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Projet de loi sur la reconnaissance de la Nation haïda

Deuxième lecture

29 février 2024


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-16, Loi concernant la reconnaissance de la Nation haïda et du Conseil de la Nation haïda.

Les lois reconnaissant le droit inhérent des peuples autochtones à la gouvernance et à l’autodétermination n’ont pas seulement une importance juridique ou politique : elles relèvent d’un impératif moral qui va droit au cœur de la justice, de l’égalité et de la préservation des cultures autochtones.

Une loi qui reconnaît et protège le droit inhérent à l’autodétermination n’est pas qu’un simple geste de bonne volonté. Il s’agit d’une étape essentielle pour réparer les injustices historiques et façonner une société qui valorise la diversité, l’inclusion et l’égalité. Quand les communautés autochtones se voient accorder l’autonomie nécessaire pour gérer leurs propres affaires, non seulement leur identité distincte est respectée, mais elles ont aussi les moyens de relever les défis qui leur sont propres.

En reconnaissant l’autodétermination des peuples autochtones, nous affirmons leur droit de façonner leur paysage économique, social et politique selon des modalités conformes à leurs traditions et à leurs valeurs. Cette reconnaissance n’est pas une menace pour la société dans son ensemble; c’est plutôt une occasion d’enrichir notre compréhension collective de la gouvernance en nous ouvrant à différents modèles qui ont soutenu les cultures autochtones pendant des générations.

Ajoutons qu’une loi qui soutient l’autodétermination autochtone, c’est une étape cruciale vers la réconciliation. C’est une façon de reconnaître qu’il faut réparer les erreurs du passé, favoriser la guérison et bâtir un avenir dans lequel tous les membres de la société pourront s’épanouir ensemble.

Le projet de loi S-16 s’inscrit exactement dans ce genre de projet de loi, à l’instar d’autres mesures législatives semblables qui ont été adoptées dans ma province, la Colombie-Britannique, comme l’a si bien expliqué la sénatrice Greenwood.

La Nation haïda possède une histoire riche et complexe. Les Haïdas habitent depuis des millénaires l’archipel Haida Gwaii, que l’on appelait autrefois les îles de la Reine-Charlotte. Leur histoire est étroitement liée à la richesse de l’environnement naturel des îles, où ils jouissaient de ressources abondantes pour assurer leur subsistance et servir leurs pratiques culturelles.

Les Haïdas avaient développé une structure sociale sophistiquée et ils étaient réputés pour avoir un système complexe de classes, qui incluait aussi bien des nobles que des roturiers. Ils étaient reconnus pour leurs arts, notamment pour leurs totems, canots et autres artéfacts élaborés et distinctifs.

Le premier contact entre les Haïdas et les explorateurs européens a eu lieu à la fin du XVIIIe siècle, lorsque les Britanniques et les Espagnols sont arrivés dans la région. Cette rencontre a eu de profondes répercussions sur les Haïdas, car les maladies étrangères et la transformation des échanges commerciaux ont perturbé leur mode de vie traditionnel.

Le commerce de la fourrure, en particulier celui des peaux de loutre de mer, est devenu une part importante de l’économie haïda au XIXe siècle. Durant cette période, les échanges avec les commerçants européens et américains ont augmenté, ce qui a entraîné à la fois des débouchés économiques et des défis culturels.

Au XIXe siècle, l’établissement de colonies européennes et canadiennes a eu un impact important sur la Nation haïda. Les activités des missionnaires, l’imposition des lois européennes et la dépossession des terres ont eu de profondes répercussions sur la culture et la souveraineté haïda. Comme de nombreux peuples autochtones du Canada, les Haïdas ont subi les effets destructeurs du régime des pensionnats autochtones, qui visait à assimiler les enfants autochtones afin qu’ils se fondent dans la culture canado-européenne. Cette politique a entraîné des traumatismes pour les survivants, leurs familles et leurs amis; elle leur a fait perdre leur langue, leur culture et leurs connaissances traditionnelles.

Toutefois, les Haïdas ont tenu bon et, pendant la seconde moitié du XXe siècle, ils ont commencé à revendiquer leurs droits à leurs terres ancestrales et à l’autodétermination, comme l’ont fait de nombreux autres groupes autochtones au Canada. Les négociations sur les revendications territoriales et les batailles juridiques ont abouti à la reconnaissance des titres et des droits des Haïdas.

Aujourd’hui, la Nation haïda participe activement à diverses initiatives économiques, culturelles et environnementales. Elle a réussi à faire reconnaître ses droits et à s’engager dans la cogestion des ressources, et elle continue de travailler à la préservation et à la revitalisation de sa langue et de ses pratiques culturelles.

Honorables sénateurs, le projet de loi S-16 est une nouvelle étape dans le parcours de la Nation haïda vers l’autonomie gouvernementale et l’autodétermination. Depuis longtemps, la Nation haïda revendique ses droits fonciers et mène des négociations pour régler les griefs historiques liés à la dépossession des terres. Il a fallu une série de négociations et d’ententes avec le gouvernement canadien avant que les Haïdas n’obtiennent gain de cause.

L’affaire Calder est une décision juridique historique rendue en 1973 qui reconnaît les droits territoriaux des Autochtones. L’affaire a été portée par Frank Calder, un dirigeant nisga’a, mais ses retombées se sont fait sentir bien au-delà de la nation nisga’a et ont touché d’autres groupes autochtones, y compris les Haïdas.

Dans les années 1980 et 1990, le Canada a lancé un processus de revendications territoriales globales concernant les droits territoriaux des Autochtones et la négociation de traités. La nation haïda de même que d’autres groupes autochtones ont participé à ce processus, qui a débouché sur la signature de l’accord haïda en 1985.

L’accord haïda a jeté les bases des négociations entre la nation haïda et les gouvernements provincial et fédéral. Cet accord reconnaît le droit des Haïdas de négocier leurs revendications territoriales et leur autonomie gouvernementale. Servant de cadre aux négociations entre la nation haïda et les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique, l’accord énonce les principes et les processus qui guideraient les discussions sur les revendications territoriales et d’autres questions connexes.

L’accord a ouvert la voie à l’examen des revendications territoriales et à la négociation d’un règlement global. Il reconnaît la nécessité d’arriver à une entente juste et équitable qui reconnaît les droits et les titres ancestraux du peuple haïda et souligne l’importance de la consultation et de la coopération entre la nation haïda et les gouvernements sur les questions liées à la gestion des ressources, à l’utilisation des terres et au patrimoine culturel.

L’accord reconnaît l’importance des valeurs culturelles et des traditions haïdas et met l’accent sur la nécessité d’intégrer ces valeurs dans les processus de négociation et de règlement.

Même s’il ne s’agissait pas d’une entente définitive, l’accord haïda affirmait l’engagement de toutes les parties envers le processus d’établissement général des traités au Canada en reconnaissance de la nécessité de remédier aux injustices historiques et de concilier les droits territoriaux des Autochtones dans le cadre des ententes.

L’Entente sur Gwaii Haanas, signée en 1993, est une autre étape importante du processus de revendication territoriale. Elle établissait la gestion coopérative de la partie sud de Haida Gwaii, appelée Gwaii Haanas, par la Nation haïda et le gouvernement fédéral.

L’entente instituait un cadre de gestion coopérative unique mettant en valeur la collaboration entre la Nation haïda et le gouvernement du Canada pour la gestion de Gwaii Haanas. L’entente reconnaissait l’importance culturelle et écologique de Gwaii Haanas pour la Nation haïda. Elle reconnaissait l’importance de la région en raison du patrimoine haïda qui s’y trouve, notamment des sites de villages, des totems et d’autres artéfacts culturels.

L’Entente sur Gwaii Haanas comportait des dispositions pour la protection et la conservation des écosystèmes de la région. Elle visait à atteindre un équilibre entre durabilité écologique, valeurs culturelles et utilisation traditionnelle du territoire du peuple haïda.

L’entente créait le conseil de gestion de Gwaii Haanas, avec une représentation égale de la Nation haïda et du gouvernement du Canada. Ce conseil a joué un rôle central dans la prise des décisions qui concernaient la gestion de Gwaii Haanas.

L’entente accordait à la Nation haïda le contrôle de l’accès aux ressources culturelles et de leur utilisation sur le territoire de Gwaii Haanas, ce qui consolidait le rôle de la Nation haïda dans la protection de son patrimoine.

En reconnaissance de l’importance du tourisme dans la région, l’Entente sur Gwaii Haanas abordait les pratiques en matière de tourisme durable et la nécessité de collaborer pour que le tourisme soit responsable et adapté à la culture.

L’Entente sur Gwaii Haanas était le reflet d’un engagement envers la cohabitation et la responsabilité partagée de la gestion de la région. Elle visait à concilier la conservation des ressources naturelles et les besoins culturels et économiques de la Nation haïda.

L’Entente Gwaii Haanas a établi un précédent en matière d’approches collaboratives et novatrices de la gestion des zones protégées, en intégrant les connaissances et les pratiques autochtones dans la gouvernance des paysages culturels et écologiques importants. Elle a contribué aux efforts de réconciliation en cours entre la Nation haïda et le gouvernement du Canada.

En 1993, la Nation haïda et les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique ont signé l’accord définitif de la Nation haïda. Ce règlement global des revendications territoriales aborde la propriété des terres, la gestion des ressources et l’autonomie gouvernementale. Depuis lors, la Nation haïda participe activement à la cogestion des ressources naturelles, à la revitalisation culturelle et aux initiatives visant à renforcer l’autonomie gouvernementale.

Il importe de noter que si l’accord définitif de la Nation haïda représente une étape importante, le cheminement vers la réconciliation et la mise en œuvre de ces accords se poursuivent. La Nation haïda continue de jouer un rôle crucial dans la gestion de ses terres et la préservation de son patrimoine culturel.

Le projet de loi S-16 affirme la reconnaissance, par le gouvernement du Canada, des droits inhérents à la gouvernance et à l’autodétermination de la Nation haïda. Si elle est adoptée, la mesure législative reconnaîtra officiellement le Conseil de la Nation haïda comme le gouvernement de la Nation haïda.

Le projet de loi confirmerait et mettrait en œuvre les engagements du projet de loi 18, Haida Nation Recognition Act, portant sur l’accord conclu en juillet 2023 entre la Nation haïda, le gouvernement du Canada et la Colombie-Britannique.

Le Conseil de la Nation haïda a été constitué en tant que gouvernement national en 1974. La constitution de la Nation haïda a été officiellement adoptée en 2003. Elle charge le conseil de conduire les affaires extérieures de la nation haïda et de gérer les terres et les eaux de Haida Gwaii au nom de la nation haïda. Cela garantit que les relations entre les Haïdas et l’archipel Haida Gwaii sont éternelles.

C’est important, car il y a 50 ans, la nation haïda a formé son propre gouvernement national au sein du Conseil de la Nation haïda. La nation haïda a adopté officiellement sa constitution en 2003, constitution qui confie au conseil, entre autres, les tâches suivantes :

[…] gérer les terres et les eaux des territoires haïdas […] et perpétuer la culture et les langues haïdas pour les générations futures.

Le gouvernement haïda est à l’œuvre depuis un demi-siècle et, grâce au projet de loi S-16, il recevra enfin une reconnaissance officielle de la part du gouvernement fédéral. Cette reconnaissance est à la fois symbolique et importante. Le président du Conseil de la nation haïda, Gaagwiis Jason Alsop, s’est exprimé en ces termes :

La Nation haïda :

[…] n’a pas attendu que le Canada, la Colombie-Britannique ou qui que ce soit d’autre nous donne les moyens d’agir ou nous dise comment nous y prendre. Notre peuple a reconnu son droit inhérent à gouverner ses terres et ses eaux d’une bonne manière, à protéger les êtres vivants et surnaturels et à parler en leur nom, ainsi qu’à assumer sa responsabilité inhérente de prendre soin de notre territoire.

Le projet de loi est simple. Comme je l’ai dit, il vise à reconnaître le Conseil de la nation haïda en tant qu’autorité gouvernante du peuple haïda.

Même s’il est court, le projet de loi a des répercussions énormes sur les gens de Haida Gwaii. Mettre en place un cadre législatif pour reconnaître le droit inhérent des Haïdas à l’autodétermination est un pas en avant pour bâtir une société plus juste et plus équitable où chaque personne est écoutée et respectée, quelles que soient ses origines culturelles.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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