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Projet de loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois

Deuxième lecture--Ajournement du débat

19 septembre 2023


Propose que le projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, soit lu pour la deuxième fois.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de parrain du projet de loi C-42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions.

Les Canadiens attendaient ce projet de loi important pour lutter contre le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale à l’étranger. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir l’occasion de le parrainer.

S’il est adopté par le Parlement, le projet de loi créera un registre public et consultable de propriété effective. J’accueille favorablement cette mesure législative et je ne suis pas le seul.

James Cohen de Transparency International Canada a dit :

Le budget de 2023 contenait un discours agressif au sujet de la lutte contre le blanchiment d’argent. Nous constatons heureusement qu’il est étayé par des propositions de plus en plus audacieuses qui doivent maintenant être mises en œuvre et financées. Il semble que le Canada soit enfin sur la bonne voie.

Un porte-parole de l’organisme Canadiens pour une fiscalité équitable estime que le projet de loi est une première étape importante et a déclaré :

Chaque année, l’évasion fiscale et le blanchiment d’argent coûtent des milliards de dollars au public. Un registre accessible au public améliorera considérablement l’observation et l’application des règles fiscales à tous les ordres de gouvernement.

Le gouvernement a proposé ce projet de loi parce que le manque de transparence concernant la propriété des entreprises entrave la capacité du Canada à lutter contre les crimes financiers graves tels que la fraude, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale. Il limite également la capacité de notre pays à appliquer des sanctions nationales et internationales au moyen du repérage et du gel efficaces des actifs financiers. Enfin, il affecte la confiance des Canadiens et des investisseurs étrangers dans notre marché et ébranle la conviction que notre régime fiscal traite tout le monde de la même manière.

L’incapacité du Canada à identifier rapidement et discrètement le propriétaire bénéficiaire d’une société, c’est-à-dire la personne physique qui contrôle la société ou l’entreprise, retarde l’application de la justice et des lois dans notre pays.

Les sénateurs seront peut-être intéressés d’apprendre que, selon le CANAFE, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, environ 70 % de tous les cas de blanchiment d’argent au Canada impliquent l’utilisation abusive de personnes morales, à la fois pour acheminer des produits de la criminalité étrangers vers ou par le Canada et pour blanchir des produits de la criminalité générés au pays. Cela correspond à l’une des conclusions du rapport final de la commission d’enquête Cullen sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique.

Malheureusement, les cartels de la drogue et les criminels étrangers utilisent depuis longtemps des entreprises pour dissimuler la propriété et le contrôle. Un registre public de la propriété effective viendrait compléter les outils dont disposent déjà les forces de l’ordre. Ce type de registre et la transparence qu’il favorise ont un effet dissuasif sur les criminels, qu’ils soient étrangers ou nationaux.

Dans le cadre de mon travail sur l’évasion fiscale à l’étranger, j’ai toujours été impressionné par l’expérience australienne, dont j’ai déjà parlé au Sénat. Après avoir lancé le projet Wickenby, une vaste initiative gouvernementale visant à lutter contre l’évasion fiscale à l’étranger et à récupérer les sommes dues au peuple australien, les autorités ont découvert que, une fois que des personnes avaient été inculpées, puis envoyées en prison, les transferts internationaux d’argent vers des paradis fiscaux connus avaient diminué considérablement. L’inculpation, la condamnation et l’emprisonnement des fraudeurs fiscaux et des blanchisseurs d’argent australiens ont réfréné leur désir de mener de telles activités.

À cette fin, le projet de loi prévoit des peines parmi les plus sévères au monde en cas de non-respect délibéré : des amendes pouvant atteindre 100 000 $ pour les sociétés et 1 million de dollars pour les administrateurs et les dirigeants, et jusqu’à cinq ans d’emprisonnement pour ceux qui fournissent sciemment des informations fausses ou trompeuses, ou qui permettent que celles-ci soient déposées.

Chers collègues, la nécessité de ce type de registre a maintenant été bien établie, notamment grâce à une consultation publique menée par le gouvernement du Canada et le Groupe d’action financière, l’organisme du G20 qui établit les normes internationales en la matière.

D’ailleurs, c’est le même groupe d’action qui, dans un rapport publié en 2016, a soulevé d’importantes préoccupations quant à l’état de la transparence en matière de propriété effective au Canada.

Ces dernières années, Transparency International, l’organisme mondial, et non la section canadienne, a accordé au Canada des notes de plus en plus mauvaises dans son indice annuel de perception de la corruption internationale, en grande partie à cause des délais dans le renforcement de la transparence en matière de propriété effective. Naturellement, ce même organisme est grandement encouragé par les mesures proposées dans le projet de loi dont nous sommes saisis. Une telle reconnaissance témoigne du leadership du ministre Champagne dans ce dossier. Grâce au projet de loi, ces mesures longtemps reportées dont le Canada a grandement besoin sont enfin arrivées.

Les registres de propriété effective n’ont rien de nouveau et existent au Royaume-Uni et dans un nombre croissant de pays depuis 2016. Ils se sont révélés être un outil utile pour aider les forces de l’ordre, les journalistes et la société civile à détecter et à décourager la mauvaise utilisation des entreprises à des fins d’activités financières illicites. Un registre de propriété effective sera également utile pour les autorités fiscales canadiennes et étrangères. Elles pourront utiliser ces informations pour dépister et combattre l’évasion fiscale et l’évitement fiscal abusif. Les Panama Papers et d’autres fuites à grande échelle ont révélé que les criminels cherchent des pays où il y a peu de transparence en matière de propriété effective et tentent ensuite de dissimuler leur propriété personnelle et leurs revenus. Plus la chaîne des entités impliquées entre le revenu et les véritables propriétaires est longue, plus il est difficile d’établir la vérité.

On ne devrait pas sous-estimer le poids de l’évasion fiscale et de l’évitement fiscal dans l’économie canadienne. En 2019, le département d’État américain a par exemple déclaré que le Canada est un pays où il se fait beaucoup de blanchiment d’argent. Selon le volume 2 du rapport International Narcotics Control Strategy Report, que le département d’État américain a publié en mars 2022, il se blanchirait de 50 à 120 milliards de dollars canadiens par année au Canada. Cela équivaut à environ 5 % de notre PIB, honorables sénateurs. Pensons-y un instant : le blanchiment d’argent représente 5 % de notre PIB. C’est aussi ce que dit le Service canadien de renseignements criminels dans son rapport de 2020. À partir d’une estimation de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, le service conclut que le blanchiment d’argent représente une somme de 45 à 113 milliards de dollars canadiens, soit de 2 % à 5 % du PIB du Canada.

Honorables sénateurs, il s’agit d’un problème important que ce projet de loi contribuera à régler. La publication de renseignements sur la propriété effective favorisera la saine gestion et les liens de confiance. En vérifiant la propriété de leurs éventuels fournisseurs et clients, toutes les entreprises pourront vérifier avec qui elles font affaire et se protéger ainsi contre les filous.

Honorables sénateurs, j’aimerais maintenant parler de quelques autres aspects du projet de loi qui témoignent selon moi de toute la réflexion qui sous-tend la création d’un régime efficace. Le comité sénatorial effectuera bien sûr sa propre étude approfondie du projet de loi, mais voici quelques points saillants.

Le projet de loi C-42 est le fruit de vastes consultations. En 2020, puis en 2022, des fonctionnaires d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada et du ministère des Finances ont mené des consultations publiques sur les options possibles et ont rencontré les intervenants clés, y compris des membres des forces de l’ordre, des entrepreneurs, ainsi que des représentants d’organismes axés sur la promotion de la transparence, d’associations professionnelles et du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada.

Le texte du projet de loi C-42 tient soigneusement compte des points de vue de tous les intervenants, mais aussi des leçons tirées des registres déjà en place dans d’autres pays, tels que le Royaume‑Uni, l’Union européenne et les États-Unis. Ici, au Canada, le gouvernement fédéral, sous la direction du ministre Champagne, joue un rôle de premier plan et travaille en étroite collaboration avec les provinces et les territoires, étant donné que l’enregistrement des sociétés est une responsabilité conjointe.

S’il est adopté, ce projet de loi fédéral s’appliquera à environ 15 % des sociétés au Canada, mais avec la coopération des provinces et des territoires, cette proportion passera à 100 %. Chers collègues, le gouvernement provincial du Québec a ouvert la voie avec son projet de loi no 78, adopté en juin 2021, faisant du Québec la première province canadienne à établir un registre de la propriété effective accessible au public. Le gouvernement de la Colombie‑Britannique a rapidement suivi son exemple. Je souhaite féliciter ces gouvernements de leurs leaderships et exhorter d’autres gouvernements provinciaux à leur emboîter le pas.

Il y a un autre aspect de ce projet de loi que je souhaite souligner. Il concerne la protection de la vie privée des Canadiens. Dès son entrée en vigueur, le projet de loi C-42 exigera des sociétés qu’elles recueillent davantage de renseignements sur leurs propriétaires bénéficiaires, notamment leur nom, leur citoyenneté, leur date de naissance et leur adresse, et qu’elles transmettent ces renseignements, ainsi que d’autres données figurant dans leur registre des personnes qui exercent un contrôle important, à Corporations Canada. Elles seront tenues de le faire tous les ans et dans les 15 jours suivant toute modification apportée à leur registre. Ces nouveaux renseignements sont nécessaires pour permettre aux forces de l’ordre d’identifier efficacement les propriétaires bénéficiaires et d’aligner leurs pratiques avec celles de leurs partenaires internationaux.

En même temps, seule une partie des renseignements recueillis par Corporations Canada sera mise à la disposition du public, notamment le nom, l’adresse aux fins de signification si elle a été fournie à la société, ou l’adresse résidentielle si aucune adresse aux fins de signification n’a été fournie à la société, la date à laquelle la personne a commencé ou cessé d’exercer un contrôle important, ainsi qu’une description de la nature de ce contrôle.

La mesure législative proposée ne vise à recueillir et à divulguer que les renseignements qui sont à la fois nécessaires et pertinents pour permettre au registre d’atteindre ses objectifs. Les renseignements personnels les plus délicats seront uniquement mis à la disposition des forces de l’ordre et d’autres entités autorisées. Cela vise justement à protéger la vie privée, et un énoncé concernant la Charte émis par le ministère de la Justice du Canada indique que le projet de loi C-42 est entièrement conforme à la Charte canadienne des droits et des libertés.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-42 prévoit également un régime d’exemption à deux volets pour protéger certaines personnes à risque et renforcer la conformité du projet de loi avec la Charte. Le premier volet consiste en une exception automatique à la disposition de publication pour les personnes âgées de moins de 18 ans. Le deuxième volet consiste en une exemption sur demande si le directeur de Corporations Canada est convaincu que le particulier ayant présenté la demande a prouvé que la publication compromettrait sa sécurité. Il est important de mentionner que dans tous ces cas, les forces de l’ordre auront toujours accès à ces renseignements et que le site Web de Corporations Canada devra rendre publiques ses décisions d’accorder une exemption. En même temps, le principal ensemble de renseignements rendus publics sera fort utile aux actionnaires, aux créanciers et aux autres partenaires d’affaires des entreprises, tels que les entités déclarantes, les forces de l’ordre étrangères et les autorités fiscales, de même qu’aux organismes non gouvernementaux, aux journalistes et aux membres du public.

Honorables collègues, un autre groupe d’éléments du projet de loi C-42 digne de mention est la mesure mise en place pour décourager les transgressions. L’efficacité du registre dépendra fortement des données qu’il contient. Le projet de loi C-42 jette les fondements d’un programme complet et progressif de conformité — qui comprend les mesures administratives et les sanctions pénales que j’ai décrites plus tôt — en vue de décourager les mauvais comportements et d’encourager toutes les entreprises à se conformer.

Sur le plan administratif, les sociétés qui ne fournissent pas leurs renseignements sur la propriété effective à Corporations Canada pourraient ne pas obtenir de certificat de conformité, un document souvent requis pour appuyer une demande de prêt ou pour conclure un contrat avec un fournisseur ou un acheteur éventuel. Si une société demeure en situation de non-conformité, elle pourrait être dissoute. Autrement dit, elle cesserait d’exister sur le plan juridique.

Honorables sénateurs, j’aimerais aussi souligner un autre élément clé permettant aux particuliers, aux employés et aux journalistes de signaler des activités suspectes directement au directeur de Corporations Canada. Je songe à la disposition de protection des dénonciateurs. Par exemple, le directeur de Corporations Canada ne sera pas autorisé à divulguer au public les renseignements fournis par un dénonciateur. En effet, le projet de loi modifie l’annexe II de la Loi sur l’accès à l’information afin de prévenir la divulgation de renseignements qui pourraient permettre d’identifier des particuliers.

Ensemble, ces mesures devraient permettre d’améliorer l’exactitude et l’intégrité des renseignements contenus dans le registre et décourager les fausses déclarations intentionnelles, ainsi que les renseignements faux ou trompeurs.

Chers collègues, j’ai beaucoup parlé des efforts déployés afin d’accroître la transparence et de tenir les criminels responsables de leurs actes, mais cela ne devrait pas nous faire perdre de vue le fait que la grande majorité des entreprises canadiennes respectent les lois et qu’elles sont essentielles au bien-être de notre pays. Le projet de loi C-42 en tient compte et s’efforce d’atténuer le coût administratif de ces nouvelles obligations. Plus précisément, le projet de loi C-42 permettra d’utiliser des formulaires de demande en ligne seulement et harmonisera les délais de déclarations aux exigences préexistantes en matière de déclaration pour les entreprises, notamment en ce qui concerne les rapports annuels et les changements d’administrateurs. Des mesures additionnelles seront prises, dont l’intégration progressive des sociétés en fonction de leur date de création initiale, ainsi que d’importants efforts en matière d’éducation et de communication.

Chers collègues, j’aimerais maintenant parler de l’interopérabilité du registre. Cette caractéristique préoccupe grandement les parties intéressées et constituera un élément important du succès d’une approche fédérale à l’égard de la transparence des entreprises. L’interopérabilité a plusieurs facettes, mais l’idée générale consiste à harmoniser le registre fédéral avec les registres nationaux et internationaux afin d’inciter les provinces à participer à un registre pancanadien.

Honorables sénateurs, le gouvernement s’est engagé publiquement à adopter la Beneficial Ownership Data Standard — la norme relative aux données sur la propriété effective —, une norme ouverte reconnue internationalement qui offre une manière uniforme d’utiliser, de recueillir, d’échanger et de mettre en place des renseignements sur la propriété effective et le contrôle des entreprises. En adhérant à cette norme, le Canada fera en sorte que son registre repose sur le même langage technique que les registres de la propriété effective du monde entier, de même que nos autorités provinciales et fédérales, et puisse communiquer avec eux.

Les ministres des Finances provinciaux et territoriaux ont accepté, en principe, d’apporter des modifications législatives aux lois en vigueur sur les sociétés afin d’exiger que ces dernières tiennent des renseignements à jour sur la propriété effective. Ce projet de loi est la deuxième étape.

Les efforts visant à harmoniser les registres des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur la propriété effective sont en cours. Le 5 juin dernier, le ministre Champagne et la vice-première ministre Freeland ont envoyé une lettre commune à leurs homologues provinciaux et territoriaux pour leur demander d’unir leurs efforts à ceux du gouvernement fédéral afin de créer un registre de la propriété effective pancanadien. De plus, ils cherchaient expressément à comprendre quels étaient les besoins de chacun et ce dont ils avaient besoin pour faciliter leur participation à un système national.

Honorables sénateurs, le manque de transparence en matière de propriété effective nuit au Canada dans la lutte contre les crimes financiers graves comme la fraude, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale à l’étranger. Cela limite également sa capacité à faire appliquer des sanctions nationales et internationales ainsi qu’à retracer et à geler efficacement des actifs financiers. Le manque de transparence en matière de propriété effective a une incidence sur la confiance des Canadiens et des investisseurs étrangers dans le marché canadien. Bref, il faut que le Canada perde sa réputation de pays idéal où blanchir de l’argent. La stabilité du gouvernement et du système bancaire du Canada en a fait une plaque tournante internationale pour les criminels et pour l’argent étranger provenant des cartels de la drogue, des dictateurs corrompus et de la pègre.

Le registre que propose le projet de loi C-42 représenterait une avancée importante vers cet objectif. Il serait fort utile aux forces de l’ordre et soutiendrait l’établissement et le renforcement de la confiance envers le marché canadien.

Enfin, chers collègues, le Canada agit. Pour toutes ces raisons, j’espère que, comme moi, vous appuierez le projet de loi. Je vous remercie, honorables sénateurs.

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