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Projet de loi sur la diffusion continue en ligne

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Suite du débat

27 septembre 2022


Honorables sénateurs, le projet de loi sur la diffusion continue en ligne dont le Sénat est actuellement saisi nous procure une belle et rare occasion d’examiner la Loi sur la radiodiffusion dans son ensemble pour voir quelles améliorations pourraient y être apportées. À cette fin, j’ai trois préoccupations majeures que nous pourrions régler en faisant l’examen de cette loi.

Ma première préoccupation concerne l’exigence de la Loi sur la radiodiffusion selon laquelle CBC/Radio-Canada devrait « refléter la globalité canadienne et rendre compte de la diversité régionale du pays, tant au plan national qu’au niveau régional, tout en répondant aux besoins particuliers des régions ».

Honorables sénateurs, vous m’avez déjà entendu parler des actions de CBC/Radio-Canada dans les premiers jours de la pandémie de COVID, alors qu’elle n’a pas su répondre aux besoins des régions. Le 18 mars 2020, qui correspond comme vous vous en souvenez à une période d’incertitude et d’inquiétude, le radiodiffuseur a annoncé la suspension des bulletins de nouvelles locales du soir.

J’ai déjà décrit la situation à l’Île-du-Prince-Édouard qui a fait que cette décision était particulièrement déplorable : l’absence de toute autre source de nouvelles télévisées locales, puisque l’émission Compass de CBC est le seul bulletin de nouvelles télévisé produit dans la province; le fait que le service Internet sur l’Île-du-Prince-Édouard est l’un des plus lent et des plus sporadique au pays et la grande proportion de la population s’identifiant comme étant des aînés. Toutefois, un problème de plus vaste portée se pose. Le public a le droit de s’attendre à ce que le radiodiffuseur public le garde informé en tout temps, surtout en situation d’urgence, comme c’était le cas lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée.

Honorables sénateurs, en période de crise, le réseau de télévision de la CBC/Radio-Canada a abandonné les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard, conséquence directe d’une décision prise au siège social de la société, à Toronto. Soyons clairs. Les réseaux de diffusion radio et télé locaux de la CBC/Radio-Canada forment un service essentiel à l’Île-du-Prince-Édouard qu’il faut continuer de soutenir et de financer adéquatement si l’on veut qu’ils s’acquittent de cette fonction cruciale.

Malgré cela, une fois la décision de CBC/Radio-Canada prise de mettre fin au téléjournal local, il n’existait aucun mécanisme pouvant l’obliger à faire marche arrière. La société est revenue sur sa décision en raison de l’indignation du public, mais aucun mécanisme gouvernemental ou réglementaire n’aurait pu l’empêcher de procéder aux coupes en premier lieu ou l’obliger à rétablir le téléjournal même si le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC — l’organisme qui réglemente CBC/Radio-Canada —, a admis qu’en abolissant les émissions locales sans l’approbation préalable du CRTC, le diffuseur contrevenait à son contrat de licence, au titre duquel CBC/Radio-Canada devait diffuser « au moins sept heures de programmation locale par semaine », la seule exception étant les événements sportifs spéciaux ou les jours fériés. Par ailleurs, le CRTC a noté que « la SRC ne peut réduire la quantité de programmation locale à moins de sept heures sans l’approbation du Conseil à la suite d’un processus public. »

Rien de tout cela ne s’est produit : pas de processus public, pas d’approbation.

Les dispositions actuelles de la Loi sur la radiodiffusion donnent très peu de pouvoirs au CRTC lorsqu’il s’agit de l’application de ses ententes et de ses règlements à l’égard de CBC/Radio-Canada. Par exemple, selon le paragraphe 25(1), si le CRTC en vient à la conclusion que CBC/Radio-Canada a contrevenu à son accord de licence, son recours est limité :

[...] le Conseil remet au ministre un rapport exposant les circonstances du manquement reproché, ses conclusions ainsi que, le cas échéant, ses observations ou recommandations à ce sujet.

Par ailleurs, le paragraphe 24(2) de la Loi sur la radiodiffusion précise que le CRTC ne peut suspendre ou révoquer la licence de radiodiffusion de CBC/Radio-Canada « sauf avec son consentement ou à sa demande ».

Pensez-y un instant. Une sanction ne peut être imposée qu’avec le consentement, ou mieux encore, à la demande de CBC/Radio‑Canada. Cela remet en question toute la notion de mise en application. Si le CRTC doit agir comme un véritable organisme de réglementation de CBC/Radio-Canada, l’accord de licence doit avoir un peu plus de mordant.

La partie 3 de la Loi sur la radiodiffusion traite de l’établissement et des activités de CBC/Radio-Canada, notamment de ses finances et de ses revenus. Cela se rapporte au deuxième point que je souhaite soulever, à savoir l’utilisation par CBC/Radio-Canada de contenu dit de marque ou commandité. **En termes simples, il s’agit de publicités qui se donnent l’apparence de nouvelles. Il y a quelques années, j’ai remarqué un exemple de ce phénomène dans la presse écrite lorsque je travaillais sur le dossier de l’évasion fiscale à l’étranger. En février et mars 2017, plusieurs articles très positifs ont été publiés dans des journaux et en ligne à la grandeur du pays, coiffés de titres comme « Des programmes fédéraux s’attaquent à l’évitement fiscal et à l’évasion fiscale » ou « Comment le Canada réprime l’évasion fiscale à l’étranger et l’évitement fiscal abusif ». L’Agence du revenu du Canada, l’ARC, n’avait probablement jamais reçu d’aussi beaux éloges.

Il s’est toutefois avéré que l’ARC n’avait pas seulement reçu ces éloges, mais qu’elle les avait elle-même produits et payés. En effet, l’ARC a reconnu avoir déboursé près de 300 000 $ pour placer ces soi-disant articles dans six journaux imprimés et numériques. Ce contenu commandité ne venait pas de journalistes : il venait plutôt de rédacteurs embauchés par une entreprise payée par l’ARC pour créer des récits qui montreraient l’agence sous un jour favorable.

Incapable d’obtenir une couverture médiatique positive dans les médias en raison de son incompétence notoire dans la lutte contre l’évasion fiscale à l’étranger, l’agence a décidé de s’en payer une et de la faire passer pour des nouvelles légitimes. Voilà le problème inhérent au contenu commandité. C’est pourquoi je m’oppose à ce que CBC/Radio-Canada, par l’entremise de son service de marketing Tandem, intègre ce type de contenu dans sa plateforme d’information numérique. Cette initiative s’est révélée controversée, alors que plus de 500 employés actuels et anciens exhortent le diffuseur à maintenir ce qu’il décrivait autrefois comme la séparation absolue entre la publicité et le contenu éditorial, semblable à celle entre l’Église et l’État.

Si un diffuseur et un journal privés veulent mener leurs affaires de cette façon, c’est leur décision. Toutefois, CBC/Radio-Canada est une entité différente, avec un mandat qui ne se limite pas au simple bilan financier. Elle devrait agir en conséquence.

Le troisième sujet de préoccupation porte sur le personnel de CBC/Radio-Canada. L’article 44 de la Loi sur la radiodiffusion accorde à CBC/Radio-Canada le droit d’employer le personnel qu’elle estime nécessaire à la poursuite de ses activités et de fixer les taux de rémunération à l’appréciation du conseil d’administration. Je n’ai rien à redire à tout cela, mais je m’inquiète au sujet de la transparence. En tant que diffuseur public financé en grande partie par les contribuables, CBC/Radio-Canada a une plus grande obligation que les diffuseurs privés de divulguer publiquement la façon dont elle dépense cet argent.

Le diffuseur pourrait s’améliorer sur le plan des salaires versés aux cadres et au personnel en ondes. CBC/Radio-Canada fournit certains renseignements sur les salaires qu’elle verse, mais très peu et seulement en des termes très généraux. La meilleure façon de le montrer est peut-être de comparer la société d’État à son homologue britannique, la British Broadcasting Corporation, soit la BBC. Depuis 2017 — j’y reviendrai dans un instant —, la BBC a publié les noms et les salaires de ses présentateurs en onde qui sont les mieux payés, y compris les lecteurs de nouvelles. À l’heure actuelle, la BBC fournit le nom de l’employé, l’émission à laquelle il participe et les salaires individuels, à 5 000 £ près, c’est-à-dire environ 7 000 $.

En comparaison, CBC/Radio-Canada publie rarement le salaire moyen de tous les employés dans une fourchette de 50 000 $. Par exemple, alors que nous savons que Nick Robinson de la BBC touche entre 295 000 et 300 000 £ pour animer l’émission Today, on nous dit seulement que cinq employés de CBC/Radio-Canada gagnent entre 250 000 et 300 000 $, et que le salaire moyen se chiffre à 342 000 $, sans préciser leur nom, l’émission et, fait plus important, leur sexe. Ce dernier point est crucial.

Comme vous vous en souviendrez, j’ai dit que la BBC n’a établi cette politique qu’en 2017, et c’est vraiment à contrecœur qu’elle l’a fait. Sa principale objection était la suivante : si d’autres diffuseurs savaient le salaire qu’elle versait à ses vedettes, ils les attireraient avec de meilleures offres. La BBC évolue dans un marché concurrentiel et, à l’époque, elle a dit que cette façon de faire ne l’aiderait pas à retenir le talent que le public adore. C’était la décision de son directeur général en 2016.

Cependant, ce que la publication des renseignements sur les salaires au Royaume-Uni a permis de découvrir n’était pas tellement un écart entre la BBC et les diffuseurs privés, mais plutôt un écart marqué entre la rémunération des hommes et des femmes à la BBC. Quelqu’un veut-il essayer de deviner quel groupe gagnait plus d’argent? La BBC a pris des mesures pour corriger cette situation dans les années qui ont suivi. Une personnalité en ondes a immédiatement été convoquée au bureau et elle a reçu une hausse salariale importante juste avant que l’information soit rendue publique. Après 12 ans à l’antenne, elle a découvert que son coanimateur avait un salaire presque deux fois plus élevé que le sien. Je ne dis pas que le même écart existe à CBC/Radio-Canada, mais sans connaître les faits, comment en être sûr?

Pour ces raisons, et parce que les préoccupations que j’ai soulevées ne sont pas prises en compte dans la mesure législative dont nous sommes saisis, je proposerai des amendements au projet de loi qui permettront d’atteindre les objectifs suivants.

Premièrement, je propose que le CRTC impose une pénalité de 2 millions de dollars par jour si CBC/Radio-Canada met fin à un bulletin d’information télévisé local sans respecter les conditions de sa licence de radiodiffusion, laquelle exige, entre autres, que le diffuseur tienne des audiences publiques et demande l’approbation du CRTC. Le montant de cette pénalité serait payé à des bibliothèques locales de la région où on a retiré le bulletin d’information.

Deuxièmement, je propose que CBC/Radio-Canada ne soit pas autorisée à faire concurrence à des entreprises de presse privées en diffusant du contenu commandité ou du contenu de marque présenté comme du contenu journalistique, et ce, sur n’importe laquelle de ses plateformes.

Troisièmement, je propose que le nom et la rémunération totale — y compris le salaire — de tous les employés de CBC/Radio-Canada dont la rémunération dépasse celle d’un sénateur canadien soient rendus publics. Après tout, comme on le fait déjà pour la rémunération des sénateurs, qui sont payés par les contribuables, par souci de transparence, il faudrait en faire autant pour ces employés de CBC/Radio-Canada.

Honorables collègues, avec les amendements que je propose, je crois que le diffuseur national se montrera plus ouvert, réceptif et responsable, ce qui serait dans l’intérêt de tous les Canadiens. Merci.

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