Projet de loi instituant la Journée canadienne de l'alimentation
Troisième lecture--Suite du débat
12 mai 2022
Honorables sénateurs, je suis reconnaissante de me joindre à vous aujourd’hui depuis le territoire traditionnel de la Première Nation de Kwanlin Dün du Conseil des Ta’an Kwäch’än, où je vis et je travaille.
Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-227, Loi instituant la Journée canadienne de l’alimentation.
Ce projet de loi vise à faire du samedi de la longue fin de semaine d’août la Journée canadienne de l’alimentation. À l’instar d’autres intervenants, j’ai hâte d’échanger et de célébrer les aliments produits, récoltés, préparés et partagés localement au Canada.
Un repas canadien peut comprendre des fruits de mer, comme du homard du Nouveau-Brunswick ou de la Nouvelle-Écosse, de la morue pêchée par un amateur de Terre-Neuve-et-Labrador, des crevettes et des moules du Nunavut, et du saumon des côtes atlantique et pacifique.
Si les fruits de mer riches en omégas ne sont pas dans vos goûts, rien ne saurait surpasser le bœuf de l’Alberta ou le caribou chassé par les Gwitchi’ns au Yukon et dans les Territoires du Nord-Ouest.
Évidemment, l’assiette principale doit comprendre des pommes de terre de l’Île-du-Prince-Édouard, accompagnées d’autres légumes : asperges, choux de Bruxelles et pois du Manitoba; salade de tomates et de verdures fraîches de l’Ontario; concombres de l’Alberta; et carottes du Yukon. Chaque repas devrait s’accompagner de pain boulangé à partir de blé de la Saskatchewan ainsi que d’une tranche de fromage du Québec et, pourquoi pas, d’un peu de beurre d’une ferme laitière de la Colombie-Britannique ou de l’Ontario.
La préparation du dessert commence par du sucre de betterave, jadis cultivé et transformé au Manitoba, mais provenant peut-être maintenant de l’Alberta. S’ajoutent ensuite la farine moulue au Yukon et des œufs du Yukon. S’il s’agit d’un dessert aux petits fruits, il contiendra peut-être des canneberges de la vallée du Fraser, en Colombie-Britannique, des amélanches de Saskatchewan, des bleuets de la Nouvelle-Écosse et des camerises du Yukon. Ou peut-être préféreriez-vous une pomme, que ce soit une Honeycrisp de la Nouvelle-Écosse, une McIntosh de l’Ontario, ou une pomme glacée de sirop d’érable du Québec?
Comme beaucoup en conviendront, il est préférable de consommer des mets raffinés accompagnés d’une boisson de choix, comme un verre de vin canadien du Niagara ou de la Colombie-Britannique, ou encore une bière brassée localement. Si l’on en croit l’édition du printemps du guide local du Yukon News, Whitehorse, qui compte cinq brasseries, est l’entité administrative qui a le plus grand nombre de brasseries par habitant. Si vous préférez un whisky single malt après le dîner, la Yukon Brewing a remporté le prix du meilleur single malt canadien de l’année lors des World Whiskies Awards.
Il ne s’agit là que d’un petit échantillon non exhaustif d’un menu véritablement canadien. Effectivement, il est possible d’aller d’un océan à l’autre en dégustant des plats canadiens.
Ce projet de loi vise à souligner l’importance des denrées et de l’agriculture canadiennes, et à rendre hommage à ceux qui cultivent et mettent sur le marché ces produits exceptionnels qui garnissent nos tables en vue de reconnaître les aliments canadiens cultivés et récoltés de façon traditionnelle, ou en milieu agricole.
Je tiens à remercier le sénateur Black de ses efforts constants visant à rendre hommage aux agriculteurs canadiens et à reconnaître tout ce que l’agriculture représente pour notre pays. Nous ne sommes pas autorisés à utiliser des accessoires dans la Chambre pour faire valoir notre point de vue ou pour exprimer nos remerciements, mais je tiens à vous dire que j’ai un petit cadeau pour le sénateur Black dans mon bureau à Ottawa.
Comme les honorables sénateurs l’auront constaté pendant que je décrivais le repas, j’ai mentionné des carottes et des camerises cultivées au Yukon, des œufs du Yukon et de la farine moulue au Yukon. Dans mon bureau, il y a un sac de farine du Hinterland Flour Mill, au Yukon, qui porte votre nom, sénateur Black. Je vous remercie de défendre inlassablement les intérêts de l’industrie agricole du Canada.
Je remercie également le sénateur Quinn de son récent cadeau de main-de-mer palmée.
Permettez-moi d’approfondir vos connaissances sur l’agriculture au Yukon. Il y a presque trois ans, la ferme Sunnyside, située à Ibex Valley, près de Whitehorse, a décidé de se transformer en ferme laitière commerciale ouverte toute l’année. Le ministre de l’Agriculture du Yukon a récemment décrit l’établissement d’une ferme laitière dans le territoire comme une aventure épique, car les propriétaires se sont procuré des vaches jersiaises au Manitoba, en Alberta et en Colombie-Britannique et leur matériel agricole en Ontario, en Roumanie, aux Pays-Bas et en Ukraine. La ferme Sunnyside a maintenant reçu une licence pour vendre du lait entier produit commercialement et localement et on peut en acheter à l’épicerie près de chez moi à Whitehorse.
La ferme laitière est nouvelle, mais l’agriculture au Yukon ne l’est pas.
Honorables sénateurs, en 1997, grâce en partie aux efforts de la Coalition anti-pauvreté du Yukon, la société sans but lucratif Downtown Urban Gardeners Society a vu le jour. L’année dernière, le jardin communautaire de Whitehorse a fait don de près de 1 000 livres de légumes cultivés localement à la Golden Age Society, un organisme dédié aux personnes âgées.
La Downtown Urban Gardeners Society et la ferme laitière ont été fondées du vivant de mes enfants. J’ai grandi au Yukon, à une époque où la majorité de nos aliments arrivait en camion d’Edmonton. Malgré des initiatives comme Sunnyside Farms, Little Red Hen Eggs, Ibex Valley et la Downtown Urban Gardeners Society, dès qu’il y a un problème sur la route de l’Alaska, les gens se précipitent dans les épiceries pour faire des provisions de lait. Les problèmes de chaînes d’approvisionnement n’ont rien de nouveau dans le Nord.
Grâce aux longues heures d’ensoleillement l’été, il existe des photos et des histoires de culture de légumes à Dawson City depuis les premiers jours d’une présence gouvernementale au Yukon.
Dans un article en ligne de L’Encyclopédie canadienne intitulé « Stations de recherche en agriculture », l’auteur Stephen Morgan Jones rapporte ceci :
Deux stations expérimentales ouvrent dans le Territoire du Yukon, au Mile 1019 de l’autoroute de l’Alaska (1945), et dans les Territoires du Nord-Ouest à Fort Simpson (1947).
Il s’agissait de fermes expérimentales.
Honorables sénateurs, je vais vous raconter l’histoire d’un des agriculteurs qui ont exploité une ferme expérimentale au Yukon. En janvier 1965, le goût de l’aventure a conduit James Roderick Myles Tait, mieux connu sous le nom de Rod, ainsi que sa famille au Yukon, où il est devenu contremaître à la ferme expérimentale de Pine Creek, cinq kilomètres à l’ouest de Haines Junction.
Je reviens à l’article de Stephen Morgan Jones dont j’ai parlé il y a un instant. Voici ce qu’il a écrit sur les stations du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest :
Ces stations fermeront en raison du manque de potentiel agricole dans les régions qu’elles desservent.
Ce n’était pas la première fois qu’Ottawa prenait une décision qui ne plaisait pas aux Yukonnais.
Comme on l’a dit lors de l’hommage qui a été rendu à Rod Tait au moment de son décès, en 2007 :
Malheureusement, les décideurs à Ottawa ne partageaient pas la passion de Rod pour l’agriculture et sa confiance inébranlable que ce secteur pouvait être développé et engendrer des recettes au nord du 60e parallèle. Après six années consacrées à la ferme, le financement a été réduit. Rod s’est retrouvé seul avec un fidèle collaborateur pour poursuivre les activités qui étaient exécutées par 30 employés auparavant, un nombre qui faisait la fierté de Rod.
D’autres compressions budgétaires ont forcé Rod à se trouver un emploi temporaire à Parcs Canada, et, plus tard, à occuper un emploi à temps plein au poste de pesée d’Haines Junction. Parallèlement, Rod doublait ses efforts sous le soleil de minuit pour exploiter sa ferme, qui était sa vraie vocation.
Rod a réalisé son rêve d’élever des bovins dans sa région en rachetant le troupeau de l’ancienne ferme expérimentale. Il a ensuite loué une terre et obtenu un permis de potager pour une superficie de six acres. Son bœuf, son avoine, son foin et ses légumes avaient la réputation d’être les meilleurs dans toute la région.
Il a laissé un patrimoine de plus de 200 acres de terres notariées, une superficie encore plus grande de terres défrichées et une réputation de cultivateur des pommes de terre les plus savoureuses et exotiques dans tout le Nord. Son expertise a été officiellement reconnue par les autorités de son territoire, qui lui ont décerné le titre d’Agriculteur de l’année du Yukon pour l’année 2000.
La zone où Rod a exploité sa ferme et où il a vécu avec sa famille est située au pied du parc national Kluane, au Yukon.
Que l’on doive ou non les pommes de terre Yukon Gold à Rod Tait, je continuerai de dire que c’est en partie grâce à lui, et à des agriculteurs comme lui partout au pays, que l’agriculture yukonnaise est un succès.
Me permettez-vous de suggérer, chers collègues, que la meilleure preuve de respect envers les agriculteurs, c’est de respecter leurs produits et de les préparer avec soin? Je suis ravie de vous dire que les épiceries du Yukon affichent maintenant leur fierté de vendre des produits locaux avec des affiches « Yukon-grown food products proudly sold here ». Je peux donc acheter, parmi ces produits locaux, des pommes de terre, des œufs, des choux, des betteraves, des carottes, des concombres et des tomates, sans oublier les croustilles de chou frisé et les mélanges d’épices mis à l’honneur récemment dans les suggestions de cadeaux de Noël du Globe and Mail.
Pendant la pandémie, la cuisine de la compagnie aérienne du Yukon, Air North, a fait preuve de résilience : elle a offert du bison, des pâtés chinois et d’autres plats prêts à manger et prêts à congeler. Ces repas et d’autres plats maison cuisinés par Home Sweet Home, qui utilise des produits du Yukon, sont aussi vendus dans le magasin.
Le marché agricole est une autre source de réjouissances. J’en profite pour signaler que le tout premier marché agricole du Yukon aura lieu ce soir au centre-ville de Whitehorse, sur les rives du fleuve Yukon.
Honorables sénateurs, le projet de loi nous invite à célébrer tous les agriculteurs canadiens, et à acheter et à consommer leurs produits toute l’année et en particulier le samedi de la longue fin de semaine d’août.
Au sénateur Black et à ceux qui ont appuyé ce projet de loi, j’affirme que c’est là que le bât blesse. Le Yukon ne célèbre pas le long week-end d’août comme vous le faites. Notre long week-end d’août est le troisième lundi d’août, la date la plus proche du jour de la Découverte, date à laquelle on a découvert de l’or au Klondike. Les pommes de terre Yukon Gold sont peut-être l’or que nous mangeons, mais changer le jour de la Découverte se heurterait au même genre de difficultés que celles rencontrées par le premier ministre Chrétien lorsqu’il a voulu renommer le mont Logan, le plus haut sommet du Canada, qui est situé dans le parc national Kluane. Ce n’est pas une proposition gagnante dans le territoire.
Cela dit, il n’est pas facile de choisir une date qui convient à l’ensemble du Canada et de faire en sorte que toutes les régions du pays s’entendent sur une date. Célébrer les agriculteurs canadiens et les aliments canadiens est une proposition gagnante, et j’appuie de tout cœur l’intention du projet de loi.
En tout respect, Sénateur Black, peut-être que l’autre endroit fera un amendement au projet de loi pour désigner le premier samedi d’août la Journée canadienne de l’alimentation, plutôt que de faire référence à un long week-end qui n’est célébré que dans une partie du pays.
Cependant, j’ai hâte de voir l’autre endroit appuyer ce projet de loi et nous le retourner. Je suis heureuse de l’occasion de discuter du Yukon avec vous tous à nouveau. Merci de cette chance de discuter de l’importance de l’agriculture ainsi que de l’accessibilité et de la qualité des sources d’aliments durables au Yukon et partout au Canada. J’ai aimé tout particulièrement vous parler de l’histoire de l’agriculture au Yukon et exprimer mon soutien au projet de loi S-227, malgré une petite réserve.
Mahsi’cho, gùnáłchîsh, merci, chers collègues.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté.)