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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Suite du débat

28 février 2024


L’honorable Denise Batters [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-62, qui vise à reporter à 2027 l’accès au suicide assisté pour les Canadiens atteints d’une maladie mentale.

À la Chambre des communes, ce projet de loi a été adopté de façon décisive par 272 voix contre 32. Pour ma part, bien que j’appuie la décision de retarder l’accès, je soutiens que le gouvernement Trudeau ne devrait pas seulement reporter la possibilité pour les personnes atteintes de maladie mentale d’avoir accès au suicide assisté, mais qu’il devrait y renoncer complètement. Guidé par son idéologie, le gouvernement Trudeau semble allergique à l’idée d’admettre qu’il a commis une grave erreur lorsqu’il a accepté, en 2021, l’idée que l’aide médicale à mourir pourrait être accessible en cas de maladie mentale. Les Canadiens ne souhaitent pas cet élargissement du régime d’aide médicale à mourir. Le système de santé n’est pas prêt à cela.

Le gouvernement Trudeau le reconnaît et a donc repoussé ce changement jusqu’en 2027, soit après les prochaines élections, dans l’espoir d’éviter que cela devienne un enjeu électoral. Le ministre de la Santé libéral, Mark Holland, a confirmé que malgré le report prévu par le projet de loi C-62, il s’agit de déterminer quand aura lieu l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale, et non si cet élargissement aura lieu. Soulignons qu’au final, ce sont les Canadiens vulnérables atteints de maladies mentales qui paieront le prix — le prix ultime — de l’idéologie pro-élargissement des libéraux.

Les personnes dont le seul problème de santé et une maladie mentale ne devraient pas être admissibles au suicide assisté, et ce, pour deux raisons importantes. Premièrement, il est très difficile, voire impossible, de déterminer le caractère irrémédiable de la maladie mentale. Deuxièmement, il est difficile pour les cliniciens d’établir si la demande d’aide médicale à mourir d’une personne souffrant de maladie mentale est liée à des idées suicidaires, ce qui peut changer du jour au lendemain et qu’un traitement pourrait guérir.

Durant mes huit années au sein du Comité sénatorial des affaires juridiques, lorsque nous étudiions cette question, nous avons entendu de nombreux témoins experts qui ont parlé de patients apparemment résistants au traitement qui, avec le bon traitement et les bonnes ressources, avaient réussi à se relever d’une maladie mentale et à prendre du mieux.

La maladie mentale n’est pas irrémédiable. Elle n’est pas mortelle. Comme l’ont écrit le sénateur Kutcher et les sénatrices Mégie et Wallin dans leur rapport dissident, l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale n’est pas un soin de fin de vie. L’aide médicale à mourir en cas de troubles mentaux, c’est donner accès à des méthodes entièrement létales aux personnes souffrant de maladie mentale.

Pour l’avoir vécu en tant qu’aidante naturelle de mon défunt mari, Dave Batters, qui a dû composer avec une maladie mentale, je peux vous dire que dans ce pays, le système de soins de santé mentale est très lacunaire. Il y a des listes d’attente de plusieurs mois, parfois des années, simplement pour voir un psychiatre. Ce qu’il faut faire pour combler les lacunes du système de soins de santé mentale, c’est de corriger le système, et non pas d’entériner le sentiment de désespoir d’un patient atteint d’une maladie mentale et de lui offrir un moyen létal de se suicider. La solution n’est certainement pas de mettre fin à leurs jours pour eux.

Il est également difficile de prédire avec certitude si le désir de mourir d’un patient est le résultat d’idées suicidaires passagères, qui peuvent être un symptôme de maladie mentale, ou s’il s’agit d’un plan délibéré de mettre fin à ses jours. Les suicides ne sont pas tous une décision impulsive. Les personnes atteintes de maladie mentale peuvent aussi établir un plan détaillé pour se suicider, et nombre d’entre elles le font.

Souvent, la maladie mentale fait en sorte qu’une personne a une vision étroite ou un manque de perspective par rapport à la valeur de sa propre vie. Elle vient complexifier le contexte dans lequel une personne doit prendre une décision de vie ou de mort comme le suicide assisté. De plus, certains médicaments psychiatriques ont pour effet secondaire d’augmenter la fréquence des pensées suicidaires.

Le suicide, c’est planifier sa propre mort, et c’est ce que fait l’aide médicale à mourir. Toutefois, dans le cas de l’aide médicale à mourir, l’État joue un rôle. L’une des raisons pour lesquelles le Canada a interdit la peine capitale il y a plusieurs décennies, c’est qu’il a été décidé que la vie d’une personne est un prix trop élevé à payer si l’État commet une erreur.

Dans un article paru récemment, le sénateur Kutcher a clairement énoncé son désaccord avec l’argument selon lequel l’aide médicale à mourir et le suicide, c’est du pareil au même. L’article se lit comme suit :

Il ne faut pas comparer une personne qui décide de mettre fin à ses jours pour cause de maladie mentale à un kamikaze aux commandes d’un avion ou à un terroriste qui commet un attentat à la bombe. Ce n’est pas du tout la même chose, mais des gens ont délibérément cherché à noyer le poisson en ce qui concerne l’aide médicale à mourir parce que cet enjeu fait appel aux émotions. »

Je pense que dans le cas présent, l’appel aux émotions et l’obscurcissement, c’est assimiler les personnes suicidaires aux commandos suicides et aux kamikazes. Je suis étonnée qu’un psychiatre d’expérience dise une telle chose. Combien y a-t-il de kamikazes et de commandos suicides parmi les 4 500 Canadiens qui se suicident chaque année? Ce n’est certainement pas un argument fondé sur la moindre donnée probante, et c’est révélateur du genre de rhétorique extrême à laquelle le petit groupe de partisans de l’expansion a recours dans ce dossier.

Même des psychiatres experts ne peuvent pas nécessairement faire la différence entre des idées suicidaires et une demande en règle d’aide médicale à mourir. De plus, le programme d’aide médicale à mourir élaboré par l’Association canadienne des évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir n’enseigne pas aux évaluateurs comment faire la distinction entre des idées suicidaires et des demandes d’aide médicale à mourir pour maladie mentale. Elle leur garantit plutôt à tort qu’ils peuvent le faire. C’est très dangereux. Parmi les personnes qui tentent de se suicider au Canada, 23 % feront une autre tentative et 7 % parviendront à leurs fins. C’est donc dire qu’au moins 70 % des personnes qui tentent de se suicider ne font qu’une seule tentative. Toutefois, avec l’aide médicale à mourir, cette unique tentative a 100 % de chances d’être mortelle. Il n’y a pas de deuxième essai.

Il y a eu des histoires d’horreur dans les médias au sujet de Canadiens handicapés à qui on a offert l’aide médicale à mourir comme solution de rechange aux traitements ou aux ressources. On a aussi rapporté plusieurs cas de vétérans cherchant à obtenir du soutien à qui Anciens Combattants Canada aurait parlé de l’aide médicale à mourir. De telles situations iront probablement en augmentant si le gouvernement Trudeau élargit une fois de plus l’admissibilité au suicide assisté afin d’inclure les Canadiens souffrant de troubles mentaux.

On peut présumer que l’élargissement du régime d’aide médicale à mourir touchera les femmes de manière disproportionnée. Au cours des 21 premiers mois suivant l’élargissement du régime pour inclure les cas où les demandeurs n’étaient pas en fin de vie, 686 Canadiens handicapés ont obtenu l’aide médicale à mourir. En 2022, 60 % de ceux-ci étaient des femmes. Puisque les recherches en Europe montrent que l’euthanasie pour des raisons psychiatriques est donnée à des femmes dans 70 à 80 % des cas et étant donné que les tentatives de suicide sont entre deux et trois fois plus fréquentes chez les femmes que chez les hommes, on peut s’attendre à ce que l’écart entre les hommes et les femmes s’élargisse encore plus lorsque l’aide médicale à mourir pour raisons psychiatriques sera inscrite dans la loi.

L’analyse comparative entre les sexes plus réalisée par le gouvernement relativement au projet de loi C-62 n’a été publié qu’après que j’ai posé une question là-dessus pendant la séance de comité plénier au Sénat. Cette analyse était radicalement différente de celle qui portait sur le projet de loi C-39, le projet de loi qui avait reporté l’élargissement de l’aide médicale à mourir pour les cas de maladie mentale la première fois. Celle de l’an dernier sur le projet de loi C-39 était dévastatrice et exacte. Elle soulignait que les femmes atteintes de troubles psychiatriques étaient plus susceptibles de demander l’aide médicale à mourir que les hommes dans les pays du Benelux. En voici un extrait :

On peut s’attendre à ce que, si l’[aide médicale à mourir] était mise à la disposition des personnes dont l’unique trouble est une maladie mentale au Canada, nous constations une augmentation du nombre de femmes qui demandent l’[aide médicale à mourir] pour des souffrances psychiatriques et à un âge plus jeune.

Mais l’analyse comparative entre les sexes plus concernant le report prévu dans le projet de loi C-62 a donné des résultats bien différents. Soudainement, il semble n’y avoir aucune preuve de quoi que ce soit : peu de données sur l’incidence de l’aide médicale à mourir sur les personnes souffrant de maladies mentales, pas de données sur la race, pas de données sur le revenu et pas de données sur l’incidence de l’un ou l’autre de ces éléments sur le recours à l’aide médicale à mourir. En Suisse, il manque des preuves, car il y a trop peu de cas pour tirer des conclusions quant à la raison pour laquelle la majorité des demandes d’aide médicale à mourir motivées par un problème psychiatrique sont faites par des femmes. De plus, même si les femmes représentent 60 % des cas visés par le projet de loi C-7, nous ne pouvons trouver aucune explication possible à ce phénomène. En toute honnêteté, c’est ridicule. Le ministère de la Justice aurait simplement dû signer un document vierge portant la mention « L’analyse comparative entre les sexes plus appliquée au projet de loi C-62 : un travail bâclé! ».

Le ministre Holland a tenté de brouiller les cartes concernant le processus entourant le recours à l’aide médicale à mourir en cas de trouble psychiatrique, en déclarant :

Il s’agit, pour notre société, de laisser les gens qui vivent avec une maladie comme le cancer, ou qui sont en fin de vie, la possibilité de faire eux-mêmes un choix.

Lorsqu’il est question de maladies incurables, c’est le débat qu’on doit faire aujourd’hui. Il faut s’assurer que le choix est vraiment limité aux cas où un malade a examiné toutes les options, et où il n’y a pas d’autres options pour améliorer sa santé, après avoir beaucoup souffert.

La description du ministre n’est pas exacte, car l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale ne vise pas les personnes atteintes d’une maladie en phase terminale. Le projet de loi C-7, qui a été adopté par le Parlement, ne stipule pas que l’aide médicale à mourir doit être un dernier recours pour ces patients ni que ces derniers doivent avoir épuisé les autres options médicamenteuses ou thérapeutiques au fil des mois ou des années avant de présenter leur demande. Cela fait du Canada un cas particulier par rapport aux autres pays qui autorisent une forme quelconque de suicide assisté dans les cas de maladie psychiatrique.

Nous en sommes maintenant au point où, comme le Dr Sonu Gaind l’a déclaré devant le Comité mixte :

Cette augmentation n’est pas vraiment une pente glissante. C’est un train dont on a perdu le contrôle, comme celui qui a causé le désastre de Lac-Mégantic. Une multitude de signes montrent au gouvernement qu’il ne devrait pas aller de l’avant. S’il choisit de le faire, il ne pourra pas dire qu’il n’aura pas été averti.

Le Canada n’est pas prêt à aller de l’avant avec l’élargissement du suicide assisté pour les personnes atteintes d’une maladie mentale — certainement pas maintenant, et peut-être jamais. Cependant, les provinces et les territoires — sous des gouvernements non seulement conservateurs, mais aussi libéraux et néo-démocrates — ont dit au gouvernement fédéral qu’ils ne sont pas prêts à élargir l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale.

Les Canadiens ont indiqué qu’ils rejetaient l’élargissement du régime d’aide médicale à mourir aux cas où seuls des motifs psychiatriques sont invoqués. Selon un sondage Angus Reid réalisé l’année dernière, seuls 31 % des Canadiens appuient cet élargissement. À l’automne dernier, un autre sondage national a révélé que 82 % des Canadiens estiment que l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale ne devrait pas être envisagé avant que l’accès aux soins de santé mentale soit amélioré. Même les psychiatres praticiens chargés de faciliter l’accès à l’aide médicale à mourir pour leurs patients atteints de maladie mentale n’ont pas adhéré à cet élargissement. Le comité mixte a constaté qu’à peine 2 % des psychiatres canadiens sont inscrits au Programme canadien de formation sur l’aide médicale à mourir. Dans une lettre récente, la Société canadienne de psychiatrie indique ceci :

[T]ous les sondages menés auprès des psychiatres depuis l’ajout de la disposition de caducité ont systématiquement révélé que les psychiatres au Canada n’appuient pas l’élargissement de l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué [...] Ces sondages révèlent constamment que les psychiatres, selon un rapport de deux ou trois contre un, n’appuient pas l’élargissement de l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, même si la plupart ne sont pas des objecteurs de conscience et ne s’opposent pas à l’aide médicale à mourir en général. En outre, un taux encore plus élevé de psychiatres (dans une proportion de quatre contre un) invoquent le manque de préparation à l’élargissement de l’aide médicale à mourir prévu en mars 2024 pour les cas de maladie mentale.

Il ne fait aucun doute que certains de ces psychiatres ne veulent pas que cet élargissement ait lieu en raison du devoir de diligence qu’ils ont envers leurs patients. Je suis sûre que la plupart d’entre eux n’ont jamais eu l’intention d’être impliqués dans le processus visant à mettre fin à la vie de leurs patients dans une discipline fondée sur la confiance entre le médecin et le patient, ainsi que sur la prévention du suicide et la préservation de la vie.

Le sénateur Kutcher a souligné que le consensus n’est pas nécessaire pour de nombreux traitements médicaux, physiques ou autres. Or, le suicide assisté n’est pas un traitement : il cause la mort. En l’absence de preuves concluantes sur l’irrémédiabilité de la maladie mentale et l’idéation suicidaire qui en découle, il est nécessaire d’exiger le consensus du milieu médical.

Donner aux personnes atteintes d’une maladie mentale accès au suicide assisté, ce n’est pas cela, l’égalité. Il est vraiment discriminatoire d’offrir une mort prématurée aux personnes atteintes de maladie mentale, qui sont désespérées, au lieu de leur offrir un traitement et du soutien. Les maladies mentales ne devraient pas être une condamnation à mort.

Au cours des huit dernières années, de nombreuses personnes atteintes de maladie mentale ont communiqué avec moi. Elles veulent de l’espoir, de l’aide et du soutien, et non une voie plus facile vers la mort.

Certains partisans de l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale prétendent que les tribunaux canadiens l’ont exigé. En tant qu’avocate, je vous dis que ce n’est pas vrai. L’élargissement de l’accès au suicide assisté aux personnes atteintes de maladie mentale est une décision politique de la part du gouvernement militant Trudeau, ni plus ni moins. Elle n’est pas exigée par la Constitution. En réalité, le ministre de la Justice, M. Virani, et son prédécesseur, M. David Lametti, m’ont avoué à contrecœur que les tribunaux canadiens n’avaient pas rendu obligatoire l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale.

Vingt-huit professeurs de droit ont signé une lettre adressée au gouvernement Trudeau qui préconise le raisonnement suivant : l’arrêt Carter de 2015 de la Cour suprême ne concerne pas les patients atteints de maladie mentale. En fait, ils affirment que les personnes atteintes de maladie mentale sont explicitement exclues de l’arrêt :

[...] « les paramètres proposés dans les présents motifs » ne s’appliqueraient pas à « l’euthanasie pour les mineurs ou pour les personnes affectées de troubles psychiatriques ou de problèmes de santé mineurs ».

La juge du tribunal inférieur, au Québec, dans l’affaire Truchon ne s’est pas non plus prononcée sur la constitutionnalité de l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladies mentales, puisque la demande des plaignants dans cette affaire n’était pas fondée sur une maladie mentale. Les commentaires formulés par la juge dans cette décision au sujet des maladies psychiatriques sortaient du cadre de l’affaire et ne peuvent donc pas servir de précédent.

Les 28 professeurs de droit ont résumé leur lettre comme suit :

Faute de précédent exécutoire, il est prématuré de faire valoir que la Charte ouvre l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes qui invoquent une maladie mentale comme seul problème médical. Il nous apparaît par ailleurs imprudent de laisser entendre que la Cour suprême ne peut que reconnaître un droit constitutionnel à l’aide médicale à mourir, vu l’absence d’analyse en bonne et due forme de données [...]

L’ancien ministre de la Justice, M. Lametti, a milité pour l’élargissement considérable de l’aide médicale à mourir. Il a choisi de ne pas interjeter appel de la décision rendue par la juge du tribunal inférieur dans l’affaire Truchon parce que, pour tout dire, il avait obtenu une réponse qui lui plaisait. Il est très inhabituel que le gouvernement fédéral n’interjette pas appel lorsqu’un tribunal rend une telle décision.

Le gouvernement Trudeau a trop élargi l’aide à mourir et il l’a fait trop rapidement. L’an dernier, mon collègue le député conservateur Ed Fast a présenté le projet de loi d’initiative parlementaire C-314 pour exclure la maladie mentale des modalités de recours au régime d’aide médicale à mourir. Malheureusement, la grande majorité des députés libéraux ont voté contre. Ils ont rejeté le projet de loi à l’étape de la deuxième lecture, alors il n’a même pas été étudié par un comité.

Seul un gouvernement conservateur dirigé par le premier ministre Pierre Poilievre abrogera cet élargissement du suicide assisté pour les personnes atteintes de maladie mentale. Nous nous sommes engagés à le faire lorsque nous formerons le gouvernement. Pour le bien du pays, j’espère que c’est pour bientôt. Cela dit, je peux vous assurer une chose : ce n’est qu’une question de temps.

Honorables sénateurs, c’est clair comme de l’eau de roche : soit vous appuyez les gens qui vivent avec une maladie mentale, soit vous ne les appuyez pas. Le suicide assisté ne devrait jamais être accordé aux Canadiens qui souffrent uniquement de maladie mentale. Il faut arrêter le train pendant qu’il en est encore temps. Les Canadiens ne sont pas prêts, les professionnels de la santé ne sont pas prêts, les provinces et territoires ne sont pas prêts. Faites comme moi et votez pour le projet de loi C-62 afin de protéger les Canadiens vulnérables qui vivent avec une maladie mentale.

Merci.

Honorables sénateurs, j’aimerais prendre quelques minutes pour faire entendre la voix de quelques Canadiens qui nous ont écrit pour exprimer divers points de vue au sujet du projet de loi C-62.

Commençons par Jane, de l’Ontario, qui nous a adressé une lettre personnelle et lourde de sous-entendus :

Je suis une femme de 75 ans et je souffre depuis des décennies d’un « trouble de stress post-traumatique complexe », que la psychiatrie a commencé à diagnostiquer récemment et qui résulte généralement de traumatismes subis dans l’enfance, jamais compris ou résolus, suivis d’une série de traumatismes tout au long de la vie qui se superposent et s’imbriquent les uns dans les autres par des déclencheurs (une répulsion psychologique et physique négative instantanée).

[...] mon état est irrémédiable et ma demande d’aide médicale à mourir, justifiée par 50 ans de dossiers psychiatriques totalisant plus de 1 500 pages et par l’absence de traitement du traumatisme jusqu’en 2020, serait acceptée par des évaluateurs psychiatriques de l’aide médicale à mourir formés à cet effet. Chaque minute d’éveil, je suis en proie à des flashbacks, à des cauchemars, à des déclencheurs et à des sanglots. Les médicaments atténuent pendant une demi-heure l’avalanche des horreurs passées [...]

Depuis 2020, je reçois un excellent traitement pour mes traumatismes [...] J’ai découvert des traumatismes enfouis les uns sous les autres [...]

Les membres du comité parlementaire ont entendu des experts dire que le Canada est prêt pour cette modification de la loi, et ont également entendu une poignée de personnes qui, comme moi, vivent avec des douleurs et des souffrances mentales intolérables et résistantes aux traitements. Aujourd’hui, le gouvernement propose au Parlement un nouveau report de trois ans. Combien de parlementaires ont parlé à une personne au vécu comparable au mien avant de prendre cette décision? Je n’en connais aucun.

Je ne veux pas planifier un suicide. Je veux simplement mettre fin dignement à ma vie tragique, qui n’a jamais été et ne sera jamais constructive, productive ou heureuse. Je veux avoir la possibilité de mourir en paix avec mes proches à mes côtés. Accordez-moi cette ultime liberté.

Je vais ensuite lire une lettre de plusieurs habitants de ma division sénatoriale qui soutiennent que la maladie mentale est tout aussi réelle qu’une maladie physique.

Cher monsieur Cardozo,

J’habite dans votre division sénatoriale et je vous écris aujourd’hui parce que je crois que les gens devraient avoir le droit de faire leurs propres choix de fin de vie et parce que je veux vous demander de voter contre le projet de loi C-62 […]

La souffrance causée par un trouble mental n’est pas moins « réelle » que la souffrance causée par une maladie physique, une blessure ou un handicap. Dans de nombreux cas, les symptômes d’un trouble mental sont indifférenciables de ceux qui sont causés par un trouble de santé non psychiatrique. Il est injuste et inconstitutionnel de continuer de priver les personnes ayant des troubles mentaux de la protection que la loi accorde à d’autres. Partout au Canada, les gens qui souffrent de troubles mentaux résistant aux traitements devraient avoir le même droit à l’autonomie et la même liberté de choix que les personnes atteintes de problèmes de santé physique graves et irrémédiables. Ils n’ont pas besoin qu’on leur dise ce qui est le mieux pour eux. Ils désirent avoir le droit de faire leurs propres choix.

Que des gens soient privés des droits garantis par les lois et la Constitution est un problème grave qui dure depuis trop longtemps. Je suis favorable à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème de santé invoqué est une maladie mentale, et je m’oppose à l’adoption du projet de loi C-62.

Ensuite, je lirai brièvement une lettre de Matthew :

Je souffre d’une grave maladie mentale due à une dépression persistante. Je ne peux pas travailler à cause de cela. Le suicide est quelque chose de terrible à vivre, tant pour la victime que pour toutes les personnes touchées. Y compris le personnel d’urgence. Je lutte personnellement contre la dépression depuis de nombreuses années et j’ai des amis qui vivent la même situation; l’un d’entre eux, qui était mon meilleur ami, s’est suicidé il y a quelques années sans aucun signe précurseur.

Un élément important à prendre en compte est la manière dont se déroulent les suicides hors du cadre médical [...]

Je plaide pour la mort dans la dignité. Je pense que personne ne devrait avoir à mourir seul et à mettre fin à ses jours dans la douleur et l’imprévisibilité en dehors d’un contexte médical.

Ensuite, j’aimerais vous lire un extrait d’une lettre de Val, qui est pour le projet de loi C-62 :

Je suis très heureuse et soulagée que le comité mixte chargé d’étudier l’aide médicale à mourir ait voulu écouter les Canadiens et ait conclu que nous ne pouvions pas, en toute conscience, élargir l’accès à l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes d’une maladie mentale.

Je crois savoir qu’il existe maintenant un projet de loi portant le numéro C-62, qui vise à retarder l’élargissement de l’aide médicale à mourir aux personnes atteintes de maladie mentale.

Je vous prie respectueusement d’adopter une mesure en réponse au projet de loi C-62.

Il s’agit d’une question très personnelle pour moi.

Je vous prie de faire tout votre possible pour retarder ou éliminer complètement l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes atteintes d’une maladie mentale.

Enfin, j’aimerais lire rapidement une lettre que nous avons tous reçue et qui a été signée par 127 médecins et infirmiers. Voici ce qu’on peut y lire :

Nous sommes un groupe de médecins et d’infirmiers praticiens. Nous vous écrivons pour vous faire part de nos préoccupations au sujet du projet de loi C-62, qui maintiendra l’inadmissibilité à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont le seul problème de santé sous-jacent est une maladie mentale.

Lorsque le projet de loi C-7 est entré en vigueur, les troubles mentaux ont été exclus pour deux ans afin de donner aux gouvernements ainsi qu’aux évaluateurs et aux prestataires de l’aide médicale à mourir le temps de mettre en place les processus nécessaires pour évaluer les demandes d’aide médicale à mourir lorsqu’un trouble mental est le seul problème de santé invoqué. Cette exclusion devait prendre fin en mars 2023, mais elle a été prolongée d’une année et assortie d’un ensemble de paramètres pour mesurer l’état de préparation. Tous les paramètres ont été respectés, comme l’a démontré le Comité mixte spécial sur l’aide médicale à mourir de la Chambre des communes et du Sénat. Le comité lui-même n’a pas contesté ce fait.

En terminant, chers collègues, je tiens à dire que, selon moi, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse, ni de bonne ou mauvaise position, mais je respecte aussi entièrement ceux qui croient qu’il y a une bonne ou une mauvaise position dans ce débat.

Chers collègues, je vous remercie de m’avoir écouté. Je remercie tout particulièrement et sincèrement tous les Canadiens qui nous ont écrit. C’est l’une des questions les plus difficiles que nous ayons eu à régler en tant que Canadiens et en tant que législateurs. Merci.

L’honorable Peter Harder [ - ]

Chers collègues, je prends la parole au nom de notre collègue, Frances Lankin, qui ne peut pas être présente, et qui m’a demandé de dire quelques mots en son nom. J’ajouterai ensuite quelques observations concernant mon point de vue et mon expérience.

Tout d’abord, la sénatrice Lankin remercie les sénateurs d’avoir inclus quelques-unes de ses réflexions dans le compte rendu de la troisième lecture du projet de loi C-62. Permettez-moi de lire ses mots :

Je ne peux pas être présente au Sénat, mais j’ai suivi les débats tout au long de la semaine. Je remercie tous mes collègues pour cette discussion très importante et réfléchie.

La plupart des questions que j’aurais aimé aborder si j’avais été présente ont été examinées sous de nombreux angles par d’autres personnes. Inutile de les répéter. Je tiens moi aussi à exprimer mon appui à ce projet de loi de mon point de vue personnel et professionnel en tant qu’ancienne ministre provinciale de la Santé et à titre de sénatrice au Sénat, qui est l’une des chambres de notre Parlement bicaméral.

Même si les différents experts — dont les avis sont partagés dans le cas qui nous occupe — fournissent des conseils fondés sur des données probantes pour l’élaboration de politiques publiques, la décision finale de savoir quelle politique publique sera proposée, comment et quand elle sera mise en œuvre et quels autres paramètres doivent être pris en compte revient au bout du compte aux ministres, aux gouvernements, aux assemblées législatives et au Parlement.

La dernière étape, c’est et ce doit être un exercice de gouvernance démocratique, qui comprend l’obligation de respecter le fédéralisme de collaboration et les champs de compétence fédérales-provinciales-territoriales. Je souscris à l’évaluation fédérale-provinciale-territoriale selon laquelle repousser de trois ans l’entrée en vigueur de la disposition de l’aide médicale à mourir servirait mieux l’intérêt général des Canadiens et serait une façon responsable de légiférer. Grâce à mon expérience personnelle au gouvernement et en matière législative, je comprends les facteurs que les ministres doivent prendre en considération.

Le deuxième point de vue que je veux aborder est à titre de membre de cette institution. Il s’agit d’une réflexion articulée sur l’étendue de mon rôle de sénatrice. Quelle que soit notre préférence individuelle au sujet de ce projet de loi, nous devons toujours tenir compte du rôle du Sénat dans le système parlementaire canadien. Un projet de loi qui a été adopté par la Chambre démocratiquement élue et redevable, de surcroît dans un gouvernement minoritaire, doit être traité avec le respect et la déférence qui s’imposent. Pour de nombreuses raisons, j’appuie ce projet de loi et j’invite mes collègues à faire de même.

Voilà les paroles de la sénatrice Frances Lankin.

Chers collègues, en toute franchise, je participe au présent débat avec une certaine réticence, en raison de mon expérience personnelle récente, mais aussi, à certains égards, parce que de nombreux sénateurs ont manqué le débat d’il y a huit ans. Pour ceux d’entre nous qui étaient présents il y a huit ans, il s’agissait sans doute du plus important débat sur les politiques publiques auquel j’ai participé dans cette enceinte. Si vous prenez connaissance du compte rendu des délibérations, je crois que vous constaterez que le Sénat a tenu, à mon avis, un débat éclairé. Nous avons appris les uns des autres et nous avons convenu d’apporter des amendements au projet de loi dont nous étions saisis, amendements que nous avons communiqués à l’autre endroit.

L’autre endroit a examiné les amendements que nous avions proposés et en a accepté certains, mais pas tous. Je tiens à faire la lecture des propos tenus par le représentant du gouvernement de l’époque lorsque le message est arrivé de l’autre Chambre :

Honorables sénateurs, je vais essayer d’être bref, parce [que] nous avons discuté en long et en large de cette question [au cours des deux dernières] semaines et demie. Nous comprenons tous la situation dans laquelle nous nous trouvons : la Chambre des communes nous a envoyé un message. J’estime devoir dire quelques mots à propos de ce message et de la motion que j’ai présentée.

Je pense que le Sénat a fait ce qu’il avait à faire. Les discussions que nous avons eues et les travaux du Sénat ont permis de faire participer une plus grande partie de la population au débat sur les questions que soulève le projet de loi C-14.

Nos amendements ont permis d’améliorer grandement le projet de loi, ils ont obligé l’autre Chambre à mener un autre exercice de réflexion et ils ont amené le public à en débattre.

C’est le rôle du Sénat : il doit provoquer le débat, poser des questions, formuler des recommandations pour améliorer les projets de loi et presser le gouvernement de tenir compte de ses réflexions.

Quant à la Chambre des communes et au gouvernement, ils ont pour rôle d’étudier nos recommandations et de réfléchir sérieusement aux points de vue exprimés par le Sénat. J’estime que c’est ce qu’ils ont fait. Ils ont agi de manière respectueuse en cherchant des compromis et en soumettant nos amendements aux députés.

C’est leur rôle. Ils sont les représentants du peuple, et le gouvernement sera tenu responsable de la mise en œuvre de ce projet de loi que le Sénat — je l’espère — jugera digne, plus tard aujourd’hui, de recevoir la sanction royale.

Je cite ce discours pour montrer que ce n’est pas un sujet dont nous sommes saisis seulement depuis quelques semaines. Il y a au moins huit ans que le Sénat et la Chambre des communes en discutent. La dernière fois, nous avons formulé des recommandations à l’intention des députés, et ceux-ci les ont acceptées. Maintenant, après mûre réflexion et après avoir mené des consultations que nous avions prévu qu’ils mèneraient, ils disent que le système n’est pas prêt.

Je pense qu’il est important pour notre institution de comprendre son rôle et la modération avec laquelle nous devons exercer notre jugement. Je voudrais citer non pas le leader du gouvernement précédent, mais notre ancien collègue Ian Shugart. C’était dans son premier et dans son dernier discours, mais cela mérite qu’on s’y arrête lorsqu’il parle de modération. Il s’agit du discours du 20 juin 2023 :

[...] nous avons les germes d’une crise constitutionnelle. Un ingrédient essentiel pour éviter ou résoudre une telle crise sera la pratique de la modération. Notre Constitution se fonde sur l’application littérale des lois et des conventions — des pratiques développées au fil des décennies et des siècles, dans lesquelles on réprime l’instinct d’exercer un pouvoir brut pour le bien commun. Sans modération, la convention selon laquelle le devoir du Sénat est d’examiner, d’amender et d’adopter des mesures législatives, tout en faisant preuve de déférence envers la Chambre reflétant le plus directement la volonté du peuple, est incomplète.

En d’autres termes, chers collègues, je pense que le projet de loi qui nous est soumis et son adoption, que je soutiens, constitueraient un exercice approprié du rôle du Sénat, qui est délibératif et respectueux, mais qui est en fin de compte un rôle de modération. Je vous encourage à adopter ce projet de loi.

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