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La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

Projet de loi modificatif--Recours au Règlement--Décision de la présidence

20 novembre 2024


Honorables sénateurs, je suis prête à rendre une décision sur le rappel au Règlement soulevé par le sénateur Carignan le 24 octobre 2024 au sujet du projet de loi S-230, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. La préoccupation porte sur la question de savoir si le projet de loi nécessite une recommandation royale. Si c’est le cas, le projet de loi ne peut pas prendre origine au Sénat. Il devrait plutôt commencer à la Chambre des communes et être recommandé à cette Chambre par la gouverneure générale.

La question de la recommandation royale a été examinée en détail récemment, à la fois au cours de l’étude de ce rappel au Règlement et dans celui concernant le projet de loi S-15. Les arguments sur le rappel au Règlement au sujet du projet de loi S-15 ont été présentés les 25 et 26 septembre, et une décision a été rendue et maintenue par le Sénat le 2 octobre. Plutôt que de répéter les informations détaillées au sujet de la recommandation royale, j’encourage les collègues à revoir les pages pertinentes des Débats du Sénat. Les honorables sénateurs seront également intéressés à lire l’analyse de questions connexes qui se trouve aux pages 152 à 158 de La procédure du Sénat en pratique, dont des citations de la décision du 24 février 2009, énonçant de nombreux facteurs clés guidant l’analyse de ce sujet.

Pour connaître le contexte du présent rappel au Règlement, j’encourage les collègues à revoir les arguments présentés par le sénateur Carignan, la sénatrice Pate, qui est marraine du projet de loi S-230, ainsi que d’autres collègues. Je dois également souligner que plusieurs des commentaires offerts dans le cadre des arguments sur le rappel au Règlement étaient informés par l’analyse du projet de loi préparée par le directeur parlementaire du budget, à la demande du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles. La version en ligne du vingt-neuvième rapport du comité, qui traite du projet de loi S-230, contient un lien vers le rapport du directeur parlementaire du budget.

Le sénateur Carignan a identifié trois préoccupations clés. Premièrement, il a fait valoir que l’article 4 du projet de loi S-230, qui exigerait que le transfert d’individus détenus à un hôpital soit autorisé dans certaines circonstances, pourrait nécessiter de nouvelles dépenses pour être mis en vigueur de façon efficace. Le directeur parlementaire du budget a suggéré que les montants en cause pourraient aller de zéro jusqu’à deux milliards de dollars. Deuxièmement, le sénateur Carignan a soutenu que l’article 5 du projet de loi, qui exigerait que l’incarcération dans une unité d’intervention structurée soit limitée à 48 heures à moins qu’une prolongation ne soit autorisée par une cour supérieure, nécessiterait de nouvelles dépenses qui ne sont pas déjà autorisées par la loi. Cela serait dû à des facteurs tels que la nécessité de préparer des procédures judiciaires et le déplacement de personnes détenues. Il a également suggéré que l’article 11, qui autoriserait les demandes de réduction de peine pour cause d’injustice dans l’administration de la peine, entraînerait des dépenses similaires. L’analyse du directeur parlementaire du budget suggère que ces deux dernières dispositions pourraient entraîner des dépenses difficiles à estimer, mais qui pourraient être de l’ordre de 6,8 millions de dollars.

D’autres sénateurs n’ont pas accepté cette analyse et ses conséquences possibles. En ce qui concerne le premier point, on a noté que les modifications apportées à l’article 4 n’imposent pas de dépenses, puisque tout ce qui est requis est une autorisation de transfert d’une personne à un hôpital, et non pas que le transfert ait effectivement lieu. Il pourrait certes y avoir des pressions pour obtenir des fonds supplémentaires afin de payer pour des transferts, mais cela serait distinct des exigences imposées par le projet de loi comme tel, bien que cela en soit la conséquence. En ce qui concerne les deuxième et troisième points, il a été noté que les dépenses éventuelles liées aux procédures judiciaires sont nettement inférieures à un pour cent des dépenses totales du Service correctionnel du Canada. Bien que le rapport du directeur parlementaire du budget qualifie ces dépenses de « coût direct du projet de loi », il précise ensuite que « [c]ela ne signifie … pas que le projet de loi autorise des dépenses supplémentaires. En fait, le coût direct du projet de loi représente un coût de renonciation correspondant aux ressources qui seraient nécessaires pour satisfaire aux nouvelles obligations et qui pourraient ne plus être disponibles pour s’acquitter d’autres responsabilités ».

Avant d’aller plus loin, je souhaite aborder la question des économies potentielles qui peuvent être réalisées si un projet de loi est adopté, même si certaines de ses dispositions pourraient nécessiter de nouvelles dépenses. Cette question a été soulevée à diverses reprises lors de l’examen du rappel au Règlement. On a suggéré que les économies potentielles résultant de l’adoption du projet de loi S-230 pourraient permettre au Sénat d’éviter les préoccupations concernant les nouvelles dépenses que le projet de loi pourrait nécessiter. Cependant, la vingt-cinquième édition d’Erskine May, à la page 891, note que « [l]es réductions compensatoires des dépenses prévues ailleurs dans le projet de loi ne sont pas prises en compte, de même que les déclarations dans les notes explicatives accompagnant le projet de loi selon lesquelles les coûts seront couverts par les ressources financières existantes ou qu’aucune augmentation globale des dépenses publiques ne devrait résulter du projet de loi ». Si un élément du projet de loi nécessite de nouvelles dépenses pour une fin qui n’est pas déjà autorisée par la loi ou élargit l’objectif d’une dépense déjà autorisée, le projet de loi nécessite une recommandation royale, même s’il pourrait entraîner une économie nette pour les finances publiques.

Je dois également rappeler aux collègues qu’au Sénat nous avons la pratique générale de présumer qu’une question est recevable, si un argument raisonnable peut être avancé à cet effet. L’argument selon lequel une question est recevable n’a pas besoin d’être plus fort que le contre-argument, il doit seulement être raisonnable. Il s’agit d’un parti pris délibéré en faveur de la poursuite du débat, si cela est raisonnablement possible, afin que les sénateurs disposent de la plus grande latitude raisonnablement possible dans leurs travaux législatifs.

En ce qui concerne les préoccupations relatives à l’article 4, qui traite de l’autorisation d’un transfert vers un hôpital, une lecture stricte de l’article consisterait à dire qu’il exige seulement une autorisation, et non pas que le transfert ait effectivement lieu. Les sénateurs souhaiteront sans doute examiner attentivement si une telle approche est souhaitable, en reconnaissant que la disposition pourrait créer une pression pour engager des coûts qui pourraient être nécessaires pour donner effet à l’autorisation. Mais cet article ne semble pas en soi-même obliger des dépenses pour des fins nouvelles.

En ce qui concerne les préoccupations relatives aux articles 5 et 11, qui traitent des dépenses requises pour un éventuel contrôle juridique, je me réfère à nouveau à la plus récente édition d’Erskine May, à la page 892, où il est noté que la recommandation de la Couronne n’est pas requise pour « les propositions [qui] peuvent avoir pour conséquence accessoire d’augmenter les coûts de l’administration de la justice ». Dans ce contexte, le terme accessoire ne fait pas référence à une somme d’argent précise, mais plutôt à la question de savoir si la charge sur le trésor public ne constitue qu’une conséquence de la mesure législative touchant aux questions dont doivent traiter les cours. En règle générale, les mesures susceptibles d’élargir la compétence d’une cour, tout comme celles qui créent de nouvelles infractions, ne nécessitent donc pas de recommandation royale.

Indépendamment de cette question, en ce qui concerne l’article 5, on peut noter que l’article 33 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition exige déjà que « [l]’incarcération dans une unité d’intervention structurée pren[ne] fin le plus tôt possible ». Le nouveau libellé proposé dans le projet de loi S-230 peut donc être raisonnablement compris comme structurant une exigence qui existe déjà dans la loi, en réduisant le niveau de discrétion dont jouit le Service correctionnel du Canada.

Tout compte fait, il semble donc que l’on puisse raisonnablement en arriver à la conclusion que le débat sur le projet de loi S-230 devrait pouvoir continuer. Les sénateurs voudront sans doute réfléchir aux effets possibles plus généraux du projet de loi et aux questions soulevées dans le rappel au Règlement. Je tiens à remercier le sénateur Carignan de l’attention qu’il a portée à une question importante, qui a permis de mieux apprécier les effets possibles du projet de loi.

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