Affaires sociales, sciences et technologie
Motion tendant à autoriser le comité à étudier la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens--Suite du débat
10 mars 2020
Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui sur la motion du sénateur Brazeau, visant à confier au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie le mandat d’examiner, afin d’en faire rapport, la prévention du suicide et les besoins en santé mentale des Canadiens, en mettant tout particulièrement l’accent sur les hommes et les garçons et sur la surreprésentation des peuples autochtones en ce qui a trait au taux de suicide dès que le comité sera formé, le cas échéant.
En ce qui concerne la motion du sénateur Brazeau, je ne vous livrerai pas un discours scientifique avec moult détails. Il s’agit d’un enjeu profondément humain qui demande de s’élever au-dessus de la mêlée. Toutefois, certaines précisions, certains faits seront précisés un peu plus loin.
Je tiens tout d’abord à féliciter le sénateur Brazeau de son cheminement personnel et de l’authenticité avec laquelle il nous a livré son témoignage le 4 février dernier. J’ajouterais qu’il l’a fait avec authenticité et humilité .
Plusieurs d’entre nous ont été touchés de près par le suicide d’un proche. La journée où le sénateur Brazeau a prononcé son discours coïncidait avec le premier anniversaire du suicide de notre cousin Marc-André. Ce dernier était un homme dans la quarantaine, père de deux enfants, une force de la nature, un homme souriant et affable, un boute-en-train et une véritable bougie d’allumage. Inviter Marc-André à une fête était un gage de succès. Pourtant, grugé par un mal intérieur et invisible, ce cousin n’avait plus d’options devant lui, du moins pas à ses yeux. Il s’est donné la mort. Vous comprendrez facilement, chers collègues, à quel point un tel drame fait naître un tsunami d’émotions diverses pour les proches.
Le phénomène du suicide est un drame humain extrêmement douloureux d’autant plus que, dans la majorité des cas, il aurait pu être évité. Malheureusement, lorsqu’il survient, l’onde de choc est gigantesque. Pour un suicide, on compte environ dix tentatives de suicide.
Chaque suicide et chaque tentative de suicide ont de lourdes conséquences sur une vaste communauté. Pensons seulement à ce qui se produit quand un jeune d’une école secondaire s'enlève la vie. C’est toute l’institution d’enseignement qui est ébranlée.
L’Association québécoise de prévention du suicide estime que, chaque année, au Québec seulement, plus de 800 000 personnes sont touchées par le suicide.
Voici quelques exemples de telles situations qui se sont produites au Québec.
Au début de 1997, tous les médias du Québec se tournaient vers Coaticook. La petite municipalité de l’Estrie venait de voir cinq jeunes d’une même polyvalente se suicider en un peu plus de trois mois. Vous pouvez imaginer les ravages que cette crise a pu provoquer dans tout le Québec, et pas seulement dans cette petite municipalité de l’Estrie.
Le 14 janvier 1999, une onde de choc a secoué le milieu médiatique québécois. Le journaliste vedette de TVA et coanimateur de l’émission d’enquête J.E., Gaétan Girouard, a mis fin à ses jours. L’Association québécoise de prévention du suicide a publié en 2005 une étude qui montrait un lien entre la couverture médiatique du suicide de Gaétan Girouard et la hausse du nombre de suicides durant la même période. Certaines données estiment qu’une augmentation de 200 décès de plus par suicide cette année-là aurait été enregistrée.
En y pensant bien, en plus du suicide dont je vous ai parlé au début de mon intervention, j’ai été témoin de quatre ou cinq autres situations liées au suicide dans mon entourage immédiat. C’est énorme. Vous toutes et vous tous avez certainement également vécu des histoires tristes de ce genre.
Cependant, ce qui est très particulier avec le suicide, c’est qu’il provoque une myriade d’émotions souvent contradictoires chez les endeuillés. Ainsi, un conjoint dont la femme se sera enlevé la vie vivra de la tristesse, de la colère, de la culpabilité, un sentiment d’abandon, du découragement, de l’incompréhension. Imaginez, chers collègues, un parent dont l’enfant de 14 ans s’enlève la vie. Perdre son enfant est probablement l’un des plus grands deuils que l’être humain puisse vivre, mais, lorsque ce décès aurait, techniquement, pu être évité, le désespoir n’en est que plus grand.
Comment expliquer à un enfant qu’il ne connaîtra jamais son père parce qu’il a commis l’acte ultime de mettre fin à ses jours?
On peut prévenir le suicide; on doit prévenir le suicide. Comme l’a dit le sénateur Brazeau, les taux de suicide sont particulièrement alarmants chez les peuples autochtones et chez les hommes. Pour réagir à cette situation problématique, il faut la comprendre et il faut en comprendre tous les enjeux. Le suicide est un problème multifactoriel et sa prévention exige une approche basée sur des pratiques probantes s’appuyant sur des faits scientifiques.
Toutefois, un principe fondamental doit être compris par toutes et par tous. Dans la très grande majorité des cas, la personne qui tente de se suicider ou qui se suicide ne choisit pas la mort, elle choisit plutôt d’arrêter de souffrir. Cette personne est en panne d’options pour cesser de souffrir, et l’idée du suicide se cristallise alors comme une ultime délivrance. Ce principe est, à mon avis, la pierre angulaire de toutes les actions en matière de prévention. Puisque la personne n’envisage pas vraiment de mourir, mais souhaite surtout mettre fin à sa souffrance, c’est à la société de mettre en œuvre un filet social pour éviter la mort de ces personnes.
Différentes stratégies ont été déployées afin de prévenir le suicide dans les provinces, et ce, depuis bon nombre d’années. Ces stratégies, plus ou moins articulées les unes aux autres, prévoyaient des efforts en matière de prévention primaire, secondaire et tertiaire. Autrement dit, en prévention, en intervention et en postvention.
Je vais vous donner un exemple pour chacune de ces étapes. Le mois dernier, le sénateur Brazeau a mentionné qu’un des facteurs prédisposants chez les peuples autochtones était l’isolement. En prévention primaire, on va tenter de briser cet isolement par l’intervention de pairs aidants, par exemple, ou par la formation de sentinelles dans les communautés isolées.
La prévention secondaire, ou l’intervention, pourra prendre différentes formes. Par exemple, les lignes d’écoute pour les personnes en crise suicidaire, les centres de crise ou les rencontres avec des intervenants en santé mentale dans les hôpitaux représentent d’autres avenues.
Enfin, il y a la prévention tertiaire ou, si vous préférez, la postvention. Je vous ai donné plus tôt l’exemple de la vague de suicides qui est survenue à Coaticook en 1997. Une vaste équipe multidisciplinaire d’intervenants a été déployée dans cette école durant plusieurs semaines. Il est reconnu que les endeuillés par suicide courent un plus grand risque de passer eux-mêmes à l’acte; il faut donc leur offrir un encadrement plus rigoureux.
Il faut également agir avec cohérence et en toute complémentarité avec les provinces et avec l’ensemble des acteurs au sein de la société qui sont concernés par la question du suicide et sa prévention.
Vous êtes plusieurs, chers collègues, à avoir été tout récemment nommés au Sénat. L’avantage d’avoir des sénateurs nommés jusqu’à l’âge de 75 ans est que l’on peut préserver la mémoire institutionnelle du Sénat et de la gouverne de l’État.
Plusieurs d’entre vous ne savent probablement pas que, le 14 décembre 2012, le gouvernement conservateur a fait adopter le projet de loi C-300, qui avait pour titre Loi sur le cadre fédéral de prévention du suicide. Ce projet de loi visait justement à ce que le Canada se dote d’un cadre rigoureux et efficace en matière de prévention du suicide. On y prévoyait notamment que le ministre de la Santé devait présenter un rapport d’étape quatre ans après l’adoption du projet de loi et, par la suite, tous les deux ans.
Si on veut que les actions portent leurs fruits, il est essentiel d’agir avec cohérence et de façon ordonnée. Des mesures de prévention efficaces devront être appuyées par des efforts concertés et soutenus. Il faut surtout éviter l’éparpillement et, en ce sens, je veux appuyer la motion du sénateur Brazeau, mais aussi inviter le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie à tenir compte des travaux déjà entrepris après l’adoption du projet de loi C-300.
Je vais également inviter le comité à recenser dans son étude les différentes initiatives basées sur des pratiques probantes qui s’appuient sur des faits scientifiques et qui se déploient dans les provinces, pour afin qu’il soit ensuite en mesure de communiquer toutes ces informations de manière proactive.
Encore une fois, je remercie le sénateur Brazeau de cette initiative. J’invite tous nos honorables collègues à appuyer cette motion.