Les emplois de la fonction publique fédérale
Interpellation--Ajournement du débat
24 février 2022
Ayant donné préavis le 9 décembre 2021 :
Qu’il attirera l’attention du Sénat sur :
a)L’importance du gouvernement fédéral à titre de plus gros employeur du Canada, puisqu’il compte plus de 230 000 civils à son service;
b)Le fait que, bien que tout le monde comprenne qu’une grande proportion des employés fédéraux travaillent dans la capitale nationale, une tendance s’est développée au cours des dernières années, qui fait en sorte que la répartition des emplois entre Ottawa et les régions est de plus en plus disproportionnée en faveur de la région de la capitale nationale;
c)Le rôle du Sénat dans l’examen et la discussion des possibilités de décentraliser les emplois et les services fédéraux, et à exhorter le gouvernement du Canada à rétablir la répartition historique des emplois, c’est-à-dire un tiers dans la région de la capitale nationale et deux tiers dans le reste du pays, contribuant ainsi à la croissance économique et à la stabilité des régions du Canada.
— Honorables sénateurs, puisque je suis le dernier à prendre la parole selon ce qui est prévu au Feuilleton, j’aimerais saisir cette occasion pour aborder brièvement la décentralisation des ministères fédéraux à l’échelle du Canada parce que je pourrais ne pas avoir la possibilité de le refaire avant un certain nombre de semaines. En fait, le message porte sur l’éventuel redécoupage de la répartition des emplois des ministères fédéraux à l’échelle du pays, comme cela a été fait à l’Île-du-Prince-Édouard, afin que les autres provinces et territoires puissent en tirer des avantages.
Honorables collègues, le gouvernement du Canada est le plus gros employeur au pays. Sans compter le personnel des Forces armées canadiennes et de la GRC, plus de 246 000 Canadiens sont à l’emploi du gouvernement fédéral. De l’Arctique au Pacifique, jusqu’à l’Extrême-Arctique, les fonctionnaires fédéraux sont répartis d’un bout à l’autre du pays pour accomplir les tâches sur lesquelles repose le fonctionnement de notre nation.
Cela dit, la répartition des fonctionnaires fédéraux est considérablement moins étendue à l’échelle du pays qu’elle ne l’a déjà été par le passé. Sans aucune surprise, la plus grande proportion de ces employés se retrouve dans la région d’Ottawa, dont un grand nombre sont à un jet de pierre de la Colline du Parlement. C’est compréhensible. Personne ne se surprendra que la région de la capitale nationale compte un grand nombre de fonctionnaires fédéraux.
Toutefois, les autres régions du Canada réparties dans les diverses provinces accordent aussi une grande valeur à cette main‑d’œuvre bien rémunérée et stable que sont les employés du gouvernement fédéral. Une telle main-d’œuvre peut fournir les assises qui peuvent aider une économie régionale à se développer. D’ailleurs, cela a été le cas pour Ottawa et la région de la capitale nationale.
Malheureusement, les retombées économiques de ces emplois ne se répartissent pas aussi équitablement qu’auparavant. Traditionnellement, le tiers des postes de la fonction publique fédérale se trouvaient dans la région d’Ottawa. Les deux autres tiers étaient distribués dans le reste du Canada. Selon les statistiques, toutefois, cette proportion évolue en faveur de la région de la capitale nationale. L’an dernier, 47 % de ces postes étaient situés dans la région d’Ottawa. Donc, au lieu du tiers, nous en sommes maintenant à près de la moitié.
Cette évolution se fait aux dépens des régions. De 2008 à 2021, l’effectif de la fonction publique fédéral a connu, par exemple, une augmentation nette de plus de 46 000 employés. Or, plus de 30 000 de ces postes, soit presque les deux tiers, se trouvent dans la région de la capitale nationale.
Il en découle deux problèmes pour la population des régions du Canada. Le premier, c’est que les retombées économiques des effectifs fédéraux sont concentrées, comme les postes eux-mêmes, dans une seule région du pays. Toutes les régions du Canada devraient profiter de cette prospérité et d’emplois régionaux, surtout les jeunes qui commencent leur carrière.
Le meilleur exemple des résultats bénéfiques de la décentralisation des emplois gouvernementaux a été la relocalisation, en 1976, de l’administration centrale d’Anciens Combattants Canada à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard. Cette décision prise il y a des décennies a vraiment été un coup de chance pour cette province. Anciens Combattants Canada est le seul ministère fédéral dont l’administration centrale n’est pas située dans la région d’Ottawa. Cette décision prise il y a longtemps de déplacer Anciens combattants Canada dans une autre province a eu des effets profonds et durables, tant sur les plans social qu’économique, pour l’Île-du-Prince-Édouard. Le ministère y emploie actuellement quelque 1 600 personnes, ce qui représente une masse salariale annuelle de 122 millions de dollars. Ces employés achètent des véhicules, des maisons et divers biens et services de la vie courante. N’eût été cette décision prise il y a 45 ans, ce sont donc 122 millions de dollars qui ne circuleraient pas chaque année dans l’économie de l’Île-du-Prince-Édouard.
Évidemment, une économie saine ne repose pas uniquement sur les emplois du gouvernement fédéral. Un véritable développement économique passe obligatoirement par une économie équilibrée qui respecte et accueille le rôle d’un secteur privé robuste, lequel investit le temps et l’argent nécessaires pour créer les emplois qui permettront de garder les Canadiens chez eux, occupés à y bâtir leur avenir.
Cela dit, le gouvernement a un rôle important à jouer dans le maintien d’une économie équilibrée. Des centaines de milliers d’emplois fédéraux et le pouvoir d’achat qu’ils représentent font du gouvernement un acheteur important dans l’économie canadienne. La répartition géographique de ces emplois au Canada a une incidence majeure sur les économies régionales. Il nous incombe, par conséquent, à nous et au gouvernement de veiller à ce que cette distribution soit juste.
Chers collègues, en plus de sa contribution à l’économie de l’Île‑du-Prince-Édouard, la présence d’Anciens Combattants Canada a apporté énormément sur le plan social. Anciens Combattants Canada a enrichi la société prince-édouardienne, qui compte, grâce au ministère, des fonctionnaires professionnels hautement qualifiés qui contribuent pendant leurs journées de travail aux affaires publiques, et pendant leurs soirées et leurs fins de semaine, à la vie sociale de l’Île. Une des nombreuses retombées positives de la relocalisation d’Anciens Combattants Canada à Charlottetown est l’augmentation remarquable de la popularité du français comme langue d’usage. L’Île-du-Prince-Édouard a toujours compté une communauté acadienne dynamique, mais la présence d’Anciens Combattants Canada a accru le rôle de la langue française.
Selon Statistique Canada, les Prince-Édouardiens constituent la troisième population la plus bilingue anglais-français, après celles du Québec et du Nouveau-Brunswick. La force de la communauté acadienne a indubitablement joué un rôle dans le niveau de bilinguisme, mais le facteur le plus important dans la croissance de la langue française à l’Île-du-Prince-Édouard dans les 40 dernières années est la présence d’Anciens Combattants Canada.
On ne peut pas parler de décentralisation sans parler des deux dernières années. La pandémie a eu une incidence sur chaque aspect de notre vie, et elle a profondément transformé la façon de travailler de nombreux Canadiens. À titre d’exemple, l’une des principales entreprises du pays, Shopify, qui avait un bureau près d’ici, sur la rue Elgin, a changé son mode de fonctionnement pour que ses employés soient le plus possible en télétravail. La technologie facilite ce changement. Il y a cinq ans, le gouvernement du Canada a lui-même indiqué, dans la réponse à une question écrite, qu’avec les messages vidéo et les courriels, on disposait de plusieurs façons de maintenir des communications instantanées et à distance entre les bureaux. C’était bien avant qu’on entende parler de Zoom et de MS Teams. Chers collègues, tout cela est faisable.
Il faut se demander pourquoi le ministère des Pêches et des Océans, qui compte quelque 1500 employés, a des centaines d’employés dans une tour de la rue Kent, au centre-ville d’Ottawa, plutôt qu’au centre-ville de Sydney au Cap-Breton, par exemple. Pourquoi le ministère fédéral de l’Agriculture est-il établi à Ottawa plutôt qu’en Saskatchewan? Pourquoi le ministère de l’Environnement est-il à Gatineau plutôt qu’à Terre-Neuve-et-Labrador? Étant donné l’augmentation du commerce avec l’Asie, pourquoi les bureaux d’Exportation et développement Canada se trouvent-ils sur la rue O’Connor plutôt qu’en Colombie-Britannique?
Chers collègues, la réinstallation est logique, non seulement comme outil de développement économique, mais aussi parce qu’elle tient compte des enjeux d’une géographie aussi diverse que notre nation. Les Canadiens souhaitent une répartition équitable des postes dans la fonction publique fédérale. Selon la propre logique du gouvernement, il n’y a aucune raison pour qu’un aussi grand nombre de postes se trouvent dans la région de la capitale nationale, à Ottawa. Certaines fonctions peuvent très bien être accomplies dans une autre région du pays.
Une pression soutenue exercée sur le gouvernement, en particulier de la part du Sénat, compte tenu de nos responsabilités à l’endroit des régions, peut favoriser l’atteinte de ce résultat et une répartition des avantages de l’emploi dans la fonction publique dans l’ensemble du Canada. Si nous décentralisons les ministères et les emplois au gouvernement, toutes les régions du Canada pourront bénéficier des mêmes avantages dont profitent les Prince-Édouardiens depuis 40 ans. Je vous remercie, honorables sénateurs.