant que sénateur pour envoyer... pour essayer d’influencer un comité indépendant de la Chambre en train d’évaluer si le Président de la Chambre a eu un comportement éthique ou non?

Comme je l’ai dit, je réserverai mon jugement, car le sénateur Cardozo, à l’instar de tous mes honorables collègues, mérite d’avoir l’occasion de répondre à ces graves allégations. Toutefois, étant donné que le Sénat se préoccupe tellement du comportement éthique de chacun d’entre nous, puisque nous estimons qu’il se reflète sur l’institution, je pense que nous méritons de recevoir au moins une explication de la part du sénateur Cardozo.

Le sénateur Dalphond [ + ]

Invoquez-vous le Règlement ou soulevez-vous une question de privilège? J’ai cru comprendre que le sénateur Plett faisait un rappel au Règlement.

Le sénateur Housakos [ + ]

J’ai répondu au recours au Règlement, ainsi qu’à votre intervention sur le recours Règlement, en soulignant que, si certaines frivolités nécessitent une question de privilège pour être examinées au Sénat, il est certain que les allégations sérieuses formulées dans ce cas-ci nécessitent, à tout le moins, un recours au Règlement. Voilà ce que j’essayais de faire valoir, sénateur Dalphond.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Est-ce que d’autres sénateurs souhaitent intervenir au sujet du rappel au règlement?

Le sénateur Cardozo aura jusqu’à demain, après la période réservée aux affaires du gouvernement, pour répondre au rappel au Règlement, puis nous pourrons nous pencher sur la question le même jour. Merci.

Le sénateur Plett [ + ]

Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat, je propose :

Que la séance soit maintenant levée.

Son Honneur la Présidente : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

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