Aller au contenu

Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

14 décembre 2021


Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui en réponse au discours du Trône. J’ai l’honneur d’être le premier de mes collègues à le faire, mais je suis certain que je ne serai pas le dernier.

J’aimerais débuter en reconnaissant que nous sommes aujourd’hui réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe. Comme la gouverneure générale l’a mentionné dans l’introduction du discours, qui est, historiquement, de son cru, cette reconnaissance n’est pas une simple déclaration symbolique. En la faisant, je veux signaler un fait important de notre véritable histoire que l’on n’a pas enseigné aux gens de ma génération, à savoir que, dans beaucoup de cas, nos ancêtres se sont approprié les terres de ceux et celles qui étaient là bien avant nous.

J’espère que, comme l’a suggéré la Commission de vérité et réconciliation, alors présidée par l’honorable juge Murray Sinclair, cette omission est en voie d’être corrigée dans toutes les provinces et dans les territoires. En effet, sans une bonne compréhension du passé colonialiste et assimilateur de notre pays, nous ne pouvons bâtir une route viable vers la réconciliation.

Cela dit, j’aimerais aborder l’autre segment du discours : celui rédigé par le gouvernement et intitulé Bâtir une économie résiliente : un avenir plus propre et plus sain pour nos enfants.

En plus de la réconciliation, le gouvernement a indiqué qu’il centrera ses efforts sur notre santé et notre bien-être collectifs alors que nous subissons les nombreuses répercussions de la pandémie et que nous devons rebâtir une économie qui profite à tous. Il a également annoncé que le logement et les services de garde d’enfants font partie de ses priorités. Comme la plupart d’entre vous, je suis d’accord avec ces plans.

Par ailleurs, le gouvernement est déterminé à agir contre les changements climatiques mondiaux. En effet, comme il a été souligné dans le discours du Trône, notre planète est en danger, et certaines régions sont davantage touchées, notamment le Nord canadien.

La situation exige que nous transformions en profondeur notre économie et notre mode de vie. Cette transformation devra possiblement prendre appui sur des mesures législatives. Par exemple, le gouvernement n’a toujours pas démontré comment il réussira à plafonner et à réduire drastiquement les émissions de l’industrie pétrolière et gazière. Comme il l’a reconnu dans le discours du Trône, la crise climatique exige que nous agissions de façon vigoureuse pour prévenir et prévoir les inondations, les feux de forêt, les sécheresses, l’érosion des côtes et les autres conditions météorologiques extrêmes exacerbées par les changements climatiques.

Comme bien des Québécois et Québécoises, à l’initiative d’une bonne amie, j’ai récemment découvert les merveilleuses îles de la Madeleine. Malheureusement, cet écosystème est fragile. Le réchauffement des eaux du golfe du Saint-Laurent entraîne la perte de la glace maritime hivernale, et l’augmentation du niveau de la mer augmente l’érosion des îles. J’ai bien hâte d’entendre les propositions concrètes qui seront mises de l’avant par le gouvernement fédéral, en collaboration avec le gouvernement du Québec et les habitants des îles, pour sauver ce trésor du golfe du Saint-Laurent.

Le gouvernement s’est aussi montré prêt à défendre la diversité et l’inclusion grâce à des investissements conçus pour renforcer l’autonomie des personnes noires et autochtones et des autres personnes racisées, sans oublier la lutte contre le contenu préjudiciable en ligne et le renforcement du français au Québec et ailleurs au pays. Le Sénat devrait soutenir ces mesures et les examiner attentivement.

J’ai aussi été heureux de voir que le gouvernement s’attaquera à la violence armée, un problème grandissant dans plusieurs grandes villes du pays, dont Montréal, où j’habite. Le gouvernement s’est engagé à mettre en place le rachat obligatoire des armes à feu de style arme d’assaut, ce qui est une bonne nouvelle. Cela dit, le fait que les membres des gangs de rue — essentiellement des jeunes hommes — puissent facilement se procurer des armes de poing entraîne un nombre croissant de décès et de blessures, y compris parmi les jeunes qui ne sont pas membres des gangs.

Je crois, moi aussi, que la meilleure façon de régler ce problème consiste à investir dans la prévention et à soutenir le travail des policiers. Je salue d’ailleurs le plan de 52 millions de dollars annoncé récemment par le gouvernement du Québec, qui va dans ce sens. Cela dit, il faut aussi adopter d’autres mesures pour restreindre davantage l’accès aux armes, par exemple consacrer plus de ressources pour freiner les importations illégales d’armes de poing au Canada et le recours à des hommes de paille qui servent d’acheteurs au Canada.

Notre réponse collective à la violence armée doit aussi comprendre un renforcement des mesures législatives encadrant les armes de poing, comme l’ont répété divers groupes dont Médecins canadiens pour un meilleur contrôle des armes à feu, Familles de Danforth pour des communautés sécuritaires et PolySeSouvient. Le gouvernement se montre malheureusement plutôt timide sur ce point pour le moment.

Avant les dernières élections générales, le gouvernement a proposé d’adopter une loi qui permettrait aux municipalités canadiennes d’interdire les armes de poing sur leur territoire. Les maires des plus grandes villes du Québec, la Fédération québécoise des municipalités, le maire de Toronto et les maires de plusieurs autres grandes villes canadiennes se sont tous prononcés contre une telle approche semée d’embûches.

Depuis son élection, le gouvernement jongle désormais avec la possibilité de déléguer aux provinces le soin d’interdire les armes de poing sur leur territoire respectif. Cette deuxième approche semble motivée, comme la première, par le désir du gouvernement fédéral de ne pas faire face à ses responsabilités directement, en refilant aux gouvernements provinciaux la décision de prohiber les armes de poing.

Chers collègues, comment peut-on, d’une part, reconnaître que l’une des sources de la prolifération des armes de poing dans les rues de nos grandes villes est l’importation illégale en provenance des États-Unis, malgré des contrôles frontaliers et, d’autre part, favoriser des interdictions provinciales, alors que les gouvernements provinciaux ne contrôlent pas, en général, l’accès à leur province?

Autrement dit, le gouvernement envisage pour le Canada la même approche que celle des États-Unis en matière de contrôle des armes de poing, une solution confuse dont l’inefficacité a été confirmée. Je presse le gouvernement d’assumer ses responsabilités et de promulguer une interdiction efficace des armes à feu partout au Canada.

Enfin, il convient de souligner que le discours est muet à propos de la transformation du Sénat, malgré le fait que nous formons la seule Chambre haute du modèle de Westminster constituée essentiellement de groupes non affiliés à des partis politiques, où l’indépendance des individus est le principe central à la sélection et à la nomination des sénateurs. Cette réforme exige des modifications à la Loi sur le Parlement du Canada qui vont au-delà de l’ajout de postes de direction rémunérés. Pour cela, il faudra peut-être attendre des initiatives plus audacieuses de la part du gouvernement.

La réforme du Sénat exige également des modifications à notre Règlement, un domaine où nous avons toute l’autorité nécessaire pour assurer une transparence, une égalité et une indépendance accrues. Dans cette tâche, le Comité du Règlement ne devrait pas hésiter à prendre le temps d’étudier les 12 rapports du Comité sur la modernisation, qui est maintenant dissous, de même que les idées soulevées par les sénateurs au cours de la 43e législature et les rapports d’autres législatures où la Chambre haute était constituée de plus de deux groupes reconnus.

Au Sénat français, où 348 sénateurs sont élus indirectement, il y a huit groupes reconnus. À la Chambre des lords, où il y a actuellement 783 pairs à vie et héréditaires, il y a six groupes d’au moins 25 membres, dont 192 crossbenchers, des pairs indépendants qui ne sont affiliés à aucun parti politique. Fait intéressant, comme le Sénat du Canada, ces deux institutions cherchent des façons de contribuer plus efficacement au gouvernement démocratique de leur pays.

En apportant des changements progressifs, nous pouvons réformer le Sénat pour mieux complémenter la Chambre des communes et améliorer plus efficacement les lois du pays en devenant de plus en plus indépendants des partis politiques. Grâce à ces réformes internes, les sénateurs peuvent maintenant choisir entre quatre groupes reconnus ou décider de ne pas s’affilier ou de créer un nouveau groupe. Les sénateurs ont une plus grande mobilité, comme ils l’ont montré à maintes occasions depuis 2019, notamment avec la création du Groupe des sénateurs canadiens et la renaissance du Groupe progressiste du Sénat, qui s’inspire en grande partie du groupe des crossbenchers de la Chambre des lords du Royaume-Uni. De plus, nous avons élu notre Présidente intérimaire par scrutin secret au lieu d’attribuer ce poste au terme d’une négociation, comme nous le faisions auparavant.

La prochaine étape logique du processus de modernisation devrait être de faire élire le président et le vice-président de la plupart des comités par scrutin secret, d’une façon qui pourrait permettre de répartir ces postes entre les différents groupes. Avec la démocratisation accrue de ce processus, l’attribution de ces postes reflétera davantage la confiance accordée par les autres sénateurs. Par exemple, nous pourrions nous inspirer de la Chambre des lords, où certains présidents de comité sont élus par l’ensemble de la Chambre. Comme l’indique le rapport de 2009 du comité de la réforme de la Chambre des communes du Royaume-Uni, il est temps de réduire l’influence des leaders et de démocratiser le processus de nomination aux comités et de gouvernance de la Chambre.

À la Chambre des communes, des changements ont été apportés aux règles au fil des ans pour élargir la capacité des députés à débattre des projets de loi d’initiative parlementaire et à les adopter. L’influence des chefs de parti a été réduite au profit des votes libres. De plus, on a ajouté une nouvelle section à la Loi sur le Parlement du Canada en 2015. La loi instituant des réformes, présentée par le député Michael Chong, accordait aux membres d’un caucus reconnu à la Chambre des communes le pouvoir de rappeler leur leader et leur président de caucus pour le remplacer au moyen d’un scrutin secret, ainsi que le pouvoir d’expulser un député du caucus ou de l’y réadmettre au moyen d’un scrutin secret. À l’époque, le premier ministre Harper a appuyé ces changements. Comme M. Chong l’a indiqué à ce moment-là, la loi instituant des réformes représentait « une occasion qui ne se présente qu’une fois par génération permettant aux députés de récupérer leur influence au caucus et, par extension, au Parlement ».

À n’en pas douter, chers collègues, ces changements reflètent le souhait des Canadiens et des citoyens d’autres pays démocratiques à l’égard d’un nouveau style de gouvernance — qui ressemble moins à une pyramide — par lequel les députés d’arrière-ban ont des droits. Bien sûr, les partis politiques cherchent toujours à gagner des sièges et à former le gouvernement, ce qui demande une structure bien organisée et une grande discipline.

En revanche, les sénateurs siègent au sein d’une enceinte dont les membres ont un mandat les menant jusqu’à 75 ans et où l’influence partisane directe se limite à un seul groupe. Avec un tel cadre, nous ne devrions pas hésiter à favoriser une indépendance maximale pour chacun de nous afin de nous acquitter de nos fonctions constitutionnelles en tant que Chambre de second examen objectif.

En conclusion, chers collègues, nous avons devant nous un défi intéressant, celui de redéfinir cette Chambre en 2022.

Dans cette poursuite excitante, j’espère que nous serons tous guidés par l’objectif d’un Sénat plus indépendant, mais aussi conscient de son rôle complémentaire à celui de la Chambre des communes. Nous ne sommes pas ici pour usurper le rôle clé de la Chambre des élus, mais pour donner une valeur ajoutée aux travaux parlementaires à titre de Chambre de second regard objectif.

Je vous souhaite de joyeuses fêtes de fin d’année, et j’ai hâte de travailler avec vous l’an prochain sur ces réformes.

Merci. Meegwetch.

Haut de page