Projet de loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat
23 juin 2021
Propose que le projet de loi S-236, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le casier judiciaire, la Loi sur la défense nationale et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, soit lu pour la deuxième fois.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-236, dont le titre abrégé est la Loi favorisant l’identification de criminels par l’ADN.
Ce projet de loi propose de modifier la législation en droit criminel relative au prélèvement de l’ADN de personnes vivantes pour résoudre des enquêtes policières. Les dispositions législatives dans ce domaine du droit sont techniques. C’est pourquoi je souhaite commencer mon discours en vous présentant certains concepts de base de la législation actuelle. Cela vous permettra de mieux comprendre les principales modifications proposées à la loi et leur nécessité.
Le prélèvement d’ADN en droit criminel repose sur plusieurs lois fédérales, dont les principales sont le Code criminel et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques (LIEG).
Le Code criminel permet à un juge de délivrer un mandat pour prélever l’ADN d’une personne soupçonnée ou accusée de certaines infractions, ce qu’on appelle des « infractions désignées ». Cette loi autorise aussi un juge à ordonner le prélèvement de l’ADN d’une personne lorsqu’elle est déclarée coupable d’une infraction désignée. Ces mesures du Code criminel s’appliquent autant aux adultes qu’aux adolescents et leur constitutionnalité a été confirmée dans plusieurs décisions de tribunaux d’appel dont je me suis fortement inspiré dans l’élaboration du projet de loi.
Il s’agit des arrêts R. c. S.A.B. de 2003 et R. c. Rodgers de 2006 de la Cour suprême du Canada, de la décision R. c. TT de 2019 de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta, et de l’arrêt R. c. K.M. de 2011 de la Cour d’appel de l’Ontario.
Or, la liste qui définit les infractions qui sont des infractions désignées dans le Code criminel est longue et complexe et n’inclut pas toutes les infractions criminelles. Le projet de loi propose de corriger cette situation en simplifiant le texte de la loi et en faisant en sorte que presque toutes les infractions au Code criminel soient désormais des infractions désignées.
Par ailleurs, le Code criminel et la LIEG prévoient que l’ADN des personnes condamnées d’une infraction désignée sera stocké dans la Banque nationale de données génétiques.
La Banque nationale de données génétiques est un outil très fiable qui aide les policiers à déterminer si un suspect est l’auteur d’une infraction. En fait, cette banque permet de vérifier si l’ADN recueilli sur la scène d’un crime correspond à celui d’un délinquant qui, en raison d’une condamnation antérieure, serait fiché dans la base de données.
La Cour d’appel de l’Ontario a rendu une décision majeure qui décrit l’importance de la banque de données. Dans l’arrêt R. c. Briggs rendu en 2001, la cour a indiqué au paragraphe 22 que l’intérêt de l’État dans les prélèvements d’échantillons d’ADN, et je cite :
[...] ne réside pas seulement dans l’application de la loi à un particulier — l’objectif est beaucoup plus général. La banque de données génétiques (1) dissuadera la récidive éventuelle, (2) favorisera la sécurité de la collectivité, (3) permettra de détecter la perpétration d’infractions en série, (4) contribuera à résoudre de vieux crimes jamais résolus, (5) simplifiera les enquêtes et, surtout, (6) permettra aux personnes innocentes d’être disculpées au tout début de l’enquête (ou aux victimes d’erreurs judiciaires d’être innocentées).
Je souligne que la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques et le Code criminel prévoient actuellement que le fonctionnement de la banque de données comporte d’importantes protections de la vie privée des personnes condamnées qui doivent fournir leur ADN à cette banque, notamment en encadrant strictement l’usage des informations provenant de leur ADN. Toutes ces protections sont maintenues dans le projet de loi.
Voici comment la loi actuelle est mise en application. Les policiers n’ont aucun accès à l’échantillon d’ADN qui a été prélevé chez le délinquant une fois qu’il est entré dans la banque de données. L’ADN et le nom du délinquant sont séparés une fois entrés dans la banque. En fait, les employés de la banque de données ont un code-barre numérique pour chaque échantillon d’ADN, mais ignorent le nom du délinquant à qui il appartient. De plus, les profils d’ADN présents dans les fichiers de la Banque nationale de données génétiques sont produits uniquement à partir de fragments non codants d’ADN, soit des parties de l’ADN qui différencient chaque personne, mais qui ne révèlent aucun renseignement de nature médicale ou physique à propos d’un donneur.
Toujours afin de protéger la vie privée des délinquants qui sont fichés dans la Banque nationale de données génétiques, le Code criminel prévoit des infractions criminelles dans les cas où des fonctionnaires ou des policiers utilisent l’ADN recueilli à d’autres fins que celles autorisées par la loi.
Le Code criminel prévoit aussi que le prélèvement de l’ADN se fait par des techniques qui sont peu intrusives sur le plan physique pour le délinquant, comme le frottis buccal ou la prise d’un cheveu ou d’une gouttelette de sang.
Comme on peut le voir, la loi actuelle permet d’atténuer grandement l’atteinte à la vie privée des délinquants, qui doivent fournir leur ADN au moment de leur condamnation, et le projet de loi ne modifie pas ces importantes mesures de protection de la vie privée.
En fait, le projet de loi a plutôt pour but de recourir plus souvent et plus efficacement aux prélèvements d’ADN dans le contexte du droit criminel. La société en bénéficiera, étant donné les avantages de cette technique d’enquête, notamment en raison du fait qu’elle permet rapidement et avec fiabilité de résoudre des enquêtes en incriminant ou en disculpant des personnes soupçonnées ou accusées d’une infraction criminelle.
À cette fin, le projet de loi propose notamment sept mesures importantes.
Premièrement, il augmente considérablement le nombre d’infractions criminelles autorisant le tribunal à ordonner un prélèvement d’ADN à un délinquant en raison de sa déclaration de culpabilité. Plus précisément, il rend automatique le prélèvement de l’ADN de tous les délinquants adultes ou adolescents à leur condamnation pour des infractions prévues au Code criminel ou dans d’autres lois fédérales, y compris la Loi sur le cannabis, lorsque la peine maximale d’emprisonnement est de cinq ans ou plus. Ainsi, le projet de loi fera en sorte que toute personne condamnée pour une infraction de violence ou une infraction sexuelle devra, sans exception possible, fournir son ADN à la banque, puisque ces infractions peuvent toutes entraîner une condamnation à une peine maximale égale ou supérieure à cinq ans, en vertu du Code criminel.
Cette mesure du projet de loi vise à répondre à une recommandation formulée dans trois rapports publiés par des comités de la Chambre des communes et du Sénat.
En 2009, le Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes a publié un rapport à la suite de son examen parlementaire de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques et des dispositions du Code criminel sur l’ADN. Ce rapport a recommandé de faire le prélèvement d’échantillons d’ADN pour l’ensemble des infractions désignées.
Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a également étudié ces dispositions législatives et a publié son rapport en juin 2010. Ce rapport recommandait d’effectuer le prélèvement immédiat et automatique d’un échantillon d’ADN sur tout adulte ayant été reconnu coupable d’une infraction désignée. Cette recommandation a été réitérée par ce même comité en 2017, sept ans plus tard, dans son rapport portant sur les délais dans le système judiciaire.
Il faut savoir que cette recommandation a été faite dans le contexte où la Banque nationale de données génétiques du Canada contient moins de profils génétiques par habitant comparativement à celles d’autres pays.
En effet, le Canada possède une petite banque de données qui croît à pas de tortue. À la fin de 2019-2020, la banque comptait 401 546 profils enregistrés dans le fichier des condamnés, c’est-à-dire environ un profil pour 94 Canadiens.
À titre de comparaison, le Royaume-Uni compte 6,6 millions de profils, soit environ un profil pour 10 personnes. Le FBI compte 18,4 millions de profils, soit environ un par groupe de 18 Américains. La Nouvelle-Zélande, qui compte seulement 5 millions d’habitants, compte plus de 200 000 profils, soit un profil pour 25 personnes.
La résolution des crimes par l’utilisation d’une banque nationale de données génétiques repose sur le nombre de profils génétiques qu’elle contient, qui proviennent de scènes de crime ou de personnes condamnées. L’auteur d’une infraction est identifié par la banque lorsque son ADN, qui a été obtenu au moment de sa condamnation pour un crime, correspond avec l’ADN contenu dans le fichier d’ADN obtenu sur la scène d’un crime. Ainsi, les chances d’arriver à une correspondance entre l’ADN contenu dans le fichier des scènes de crime et l’ADN contenu dans le fichier des condamnés sont moindres dans notre Banque nationale de données génétiques que dans celles des autres pays. Le problème n’est pas nouveau et la solution saute aux yeux. En fait, il faut verser davantage de profils au fichier des condamnés, car plus il y aura de profils de criminels dans notre Banque nationale de données génétiques, plus les policiers pourront facilement identifier les auteurs d’infractions ou disculper des suspects.
La deuxième mesure importante du projet de loi, comme la première, aura pour effet bénéfique d’augmenter le nombre de profils génétiques de personnes condamnées dans la banque.
Cette mesure vise à réduire le pouvoir discrétionnaire du tribunal de refuser d’imposer une ordonnance de prélèvement d’ADN à un délinquant en raison de sa déclaration de culpabilité lorsqu’elle concerne une infraction ayant donné lieu à une peine maximale inférieure à cinq ans. Actuellement, la loi prévoit deux types d’infractions désignées pouvant donner lieu à un prélèvement d’ADN sur un délinquant condamné, soit les infractions primaires et secondaires. Dans le cas de certaines infractions primaires, le juge jouit actuellement d’un pouvoir discrétionnaire très limité pour refuser de rendre l’ordonnance de prélèvement.
Pour les infractions secondaires, le juge a plus de latitude pour refuser de prononcer l’ordonnance, et la Couronne a le pouvoir de ne pas réclamer cette ordonnance.
En réduisant les situations où l’ordonnance de prélèvement d’ADN n’est pas prononcée à l’endroit d’une personne condamnée, le projet de loi veut répondre à une réalité observée par les policiers sur le terrain. Une personne qui commet un crime sexuel ou violent peut commettre aussi d’autres types de crimes. Ainsi, on peut les arrêter au moyen de leur ADN, qu’on aura prélevé au moment de leur condamnation pour des délits moins graves, comme des infractions de manquement à une condition d’ordonnance de libération provisoire ou le vol d’un bien de moins de 5 000 $, qui sont deux infractions donnant lieu à une peine d’emprisonnement maximale de moins de cinq ans.
Toutefois, je précise que le projet de loi ne permet pas d’ordonner le prélèvement d’ADN dans le cas de deux catégories d’infractions entraînant une condamnation de moins de cinq ans d’emprisonnement, parce qu’elles sont jugées moins graves par la loi.
La première catégorie est formée de toutes les infractions criminelles dites « purement sommaires », qui peuvent faire l’objet de poursuites uniquement par voie de procédure de déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Autrement dit, les infractions purement sommaires ne sont pas des infractions dites « mixtes », qui peuvent faire l’objet de poursuites par la procédure par acte criminel ou par la procédure sommaire. Le manquement à une condition d’une peine imposée à un adolescent représente un exemple très courant de ce type d’infractions purement sommaires. La deuxième catégorie est celle des infractions à la Loi sur le cannabis dans les cas où la poursuite entreprise permet uniquement d’imposer une contravention, c’est-à-dire une petite amende. Il s’agit d’un genre d’infraction de faible gravité que peuvent commettre des adolescents ou de jeunes adultes.
En resserrant la latitude du juge de refuser d’ordonner le prélèvement d’ADN pour les autres infractions susceptibles d’entraîner une peine d’emprisonnement de moins de cinq ans, le projet de loi permet de répondre aux recommandations nos 4 et 5 du rapport du comité sénatorial de 2010 dont j’ai parlé précédemment, qui concernaient les délinquants adolescents.
Ce rapport recommandait d’effectuer le prélèvement automatique d’un échantillon d’ADN sur un adolescent reconnu coupable d’une infraction primaire désignée et de resserrer le pouvoir du juge de refuser d’ordonner un prélèvement d’ADN dans le cas d’une infraction secondaire.
Troisièmement, le projet de loi augmente considérablement le nombre d’infractions criminelles permettant à un juge de délivrer un mandat pour prélever l’ADN d’un suspect ou d’une personne accusée. J’estime que cette mesure est essentielle, parce que l’identification par l’ADN est une preuve très fiable pour incriminer ou disculper l’auteur d’une infraction. Elle est beaucoup plus fiable qu’une preuve d’identification par témoin oculaire, qui a souvent mené à plusieurs erreurs judiciaires bien documentées. Le projet de loi, même s’il augmente le nombre d’infractions désignées permettant à un juge de délivrer un mandat de prélèvement d’ADN, ne modifie pas les conditions rigoureuses prévues en vertu de l’article 487.05 du Code criminel, qui doivent être établies par le policier devant le juge pour obtenir un mandat. Le projet de loi ne modifie pas les conditions prévues à l’article 487.05, car celles-ci ont été jugées constitutionnelles et importantes par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. S.A.B. en 2003.
J’ajoute qu’il n’y a aucune raison de ne pas augmenter le nombre d’infractions permettant de délivrer un mandat pour prélever l’ADN lorsqu’on croit que la police peut obtenir un mandat de perquisition pour la fouille d’un domicile pour toute infraction qui relève de toute loi du Parlement.
Quatrièmement, le projet de loi autorise, dans certaines circonstances, l’utilisation d’une technique d’enquête fondée sur l’ADN, qui permet de résoudre des crimes graves en cas d’urgence ou lorsque d’autres méthodes d’enquête ne permettent pas d’identifier ou de disculper un suspect. Cette technique, qui s’appelle la recherche de liens de parenté, permet de repérer un suspect en comparant l’ADN qu’il aurait pu laisser sur une scène de crime à celui d’un parent biologique, dans le cas où ce dernier aurait dû fournir son ADN à la banque en raison d’une condamnation. Cette technique est, essentiellement, le même genre d’analyse effectuée dans les tests d’ADN qui établissent la paternité ou déterminent si deux personnes ont des liens de parenté.
Utilisée d’abord au Royaume-Uni, la recherche de liens de parenté est utilisée dans plusieurs pays partout dans le monde, mais pas au Canada, qui tarde à les imiter.
Cette technique a permis de résoudre l’affaire du violeur qui gardait comme des trophées les talons aiguilles des femmes qu’il a violées pendant les années 1980. James Lloyd a été arrêté en 2006 après qu’une recherche de liens de parenté l’a associé à ces crimes. Il a plaidé coupable à quatre viols et à deux tentatives de viol et a été condamné à 15 ans de prison.
Fait intéressant, le profil qui se trouvait dans la banque de données britannique et qui a permis de l’identifier était celui de sa sœur, qui avait été reconnue coupable de conduite en état d’ébriété, une infraction qui, en pratique, ne donne à peu près jamais lieu à une ordonnance de prélèvement d’échantillon d’ADN au Canada. Or, le projet de loi fera en sorte qu’une personne condamnée pour cette infraction liée à la conduite automobile devra fournir son ADN à la banque de données génétiques, et ce, sans exception possible, puisque cette infraction est passible d’une peine d’emprisonnement maximale supérieure à cinq ans.
À Los Angeles, il y a eu l’affaire du « Grim Sleeper », que l’on appelait ainsi parce que, après avoir assassiné plusieurs femmes avant 1988, le meurtrier a semblé arrêter de commettre des crimes pendant 14 ans avant de reprendre ses macabres activités en 2002. En juillet 2010, Lonnie David Franklin Jr. a été arrêté et, ultimement, reconnu coupable d’avoir tué neuf femmes et une adolescente. On l’a également soupçonné d’avoir tué plusieurs autres femmes dont les corps n’ont jamais été retrouvés.
Son arrestation a été le fruit d’une recherche de liens de parenté qui l’a lié à son fils, dont le profil se trouvait dans la banque de données pour une infraction mettant en cause une arme à feu. Sans cette recherche familiale, nous pouvons supposer qu’il serait probablement encore en liberté et en mesure de commettre des crimes odieux.
Je suis convaincu qu’il y a au Canada des affaires graves qui n’attendent qu’une autorisation pour mener une recherche de liens de parenté. Je présume, par exemple, qu’il existe des traces d’ADN liées aux meurtres non résolus de nombreuses femmes autochtones. Nous devons assurément aux familles d’utiliser tous les outils à notre disposition pour trouver les meurtriers de leurs proches.
J’ajouterais que le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques a recommandé que la loi canadienne soit modifiée pour autoriser la recherche de liens de parenté, ce qui est exactement ce que le projet de loi propose de faire. On peut assurément se fier à sa recommandation en raison de la vaste expertise juridique et scientifique du comité. En effet, en vertu d’un règlement de la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, le rôle du comité consiste à étudier toute question qui concerne la banque.
La recommandation du comité visant à autoriser la recherche de liens de parenté est bien expliquée dans l’extrait suivant de son rapport annuel, et je cite :
En 2015, le Comité consultatif […] s’est de nouveau penché sur la question et a conclu que la valeur de la recherche de parenté pour ce qui est de résoudre des cas difficiles et graves et protéger les Canadiens l’emporte sur les risques inhérents à son utilisation. Il faut aussi prendre en compte l’aspect humanitaire de ne pas prendre toutes les mesures possibles pour protéger la population puisque celle-ci continue de courir un risque tant que des criminels violents restent en liberté. De plus, la recherche de parenté a été utilisée pour disculper des innocents.
Par conséquent, le Comité consultatif a écrit au commissaire de la GRC en décembre 2015, recommandant que le ministre de la Sécurité publique examine la valeur de la recherche de parenté pour des crimes graves, violents et en série dans des dossiers ouverts lorsque toutes les autres méthodes d’enquête ont été épuisées. Le Comité consultatif est conscient que l’actuelle Loi sur l’identification par les empreintes génétiques empêche dans les faits la recherche de parenté puisque la [Banque nationale de données génétiques] ne peut faire état que de concordances exactes et de concordances partielles lorsque le profil ne peut être exclu à titre de candidat. Il serait donc nécessaire de faire adopter des modifications législatives pour qu’il soit possible de faire état de concordances similaires avec des membres de la famille.
Le Comité consultatif de la Banque nationale de données génétiques n’est pas le seul organisme à avoir fait cette recommandation. En effet, la GRC a aussi recommandé que la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques soit modifiée afin d’autoriser la banque à effectuer des recherches de liens de parenté, comme le mentionnent les pages 66 et 67 de la version française du rapport du comité sénatorial de 2010 sur l’ADN. Signe du vif intérêt de la GRC pour la recherche de liens de parenté, cet organisme a préparé un imposant document de travail en 2018, portant sur l’utilisation de cette technique d’enquête dans d’autres pays démocratiques. Il s’agit d’un document que mon équipe et moi avons étudié avec une grande attention au moment de rédiger la mesure du projet de loi autorisant la recherche de liens de parenté.
Passons à la cinquième mesure importante du projet de loi : il permet d’éliminer des irritants administratifs pour les policiers et les fonctionnaires de la banque afin de faciliter pour ces intervenants la gestion d’information à la suite d’un prélèvement d’ADN, mais sans affecter les mesures de protection de la vie privée. Voici un exemple : à l’heure actuelle, lorsqu’un juge rend une ordonnance de prélèvement d’ADN à une personne condamnée ou délivre un mandat pour autoriser un prélèvement sur un suspect ou un accusé, le policier qui effectue le prélèvement de substances corporelles contenant l’ADN doit écrire par la suite un rapport à un juge en donnant des précisions sur la date et l’heure du prélèvement, de même que sur les substances qui ont été prélevées.
Le projet de loi éliminerait cette obligation, parce que, en pratique, ces rapports n’ont pas d’utilité particulière dans le contexte où le prélèvement, pour être effectué, doit faire l’objet d’une autorisation judiciaire.
Sixièmement, le projet de loi exige du ministre de la Sécurité publique qu’il produise un rapport dans les deux ans suivant la sanction royale. Ce rapport vise à déterminer la possibilité au Canada de prélever l’ADN de personnes arrêtées ou accusées d’une infraction, et ce, sans avoir besoin d’obtenir un mandat d’un juge. Autrement dit, ce rapport étudiera s’il est dans l’intérêt public de modifier la loi pour autoriser le prélèvement d’ADN sur une personne présumée innocente de la même façon que l’on peut actuellement, en vertu de la Loi sur l’identification des criminels, recueillir ses empreintes digitales, prendre ses mensurations et la photographier.
J’estime qu’il est nécessaire qu’un rapport soit produit rapidement pour réfléchir à cette question. D’abord, depuis plusieurs années, de nombreux États démocratiques, notamment le Royaume-Uni, prélèvent l’ADN dès l’arrestation. Par exemple, la Cour suprême des États-Unis a confirmé qu’il était valide de procéder au prélèvement d’ADN au moment de l’arrestation dans l’arrêt Maryland v. King, qu’elle a rendu en 2013.
Je rappelle aussi que la Cour suprême du Canada a jugé, dans l’arrêt Rodgers en 2006, que le prélèvement d’ADN, étant donné les protections prévues dans le Code criminel et la Loi sur l’identification par les empreintes génétiques, se compare à la perte de vie privée d’une personne qui doit fournir ses empreintes digitales aux policiers. Cela peut vous convaincre que le prélèvement d’ADN est une technique d’enquête bien acceptée par les tribunaux et qu’il pourrait être fort avantageux de recourir à cette technique dès l’arrestation, comme la loi canadienne le permet actuellement pour la prise d’empreintes digitales. Je cite le paragraphe 38 de l’arrêt R. c. Rodgers :
Il est incontestable que l’analyse génétique est un moyen d’identification beaucoup plus performant que la comparaison des empreintes digitales, d’où le plus grand intérêt de la société à l’ajouter aux outils dont elle dispose en la matière.
Septièmement, le projet de loi modifie le texte du Code criminel qui a trait aux prélèvements d’ADN en simplifiant, comme je l’ai expliqué précédemment, la liste des infractions désignées autorisant ces prélèvements.
En résumé, le projet de loi S-236 permettra d’améliorer la sécurité publique en aidant les policiers à résoudre des crimes au moyen de l’identification par l’ADN. Puisque la preuve d’ADN est très fiable, on verra un plus grand nombre de causes qui se solderont par un plaidoyer de culpabilité plutôt que par un procès, ce qui permettra de réduire les délais au sein du système judiciaire. Ce projet de loi permettra également d’éviter de condamner des personnes innocentes en disculpant rapidement des suspects, étant donné la fiabilité de la preuve par l’ADN.
Je conclus mon discours en remerciant deux personnes qui m’ont offert une aide très précieuse dans la conception de ce projet de loi. Il s’agit de M. David Bird, qui a été avocat au sein de la GRC sur les questions concernant le matériel génétique pendant près de 20 ans avant de prendre sa retraite en 2013. La seconde est M. Greg Yost, qui a été avocat pendant 20 ans dans le domaine de l’ADN au ministère de la Justice.
Ces deux personnes ont notamment comparu à titre de témoins experts dans le cadre des audiences du comité sénatorial, lesquelles ont mené au rapport du comité sur l’ADN, en 2010. Il n’arrive pas souvent qu’un sénateur ait accès à des experts comme eux dans le cadre de l’élaboration de mesures législatives.
D’ailleurs, j’encourage toute personne — citoyen, parlementaire, policier, avocat, juge, scientifique, chercheur universitaire, ou représentant d’un organisme public ou de la société civile — à contacter mon bureau pendant l’ajournement du Sénat, cet été, pour me faire part de ses idées et de ses suggestions au sujet du projet de loi S-236, afin d’y apporter des améliorations, tant du point de vue de la rédaction que de l’efficience.
Je vous remercie de votre attention et je vous invite à adopter ce projet de loi important à l’étape de la deuxième lecture. Merci.