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La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

7 décembre 2021


Propose que le projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les juges, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole pour proposer la deuxième lecture du projet de loi S-3, Loi modifiant la Loi sur les juges. J’aimerais attirer l’attention de mes collègues sur un de nos devoirs les plus importants en tant que parlementaires : être de bons gardiens des institutions héritées de nos prédécesseurs, des institutions qui continueront d’exister bien après notre passage au Sénat.

Personne ici ne remettrait en question le fait que notre système de justice — et la magistrature indépendante et exceptionnelle qui se trouve en son centre — constitue l’une de ces institutions. Pourtant, l’indépendance judiciaire et l’excellence de son caractère ne découlent pas inévitablement de notre Constitution, si tentant soit-il de les tenir pour acquises. Elles requièrent, au fil du temps, les efforts constants et l’attention soutenue de nombreux intervenants, le Sénat étant l’un d’eux.

Aujourd’hui, on nous demande de veiller à ce que le cadre législatif qui permet la surveillance de la conduite des juges nommés par le gouvernement fédéral soit à la hauteur. On nous demande également de veiller à ce que le processus par lequel on pourrait ultimement demander au Parlement de révoquer un juge de la Cour suprême soit et apparaisse juste, efficace et digne de la confiance des Canadiens. Voilà de lourdes responsabilités dont il me tarde de débattre dans le cadre de la deuxième lecture de ce projet de loi, de même qu’au comité.

Permettez-moi de commencer par une mise en contexte de ces dispositions législatives. Les rédacteurs de la Constitution, soucieux de l’importance de l’indépendance de l’appareil judiciaire — un principe d’abord reconnu dans la Magna Carta —, ont tenu à s’assurer que, après leur nomination, les juges des cours supérieures ne pourront pas être démis facilement de leurs fonctions par le gouvernement ou le Parlement. Comme on le sait, aux États-Unis, cette procédure existe aussi et s’appelle l’impeachment.

Ce principe est énoncé à l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui se lit comme suit, dans sa version toujours non officielle :

[…] les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

Depuis 1867, dans quatre cas, de telles motions ont été considérées, mais les juges ont démissionné avant que l’une ou l’autre de ces Chambres se prononce. C’est donc un processus qui n’est pas utilisé très fréquemment, mais qui demeure fort important dans notre Constitution afin de préserver l’indépendance des juges et d’intervenir dans les cas qui le requièrent.

En 1971, le Parlement a modifié la Loi sur les juges afin de créer le Conseil canadien de la magistrature, ou CCM, un organisme présidé par le juge en chef du Canada et composé de tous les juges en chef et juges en chef adjoints des cours supérieures du pays, y compris les cours fédérales.

Le CCM a pour mandat d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures du Canada, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. Dans le cadre d’un aspect essentiel de ce mandat, le CCM s’est vu accorder le pouvoir d’enquêter sur les allégations d’inconduite contre un juge d’une cour supérieure. Si le CCM détermine que ces allégations sont si graves qu’il est justifié de destituer le juge, la loi demande au conseil de présenter un rapport au ministre de la Justice contenant la recommandation de destituer le juge en question. Le ministre doit ensuite décider s’il soumet la question au Parlement, en invitant les deux Chambres à exercer leur pouvoir, en vertu du paragraphe 99(1) de la Loi constitutionnelle de 1867 — dont j’ai parlé plus tôt —, de demander au gouverneur général de destituer le juge.

Fait important, ce pouvoir est tempéré par le principe constitutionnel de l’indépendance judiciaire et par l’inamovibilité des juges de la Cour supérieure, sauf s’il est établi qu’ils ont fait preuve d’inaptitude ou d’inconduite.

La loi de 1971, en imposant un processus par lequel les juges enquêtent eux-mêmes sur les allégations d’inconduite formulées contre leurs collègues, a mis la magistrature à l’abri des actes d’intimidation ou de représailles de la part du pouvoir exécutif, du Parlement, d’une partie insatisfaite d’un jugement ou de la pression populaire du jour.

De plus, puisque la loi prévoit que nous, les parlementaires, ne pouvons révoquer un juge qu’après avoir reçu le rapport et la recommandation des juges chargés de l’enquête, les Canadiens et les Canadiennes peuvent être assurés que cette mesure draconienne n’est prise que lorsqu’elle est véritablement justifiée, sous réserve des mesures de protection rigoureuses que sont l’indépendance judiciaire et l’équité procédurale.

La jurisprudence de la Cour suprême a établi qu’il s’agit d’obligations constitutionnelles, et elle a même étendu ces obligations aux cours provinciales. La Loi sur les juges est le moyen par lequel ces obligations sont remplies sur le plan fédéral.

Le modèle adopté par le Canada pour la réglementation de la conduite des juges de nomination fédérale demeure un des meilleurs au monde, mais ses principaux éléments n’ont pas changé depuis 1971, malgré les changements fondamentaux survenus dans le domaine du droit administratif et l’évolution dans les valeurs et les attentes du public, qui contribuent à l’élaboration des normes en matière de conduite judiciaire. Par conséquent, certaines des structures et des procédures qui existent sous le régime actuel de la Loi sur les juges peuvent être désormais considérées comme désuètes. Pire encore, on a vu récemment qu’elles ne sont pas toujours efficaces ni efficientes, ce qui met en péril la confiance du public qu’elles sont censées susciter.

Plusieurs problèmes se sont révélés être des sources de préoccupation. Je pense notamment à la durée et au coût du processus de discipline judiciaire. Les comités d’enquête constitués par le CCM sont considérés comme des tribunaux administratifs fédéraux. À ce titre, leurs décisions, qu’elles soient interlocutoires ou définitives, peuvent faire l’objet d’une révision judiciaire, d’abord par la Cour fédérale, puis par la Cour d’appel fédérale et, éventuellement, sur autorisation, par la Cour suprême du Canada.

Par conséquent, le juge faisant l’objet de la plainte — ou peut-être son avocat — a la possibilité de demander une révision judiciaire jusqu’à trois fois, rien de moins. Ce processus a donné lieu à du zèle adversatif et à de l’abus de procédure. Des accusés lançaient des procédures de révision judiciaire simplement pour temporiser plutôt que pour essayer de faire valoir des intérêts juridiques valables. Dans une affaire récente, la Cour d’appel fédérale a refusé d’entendre un appel concernant une révision judiciaire de la Cour fédérale, car elle estimait qu’il s’agissait d’un abus de procédure. Comme je l’ai dit, le processus a donné lieu à du zèle adversatif, et nous devons agir. Les enquêtes sur la conduite d’un juge peuvent donc être retardées pendant des années.

Dans une affaire récente, un processus de plainte amorcé en 2012 a amené le conseil à recommander la destitution d’un juge. Le processus s’est terminé seulement en février 2021, neuf ans plus tard. Chers collègues, vous ne le savez peut-être pas, mais pendant tout ce temps — tant que le gouverneur général n’a pas destitué le juge ou que le Parlement n’a pas adopté une motion demandant que ce juge prenne volontairement sa retraite —, la rémunération du juge continue de lui être versée et ses prestations de retraites continuent à s’accumuler; du moins jusqu’à tout récemment. De plus, les frais juridiques que le Conseil de la magistrature et le juge doivent payer aux groupes du conseil et aux tribunaux sont assumés par les contribuables.

La plus récente loi d’exécution du budget que nous avons adoptée comprend des dispositions pour que la pension d’un juge soit suspendue dès qu’un comité d’audience plénier détermine que la révocation du juge est justifiée ou recommandée. À moins que la décision soit annulée dans le cadre d’un appel, ou qu’elle soit rejetée par le ministre de la Justice ou par l’une des deux Chambres, le juge en question n’aura droit qu’à la pension accumulée jusqu’à la date où le comité d’audience plénier a conclu que sa révocation était justifiée. Cela permettra de raccourcir le processus de plusieurs années, ou du moins cela élimine un motif ou des fondements pour poursuivre les démarches devant les tribunaux.

L’indépendance judiciaire exige qu’on retienne les services d’un avocat — qui sera rémunéré à même les fonds publics — pour défendre un juge. Ainsi, dans certains cas, des avocats ont perçu des millions de dollars en honoraires pour avoir présenté de longues contestations judiciaires qui en fin de compte ont été déclarées sans fondement. Ce fut d’ailleurs le cas de l’affaire dont j’ai fait mention précédemment. Il faut corriger la situation.

Au sujet d’une affaire qui a traîné pendant environ neuf ans, après que la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision à l’été 2020, le Conseil canadien de la magistrature a écrit ce qui suit dans une lettre ouverte aux Canadiens :

Plus particulièrement, au cours de la dernière décennie, nous avons tous été témoins d’enquêtes publiques qui se sont éternisées et se sont avérées beaucoup trop coûteuses. Nous avons été témoins de demandes incalculables de contrôle judiciaire visant tous les aspects possibles du processus. Ces demandes ont été énormément onéreuses en temps, en argent et en efforts pour nos tribunaux fédéraux. De plus, tous ces coûts, y compris les dépenses occasionnées par le juge qui est au cœur de l’enquête, sont pris en charge par les contribuables. Le juge en cause continue de recevoir la totalité de son traitement et de ses prestations de retraite pendant que le temps s’écoule. Cela donne l’impression que le juge tire profit de ces délais. Le problème est systémique plutôt qu’individuel : problème systémique qui, disons-le franchement, va à l’encontre de l’intérêt public et de l’accès à la justice.

C’est un passage d’un communiqué publié par les juges en chef des cours supérieures du Canada — un cas très rare.

Voici un extrait d’un communiqué du Conseil canadien de la magistrature, présidé par le juge en chef du Canada.

À la fin de tout ce processus, le 25 février 2021, huit années après le dépôt de la première plainte au sujet du juge concerné, le juge en chef du Canada, le très honorable Richard Wagner, a affirmé ceci :

À titre de Président du Conseil canadien de la magistrature, je réitère la nécessité d’adopter les réformes législatives que réclame le Conseil depuis longtemps déjà afin d’améliorer le processus de discipline judiciaire et ainsi maintenir la confiance du public dans l’administration de la justice. Au nom de la magistrature et du public qu’elle dessert, j’accueille donc avec satisfaction l’engagement du ministre de la Justice et du Premier ministre de procéder aux dites réformes dans les meilleurs délais afin d’éviter que de telles sagas ne se répètent. Comme l’a déclaré le ministre de la Justice aujourd’hui même, « les Canadiens méritent mieux ».

Ce projet de loi est la concrétisation de cet engagement.

Une autre lacune du processus actuel est que la Loi sur les juges donne seulement au conseil le pouvoir de recommander la révocation d’un juge ou de s’y opposer. Il ne peut pas imposer de sanctions moins sévères pour des cas d’inconduite qui ne répondent pas aux conditions nécessairement élevées qu’il faut remplir pour révoquer des juges. Par conséquent, des cas d’inconduite pourraient ne pas être sanctionnés parce qu’ils ne s’approchent manifestement pas de cette barre élevée.

Les juges risquent aussi d’être exposés à une enquête publique complète et de subir la honte de voir leur révocation examinée sur la place publique, pour des comportements qui pourraient être corrigés de manière plus raisonnable par d’autres procédures et des sanctions moins sévères.

Les modifications visant à corriger ces lacunes permettront non seulement de rendre le déroulement des audiences plus souple et mieux adapté aux allégations qui les entraînent, mais aussi d’offrir davantage de possibilités de règlement rapide et de réserver les audiences les plus coûteuses et les plus complexes pour les cas les plus graves.

Enfin, la Loi sur les juges exige que la recommandation concernant la révocation d’un juge soit présentée au ministre de la Justice par le conseil lui-même, plutôt que par le comité d’enquête constitué par ledit conseil, pour examiner la conduite d’un juge donné. Ainsi, une fois que le comité d’enquête a tiré ses conclusions, le conseil doit délibérer, en présence d’au moins 17 membres, et préparer un rapport et une recommandation à l’intention du ministre. Cette façon de faire va au-delà de ce qu’exige l’équité procédurale, mais elle impose un fardeau important, quant au temps et à l’énergie investis, à au moins 17 juges en chef et juges en chef adjoints, qui doivent revoir les transcriptions des procédures devant le comité d’enquête et entendre des représentations des avocats par écrit et même parfois des représentations verbales concernant le comité d’enquête. Comme le conseil lui-même le reconnaît, cette façon de faire est inefficace et contraire à l’intérêt du public, lorsqu’il s’agit de veiller à ce que les ressources judiciaires soient utilisées de manière optimale. Cela aussi doit changer.

Ces exemples sont loin d’illustrer toutes les raisons pour lesquelles une réforme du processus judiciaire applicable aux juges est désormais nécessaire. Il faut aussi souligner la consultation publique sur la réforme du processus disciplinaire menée par le gouvernement en 2016, laquelle a permis de constater un fort appui en faveur de l’élaboration d’un processus disciplinaire plus transparent et plus facilement accessible au public, notamment grâce à l’accroissement des possibilités, pour les membres du grand public qui n’ont pas de formation juridique, de participer au processus.

Le gouvernement a ensuite bénéficié de discussions soutenues avec des représentants du Conseil canadien de la magistrature ainsi que de l’Association canadienne des juges des cours supérieures, qui représente la quasi-totalité des 1 200 juges des cours supérieures, au sujet de leurs préoccupations et de leur vision respectives quant à la réforme du processus disciplinaire. J’ai le plus grand respect pour le travail de l’association et du conseil, puisque j’ai été, dans ma vie antérieure, à la fois président de l’association pendant quelques années et administrateur de l’association pendant une douzaine d’années. J’ai aussi été membre de certains comités du conseil. Ces questions sont importantes, et je suis heureux que le gouvernement nous propose aujourd’hui d’améliorer le système.

Je reviendrai sur l’importance de ces consultations à la fin de mon allocution. Pour le moment, il suffit de noter qu’à peu près tous les intervenants appuient les modifications qui nous sont présentées, lesquelles, je le crois, amélioreront l’efficacité, la rentabilité, la souplesse et la transparence du processus disciplinaire applicable aux juges, tout en respectant les principes de l’équité ainsi que l’indépendance judiciaire, qui est si nécessaire.

Voilà les objectifs du projet de loi. Je vais maintenant décrire certains de ses éléments clés.

Le projet de loi à l’étude améliorera la souplesse du processus. Après la réalisation d’un premier contrôle par les représentants du Conseil canadien de la magistrature, les plaintes qu’on n’estime pas être dénuées de tout fondement seront renvoyées à un comité d’examen composé de représentants du public et de la magistrature.

Après avoir examiné la plainte en se fondant uniquement sur les arguments écrits lui ayant été présentés, le comité d’examen pourra imposer des mesures de réparation, à l’exception de la révocation du juge en cause. Par exemple, le comité d’examen pourrait ordonner que le juge suive un cours de perfectionnement professionnel ou qu’il présente des excuses.

Cela permettrait de régler rapidement, efficacement et équitablement les cas d’inconduite n’exigeant pas la tenue d’une audience publique en bonne et due forme.

Si le comité d’examen décide qu’une allégation contre un juge pourrait justifier sa révocation, le projet de loi exige que la question soit débattue lors d’une audience publique. Ces audiences se dérouleront différemment de celles des comités d’enquête actuels du conseil. Premièrement, les membres du comité d’audience comprendront un membre du public qui n’est pas juriste, de même qu’un juriste et des juges. Un avocat sera nommé pour présenter la preuve contre le juge, tout comme le ferait un procureur.

Le juge continuera de pouvoir soumettre des éléments de preuve et d’interroger des témoins, tout cela avec l’aide de son propre avocat. Bref, le processus sera structuré comme une audience contradictoire, ce qui reflète bien la gravité des accusations portées contre le juge et renforce la confiance du public dans l’intégrité du système de justice.

À la fin de ces audiences publiques, un comité d’audience déterminera si un juge devrait être révoqué ou non. Le comité fera ensuite part de sa recommandation au ministre de la Justice sans que l’ensemble du conseil fasse un examen intermédiaire. Cette formule favorisera une résolution rapide des allégations les plus graves d’inconduite visant les juges et permettra au ministre — et en dernier lieu au Parlement — de donner rapidement suite à la recommandation du comité d’audience. Les Canadiens peuvent avoir l’assurance qu’on ne recourra à cette mesure, conçue pour être exceptionnelle, que dans les cas où ce sera pleinement justifié. Par conséquent, ce ne sera pas une procédure souvent utilisée puisqu’elle n’est pas censée l’être.

La rigueur des audiences donnera au ministre, aux parlementaires et au public une grande confiance dans l’intégrité des conclusions et des recommandations. Le rapport du comité d’audience sera rendu public, pour assurer la transparence et la reddition de comptes.

À la fin du processus d’audiences et avant que le rapport sur la révocation ne soit remis au ministre, le juge dont la conduite est examinée et l’avocat chargé de présenter la cause contre le juge auront le droit de faire appel du résultat devant un comité. Ce mécanisme d’appel remplacera le recours actuel à la révision judiciaire par la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême. En d’autres termes, plutôt que de soumettre les audiences du conseil à un examen externe à plusieurs niveaux, avec les coûts et les retards qui en découlent, le nouveau processus comprendra un mécanisme d’appel juste, efficient et cohérent interne au processus lui-même.

Un comité de cinq juges tiendra des audiences publiques semblables à celles d’une cour d’appel et disposera de tous les pouvoirs nécessaires pour remédier efficacement aux lacunes du processus du comité d’audience. Une fois sa décision rendue, le seul recours restant pour le juge ou l’avocat qui présente la demande sera de demander une autorisation à la Cour suprême du Canada. Il s’agira donc d’une procédure en une étape unique au sein du système juridique à proprement parler : une demande à la Cour suprême. Confier la surveillance du processus à la Cour suprême renforcera la confiance du public et évitera des années de procédures de contrôle judiciaire devant différentes cours.

Le nouveau processus d’appel devra respecter des délais stricts, et les résultats obtenus seront intégrés au rapport et aux recommandations qui seront finalement présentés au ministre de la Justice. En plus de renforcer la confiance envers l’intégrité du processus de discipline judiciaire, ces réformes devraient permettre de réduire la durée des procédures de plusieurs années.

Pour garder la confiance du public, le processus disciplinaire applicable aux juges doit donner des résultats non seulement dans un délai raisonnable, mais à un coût raisonnable pour le Trésor public. Les coûts devraient être aussi transparents que possible et assujettis à de solides contrôles financiers. Le projet de loi prévoit donc des dispositions robustes pour faire en sorte que les coûts liés au processus soient gérés prudemment.

Dans l’ensemble, le nombre d’enquêtes disciplinaires applicables aux juges varie d’année en année, ce qui fait en sorte qu’il est impossible d’établir un budget précis des coûts pour une année donnée. Cela oblige donc les administrateurs à recourir à des mécanismes lourds pour obtenir le financement nécessaire de façon ponctuelle.

Pour remédier au problème, le projet de loi diviserait les coûts du processus en deux volets. Le financement requis pour les coûts stables et prévisibles — ceux qui sont associés à l’examen des plaintes et aux enquêtes au jour le jour — continuerait de faire l’objet de demandes pendant le cycle budgétaire ordinaire. Quant au deuxième volet, qui concerne les coûts très changeants et imprévisibles associés aux affaires qui donnent lieu à des audiences publiques, il serait financé au moyen de crédits législatifs ciblés prévus par le projet de loi. Autrement dit, les paiements nécessaires pour couvrir les coûts associés aux audiences publiques proviendraient directement du Trésor public.

Rappelons que les audiences en question sont une obligation constitutionnelle. Pour qu’un juge puisse être révoqué, il faut que sa conduite fasse l’objet d’une audience dirigée par un juge. Il est donc approprié qu’une telle dépense non discrétionnaire, engagée dans l’intérêt public et afin de respecter une obligation constitutionnelle, soit couverte grâce à un accès stable et effectif au Trésor public.

Cela dit, le Parlement doit avoir l’assurance que la portée de ces crédits législatifs est clairement définie. Les différents types de dépenses liées au processus, de même que des lignes directrices quant aux montants permis, doivent être clairement établies. Il faut une reddition de comptes et de la transparence pour que le Parlement et les Canadiens puissent bien voir que les fonds publics sont gérés prudemment.

C’est pourquoi les dispositions portant sur la création de crédits indiquent clairement que seules les dépenses nécessaires à la tenue d’audiences publiques sont incluses. De plus, ces dépenses seront assujetties à des règlements pris par le gouverneur en conseil. Les règlements prévus comprennent des limites quant aux honoraires que les avocats participant au processus peuvent facturer, et ils prévoient que le juge en cause peut avoir un seul avocat principal.

Le projet de loi exige également que le commissaire à la magistrature fédérale établisse des lignes directrices fixant les dépenses et les honoraires à rembourser et les indemnités à verser qui ne sont pas précisément traitées dans les règlements gouvernementaux. Ces lignes directrices doivent être conformes à celles du Conseil du Trésor concernant des dépenses similaires, et toute différence doit être justifiée.

Je signale que le commissaire à la magistrature fédérale, qui est responsable d’administrer ces coûts, est administrateur général et agent comptable, et doit donc rendre des comptes aux comités parlementaires. On pourra donc lui poser des questions à ce sujet.

Enfin, le projet de loi rend obligatoire tous les cinq ans un examen indépendant de toutes les dépenses payées à même les crédits législatifs. L’examinateur indépendant fera rapport au ministre de la Justice, au commissaire et au président du Conseil canadien de la magistrature. Son rapport évaluera l’efficacité de toutes les politiques applicables aux contrôles financiers et sera rendu public.

L’ensemble de ces mesures relèvera le niveau de responsabilité financière concernant les coûts relatifs à la discipline judiciaire, tout en remplaçant l’approche de financement lourde et improvisée qui est en place. Il s’agit d’un complément nécessaire aux réformes procédurales. L’efficacité procédurale et la responsabilité financière concernant les dépenses publiques sont nécessaires pour assurer la confiance du public.

Lors de l’élaboration des réformes proposées, le gouvernement a accordé une attention particulière aux commentaires de la population, qui ont été recueillis par le biais d’un sondage en ligne, ainsi qu’à ceux d’un certain nombre d’intervenants juridiques clés, dont l’Association du Barreau canadien, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, les provinces et les territoires.

De plus, comme je l’ai mentionné précédemment, le conseil et l’Association canadienne des juges des cours supérieures ont été consultés. L’apport de ces représentants de la magistrature était nécessaire et approprié, car il s’agit d’un processus qui, conformément à la Constitution, doit être dirigé et administré par les juges. En consultant le conseil, le gouvernement a pu bénéficier du point de vue de ceux qui sont directement responsables de l’administration du processus disciplinaire applicable aux juges.

De plus, en consultant l’association, le gouvernement a pu entendre directement les représentants des personnes qui sont assujetties à ce processus.

Dans le communiqué que j’ai mentionné précédemment, le très honorable Richard Wagner, juge en chef du Canada, a déclaré ce qui suit, et je cite :

Au cours des dernières années, le Conseil n’a cessé de réclamer le dépôt d’une nouvelle loi afin d’améliorer le processus d’examen de la conduite des juges. Les efforts des membres du Conseil pour élaborer des propositions à cet égard ont été fructueux et nous apprécions l’ouverture dont le ministre de la Justice a fait preuve dans ses consultations avec le Conseil […] Bien que le Conseil prendra le temps requis pour examiner attentivement les modifications proposées, nous sommes confiants que ces réformes apporteront l’efficacité et la transparence essentielles au processus d’examen de la conduite des juges.

Étant donné que notre objectif est de concevoir un processus qui permette aux juges eux-mêmes de remplir une importante mission publique, j’espère que nos délibérations seront guidées par le respect de leur expérience et de leur sagesse.

Je souligne également que le 9 juin 2021, lorsque j’ai présenté ce projet de loi durant la législature précédente avant qu’il ne meure au Feuilleton, le Conseil canadien de la magistrature a publié de nouveaux principes de déontologie judiciaire révisés et modernisés visant à assurer notamment un meilleur encadrement de la conduite des juges.

En conclusion, j’ai commencé ce discours en indiquant que, en tant que parlementaires, nous avons la responsabilité de bien défendre les institutions dont nous avons hérité, y compris en défendant l’indépendance de la magistrature. Il y a plus de 50 ans, nos prédécesseurs ont eu la prévoyance de mettre en place un processus de discipline judiciaire pour éliminer toute possibilité d’ingérence politique en permettant à la magistrature d’exercer un contrôle réel sur les enquêtes visant ses membres.

Aujourd’hui cette forme de leadership judiciaire est bien établie et respectée. C’est un signe de respect pour l’indépendance de la magistrature garantie par la Constitution, et cela aide le public à avoir confiance dans les institutions du système de justice qui sont là pour le servir. Nous devons maintenant renouveler cet engagement en modernisant le processus de discipline judiciaire, en fournissant aux gardiens du système judiciaire un cadre législatif offrant tous les outils nécessaires pour protéger la confiance du public dans une société moderne en pleine évolution. Ces outils visent notamment à accroître l’efficacité, à assurer la transparence, à rendre des comptes, à apporter de la souplesse et à faire respecter les normes les plus rigoureuses en matière d’équité procédurale. Je ne saurais donc trop vous recommander d’adopter le projet de loi dont vous être saisis. J’attends avec impatience son adoption.

Merci. Meegwetch.

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