Motion d'amendement
1 juin 2021
Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :
Que la motion soit modifiée par suppression de tous les mots après le mot « Que » et par substitution de ce qui suit :
« le projet de loi S-209, Loi modifiant la Loi électorale du Canada et le Règlement adaptant la Loi électorale du Canada aux fins d’un référendum (âge de voter), ne soit pas maintenant lu une deuxième fois, parce qu’une proposition ayant un impact aussi fondamental sur le déroulement des élections dans ce pays, spécifiquement les qualifications des électeurs, devrait plus convenablement être présentée d’abord dans la Chambre élue, soit la Chambre des communes. »
Honorables sénateurs, c’est avec gratitude et respect que je prends la parole depuis le territoire traditionnel de la Première Nation des Kwalin Dün et du Conseil des Ta’an Kwäch’än.
Avant de parler de l’amendement et de la motion, je tiens à remercier mes collègues d’avoir honoré, avec courage et dignité, la mémoire de ces 215 enfants qui ont perdu la vie à cause de l’odieux système de pensionnats du Canada. J’assisterai plus tard aujourd’hui au feu sacré en l’honneur de ces vies et je ferai part de vos sages paroles aux participants.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du projet de loi S-209, de l’amendement du sénateur Wells visant à renvoyer la question à la Chambre des communes et de la motion principale portant sur l’abaissement de l’âge pour voter aux élections fédérales canadiennes à 16 ans.
Elle a été membre du Service féminin de la Marine royale du Canada, journaliste et auteure reconnue, mairesse de Whitehorse, membre du comité exécutif du Conseil territorial du Yukon et membre fondateur du Musée des transports du Yukon : je parle de la regrettée Florence E. Whyard, qui a aussi été décorée de l’Ordre du Canada. C’était une bonne amie de la famille. Flo, comme elle se faisait appeler, m’a donné un t-shirt pour mon 30e anniversaire. On pouvait y lire une citation de la Loi électorale du Canada en 1918, selon laquelle ni les femmes, ni les idiots, ni les déséquilibrés, ni les criminels n’ont le droit de voter.
Honorables sénateurs, les gens, en particulier ceux qui ont couru un marathon ou fait du sport avec leurs enfants, se rappelleront l’expression : « C’est du déjà vu, je l’ai déjà fait, j’ai encore le t-shirt et je m’en sers maintenant pour laver la voiture. » Le t-shirt que Flo m’a donné était très grand et d’une vive couleur violette. Après notre mariage, mon époux l’a récupéré, et il lui est effectivement arrivé de le porter pour laver la voiture.
Par pur hasard, il le portait le jour où il m’a amenée en voiture au bureau de scrutin pour que je soumette ma première déclaration de candidature aux élections de l’Assemblée législative du Yukon.
Je vous raconte cette histoire, honorables collègues, pour expliquer mon attachement particulier à ce t-shirt et à l’expression qui s’y rapporte, même s’il est maintenant en lambeaux et tout juste bon à faire une courtepointe ou à être encadré.
Ce t-shirt est important pour tellement de raisons. Il me rappelle l’immense contribution à la fonction publique de notre amie Flo Whyard, ainsi que de nombreuses autres femmes du Yukon comme Audrey McLaughlin, Margaret Joe, et mon ancienne collègue à l’Assemblée législative du Yukon, Lorraine Netro, une membre de la Première Nation des Gwitchin Vuntut ayant récemment reçu le Prix Glen Davis du leadership en conservation. Il me fait penser aux Célèbres cinq et à l’affaire « personne ». Surtout, cette expression du droit canadien m’aide à me rappeler que les assemblées législatives n’ont pas toujours raison, et qu’il faut parfois changer la loi.
Je remercie la sénatrice McPhedran de son excellent et inlassable travail sur ce projet de loi, d’avoir proposé cette idée et, surtout, d’avoir promis de poursuivre la discussion jusqu’à ce que des changements soient apportés. J’aimerais aussi remercier le sénateur Wells et d’autres collègues de leurs remarques et observations très réfléchies sur le sujet.
Les données recueillies dans le rapport publié en août 2020 par l’organisme Enfants d’abord Canada et l’exposé présenté à notre groupe par Eva Zeglovits, de l’Autriche, m’ont aidée à me renseigner sur le sujet. En avril, la sénatrice McPhedran, le sénateur Patterson du Nunavut, d’autres sénateurs et moi avons communiqué avec Patrick McDermott, un enseignant de l’école secondaire Inukshuk, et ses élèves du Nunavut par Zoom. Nous avons aimé leur excellent exposé sur le projet de loi S-209, qui vise à abaisser l’âge de voter.
Honorables sénateurs, cela m’a attristé de constater que si peu de jeunes Yukonnais avaient participé à la consultation mise sur pied par l’organisme Enfants d’abord Canada de mars à avril 2020 à ce sujet. Comme j’ai l’habitude de faire un second examen objectif, j’ai entamé mes propres discussions avec des jeunes du Yukon. Elles sont en cours. Je peux quand même donner aux sénateurs certains des renseignements que j’ai recueillis à ce jour. Voici certains des commentaires que j’aimerais partager avec vous, en particulier :
Je pense que ce projet de loi doit être adopté, parce qu’à l’heure actuelle, même si notre poids électoral n’est pas énorme — 2,9 % de la population —, à long terme, nous serons des adultes informés et volontaires qui voudront voter pour un gouvernement dans lequel nous pourrons croire.
J’ai trouvé ces réflexions d’un étudiant très à propos :
J’aimerais d’abord faire valoir que ce sont des jeunes d’environ 16 ans qui sont, actuellement, à la tête de grands mouvements politiques, comme les mouvements de la fierté gaie, Black Lives Matter et Vendredi pour l’avenir.
Je ferai remarquer que ce sont des élèves de cette même école qui ont inspiré et organisé les protestations qui ont amené l’Assemblée législative du Yukon — le premier parmi tous les territoires et les provinces à le faire au Canada — à interdire les thérapies de conversion.
En parlant d’inspirer le changement, un étudiant m’a écrit ceci :
Si les jeunes avaient leur mot à dire en politique, les politiciens comprendraient que beaucoup de jeunes veulent du changement. Un bon exemple de ce changement concerne le problème mondial très préoccupant des changements climatiques. Les vieux n’ont plus à se soucier de ce problème, parce qu’ils ne seront plus sur la planète très longtemps, mais les jeunes, eux, représentent l’avenir et ils ont encore toute une vie à vivre.
Chers collègues, sénatrice Coyle et sénatrice Galvez, je m’engage à soutenir vos efforts visant à encourager le Canada à lutter contre les changements climatiques aux côtés de cet étudiant. Je crois que nous ne sommes pas trop vieux pour travailler au changement.
Un étudiant a eu une idée un peu différente. Il trouvait intéressante l’idée de ramener l’âge de voter à 16 ans, mais avec une légère modification. Voici ce qu’il a écrit :
De la même manière qu’on me permet de conduire — de façon tout à fait convenable, comme d’autres, même si je continue d’apprendre —, ce serait peut-être une bonne chose de permettre aux jeunes de voter aux élections municipales, puisque les enjeux sont de moindre envergure et que les impacts sont beaucoup plus locaux.
J’ai toujours du plaisir, chaque fois que cela se présente, à échanger avec de jeunes Yukonnais et à recueillir leurs idées que je vous transmets ensuite. J’appuie le principe du projet de loi et son renvoi au comité pour un examen plus approfondi plutôt que l’amendement proposant que cette mesure soit présentée par l’autre endroit. J’ai surtout hâte d’en discuter avec des étudiants du Yukon.
Mon travail dans ce domaine a été retardé cette année non seulement en raison de la pandémie, qui a mis un frein à mes visites dans les écoles, mais aussi parce que la discrétion était de mise. J’ai aussi reporté la tenue de nouvelles discussions pendant la dernière campagne électorale territoriale. Même si l’année scolaire tire à sa fin, j’ai écrit aux directeurs et aux enseignants qui donnent des cours d’éducation civique pour leur rappeler ces discussions. À l’instar de la sénatrice McPhedran, j’ai ajouté que je m’attendais à ce que les discussions se poursuivent sans doute pendant un certain temps et que je continuerais de recueillir leurs opinions.
Avant de conclure, j’aimerais vous mentionner un dernier point. Honorables sénateurs, vous savez que 11 des 14 nations au Yukon ont des ententes sur l’autonomie gouvernementale, assorties à des traités modernes conclus avec le Canada et le Yukon. Dans 3 des 14 constitutions de ces nations, il est dit que les citoyens ont le droit de voter à partir de 16 ans.
J’ai récemment eu l’occasion de demander au chef Steve Smith des Premières Nations de Champagne et d’Aishihik comment l’âge de voter avait été fixé à 16 ans pour les communautés qu’il représente, qui font également partie des quatre premières Premières Nations du Yukon à avoir conclu un accord sur les revendications territoriales. Il a attribué la décision à la perspective plus ouverte de ses prédécesseurs et reconnu que le vote n’a pas seulement évolué à partir du désir d’un conseiller auprès des jeunes de faire participer tous les jeunes et d’avoir un âge de vote plus bas. Il m’a également dit que, étant donné qu’ils votent plus tôt, les jeunes ont continué à participer activement au gouvernement et à la direction de leurs Premières Nations.
Honorables sénateurs, notre ancien et estimé collègue, le sénateur Sinclair, a conseillé que l’éducation fasse partie de notre parcours vers la réconciliation. Profitons de l’éducation et tirons des leçons des Premières Nations et de leur respect pour la participation des jeunes. Accordons de l’importance à leurs opinions et poursuivons le débat sur l’abaissement de l’âge de voter. Au lieu d’adopter l’amendement du sénateur Wells, commençons la discussion en le rejetant et en acceptant la motion principale. Poursuivons ensuite notre discussion et renvoyons le projet de loi S-209 à un comité aux fins de discussion et d’étude plus approfondies.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de faire ces commentaires. Gùnáłchîsh. Mahsi’cho.
Je n’ai pas de texte et je n’avais pas l’intention d’intervenir, mais, à la suite du discours du sénateur Wells, je sens le besoin de faire certains commentaires.
La question de l’âge nécessaire pour voter à une élection est une question fondamentale, mais je crois qu’il faut évaluer l’âge dans une dynamique plus vaste. Par exemple, au Québec, un jeune peut recevoir des traitements médicaux sans le consentement de ses parents dès l’âge de 14 ans. Il peut également, à cet âge, choisir de refuser de subir un traitement médical même si ses parents ont consenti à ce traitement, ce qui pourrait entraîner son décès. Dans beaucoup de provinces, y compris le Québec, un jeune de 16 ans peut obtenir un permis de conduire, conduire une voiture et mettre en péril la sécurité d’autres personnes.
Dans plusieurs États américains, il est interdit de boire de l’alcool avant l’âge de 21 ans, mais il est permis, à 16 ans ou à 18 ans, d’obtenir une arme à feu et de la transporter sur soi.
Honorables sénateurs, l’âge n’est pas une question magique; il fait plutôt référence à un degré de maturité et à un ensemble de connaissances et d’occasions d’apprentissage. Je ne sais pas quel devrait être l’âge exact pour voter; je ne sais pas si l’âge de 18 ans est trop bas ou trop élevé, mais je crois que cette question mérite d’être étudiée et qu’il faut entendre des témoins à ce sujet.
Des spécialistes en psychiatrie vous diront que le cerveau n’est pas formé avant l’âge de 21 ans. Faudrait-il pour autant interdire de voter avant 21 ans? Ce projet de loi soulève bien des questions. Je pense qu’une réflexion approfondie serait préférable au rejet du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture. Un comité pourrait entendre des témoins, poser des questions et produire un rapport constructif, tout en participant aux débats sur une question fort importante : quelle place réservons-nous aux jeunes dans notre société?
Par exemple, le sénateur Wells parlait de jeunes qui deviennent membres de partis politiques dès l’âge de 14 ans et qui votent pour élire le chef de leur parti. Cependant, comme ils n’ont pas le droit de voter à l’élection suivante pour le chef qu’ils ont choisi et qui dirige le parti au sein duquel ils militent, cela fait en sorte qu’ils ne peuvent pas participer au processus ni voir le chef qu’ils ont choisi devenir chef du gouvernement.
Il est quand même étonnant de constater que, lors des conventions, jusqu’à 33 % des places de membres au sein de certains partis politiques sont réservées à des jeunes qui peuvent voter sur des questions de politiques qui deviendront, par la suite, des politiques officielles du parti.
Je pense qu’il serait quelque peu prématuré de rejeter le projet de loi à cette étape-ci. J’invite donc mes collègues à rejeter cet amendement. Cependant, je suis très sensible à l’argument du sénateur Wells qui veut que le fait de savoir qui peut voter à une élection puisse être une question qui, légitimement, appartient aux élus et aux partis politiques. Toutefois, cela n’empêche pas le Sénat de mener une étude sur la question, et c’est ce que ce projet de loi permet de faire. Ainsi, le rapport qui suivrait la conclusion de cette étude nous permettrait de contribuer à la réflexion, y compris celle des députés.
J’invite donc mes collègues à rejeter cet amendement.