Projet de loi sur les langues autochtones
Deuxième lecture--Ajournement du débat
16 mai 2019
Propose que le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, soit lu pour la deuxième fois.
— Je prends la parole aujourd’hui en tant que parrain du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
Cette année, en 2019, le monde entier célèbre l’Année internationale des langues autochtones, car, étant donné que le monde compte 370 millions d’Autochtones répartis dans les communautés autochtones de 90 pays et pratiquant plus de 5 000 cultures différentes, 2 680 langues autochtones sont menacées.
Selon les données du recensement canadien, en 2016, 1 673 785 personnes s’identifiaient comme Autochtones au Canada, mais seulement 263 845 d’entre elles, soit seulement 15,8 p. 100, disaient connaître une langue autochtone suffisamment bien pour la parler.
Les langues sont importantes pour tout le monde au quotidien. C’est un aspect important de notre identité. Celui qui a été le plus longtemps commissaire aux services en français m’a dit que, parmi tous les Canadiens qu’il a côtoyés, les jeunes Autochtones sont les seuls à se dire locuteurs d’une langue qu’ils ne parlent pas. À la Commission de vérité et réconciliation, il nous a raconté qu’il entendait souvent de jeunes Autochtones dire qu’ils voulaient parler « leur » langue, c’est-à-dire celle de leurs ancêtres autochtones. En revanche, il entendait rarement la même chose d’un jeune anglophone qui voulait apprendre le français et vice-versa. Il a constaté que, malgré des années d’efforts pour changer les perceptions, les francophones et les anglophones considèrent encore que la langue de l’autre communauté n’est pas la leur, même s’ils sont tous Canadiens.
Cela soulève un point important pour nous tous.
Honorables sénateurs, si on vous avait enlevé un enfant ou un petit-enfant, qu’on l’avait élevé dans une autre langue et une autre culture, qu’on lui avait interdit de s’exprimer dans votre langue et qu’on l’avait même puni s’il le faisait, vous comprendriez leur désir et leur besoin profond de réapprendre leur langue maternelle, la langue de leurs parents, de leurs grands-parents et de leur communauté. La langue, c’est ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Fondamentalement, c’est une question d’identité.
Comme le dit l’UNESCO, c’est par la langue que nous communiquons avec le monde. C’est le moyen dont nous disposons pour exprimer et satisfaire nos besoins. C’est la manière dont nous définissons notre identité, exprimons notre histoire et notre culture, acquérons des connaissances, défendons nos droits et participons à la société. C’est une façon de nous affirmer et d’assumer les rôles qu’on nous a enseignés.
Le fait de parler notre propre langue aide les autres également. Par la langue, on préserve l’histoire d’une communauté, ses coutumes, ses traditions, sa mémoire, ses propres modes de pensée, de raisonnement et d’expression. La langue nous sert à bâtir notre avenir.
La langue est essentielle à la survie, à la protection des autres, à la bonne gouvernance, à la consolidation de la paix, à la réconciliation et au développement durable.
Pourtant, de la Confédération jusqu’à la fin du XXe siècle, soit durant environ 130 ans, le Canada a tout fait pour éliminer les cultures et les langues autochtones. Au moyen de mesures législatives adoptées par les parlementaires qui nous ont précédés, on a interdit les grands rassemblements et les pratiques culturelles se déroulant en langues autochtones, on a retiré tout pouvoir en matière d’éducation et on a refusé l’accès à la justice.
On a arraché 150 000 enfants à leurs parents — lesquels étaient menacés de poursuites s’ils résistaient — pour les placer dans des pensionnats, dans le seul but de les endoctriner et de les assimiler à la société canadienne. Des centaines de milliers d’autres enfants ont été tenus par la loi de fréquenter des externats, où ils ont aussi été obligés d’arrêter de parler leur langue et d’en apprendre une nouvelle.
Le premier ministre sir John A. Macdonald non seulement considérait comme des sauvages les Autochtones qui pratiquaient leur propre culture et parlaient leur propre langue, mais il soutenait également qu’il fallait les en dépouiller. En 1883, il a affirmé ce qui suit au Parlement :
Lorsque l’école est sur la réserve, l’enfant vit avec ses parents, qui sont sauvages; il est entouré de sauvages et bien qu’il puisse apprendre à lire et écrire, ses habitudes, son éducation domestique, et ses façons de penser, restent celles des sauvages. En un mot, c’est un sauvage capable de lire et d’écrire.
L’ampleur et l’intensité des répercussions de ces écoles sur la culture et la langue sont telles que la Commission de vérité et réconciliation a conclu que le Canada s’est livré à un génocide culturel, contrevenant ainsi à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Le Canada et ses institutions de gouvernance et d’influence sociale se sont évertués à détruire systématiquement les structures et les pratiques qui soutenaient la continuité culturelle des peuples autochtones.
Les premiers à demander l’instauration de lois pour l’avancement et la reconnaissance des droits linguistiques des Autochtones furent la Confédération des Centres éducatifs et culturels des Premières Nations, au milieu des années 1990, puis l’Assemblée des Premières Nations, en 1998. Le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones, un groupe fédéral mené par des Autochtones, avait recommandé l’adoption de lois fédérales de cette nature en 2005, recommandation reprise par la Commission de vérité et réconciliation.
La dernière fois que j’ai parlé des langues autochtones au Sénat, c’était au sujet du projet de loi présenté par le sénateur Joyal au début de la présente session. Honorables sénateurs, c’est la troisième session où notre honorable collègue présente un projet de loi d’initiative parlementaire pour l’avancement, la reconnaissance et le respect des droits linguistiques des Autochtones au Canada.
Je tiens à remercier personnellement le sénateur Joyal des efforts qu’il déploie en tant qu’allié des peuples autochtones dans cet important dossier.
Au cours des deux dernières années, le gouvernement et trois organisations autochtones nationales ont consulté plus de 1 200 personnes et organismes en vue de la réalisation du projet de loi à l’étude aujourd’hui.
L’approche utilisée pour produire le projet de loi C-91 s’est éloignée des pratiques profondément ancrées dans les politiques des gouvernements antérieurs menant à la prise de décisions unilatérales sur des questions ayant des incidences sur la vie des Autochtones.
Avec ce projet de loi, le gouvernement donne suite aux revendications des gouvernements autochtones, des chercheurs et des groupes d’intérêt qui réclament depuis des dizaines d’années que l’on fasse quelque chose pour remédier à l’état déplorable dans lequel se trouvent actuellement de nombreuses langues autochtones du Canada. Il permettra plus particulièrement de donner suite aux appels à l’action nos 13, 14 et 15 de la Commission de vérité et réconciliation.
Le projet de loi C-91 a été conçu de manière à ne pas être contraignant. Il ne prescrit rien et n’établit pas d’avance comment les peuples autochtones doivent s’y prendre pour revitaliser leurs langues. Il permet une multitude d’approches pour faciliter la réappropriation et la survie des langues autochtones, de la relation maître-apprenti à la promotion et à l’emploi d’une langue donnée par un gouvernement autochtone et dans les médias.
Le texte du projet de loi précise que le ministre du Patrimoine canadien peut conclure divers types d’accords concernant les langues autochtones avec des gouvernements autochtones et d’autres corps dirigeants autochtones ainsi qu’avec des organismes autochtones, des collectivités et des peuples autochtones.
Il accorde aussi aux institutions fédérales le pouvoir discrétionnaire de veiller à ce que les documents relevant d’elles soient traduits dans une langue autochtone et que des services d’interprétation en langues autochtones soient offerts dans le cadre de leurs activités.
Il crée enfin le Bureau du commissaire aux langues autochtones, dont il définit le mandat et la mission.
Le préambule du projet de loi souligne la contribution de la diversité linguistique et culturelle des peuples autochtones à l’évolution du pays. Plusieurs dispositions de fond reconnaissent le caractère constitutionnel des langues autochtones en vertu de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, tout en donnant aux peuples autochtones les moyens, avec l’aide du gouvernement fédéral, de continuer à stimuler la vitalité des langues autochtones et de réparer les torts qui leur sont causés depuis des dizaines d’années.
Le projet de loi C-91 vise en outre à mettre en œuvre les objectifs de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Les gouvernements précédents ont mis énormément d’ardeur à dénigrer les langues autochtones, mais il faudra encore plus d’ardeur et d’investissements pour les revitaliser. Le gouvernement prévoit dans le budget de 2019 un investissement de 333 millions de dollars sur les cinq prochaines années pour financer cette initiative. Ce financement est examiné dans le cadre de l’étude du projet de loi d’exécution du budget.
Si ce dernier n’est pas adopté, ces fonds seront perdus et les langues autochtones deviendront encore plus vulnérables qu’elles le sont déjà. Il ne faut pas que nous laissions une telle chose se produire. Ce projet de loi est loin d’être parfait, mais il peut nous donner les moyens de nous lancer dans le travail qui s’impose.
J’ai l’intention, par exemple, de travailler avec le sénateur Patterson pour proposer des amendements au comité sur la question de l’accès à des services en inuktitut pour les Inuits.
Le gouvernement reconnaît que ce projet de loi est un point de départ et il y a prévu une disposition exigeant des examens aux cinq ans qui représenteront des occasions d’apporter les modifications et les améliorations qui s’imposent.
En l’absence d’un engagement à long terme en matière de financement et compte tenu de la vulnérabilité des langues autochtones, je pense que le projet de loi pourrait probablement être amélioré et renforcé de manière à ce que les examens soient effectués plus souvent qu’aux cinq ans. Comme nous sommes au début du processus de réappropriation et de revitalisation, il faut cerner les problèmes au fur et à mesure et y trouver des solutions.
Au cours des séances de consultation tenues en 2005 par le Groupe de travail sur les langues et les cultures autochtones, les participants avaient fait remarquer qu’il fallait intervenir de toute urgence pour éviter que des langues se perdent. Il y a près de 15 ans de cela.
Dans beaucoup de collectivités, la situation est critique, puisque le dernier représentant de la nation à parler couramment la langue peut très bien être décédé. L’espoir de voir la langue transmise naturellement aux jeunes générations s’est éteint. Selon l’UNESCO, toutes les langues autochtones du Canada risquent plus ou moins de disparaître. On en compte plus de 90. Si l’on n’intervient pas immédiatement, les peuples autochtones, les collectivités et les nations risquent de perdre un trésor inestimable en n’ayant plus de locuteurs de leur langue ancestrale.
Depuis une vingtaine d’années, le nombre de Canadiens pouvant parler une langue autochtone décroît constamment. En 1996, 29 p. 100 des Autochtones parlaient une langue autochtone assez bien pour tenir une conversation. En 2006, un peu plus de 22 p. 100 pouvaient le faire. En 2016, la proportion ne s’élevait plus qu’à 16 p. 100.
Quand un aîné meurt, « c’est comme si toute une bibliothèque disparaissait », dit Betsy Kechego, une professeure de langue.
Le chef national Perry Bellegarde a témoigné au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones à l’appui du projet de loi C-91. Il a dit :
Vingt années se sont écoulées depuis que les Chefs en assemblée de l’Assemblée des Premières Nations ont déclaré l’état d’urgence relativement aux langues des Premières Nations.
La situation s’est aggravée depuis la déclaration. On ne peut pas rater l’occasion qui s’offre à nous d’adopter ce projet de loi, car le déclin des langues des Premières Nations continuera de s’accentuer jusqu’à ce que des efforts concertés soient déployés.
De la même façon, le président Clément Chartier du Ralliement national des Métis a indiqué que la nation métisse appuie pleinement le projet de loi C-91 et encourage le Parlement à le promulguer. Il a parlé de l’urgence d’agir, car il y a moins de 1 000, voire moins de 700, locuteurs du mitchif, dont la plupart ont plus de 65 ans.
Le projet de loi fera des peuples autochtones une composante distincte et unique de la société. Ellen Gabriel, de la nation mohawk de Kanehsatà:ke, milite pour la préservation de la langue et de la culture de son peuple. Dans son témoignage au comité, elle dit :
On pourrait dire qu’il s’agit de langues anciennes, mais elles sont bien vivantes aujourd’hui. Et je peux vous dire sans l’ombre d’un doute que, lorsqu’on apprend sa propre langue, on enrichit sa vie […] Lorsque c’est sa langue maternelle, on peut reconnaître la racine des mots et trouver leur signification.
Permettez-moi de conclure en rappelant que la réconciliation n’est pas une fin en soi, c’est une relation empreinte de respect mutuel que l’on préserve et que l’on renforce au fil du temps. Ce projet de loi est demandé depuis des générations par des organismes autochtones, des commissions d’enquête et les peuples autochtones du Canada tout entier.
Honorables sénateurs, si la préservation des langues autochtones ne devient pas pour nous une priorité, ce que les pensionnats n’auront pas réussi à accomplir arrivera par un processus de négligence systémique. Je vous exhorte tous à vous joindre à moi pour appuyer ce projet de loi afin que nous puissions le voir adopter avant la fin de cette législature. Meegwetch.
Je vous remercie, sénateur Sinclair, de votre excellent discours et de votre appui à ce projet de loi majeur. Je veux mentionner que le sénateur Cormier et moi avons cosigné une lettre d’opinion dans Le Droit d’aujourd’hui. Je veux vous lire le texte de l’un des paragraphes de cette lettre. Le voici:
Nous ne pouvons pas valoriser la place du fait français au pays sans réfléchir au débat qui a cours au Parlement du Canada sur le projet de loi C-91[…] Comme nous l’avons vu avec l’adoption de la Loi sur les langues officielles, la promotion de la langue française, rendue possible grâce à sa partie VII, a joué un rôle important dans la préservation et l’épanouissement du français dans plusieurs régions du pays. Comme minorité linguistique, nous devons être solidaires de cette lutte pour la préservation des langues et des cultures des Premières Nations, Métis et Inuits.
C’est tiré de la lettre.
Votre discours faisait référence à la fonction de commissaire aux langues autochtones. Avez-vous déjà amorcé votre réflexion en ce qui a trait aux pouvoirs qui seraient accordés à ce commissaire aux langues autochtones?
Je suis conscient que je ne dispose pas de beaucoup de temps. Ma réponse sera donc brève. Oui, c’est dans le projet de loi. Il décrit ces pouvoirs. Je tiens à préciser très clairement que le Bureau du commissaire aux langues autochtones, qui est proposé dans le projet de loi, ne jouera pas du tout le même rôle et sera loin d’être doté d’autant de pouvoirs que le Commissariat aux services en français, et c’est l’une des préocupations soulevées par les organisations autochtones.
Prévoyez-vous lire le prochain rapport du Comité des langues officielles, qui fera état du rôle du commissaire aux langues officielles et de ses pouvoirs, de même que des limitations de ses pouvoirs?
Oui, bien sûr. Merci beaucoup.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer moi aussi le projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones.
J’aimerais remercier mon collègue, le sénateur Sinclair, d’avoir présenté cet important projet de loi d’une manière aussi informative, avec éloquence et conviction, comme lui seul sait le faire. Je remercie également la sénatrice Gagné de ses interventions.
Comme certains d’entre vous le savent, j’ai d’abord étudié en linguistique ainsi que dans le domaine des langues modernes. J’ai également employé, dans la vie de tous les jours et au travail, des langues autres que la mienne, soit le bechouana, au Botswana, et le bahasa indonesia, en Indonésie.
Lorsque nous sommes immergés dans la culture et la langue d’un autre peuple, nous en venons à comprendre ce peuple et sa vision du monde.
Je suis fière de vivre sur le territoire connu sous le nom de Mikmaqi, la terre de nos collègues les sénateurs Christmas et Francis. Je suis honorée d’être membre du Comité des peuples autochtones, qui a réalisé l’étude préalable du projet de loi C-91. Comme le sénateur Patterson, je suis honorée d’être membre du Comité de l’Arctique.
Dans mes observations, je vais parler brièvement de la dimension internationale, mentionner un bel exemple en Nouvelle-Écosse et, en terminant, j’attirerai votre attention sur la situation unique des Inuits au Canada.
Comme l’a mentionné le sénateur Sinclair, le projet de loi arrive à point, puisqu’il nous parvient en 2019, qui a été déclaré Année internationale des langues autochtones, et qu’il est urgent.
L’Année internationale des langues autochtones met l’accent sur les risques — et ils sont graves — auxquels sont exposées les langues autochtones, en particulier celles qui sont importantes pour le développement, la réconciliation, la bonne gouvernance et la consolidation de la paix.
Ngugi wa Thiong’o, un écrivain kényan primé, a déclaré ce qui suit :
La langue est un vecteur de la culture. La culture est un vecteur des valeurs des gens. Les valeurs sont un vecteur du point de vue des gens ou de leur conscience et de leur identité. Grâce à la langue, on peut percevoir la personnalité et le point de vue général des gens. La langue reflète l’identité des gens; ne pas avoir de langue, c’est disparaître.
À l’instar des Autochtones du Canada, les Kényans ont vu des langues disparaître ou être menacées en raison des effets durables et profonds de la colonisation brutale.
Au cours de l’étude préalable du projet de loi C-91, des témoins nous ont dit que la vitalité des langues autochtones varie d’une région à l’autre au Canada. Ils nous ont parlé de la disparition tragique de certaines langues et des trésors de créativité et de courage que déploient avec beaucoup de succès des Autochtones partout au pays pour se réapproprier, revitaliser, promouvoir et protéger leurs langues précieuses et sacrées.
Dans ma région, Mi’kmaw Kina’matnewey est un organisme qui protège et favorise les droits des Mi’kmaq à l’éducation et à la langue.
Plus tôt cette semaine, j’ai été ravie de voir dans mon fil de nouvelles sur Facebook que Public Radio International, PRI, a diffusé l’histoire d’Emma Stevens, une résidente de 16 ans de la Première Nation d’Eskasoni qui chante la chanson Blackbird, des Beatles, en mi’kmaq : Buleeskeeyetch. Emma a enregistré la chanson dans le cadre du projet de son école pour souligner l’Année internationale des langues autochtones déclarée par l’ONU. Dans l’entrevue qu’elle a donnée à PRI, elle dit que les paroles « take these broken wings and learn to fly », soit « prends ces ailes brisées et apprends à voler », trouvent un écho en elle. Elle assiste au lent déclin de sa langue, mais le fait de chanter cette chanson en mi’kmaq l’incite à apprendre sa langue pour en faire découvrir toute la beauté aux personnes qui ne sont pas Mi’kmaq.
On dit que la chanson Blackbird de Paul McCartney traite du mouvement pour les droits civils aux États-Unis. Les gens d’Eskasoni font un parallèle avec leur propre oppression et leur propre lutte, de même qu’avec leur force et leur fierté. Je vous recommande vivement d’écouter cette chanson magnifiquement chantée en langue mi’kmaq. Il suffit de taper les mots « Blackbird » et « Emma Stevens » dans un moteur de recherche pour se régaler.
On estime à 10 000 le nombre de Mi’kmaq dans l’Est du Canada et le Nord-Est des États-Unis. Il est donc capital de garder la langue mi’kmaq vivante. C’est aussi important et enrichissant pour nous, les voisins du peuple mi’kmaq.
J’aimerais maintenant attirer votre attention sur la voix de certaines personnes qui ont comparu non pas devant le Comité permanent des peuples autochtones, mais devant le Comité spécial sur l’Arctique. Ce comité se penche actuellement sur les changements importants et rapides dans l’Arctique et leurs effets sur les habitants et sur les terres.
M. Eirik Sivertsen, qui représente le comté de Nordland à l’Assemblée nationale de la Norvège, a dit ceci :
[...] nous créons et comprenons notre monde grâce à la langue que nous utilisons et, par conséquent, la langue est la composante la plus importante pour préserver ou renforcer la culture d’un peuple. Si on n’a pas notre propre langue, notre culture ne peut pas survivre. L’une des principales tâches doit être de soutenir les peuples autochtones dont la langue est peu parlée ou menacée afin de les aider à la conserver et à en assurer le renforcement dans le monde moderne.
Aluki Kotierk, la présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated, a aussi été claire dans sa présentation au Comité spécial sur l’Arctique. Championne acharnée de l’inuktut, elle nous a beaucoup appris sur nos engagements historiques à cet égard. C’est important de savoir ce qui est arrivé depuis la création du Nunavut. Elle a dit ceci :
Je vous arrive du Nunavut, seule administration au Canada où la population autochtone est majoritaire. Dispersés sur 25 collectivités — toutes accessibles seulement par avion — les Inuits représentent 85 p. 100 de la population. Environ la moitié d’entre eux ont moins de 25 ans. La langue maternelle de la majorité des Inuits du Nunavut est l’inuktitut, tandis que le français et l’anglais sont des langues minoritaires.
Elle a ajouté ensuite :
Je suis certaine que [...] vous connaissez tous très bien l’héritage du colonialisme et des pensionnats.
Des sénateurs en ont parlé.
Vous êtes conscients des efforts concertés qui ont été déployés par l’intermédiaire de politiques d’assimilation pour tenter de nous dépouiller de notre langue et de notre culture. Si les Inuits ont travaillé si inlassablement pour conclure l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut, c’était en partie pour pouvoir continuer d’affirmer leur autodétermination et de faire en sorte que la langue et la culture inuites se développent.
Lorsque nous avons conclu l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut avec le Canada, l’inuktitut se portait bien. Notre langue s’éteint maintenant à raison de 1 p. 100 par année.
Le 14 juillet 1998, le ministre des Finances de l’époque, Paul Martin, et ses fonctionnaires ont informé un commissaire aux langues du Nunavut nommé par le fédéral que les Inuits ne recevraient pas de financement fédéral pour l’inuktitut en tant que langue de travail de notre gouvernement territorial. On a plutôt déclaré que la question de l’inuktitut serait traitée à une date ultérieure.
Donc, on a promis de s’en occuper plus tard.
En 2001, les premières données ont été recueillies après que le Canada a décidé de reporter le financement de l’inuktitut pour nos services gouvernementaux. À l’époque, 85 p. 100 des Inuits au Nunavut déclaraient encore que l’inuktitut était leur langue maternelle, mais surtout, 68 p. 100 déclaraient que c’était la langue qu’ils parlaient à la maison. Et cela, en dépit des efforts faits pour nous amener à parler anglais.
En 2016, [quinze ans plus tard] ces chiffres ont diminué d’environ 20 p.100. Il y a maintenant 63 p. 100 des Inuits qui déclarent avoir l’inuktitut comme langue maternelle, et 49,7 p. 100 qui déclarent parler cette langue à la maison. Il y a 20 ans, le gouvernement libéral à l’époque avait dit qu’il s’emploierait à faire de l’inuktitut la langue de travail de notre gouvernement, mais maintenant, le nombre de locuteurs a diminué de 20 p. 100.
Voilà qui est considérable.
Selon la Charte canadienne des droits et libertés, tous les Canadiens ont droit à des services publics essentiels d’un niveau de qualité acceptable. Ce n’est pas le cas des Inuits car ils ne leur sont pas offerts en inuktitut [...]
La vie des Inuits ne devrait pas être mise en danger parce qu’ils ne sont pas en mesure de recevoir des services de santé adéquats en inuktitut.
Elle poursuit ainsi :
Le gouvernement fédéral s’est engagé à préparer une loi sur les langues autochtones.
C’est le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui.
C’est une belle initiative. Au Nunavut, l’inuktitut est déjà reconnu comme une langue officielle sur le territoire. Ce que le gouvernement fédéral doit faire, c’est consacrer l’inuktitut comme langue officielle fondatrice du Nunavut. Ce n’est sans doute qu’alors que les Inuits du Nunavut pourront raisonnablement s’attendre à recevoir des services essentiels de qualité sur leur territoire.
J’aimerais seulement citer deux autres personnes, car leurs propos fort éloquents méritent d’être entendus haut et fort dans cette enceinte.
Le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, Natan Obed, a aussi témoigné devant le comité au sujet de ce projet de loi :
En ce qui a trait à la loi sur les langues des Premières Nations, des Inuits et des Métis, nous avons travaillé avec le gouvernement au projet de loi sur les langues autochtones dès le début, en vue d’en définir les objectifs, qui n’avaient pas été révisés depuis un bon moment. Nous voulions voir l’inuktitut reconnu à titre de langue officielle de l’Inuit Nunangat; c’est ce que nous voulons toujours. Nous voulions avoir droit à la prestation de services en inuktitut, en vertu de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones et de sa mise en œuvre au pays, et de nos droits généraux à titre d’Autochtones, au-delà de la déclaration.
Chers collègues, il est opportun que nous soyons saisis aujourd’hui à la fois du projet de loi C-91, Loi concernant les langues autochtones, et du projet de loi C-262, Loi visant à assurer l’harmonie des lois fédérales avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Enfin, je tiens à faire entendre haut et fort les propos d’une dernière personne : Paul Quassa, le premier ministre du Nunavut. Je le cite :
[…]la vie des Inuits a été bouleversée à jamais par les politiques et programmes qui les ont arrachés à leur foyer, à leur langue et à leur culture, pour les transplanter dans un milieu inconnu, loin du mode de vie qu’ils avaient toujours connu. Nous avons été nombreux à oublier notre langue, notre culture et nos traditions : bref, notre identité.
Beaucoup ont eu du mal à concilier leurs traditions et leur nouvelle réalité. Certains se sont tournés vers l’alcool, les drogues ou la violence, ou se sont résolus au suicide. D’autres ont été profondément troublés par ces mesures, qui tourmentent encore bien des gens.
Afin de réparer les torts du passé, il est primordial de permettre aux Inuits de se réapproprier leur langue, culture et autonomie.
Honorables collègues, M. Quassa parle de l’importance pour les Inuits de se réapproprier leur langue, leur culture et leur autonomie. Ces trois aspects sont indissociables.
Le projet de loi C-91 porte sur les langues autochtones, mais la question est beaucoup plus large. M. Quassa parle d’autonomie. Mme Kotierk et d’autres intervenants parlent d’autodétermination.
Les gens qui sont autonomes ont la volonté, le pouvoir et la capacité d’agir.
Ces dirigeants inuits dévoués et leurs homologues des Premières Nations et des Métis ont affirmé haut et fort que leurs langues sont essentielles à leur capacité de diriger et de développer les sociétés et les communautés fortes, saines et fières qu’ils souhaitent avoir, celles-là mêmes dont ils ont été privés pendant beaucoup trop longtemps.
Honorables sénateurs, j’espère que nous pourrons renvoyer le projet de loi C-91 au comité bientôt afin de faire en sorte que cette mesure législative d’importance historique reçoive toute l’attention qu’elle mérite. Merci. Welalioq.