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Le système de soins de longue durée

Interpellation--Suite du débat

1 juin 2021


L’honorable Gwen Boniface [ - ]

Honorables sénateurs, je profite de l’occasion pour remercier la sénatrice Seidman d’avoir lancé cette interpellation et pour remercier tous les sénateurs qui ont déjà participé au débat.

Comme vous le savez, il s’agit d’un enjeu important pour tous les Canadiens. Notre façon de traiter les personnes vulnérables en dit beaucoup sur notre pays. Dans ma province, l’Ontario, nous avons malheureusement été témoins des effets dévastateurs de la pandémie dans les centres de soins de longue durée pendant la première vague. L’intervention des forces armées dans ces centres a mis en évidence les faiblesses des lois, des politiques et des lignes directrices en place, sans oublier le manque de compétences. Dans le rapport de la Société royale du Canada intitulé Rétablir la confiance : la COVID-19 et l’avenir des soins de longue durée, qui a été publié en juillet dernier, on a déterminé les principaux problèmes. De plus, on indique qu’il y a beaucoup plus de décès attribuables à la COVID-19 dans les établissements de soins de longue durée du Canada que dans ceux de pays comme l’Australie, les États-Unis et l’Espagne. La Société royale du Canada explique que de nombreux facteurs contribuent à la complexité des soins requis par les patients, notamment le fait que les aînés canadiens vont vivre dans ces établissements à un âge plus avancé, que l’espérance de vie est à la hausse et que les maladies à traiter, comme la démence, sont plus complexes.

Sénateurs, il y a beaucoup de travail à faire. En effet, d’après Statistique Canada, d’ici 2030, il devrait y avoir plus de 9,5 millions d’aînés au pays, ce qui représenterait 23 % de la population canadienne. Au cours des deux prochaines décennies, le nombre d’aînés au Canada augmentera de 68 %. Le nombre de personnes âgées de plus de 75 ans, lui, doublera.

Je veux attirer votre attention sur la grande question, soit le soutien que nous offrons à tous les aînés ayant besoin uniquement de certains soins. Nous entendons dire depuis longtemps qu’il faudrait permettre aux aînés de rester chez eux le plus longtemps possible, ce qui est louable. Cependant, ce sont souvent des paroles creuses qui s’accompagnent de très peu de mesures concrètes, qu’il s’agisse de politiques, de conseils ou de recherches de la part de tous les ordres de gouvernement.

J’ai écouté des gens me parler de l’angoisse qu’ils ressentent quand ils tentent d’être à la fois les enfants et les fournisseurs de soins de leurs parents. Les fournisseurs de soins non rémunérés sont les héros méconnus de la pandémie.

J’ai une amie qui a pris soin de sa mère pendant 10 ans. Elle a commencé à en prendre soin quand elle a pris sa retraite. Elle m’a parlé de l’importante coordination que nécessitait la venue d’aidants chez elle afin d’obtenir un répit des soins qu’elle prodiguait 24 heures sur 24. Mon amie habite dans une petite ville du Nord de l’Ontario et elle a constaté qu’il était presque impossible d’obtenir du soutien continu, même si son travail non rémunéré permettait d’alléger le fardeau du système de soins pour les aînés et qu’il lui évite énormément de dépenses. Si mon amie n’avait pas prodigué de soins à sa mère, celle-ci aurait été prise en charge par quelqu’un d’autre.

En ce qui me concerne, il y a cinq ans, l’état de mon père de 95 ans s’est détérioré rapidement parce qu’il était atteint de démence. Jusque-là, ma mère et lui vivaient seuls et de façon relativement indépendante. Si mes parents n’avaient pas eu huit enfants, nous n’aurions pas pu garder mon père chez lui jusqu’à sa mort. Coordonner la présence d’aidants et de membres de la famille pour s’assurer que mon père et ma mère reçoivent des soins était un emploi à temps plein.

Les aidants qui n’étaient pas des membres de la famille étaient bons, aimables et pleins de compassion. Toutefois, les fournisseurs de soins appelaient couramment à la dernière minute pour nous aviser que quelqu’un s’était déclaré malade, qu’ils manquaient de personnel et que personne ne pouvait aller chez mes parents. C’est alors ma mère de 88 ans qui devait prendre soin d’un patient atteint de démence.

Les heures de soins auxquelles mes parents étaient admissibles étaient constamment réévaluées, malgré le fait que l’état de santé de mon père n’allait pas s’améliorer. Nous avons eu la chance que mon père décède à la maison et, bien que nous en soyons reconnaissants, nous étions également épuisés et inquiets que le fardeau de vivre avec un patient atteint de démence ne pèse sur ma mère. Les familles et les conjoints d’êtres chers ne devraient pas se retrouver dans cette situation et pourtant, c’est le lot de bien des familles.

À London, en Ontario, on a rapporté il y a quelques mois qu’un monsieur en fauteuil roulant avait été laissé sans aide pendant trois jours avant que le remplaçant arrive à la maison. Je peux vous assurer que ces situations se produisent dans tout le pays.

Je n’en conclus pas que la solution de rechange à la vie dans un établissement de soins de longue durée fonctionne mieux. Ce n’est pas le cas. Dans bien des cas, c’est uniquement par amour pour un parent ou un grand-parent que les gens ont persévéré, mais ce n’est pas plus facile.

Sénateurs, il faut une stratégie nationale globale pour traiter de l’avenir des soins de la population vieillissante. Nous devons écouter les travailleurs de première ligne qui relèvent ces défis chaque jour, et nous devons écouter les familles qui se trouvent entre l’arbre et l’écorce.

Il ne s’agit pas de pointer des doigts accusateurs. Il s’agit de concevoir un avenir à l’intention de près du quart de la population du pays. Que devons-nous faire, en tant que Canadiens? Que pouvons-nous apprendre de tous ces rapports? Comment pouvons-nous collaborer afin d’arriver à des normes nationales, à une formation adéquate et à une rémunération convenable? Qu’en est-il des pratiques exemplaires? Comment peut-on composer avec toute la complexité des soins dans un établissement donné?

Honorables sénateurs, c’est la voie que nous devons suivre. Nous le devons aux personnes les plus vulnérables de la société et à l’avenir de tous les Canadiens. Merci.

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation de la sénatrice Seidman, qui attire l’attention du Sénat sur les faiblesses du système canadien de soins de longue durée qui ont été révélées par la pandémie de COVID-19. Je remercie la sénatrice Seidman d’avoir lancé cette importante interpellation. Je remercie également les sénateurs qui sont intervenus avant moi d’avoir présenté leur analyse de la situation et partagé leur expérience personnelle des soins de longue durée.

Je crois que j’ai eu de la chance. Mes parents ont vécu et reçu des soins pendant quatre ans dans un établissement de soins à but non lucratif situé à Peterborough, en Ontario, et, selon moi, il semble qu’ils ont été très bien traités. Ma mère était atteinte de la maladie d’Alzheimer et je dois dire que le personnel de St. Joseph’s faisait de son mieux avec des patients souffrant de cette maladie des plus difficiles et déchirantes.

Mes deux parents sont décédés en 2018. Avec le recul, je suis satisfaite des choix qu’a faits ma famille. Toutefois, je reconnais que d’autres ont eu une expérience des soins de longue durée tout à fait terrible et différente de la mienne. Je me souviens de la triste histoire racontée par la sénatrice Pate sur les cas de mauvais traitements au foyer de soins où habitait sa mère.

Que notre expérience personnelle soit positive, négative ou mitigée, le fait est qu’il existe des lacunes systémiques et profondes dans le secteur canadien des soins de longue durée. Bien que ma propre expérience n’ait pas révélé les failles du système, celles-ci existaient en 2018 et bien avant.

Selon le journaliste André Picard, depuis la création du programme d’assurance-maladie, plus de 150 groupes de travail, commissions d’enquête et autres commissions ont documenté l’état pitoyable des soins de longue durée dans ce pays. Je cite M. Picard :

On ne peut qu’être étonné en constatant que les mêmes problèmes sont exposés sans cesse et qu’on propose toujours les mêmes solutions.

Comme le titre de l’interpellation de la sénatrice Seidman l’indique, la pandémie de COVID-19 a effectivement révélé les faiblesses du système, et cela a eu des conséquences désastreuses pour le système non pas une fois, mais à deux reprises.

Après la première vague, l’Institut national sur le vieillissement nous a appris que 77 % des décès survenus au pays pendant la pandémie ont eu lieu dans des centres de soins de longue durée et des maisons de retraite; ces endroits comptent pour 80 % des décès au Québec et pour 73 % des décès en Ontario.

Selon un rapport de l’Institut canadien d’information sur la santé publié en mars dernier, la situation ne s’est généralement pas améliorée dans le secteur pendant la deuxième vague. Au Manitoba, une série d’éclosions dans des centres de soins de longue durée — la sénatrice Bovey en parlé dans son discours dans le cadre de cette interpellation — ont causé 480 décès pendant la deuxième vague, contre 3 décès pendant la première vague. En Alberta, la deuxième vague a causé plus de 1 000 décès dans des centres de soins de longue durée, et on a observé la même tendance en Colombie-Britannique.

En Ontario, une récente commission sur les soins de longue durée a permis d’établir que l’inaction du gouvernement avait laissé le virus retourner dans les établissements de soins de longue durée, ce qui a entraîné une deuxième vague beaucoup plus mortelle que la première. Selon le rapport de la commission, les aînés sont morts à un rythme alarmant en Ontario l’hiver dernier. À un de ces établissements, 118 résidants sur 119 ont été déclarés positifs et 34 sont décédés. En Ontario, la deuxième vague a tué un total de 3 758 résidants des établissements de soins de longue durée, ce qui constitue une augmentation par rapport aux quelque 2 000 décès survenus durant la première vague. À l’échelle nationale, le Canada a perdu plus de 15 000 résidants d’établissements de soins de longue durée depuis le début de la pandémie.

Ce printemps, selon l’Institut canadien d’information sur la santé, les décès dans les établissements de soins de longue durée représentaient près de 69 % de l’ensemble des décès au Canada, ce qui constitue le pire bilan des pays riches et ce qui est de 28 % supérieur à la moyenne internationale.

Il est vraiment honteux que, même à la suite des appels à l’action urgente lancés durant la première vague, le secteur des établissements de soins de longue durée était encore si mal préparé. Chers collègues, force est de conclure que sans la distribution rapide des vaccins dans les établissements de soins de longue durée cette année, ce secteur aurait été aussi touché durant la troisième vague.

La pandémie a fait ressortir les problèmes systémiques, sous-jacents et de longue date du secteur des soins de longue durée au Canada. Parmi ces problèmes, on retrouve le sous-financement, la surveillance gouvernementale déficiente, la collecte de données et le partage d’information limités, les décisions prises en fonction des profits, les taux d’occupation excessifs, les infrastructures vieillissantes, ainsi que le personnel sous-payé, n’ayant pas de formation suffisante et épuisé par une surcharge de travail. Ce personnel se compose surtout de femmes, dont plusieurs sont racialisées et néo-Canadiennes.

Pour corriger la situation, il nous faut des normes plus élevées pour les soins fournis aux aînés. Afin d’y arriver, les gouvernements doivent augmenter le financement et réglementer davantage le secteur.

Commençons par les normes plus élevées. Des experts dans le domaine, y compris Pat Armstrong de l’Université York, à Toronto, ont relevé un certain nombre de conditions qui doivent changer dans le secteur des soins de longue durée. Il faut notamment élargir l’accès aux soins de longue durée de qualité à l’ensemble des Canadiens, et non seulement aux plus riches; établir des normes minimales et exécutoires en ce qui concerne le nombre d’employés, ainsi que des politiques sur l’embauche et le maintien en poste; améliorer de façon marquée les conditions de travail dans le secteur; se pencher sur les questions liées à l’environnement physique, y compris l’équipement de protection individuelle, l’enlèvement des déchets, la taille des chambres et la ventilation; améliorer l’éducation et la formation du personnel rémunéré et des bénévoles; et établir des mécanismes de reddition de comptes qui sont solides et exécutoires, en plus de se fonder sur la collecte de données et la transparence.

En ce qui concerne le financement du système, le gouvernement fédéral a pris plusieurs engagements. En septembre dernier, le gouvernement a annoncé une enveloppe de 740 millions de dollars pour les soins de longue durée dans le cadre de l’Accord sur la relance sécuritaire. Il a aussi annoncé le Fonds pour la prévention et le contrôle des infections dans l’énoncé économique de l’automne, qui prévoit le versement de 1 milliard de dollars sur deux ans. La moitié de ces fonds ont été dégagés lorsque le projet de loi C-14 a été adopté le mois dernier. Enfin, dans le budget de 2021, il a annoncé 3 milliards de dollars supplémentaires sur cinq ans.

Plusieurs gouvernements provinciaux se sont aussi engagés à dépenser davantage dans les soins de longue durée, un secteur qui relève bien sûr de leurs compétences. L’Ontario, par exemple, a promis 2,7 milliards de dollars pour l’ajout de lits de soins de longue durée et 2 milliards de dollars annuellement pour embaucher de nouveaux préposés aux bénéficiaires.

Reconnaissons donc qu’un plus grand financement a été proposé et que les Canadiens sont en faveur d’une augmentation des dépenses. En effet, selon un sondage Abacus mené auprès des Canadiens l’année dernière, en mai 2020, soit environ trois mois après le début de la pandémie, 78 % des Canadiens étaient favorables à un financement accru des soins de longue durée.

Cependant, il est aussi essentiel d’établir des normes plus élevées. Les gouvernements doivent améliorer les normes du secteur en réglementant mieux et plus efficacement un secteur qui est déjà hautement réglementé.

Plusieurs experts en soins de longue durée réclament l’établissement de normes nationales, qui seraient mises en œuvre par le gouvernement fédéral, en échange de fonds fédéraux. C’est ce qu’ont demandé plusieurs témoins comparaissant devant le Comité sénatorial permanent des affaires sociales lors de son examen de la réponse fédérale à la pandémie l’année dernière.

Par exemple, le Dr Réjean Hébert, ancien ministre de la Santé du Québec, a expliqué, lors de son témoignage au comité le 10 juin dernier, la nécessité de mesures législatives fédérales qui établiraient de telles normes. Il estime que cela donnerait au gouvernement fédéral une raison légitime d’aider les provinces à mettre en place des services, mais aussi à réagir à des crises comme la COVID. Il a ajouté ceci : « Il ne suffit pas de donner plus d’argent. »

On pourrait instaurer des normes nationales en modifiant la Loi canadienne sur la santé ou en adoptant une loi distincte de structure comparable à la Loi canadienne sur la santé, mais visant précisément les soins de longue durée. Un autre moyen d’instaurer des normes nationales serait l’établissement d’un cadre stratégique par un organisme de réglementation ou un organisme de normalisation en matière de santé auquel seraient rattachés des fonds fédéraux accessibles aux provinces qui satisfont ces objectifs ou qui réalisent des progrès en vue de les atteindre.

Enfin, le gouvernement fédéral pourrait, en fait, écarter complètement l’idée de créer des normes nationales, mais conclure néanmoins des ententes bilatérales avec les provinces en vue d’améliorer les conditions, comme il l’a fait en concluant l’Accord sur la relance sécuritaire l’automne dernier.

Voilà donc toutes les façons dont le gouvernement fédéral pourrait assister les provinces pour redresser le secteur grâce au pouvoir fédéral de dépenser.

Chers collègues, ne vous méprenez pas. Le gouvernement fédéral accorde une grande priorité aux normes nationales dans ses messages à ce sujet jusqu’à présent. On nous a promis des normes nationales dans le discours du Trône de l’an dernier et dans le budget de cette année. La stratégie semble faire intervenir l’Association canadienne de normalisation et l’Organisation de normes en santé, qui, on peut présumer, créeront un ensemble de normes nationales que le gouvernement incitera les provinces à mettre en œuvre en échange de fonds fédéraux. Le budget précise également que le financement sera accordé :

[...] à Santé Canada afin d’aider les provinces et les territoires à faire appliquer les normes relatives aux soins de longue durée et d’apporter des changements permanents.

Dans notre système fédéral, il est particulièrement difficile d’imposer des normes fédérales aux provinces, même en versant des sommes importantes. Comme la ministre des Finances, Mme Freeland, l’a indiqué au Sénat en novembre dernier :

Pour élaborer des normes applicables à l’ensemble du pays, auxquelles adhèrent vraiment tous les niveaux de gouvernement, il faudra de véritables discussions et négociations entre les provinces, les territoires et le gouvernement fédéral.

Quel que soit l’angle sous lequel on examine la situation, qu’il s’agisse de normes nationales, de normes uniformes ou de normes améliorées, il reste beaucoup de travail à faire.

En conclusion, chers collègues, les problèmes du système de soins de longue durée sont bien documentés, et les solutions sont bien comprises. Les Canadiens conviennent qu’il faut dépenser davantage et ils veulent de meilleures normes. Nous avons perdu un trop grand nombre de proches, d’amis, de voisins et de concitoyens à cause de l’inaction. Aux gouvernements fédéral et provinciaux, je dis ceci : mettons la main à la pâte. Merci, meegwetch.

L’honorable Lucie Moncion [ - ]

Sénatrice Dasko, accepteriez-vous de répondre à une question?

Oui. Merci.

La sénatrice Moncion [ - ]

Au cours de vos recherches, avez-vous examiné les partenariats qui existent dans les établissements de soins de longue durée et les maisons de retraite, où des entrepreneurs et des consortiums d’investisseurs sont propriétaires des établissements? Avez-vous fait des recherches à ce sujet dans le cadre de vos travaux?

Sénatrice Moncion, je crois que vous posez une question au sujet des fournisseurs privés dans le système. Je crois que votre question porte sur eux.

Il s’agit d’un vrai problème en Ontario, où 58 % des soins sont fournis par le secteur privé. De nombreux experts estiment que l’une des façons de régler les problèmes du système est d’éliminer progressivement les exploitants privés.

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