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Un avenir à zéro émission nette

Interpellation--Suite du débat

16 avril 2024


L’honorable Flordeliz (Gigi) Osler [ - ]

Honorables sénateurs, cet article a été ajourné au nom de la sénatrice Clement, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste du temps de parole de la sénatrice lui soit réservé.

Le consentement est-il accordé?

Il en est ainsi ordonné.

La sénatrice Osler [ - ]

Chers collègues, je prends la parole aujourd’hui pour parler d’un avenir à zéro émission nette.

Je remercie la sénatrice Coyle de son leadership dans le dossier de la crise climatique. Au cours de mes préparatifs, j’ai lu le discours qu’elle a prononcé dans cette enceinte en février 2022, au sujet de la motion de la sénatrice Galvez tendant à reconnaître que les changements climatiques constituent une urgence.

Dans son discours, la sénatrice Coyle s’est demandé si la motion pouvait motiver les sénateurs à unir leurs efforts pour mieux comprendre le changement climatique et chercher des solutions. Sa réponse était « oui ». Je vais donc, chers collègues, parler en faveur de l’interpellation no 4 sous l’angle de la santé.

« Pourquoi en parler sous l’angle de la santé? » pourrait-on me demander. En 2009, une commission mixte réunissant le Lancet, un journal médical de renommée internationale, et le University College London a désigné les changements climatiques comme « [...] la plus grande menace sanitaire mondiale du XXIe siècle. »

Le Lancet a continué à publier un rapport annuel intitulé « Le compte à rebours du Lancet ». Dans l’édition de 2023, on y souligne la nécessité d’une réponse axée sur la santé dans un monde faisant face à des dommages irréversibles.

On indique que les risques sanitaires que posent les changements climatiques augmentent dans toutes les dimensions étudiées, et que les efforts d’adaptation ont été insuffisants pour protéger les populations contre les dangers croissants. On insiste sur la nécessité de déployer des efforts de toute urgence pour que les risques sanitaires liés au climat ne dépassent pas la capacité des systèmes de santé à nous soigner.

Chers collègues, vous m’avez déjà entendu parler des multiples problèmes en matière de capacité auxquels le système de soins de santé est actuellement confronté. Aujourd’hui, mes remarques porteront donc sur trois choses. Premièrement, la relation entre les changements climatiques et la santé humaine, en mettant l’accent sur les données canadiennes; deuxièmement, la relation entre les changements climatiques et le secteur de la santé au Canada; et, enfin, certains des facteurs qui permettraient au système de soins de santé de devenir carboneutre.

Donc, commençons par la relation entre les changements climatiques et la santé humaine. Partout dans le monde, les professionnels de la santé sont témoins non seulement de la manière dont les changements climatiques nuisent à la santé, mais également de la manière dont ceux-ci nuisent aux systèmes de santé. Les changements climatiques affectent déjà la santé des Canadiens, à cause de la fréquence accrue des phénomènes météorologiques extrêmes et des catastrophes naturelles.

Repensez au dôme de chaleur de 2021 en Colombie-Britannique : ce fut l’événement météorologique le plus meurtrier de l’histoire du Canada, avec un nombre de décès liés à la chaleur estimé à 619. Les professionnels de la santé constatent également une augmentation des problèmes respiratoires liés à la pollution de l’air. À l’échelle mondiale, la pollution de l’air liée aux combustibles fossiles est associée à 6,7 millions de décès prématurés par an, et Santé Canada estime qu’elle contribue à plus de 15 000 décès par an au pays.

En 2016, on a calculé qu’au Canada, le coût économique de tous les effets sur la santé qui sont attribuables à la pollution de l’air s’élevait à 120 milliards de dollars, soit l’équivalent de 6 % du PIB du Canada.

Chers collègues, vous vous souviendrez également que 2023 a été la pire année jamais enregistrée au Canada pour les incendies de forêt. Nous sommes maintenant en avril 2024 et on craint déjà que la saison des incendies de forêt soit encore pire.

La Dre Courtney Howard est une urgentologue et une experte de renommée internationale sur les incidences des changements climatiques sur la santé humaine. En 2021, la Dre Howard et ses collègues ont publié un article dans lequel ils se penchaient sur les incidences pour la santé d’une saison de feux de forêt intense et prolongée dans le Haut-Subarctique canadien. Cet article se concentrait sur les Territoires du Nord-Ouest où, en 2014, des conditions de sécheresse modérée à grave ont mené à une intense saison d’incendies de forêt, 385 incendies ayant brûlé 3,4 millions d’hectares de forêt. Ces incendies de forêt ont exposé les habitants de Yellowknife et des communautés autochtones environnantes à la fumée pendant deux mois et demi sans interruption. En fait, certains habitants des Territoires du Nord-Ouest parlent de cette saison comme de « l’été perdu » ou de « l’été de fumée ».

Afin d’évaluer le fardeau que constitue la fumée des incendies de forêt sur les ressources en matière de santé, les chercheurs ont comparé 2014 à des années précédentes où les incendies n’avaient pas été extrêmes. Ils ont examiné les ordonnances de salbutamol — c’est l’inhalateur bleu; le salbutamol sert à atténuer la toux, la respiration sifflante et l’essoufflement —, le nombre de visites dans les cliniques et les salles d’urgence, ainsi que celui des admissions dans un hôpital pour des problèmes respiratoires.

Il a été démontré que les incendies de forêt majeurs et la mauvaise qualité de l’air pendant une période prolongée avaient un lien avec la hausse de l’utilisation des ressources en matière de santé. L’étude a révélé que, en 2014, l’administration de salbutamol avait augmenté de 48 %; il y a eu un plus grand nombre de consultations pour l’asthme, la pneumonie et la toux; les visites aux urgences à cause de l’asthme avaient doublé tandis que celles pour la pneumonie avaient augmenté de 57 %; et le nombre d’hospitalisations pour la maladie pulmonaire obstructive chronique avait aussi augmenté. Certaines des répercussions touchaient de façon disproportionnée des segments précis de la population, comme les enfants et les Autochtones.

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts étudiera la question des incendies de forêt et leur incidence sur les industries forestière et agricole au Canada. J’ai hâte de lire le rapport issu de cette étude et ses recommandations, car les solutions climatiques pour réduire les incendies de forêt contribueront aussi à réduire la pollution de l’air. Cela aura comme résultat non seulement d’augmenter la santé et le bien-être, mais aussi de réduire l’utilisation des ressources en matière de santé pour tous les problèmes respiratoires exacerbés par les changements climatiques.

Comme deuxième point, j’aimerais examiner brièvement l’incidence du secteur des soins de santé sur les changements climatiques. En effet, on estime que ce secteur est responsable de 4,6 % des émissions totales de gaz à effet de serre au Canada. En fait, à l’échelle mondiale, le Canada se classe au deuxième rang des émissions de gaz à effet de serre par habitant produites par le secteur de la santé.

Nous reconnaissons tous que les établissements de santé du Canada sont des actifs communautaires essentiels qui doivent demeurer ouverts et fournir des soins 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par année, quelles que soient les crises auxquelles le pays est confronté. Malgré cela, nombre de nos établissements de soins de santé figurent parmi les plus anciennes infrastructures publiques en service au Canada; près de 50 % d’entre eux ont été construits il y a plus de 50 ans.

Les établissements de soins de santé contribuent de façon importante aux émissions de gaz à effet de serre dans le secteur de la santé, en raison de leur âge, de leurs besoins physiques et de leur faible efficacité énergétique. Si on combine le vieillissement des infrastructures, le report de l’entretien et le fait que certaines installations ont été construites dans des zones à haut risque telles que des plaines inondables, on comprend facilement que les risques pour la santé associés au climat pourraient dépasser la capacité qu’a le système de santé de soigner les Canadiens.

Pour mon troisième et dernier point, je tiens à souligner certains des éléments qui permettront au système de santé d’évoluer vers un avenir carboneutre. Dans sa politique sur les systèmes de santé écologiquement durables au Canada, l’Association médicale canadienne souligne qu’il faut optimiser la résilience de nos systèmes de santé pour leur permettre de répondre aux besoins grandissants et de composer avec les autres conséquences de l’intensification de la crise climatique, et réduire les répercussions négatives de nos systèmes de santé sur l’environnement et sur les changements climatiques.

En 2021, lors de la 26e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP26, qui se tenait à Glasgow, le Canada s’est engagé à mettre en place un système de santé durable et à faibles émissions de carbone, sans toutefois fixer de cible de carboneutralité à cet égard. En revanche, en Grande-Bretagne, le National Health Service, ou NHS, est un chef de file mondial en matière de santé qui fait un suivi de son empreinte carbone et fait rapport à ce sujet depuis 14 ans.

En 2020, le NHS s’est engagé à atteindre la carboneutralité en fixant deux objectifs clairs et ambitieux. Premièrement, il s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2040 en réduisant de 80 % les émissions sur lesquelles le NHS peut exercer un contrôle direct. Deuxièmement, il s’est engagé à atteindre la carboneutralité d’ici 2045 en réduisant de 80 % les émissions sur lesquelles le NHS peut avoir une incidence. Selon ses prévisions préliminaires, d’ici 2040, la réduction de la pollution atmosphérique sauvera 5 770 vies par année au Royaume-Uni.

Cela dit, le système de santé du Canada reconnaît sa responsabilité de réduire son empreinte carbone et de réduire au minimum les effets dommageables à grande échelle sur la santé humaine. SoinsSantéCAN, le porte-parole national des organisations de soins de santé et des hôpitaux de l’ensemble du pays, appuie les initiatives de carboneutralité de ses membres qui visent à écologiser leurs activités, ce qui comprend à la fois des projets faciles à mettre en œuvre et des projets plus vastes et plus coûteux comme la modernisation d’immeubles.

Un exemple de mesure facile à mettre en œuvre, c’est la modification des gaz anesthésiques utilisés lors des interventions chirurgicales. Certains gaz anesthésiques, comme le desflurane, ont une forte empreinte carbone. On estime que le desflurane est 2 450 fois plus puissant que le dioxyde de carbone en tant qu’émission de gaz à effet de serre. L’élimination de l’utilisation du desflurane dans les hôpitaux est l’une des interventions les plus efficaces pour réduire les émissions de carbone. Des dizaines d’hôpitaux aux quatre coins du Canada ont ainsi supprimé le desflurane de leurs salles d’opération à la faveur de gaz anesthésiques à plus faible intensité carbonique. Les établissements de santé produisent également d’importantes quantités de déchets, les pires étant les articles jetables à usage unique. Heureusement, il existe au Canada des initiatives visant à réduire la dépendance des établissements de santé à l’égard des produits jetables et à détourner les déchets des décharges.

Enfin, un autre moyen d’action consiste à investir dans les infrastructures de santé et à rénover les établissements de soins. Vous venez d’entendre qu’un grand nombre d’établissements de santé au Canada font partie des infrastructures publiques les plus anciennes et les plus énergivores encore utilisées. Les investissements réalisés dans les infrastructures de santé peuvent réduire leur vulnérabilité aux conséquences des événements climatiques extrêmes et réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé grâce à la construction d’installations plus écoénergétiques utilisant des sources d’énergie plus propres et plus durables.

En conclusion, c’est avec joie que j’ai constaté le leadership dont font preuve les professionnels, les associations et les organisations du secteur de la santé au Canada pour montrer le chemin vers des systèmes de santé carboneutres, écologiquement viables et résilients aux changements climatiques. Il est possible d’aspirer à un système de santé carboneutre au Canada. C’est également un honneur d’ajouter ma voix à celles des sénateurs Coyle, Galvez, Yussuff, Klyne, Quinn, Black, Omidvar, Kutcher et Loffreda. Chers collègues, merci, meegwetch, de votre attention.

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