La Loi sur la capitale nationale
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
12 juin 2025
Propose que le projet de loi S-229, Loi modifiant la Loi sur la capitale nationale (parc de la Gatineau), soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui le projet de loi S-229, Loi sur le parc de la Gatineau.
J’ai présenté ce projet de loi il y a quelques mois à peine, avant la prorogation du Parlement. J’espère que cette fois-ci, nous aurons la chance, comme sénateurs, d’étudier ce projet de loi et de le renvoyer à l’autre endroit pour que le parc de la Gatineau reçoive enfin toute la protection que mérite un parc national.
Aujourd’hui, je me concentrerai sur la raison d’être du projet de loi, sur les principaux points et sur les petits changements qui ont été apportés à cette version qui a été déposée pour une deuxième fois.
Je tiens à rappeler à cette assemblée que je présente ce projet de loi au Sénat en étroite collaboration avec Sophie Chatel, députée de la circonscription de Pontiac—Kitigan Zibi, qui englobe une grande partie du parc de la Gatineau.
Je tiens tout d’abord à reconnaître que le parc de la Gatineau est situé sur les terres ancestrales traditionnelles de la nation des Anishinabes, qui a vécu sur ces terres pendant plus de 6 000 ans avant la création du Canada et qui a ensuite été déplacée. À ce jour, des communautés anishinabes vivent dans le parc de la Gatineau et aux alentours et continuent de protéger ces terres. Je suis heureuse d’annoncer que ce projet de loi est accompagné d’une lettre d’appui du Chef Jean Guy Whiteduck, qui s’exprime au nom du conseil de bande anishinabe de Kitigan Zibi.
Permettez-moi de vous rappeler tout d’abord le contexte général et l’importance de ce projet de loi. Vous savez désormais tous, grâce aux discours et aux nouvelles, que, cette année, la saison des incendies a commencé tôt et a été marquée par 1 732 feux au Canada, dont 72 ne sont toujours pas maîtrisés. Les données scientifiques sont sans équivoque. Le réchauffement climatique, la perte de biodiversité, la pollution et l’acidification des océans ont franchi les limites planétaires. La planète se réchauffe, ce qui entraîne une série d’effets négatifs sur les écosystèmes naturels. La biodiversité mondiale connaît un déclin rapide, ce qui conduit de nombreux experts à déclarer que nous assistons à la sixième extinction de masse.
En effet, les scientifiques prévoient que, si rien ne change, plus d’un million d’espèces s’éteindront dans les prochaines décennies. C’est triste. Il s’agit d’une crise aux conséquences inimaginables. L’humanité dépend de la biodiversité d’innombrables façons : par l’intermédiaire de la pollinisation des plantes et des cultures agricoles, de la régulation de la qualité de l’air que nous respirons, de la qualité de l’eau et des sols ainsi que des ressources naturelles. La perte de diversité écologique rendra nos écosystèmes moins résilients et aura des répercussions négatives sur l’économie de la planète et la santé de la population.
À présent, chers collègues, j’espère qu’il est clair pour vous que notre société, notre culture et notre économie sont tributaires de la nature, et non l’inverse. Le PIB, indicateur phare des financiers et des politiciens, repose sur l’économie générée par la nature sous forme de ressources naturelles, de biodiversité et de services écologiques. Ce n’est peut-être pas encore évident pour beaucoup d’entre vous, mais, croyez-moi, ce l’est pour la plupart des Québécois.
Les bénéfices d’Hydro-Québec se situent entre 2 et 3 milliards de dollars par année. On ne pourrait pas réaliser ces bénéfices sans les puissantes rivières sur lesquelles ont été construits des barrages gigantesques et qui représentent un service écologique.
Pas moins de 90 % de la production canadienne de sirop d’érable provient du Québec, ce qui représente la majeure partie de la production mondiale et génère des bénéfices de 1 milliard de dollars par année.
Le secteur minier québécois génère 11,9 milliards de dollars en production minérale, ce qui en fait le deuxième producteur de minerais métalliques au Canada. Peut-on s’imaginer l’économie du Québec sans tout cela?
Lorsque nous exportons des ressources non renouvelables comme des minerais bruts, nous savons que nous en privons les générations futures, car ces ressources non renouvelables ne reviendront pas. Si elles reviennent, elles auront été transformées et nous seront vendues à un prix beaucoup plus élevé.
Mes interventions sur des tribunes internationales, scientifiques, techniques et parlementaires me permettent d’affirmer que c’est un phénomène que la communauté internationale commence à mieux comprendre, tant dans les pays du Nord, comme en Europe, que dans ceux du Sud, comme en Afrique et en Amérique latine.
Le monde a tenté de s’attaquer à la question de la perte de la nature et de la biodiversité par l’intermédiaire de la Conférence des Parties, ou COP, et de la Convention sur la diversité biologique.
En 2022, le Canada a été l’hôte de la COP 15 sur la biodiversité. Les 196 pays présents ont adopté le Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal. L’objectif le plus notable de ce cadre était de protéger 30 % des terres et 30 % des eaux d’ici 2030.
En octobre dernier, le monde s’est réuni en Colombie pour la COP 16, à laquelle j’ai assisté avec mon collègue Andrew Cardozo. Pendant la conférence, les pays ont poursuivi leurs négociations sur la biodiversité et réclamé un financement accru pour prévenir la perte et favoriser la régénération de la nature. Le sénateur Cardozo et moi faisions partie de la délégation canadienne et nous avons été à même de constater le travail extraordinaire qui est accompli pour connecter l’humanité à la nature. En fait, je devrais dire reconnecter — plutôt que connecter — l’humanité à la nature.
Il reste un long chemin à parcourir pour atteindre nos objectifs et retrouver l’équilibre entre l’humanité et la nature, mais tout cela doit commencer ici même, chez nous. Le Canada s’est engagé à atteindre l’objectif 30x30 et il progresse trop lentement dans ses efforts en vue de protéger ses terres et ses eaux.
Pouvez-vous imaginer tout ce que nous avons perdu à cause des feux de forêt qui ont déjà eu lieu ce printemps?
L’année dernière, le gouvernement a publié les derniers indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement pour les aires conservées. Bien qu’il y ait eu une augmentation importante des aires marines protégées au cours de la dernière décennie, nous sommes encore loin de l’objectif, avec seulement 14,7 % du territoire marin qui a été conservé. En ce qui concerne les zones terrestres, le Canada en a conservé 13,7 %. À seulement cinq ans de l’échéance de 2030, nous avons beaucoup de rattrapage à faire.
En Outaouais, donc tout près de chez nous, le portrait de la conservation n’est pas à la hauteur non plus par rapport à ce qui est prévu : seulement 7,6 % de la région de l’Outaouais et moins de 9 % du bassin versant de la rivière des Outaouais sont protégés actuellement. Pourtant, la région de la capitale nationale devrait être un exemple pour le reste du pays.
Comme je l’ai déjà dit, tout doit commencer par ici. Je vous invite fortement à aller visiter le parc de la Gatineau. Je sais que mes collègues qui habitent à Ottawa le connaissent très bien. Il est tout près. Je pense d’ailleurs à ma collègue la sénatrice Deacon, qui nous incite à sortir, à aller marcher, à faire de l’exercice et à prendre l’air.
Au Canada, il est tout aussi urgent de s’attaquer plus fermement à la perte de biodiversité. Partout au pays, plus de 520 espèces de plantes et d’animaux sont en péril, selon le registre public.
Le parc de la Gatineau, dont la dimension est de 361 kilomètres carrés, héberge plus de 50 lacs et bon nombre de zones humides, de ruisseaux et de rivières. Cinq des écosystèmes et deux des habitats du parc sont d’une grande importance écologique. Il y a plus de 50 espèces de mammifères, une dizaine d’espèces de reptiles, 15 espèces d’amphibiens, près de 230 espèces d’oiseaux et des milliers d’invertébrés. On y retrouve également environ 1 000 espèces de plantes et 50 espèces d’arbres.
Ce matin, lors d’une conférence de presse tenue au parc de la Gatineau, on a pu voir une de ces tortues. Elle était seule. Tout le monde la regardait, comme si c’était une chose étrange à regarder. Je me rappelle pourtant qu’il y a 40 ans, quand je suis arrivée au Canada, on trouvait des tortues partout.
Le parc possède une belle diversité biologique, mais celle-ci est à risque. Environ 90 plantes et 60 espèces animales sont menacées, dont le genévrier de Virginie, le faucon pèlerin, l’hélianthe scrofuleux, la tortue mouchetée et la couleuvre tachetée.
Le parc de la Gatineau est d’une valeur inestimable pour la région et il faut le protéger.
Comme je l’ai expliqué pendant mon discours précédent, le parc de la Gatineau n’est pas officiellement un parc national. Bien que certaines personnes croient, encore aujourd’hui, qu’il a ce statut, il n’est pas inscrit dans la loi et ne bénéficie pas du statut juridique formel accordé aux parcs nationaux, et ce, même s’il arrive au deuxième rang au palmarès des parcs les plus visités du Canada, grâce à ses 2,6 millions de visites par année.
Chers collègues, cette situation doit être corrigée. Le projet de loi S-229 prévoit donc cinq actions principales.
Premièrement, il inscrit le parc de la Gatineau dans la législation fédérale et indique qu’il est voué à tous les Canadiens et aux générations futures. Il est important de le préserver pour les décennies et les siècles à venir.
Deuxièmement, il fait en sorte que l’intégrité écologique soit l’objectif principal de la gestion du parc. Nous ne pourrons pas profiter du parc si ses écosystèmes disparaissent.
Troisièmement, il fixe les limites du parc dans la législation fédérale et stipule que la superficie du parc ne peut être réduite que par voie législative, sous réserve de certaines exceptions, telles que le développement d’établissements publics de soins de santé ou d’infrastructures publiques.
Quatrièmement, il renforce les liens et la coopération entre la Commission de la capitale nationale et la nation algonquine anishinabe de la région, ainsi qu’avec les municipalités voisines. Nous sommes tous conscients qu’il faut faire progresser la réconciliation.
Cinquièmement, il autorise la mise en place de règlements pour le contrôle des activités dans le parc et la fixation des droits à percevoir, comme c’est le cas pour tous les parcs nationaux du Canada.
Bien sûr, ces mesures ont été décidées après que la députée Sophie Chatel ait mené des consultations auprès de la communauté Kitigan Zibi Anishinabeg, d’organisations environnementales de la région, de la Commission de la capitale nationale, d’associations de résidants du secteur, des municipalités voisines et des représentants élus fédéraux et provinciaux de la région.
Ces consultations se sont poursuivies depuis que le projet de loi a été présenté pour la première fois et elles ont donné lieu à deux modifications mineures qui apparaissent dans la version que j’ai présentée au Sénat cette semaine.
Tout d’abord, ce nouveau projet de loi ne comprend pas la disposition précédemment proposée qui accordait à la Commission de la capitale nationale le pouvoir de négocier des droits de premier refus avec les propriétaires fonciers privés. Bien que la commission dispose déjà de ce pouvoir et l’ait parfois exercé avec d’anciens résidants, l’inclusion de cette disposition n’a pas été bien accueillie par certains résidants du parc.
La deuxième modification apporte des précisions au libellé relativement aux droits d’utilisation fixés par la Commission de la capitale nationale. Le projet de loi confère à cette dernière le pouvoir de fixer des droits pour certaines activités dans le parc, comme c’est le cas pour tout autre parc national. Toutefois, afin de garantir que l’accès au parc demeure abordable pour tous, cette nouvelle version précise que ces droits ne peuvent excéder les coûts assumés par la commission pour offrir ces services. En tant que gardienne de ce parc public, il serait raisonnable que la commission recouvre ses coûts, mais sans réaliser de profits.
Je peux évidemment vanter les bienfaits et l’importance de notre proposition législative, mais il faut noter que le projet de loi reçoit de multiples appuis importants dans la communauté.
En novembre 2023, le conseil municipal de la Ville de Gatineau a adopté une résolution pour demander au Parlement du Canada, et je cite :
[…] d’adopter une loi pour assurer la pérennité et l’intégrité des limites du Parc de la Gatineau afin de garantir aux générations présentes et futures de pouvoir continuer à profiter de ce milieu naturel d’exception que représente le Parc de la Gatineau.
La majorité des élus de la région de la capitale nationale soutient également cette initiative, comme on a pu le constater ce matin lors de la conférence de presse au parc de la Gatineau.
Depuis mars 2023, plusieurs pétitions qui demandent de garantir la protection du parc grâce à une loi ont été déposées à la Chambre des communes; plus de 4 550 signatures ont déjà été recueillies.
Finalement, le Chef de Kitigan Zibi, Jean-Guy Whiteduck, et le chef de Lac-Barrière, Casey Ratt, ont tous deux fait des recommandations qui ont été intégrées au projet de loi. Leur appui à ce projet de loi est primordial.
Je pense que c’est un projet de loi que nous pouvons soutenir collectivement. Selon moi, cela tombe sous le sens. Nous sommes très en retard sur notre objectif de conservation de 30 % d’ici 2030.
Au cours des dernières décennies, plusieurs tentatives ont été entreprises au moyen d’un projet de loi pour protéger le parc de la Gatineau. Il y a eu des initiatives libérales, conservatrices et, avant la prorogation, une initiative des indépendants, mais aucune d’entre elles n’est parvenue à franchir toutes les étapes du processus législatif pour recevoir la sanction royale. Nous devons agir, défendre notre point de vue et ne ménager aucun effort.
Avant que la députée Sophie Chatel et moi-même ne prenions le bâton, la plus récente démarche avait pris la forme d’un projet de loi du gouvernement à l’époque de l’ancien premier ministre Stephen Harper.
Au cours des dernières années, le Sénat a adopté plusieurs projets de loi visant à créer ou à agrandir des parcs urbains et nationaux. En tant que présidente du Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, je suis bien placée pour le savoir.
Ce projet de loi porte sur un parc existant et qui, comme je l’ai dit précédemment, est déjà considéré comme une zone protégée par une large part de la population. Nous devons simplement officialiser cette désignation dans la législation fédérale.
Chers collègues, au cours des derniers mois, nous avons discuté de projets d’édification du pays, c’est-à-dire des projets visant à renforcer l’identité canadienne et régionale. Quand je visite d’autres pays, quelle est l’idée du Canada que les gens se font, à votre avis? Quand ils pensent au Canada, ils pensent à des forêts, des rivières et des lacs; à la nature, autrement dit. C’est ce qui forge notre identité. La nature est notre identité.
Le parc de la Gatineau est un joyau naturel de la région de la capitale nationale, ainsi qu’un espace naturel important de la région. Il contribue à faire de l’Outaouais un endroit où il fait bon vivre, travailler et jouer.
Il revêt également une grande importance historique pour l’ensemble du pays, car il abrite plusieurs lieux historiques nationaux, et c’est là qu’ont eu lieu les discussions sur l’Accord du lac Meech à la fin des années 1980.
J’espère que vous vous joindrez à moi dans cette démarche visant à garantir l’intégrité écologique du parc de la Gatineau afin que les Canadiens puissent profiter des merveilles et de la beauté de ce parc pour les générations à venir. Je vous demande, chers collègues, de faire progresser rapidement cet important projet de loi et de le renvoyer au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles. Donnons à la capitale nationale un véritable parc national qui lui est propre.
Merci, meegwetch.
La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?
Oui.
Je vous remercie beaucoup de votre discours et d’avoir parrainé le projet de loi. Je remercie également la députée Sophie Chatel de son travail dans ce dossier.
Je vis dans la région de la capitale nationale et je connais très bien ce parc. Il fait partie intégrante de l’histoire de ma famille. Nos enfants ont grandi en y allant souvent au fil des ans, et c’est pour cette raison que j’appuie fortement votre projet de loi.
Je dirais également à ceux d’entre vous qui ne connaissaient pas le parc que vous pouvez vous y rendre — il est situé à proximité d’Ottawa — ou visiter mon bureau, car j’ai réalisé quelques peintures du parc de la Gatineau. Vous pourrez ainsi découvrir la beauté de ce parc, même si c’est par l’intermédiaire de mon interprétation.
Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure cela modifierait le parc? Pour ceux d’entre nous qui habitent dans la région, cela changerait-il notre accès au parc?
Vous avez dit deux ou trois choses qui m’ont particulièrement frappé. Vous avez notamment affirmé que cette mesure nous aiderait à atteindre notre objectif de protéger 30 % de nos terres d’ici 2030. En ce sens, il s’agit d’un petit parc, mais je crois — en raison des chiffres que vous avez mentionnés — qu’il est très éducatif. Il est facile d’y accéder. Je pense que je vais manquer de temps. Alors, je vais vous laisser répondre.
Merci beaucoup de votre question. Comme je l’ai mentionné, il s’agit du parc le plus fréquenté au Canada, avec 2,6 millions de visiteurs. Je ne crois pas qu’en faire un parc national va réduire ce nombre. Je pense plutôt que cela aura l’effet contraire. Pour cette même raison, il doit être géré comme un vrai parc national, avec des limites bien établies, des installations ainsi que les droits et les caractéristiques propres à un véritable parc national.