Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l'identification des criminels et apportant des modifications connexes à d'autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures)
Deuxième lecture--Ajournement du débat
1 mars 2022
Propose que le projet de loi S-4, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures), soit lu pour la deuxième fois.
— Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour amorcer la deuxième lecture du projet de loi S-4 dont le titre n’est pas des plus brefs, je cite : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l’identification des criminels et apportant des modifications connexes à d’autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures).
Comme son long nom l’indique, ce projet de loi est associé à la pandémie en ce qu’elle a fait réaliser à plusieurs intervenants du système de justice qu’il fallait moderniser certaines des pratiques en matière criminelle afin de ne pas exposer indûment les intervenants et autres personnes au virus et, en même temps, améliorer l’efficacité du système de justice criminelle en prenant avantage de moyens techniques disponibles. Comme on le dit souvent, la nécessité est la mère de toutes les inventions.
Ce projet de loi est, en pratique, identique au projet de loi C-23 qui avait été introduit à la Chambre des communes le 24 février 2021, par l’honorable David Lametti, alors et toujours ministre de la Justice et procureur général du Canada. Ce projet de loi n’a cependant pas progressé à l’autre endroit avant la dissolution du Parlement, l’été dernier, pour la tenue de la dernière élection générale.
Le contenu du projet de loi C-23 résulte de discussions intensives entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Depuis le début de la pandémie, je comprends que le ministre de la Justice et procureur général du Canada a rencontré à diverses reprises ses homologues provinciaux et territoriaux pour discuter des répercussions de la pandémie sur le système de justice et qu’il a bien pris note de leurs suggestions pour la possibilité d’une réforme législative.
De la même façon, le projet de loi C-23 a été façonné par les travaux du Comité d’action sur l’administration des tribunaux en réponse à la COVID-19, coprésidé par le très honorable Richard Wagner, juge en chef de la Cour suprême du Canada, et par le ministre de la Justice.
La pandémie a constitué un défi pour tous les tribunaux canadiens. S’il est adopté, ce projet de loi apportera des certitudes et des éclaircissements aux tribunaux et aux plaideurs, en plus de standardiser des procédures modernisées partout au pays.
Le gouvernement a donc raison de réintroduire ce projet de loi qui accordera plus de flexibilité dans l’administration de la justice criminelle et qui libérera du temps juge pour entendre plus d’affaires au fond et ainsi contribuer au respect des délais énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Jordan.
Cette fois-ci, le gouvernement reprend son initiative par l’entremise du Sénat pour plusieurs motifs. D’abord, le projet de loi ne contient aucune disposition de nature financière. Deuxièmement, le projet de loi est le reflet d’un large consensus parmi les intervenants de la justice qui y voient des modifications susceptibles d’améliorer et de simplifier l’administration de la justice criminelle. Troisièmement, le dépôt au Sénat permet de maximiser la capacité du système parlementaire d’étudier des projets de loi émanant du gouvernement.
Nous agirons donc, à l’égard de ce projet de loi du gouvernement, non pas comme une Chambre de second examen objectif, mais comme une Chambre d’initiative ayant la possibilité d’apporter des modifications sans requérir l’assentiment de la Chambre des communes par l’envoi d’un message.
Cela requerra tout autant une étude soignée des 37 pages décrivant les amendements proposés que des 27 pages de notes explicatives, notamment au Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, qui sera la tribune la plus appropriée pour l’étude en détail de ces modifications et où, je l’espère, le projet de loi sera étudié rapidement.
Pour l’instant, permettez-moi de vous en présenter les principales dispositions et d’expliquer leurs effets.
Premièrement, le projet de loi vise à clarifier et à élargir le régime actuel de comparution à distance, qui permet expressément aux accusés de comparaître par vidéoconférence ou audioconférence.
Chers collègues, vous vous rappellerez peut-être que, dans le projet de loi C-75, que nous avons adopté en 2019, nous avions ajouté six nouvelles dispositions dans la partie XXII.01, intitulée Présence à distance de certaines personnes.
Le principe général énoncé à l’article 715.21 est le suivant : « [...] quiconque comparaît ou participe à une procédure, ou la préside, le fait en personne. » On permet d’avoir recours à « [l’]audioconférence ou [...] [à la] vidéoconférence, conformément aux règles de cour [...] » dans certaines circonstances et une fois que certaines conditions sont respectées. Tout le monde n’a pas accès à ce service.
Le projet de loi C-75 a ajouté des dispositions que l’on retrouve dans d’autres parties du Code criminel pour faciliter l’administration de la justice, notamment la possibilité pour le procureur ou l’avocat représentant l’accusé de comparaître à distance à l’étape de la procédure criminelle où l’on invite l’accusé à indiquer s’il plaide coupable ou non coupable. Ces dispositions et leur portée ont fait l’objet d’interprétations variées.
Le projet de loi clarifiera la possibilité pour les accusés de comparaître par vidéoconférence lors des enquêtes préliminaires et des procès pour les infractions punissables par procédure sommaire et pour les actes criminels, y compris lorsque les témoignages sont entendus, sauf lorsque la preuve est présentée devant un jury. Autrement dit, les procès devant jury devront se dérouler en personne.
Il est toutefois important de mentionner que ces procès et ces enquêtes préliminaires n’auront lieu que sur consentement. L’accusé doit accepter de procéder de cette façon, et le tribunal doit être d’avis que c’est approprié compte tenu de toutes les circonstances, y compris des facteurs énumérés, comme le caractère approprié du lieu à partir duquel la personne comparaîtra et le droit à un procès public et équitable.
Le projet de loi permettra également à un accusé de comparaître par audioconférence s’il souhaite plaider coupable ou s’il reçoit une peine, mais seulement si la vidéoconférence n’est pas offerte, à condition que l’accusé donne son consentement et que le tribunal soit convaincu que même s’ils ne peuvent pas voir l’accusé, le juge et les avocats pourront évaluer les conditions permettant de déterminer l’acceptation d’un plaidoyer de culpabilité.
Le projet de loi prévoit d’importantes mesures de protection pour les personnes accusées qui comparaissent à distance, que ce soit par audioconférence ou vidéoconférence, quelle que soit l’étape du processus pénal. Par exemple, si une personne accusée qui comparaît à distance est représentée par un avocat, cette personne doit avoir l’occasion de parler avec son avocat en privé.
De plus, si une personne accusée qui comparaît à distance n’est pas représentée par un avocat, le tribunal doit s’assurer qu’elle peut comprendre les procédures et que toute décision qu’elle prend est volontaire.
Deuxièmement, le projet de loi augmenterait aussi le recours à la technologie dans le processus de constitution d’un jury, notamment en permettant aux candidats-jurés de participer par vidéoconférence, vu que le processus de sélection requiert souvent la présence de nombreuses personnes au tribunal ou dans un autre lieu.
Le projet de loi S-4 permettra la participation à distance par vidéoconférence des candidats-jurés pour le processus de constitution d’un jury, mais seulement dans certaines circonstances, avec le consentement des parties et à la discrétion du tribunal. Cela offrira aux tribunaux davantage de latitude afin que le processus de sélection du jury se déroule dans des endroits moins bondés.
Dans certaines provinces, il arrive que l’on convoque de 100 à 500 personnes au processus de sélection d’un jury. Cela fait beaucoup de personnes qui attendent dans des corridors et de grandes salles, en particulier pendant une pandémie.
Ce projet de loi offrira aux tribunaux davantage de latitude afin que le processus de sélection d’un jury se déroule de façon plus sécuritaire. Il permettra de faire en sorte que le manque d’accès à la technologie ne nuise pas à la capacité d’une personne à participer au processus, et qu’il restera possible de comparaître en personne là où la technologie n’est pas disponible.
Le projet de loi S-4 permettra un recours accru à la technologie pour piger le nom de candidats-jurés pendant le processus de constitution du jury. Comme vous le savez peut-être, la liste de candidats-jurés comprend au moins 100 noms, et une personne doit piger un nom à la fois, à la main. Ce processus prend un certain temps et exige de la manipulation. Le projet de loi permet donc d’avoir recours à des moyens technologiques pour piger le nom de candidats-jurés en vue de constituer le jury. C’est comme un bingo électronique.
En ce moment, cette partie du processus de constitution du jury est faite manuellement. Le projet de loi fera en sorte qu’on utilise des moyens électroniques ou automatisés pour piger des cartes au hasard. Ce changement devrait accroître l’efficience des procès avec jury au Canada. Signalons que la Colombie-Britannique a mis cette méthode à l’essai pendant la pandémie : on a utilisé un outil électronique pour choisir au hasard les 10 premiers jurés qui seraient appelés à venir dans la salle, pour éviter que les gens se rassemblent et discutent.
Troisièmement, le projet de loi viendra élargir et moderniser le régime actuel de télémandats, afin qu’il soit possible de demander une grande variété de mandats de perquisition, d’autorisation et d’ordonnances par des moyens de télécommunication, au lieu qu’un agent de liaison de la police se rende au bureau d’un juge. Pour être plus précis, l’agent se rend en fait dans le couloir près du bureau du juge. Les documents sont ensuite présentés au juge, qui les signe ou non, puis les renvoie.
Dans le cadre de la procédure actuelle de télémandat, la police peut demander un nombre restreint de mandats de perquisition et d’autorisations judiciaires pour enquêter exclusivement sur des actes criminels lorsqu’il est impossible de se présenter en personne devant le juge désigné à cet effet. Il existe également une procédure parallèle permettant d’obtenir des mandats d’écoute électronique dans des cas très limités.
Au plus fort de la pandémie, la réduction des activités des tribunaux ayant lieu en personne a compliqué la tâche des responsables de l’application de la loi pour obtenir certains mandats de perquisition et autres autorisations judiciaires qui ne peuvent être demandés par voie électronique.
Le projet de loi propose d’élargir la procédure de télémandat à un plus grand nombre de mandats de perquisition et autres autorisations judiciaires prévues dans le Code criminel, comme les mandats de localisation et les ordonnances de communication. Les modifications élargiront aussi la possibilité de recourir à la procédure de télémandat en la rendant accessible à l’égard de tout type d’infraction, et non plus seulement les actes criminels.
Il s’agit d’un changement de procédure qui, à mon avis, améliorera la situation, mais empêchera malheureusement un juge d’avoir, de temps à autre, un bref échange avec un agent de police.
Cela n’aura pas d’incidence sur le seuil légal pour l’obtention d’un mandat. Celui-ci restera le même. Le juge à qui l’autorisation est demandée devra s’assurer que les critères juridiques sont respectés.
Le projet de loi simplifiera le régime actuel de télémandats de plusieurs façons. Premièrement, il permettra de présenter des demandes par des moyens de télécommunication comme le courrier électronique sans qu’il soit nécessaire de démontrer qu’il est impossible pour les agents de se présenter en personne devant un juge. Ces modifications permettront une utilisation plus efficace du temps des services de police et des ressources des tribunaux, tout en respectant les consignes de distanciation sociale, le cas échéant.
Le projet de loi maintiendra les dispositions qui permettent à la police de présenter des demandes verbales au besoin, mais uniquement dans les cas où le juge est convaincu qu’il s’avère pratiquement impossible pour l’agent de présenter sa demande par écrit en utilisant un moyen de télécommunication. Cela pourrait s’appliquer en cas de demandes très urgentes.
En outre, le projet de loi supprime les limitations concernant les personnes qui peuvent accéder au processus de télémandat et celles qui peuvent émettre des télémandats. Le nouveau processus sera accessible à toute entité chargée de l’application de la loi — et pas seulement à un agent de la paix —, qui pourra demander une telle autorisation et à tout niveau de tribunal apte à émettre une telle autorisation, une telle ordonnance ou un tel mandat.
Quatrièmement, le projet de loi propose d’assouplir quelque peu le processus de prise d’empreintes digitales, notamment en ce qui concerne le moment où elle peut être effectuée si elle n’a pas été faite à la première occasion.
Au cours de la pandémie, les policiers ont été confrontés à des situations où l’obtention des empreintes digitales de personnes accusées d’avoir commis une infraction criminelle dans des délais raisonnables posait quelques difficultés, voire des risques pour la santé des personnes concernées. Parfois, un inculpé peut refuser de se rendre au poste de police pour ne pas être exposé à d’autres personnes ou simplement au danger d’être trop près des policiers qui prennent les empreintes digitales.
La nécessité de recueillir les empreintes digitales au moment de l’arrestation a parfois fait courir des risques inutiles aux responsables de l’application de la loi et aux accusés. Pendant la pandémie, les exigences en matière de distanciation physique ont perturbé la capacité de la police à obtenir des empreintes digitales, ce qui a entraîné d’importants défis opérationnels. Il est difficile de tenir le pouce d’une autre personne tout en restant à un mètre de distance.
Le projet de loi S-4 permettrait de prendre les empreintes digitales des personnes accusées à l’étape de la mise en liberté sous caution ou à des étapes ultérieures du processus de justice pénale lorsqu’il n’a pas été possible de le faire précédemment en raison de circonstances exceptionnelles, comme les risques posés par la COVID-19. Mais je tiens à être clair : ce projet de loi ne changerait pas les règles qui déterminent qui pourrait être soumis à des procédures d’identification telles que la prise d’empreintes digitales. Il permettrait simplement de prendre les empreintes digitales à une date ultérieure sans que le service de police perde la capacité de recueillir les empreintes digitales.
Cinquièmement, le projet de loi contient une série d’amendements habilitant les tribunaux à gérer plus efficacement certaines questions, notamment administratives.
À l’heure actuelle, le Code criminel autorise les tribunaux à adopter des règles de gestion d’instance lorsque les accusés sont représentés par avocat. Par contre, lorsque l’accusé n’est pas représenté par avocat, toutes ces questions administratives couvertes par des règles de la cour doivent être traitées en salle d’audience devant un juge, comme on le fait d’ailleurs pour les accusés qui sont représentés par un avocat. On pourrait, dans certains cas, voir ces questions traitées par un officier de la cour. C’est malheureusement un temps judiciaire qui n’est pas utilisé à bon escient.
Dans ce projet de loi, il est proposé d’élargir la capacité des tribunaux à établir de telles règles pour que les accusés non représentés puissent s’en prévaloir et que ces règles se voient appliquées, ce qui permettrait au personnel du tribunal de s’occuper des questions administratives extrajudiciaires pour ces cas également.
Sixièmement, des modifications permettraient d’harmoniser les règles applicables aux étapes de l’exécution et du rapport sur les biens saisis pour tous les mandats de perquisition, que ceux-ci aient été obtenus par des moyens technologiques ou sollicités en personne.
Sous le régime actuel, une fois que la saisie est pratiquée, un rapport doit être fait. Dépendamment s’il est fait sous le régime habituel ou le régime de télémandats, le rapport est envoyé à des personnes différentes. De plus, le système ne permet pas facilement de retrouver une copie du rapport pour la personne ayant fait l’objet de la saisie. On propose de faire l’uniformisation à ce niveau, ce qui permettrait d’accroître l’accès à l’information sur l’exécution des mandats de perquisition et sur les biens saisis lors d’une perquisition.
Finalement, le projet de loi inclut également des modifications techniques découlant principalement de l’adoption en 2019 du projet de loi C-75, ainsi que des modifications corrélatives à d’autres lois fédérales. Il semblerait que, lorsque nous avons adopté le projet de loi C-75, certaines modifications de numérotation d’articles et de corrélations administratives n’ont pas été faites. Corrigeons la situation.
Je vous invite à lire le projet de loi au moment de la journée où vous vous endormez peu et cela vous aidera. À tous mes collègues du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, je dis ceci : bientôt nous nous réunirons pour examiner les pages de modifications avec l’aide des représentants du ministère de la Justice, qui pourront nous éclairer sur le sens des dispositions.
Entre-temps, c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions ou commentaires. N’hésitez pas à communiquer avec mon bureau si vous avez besoin de plus d’information.