Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
26 novembre 2024
Honorables sénateurs, le débat sur cet article est ajourné au nom de l’honorable sénateur Plett, et je demande le consentement du Sénat pour qu’il reste ajourné à son nom après mon intervention d’aujourd’hui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Il en est ainsi ordonné.
Honorables sénateurs, c’est un honneur pour moi de pouvoir m’adresser à vous pour la première fois. Étant donné que j’ai 70 ans et que la règle sur la retraite obligatoire ne saurait être plus limpide, je serai ici pendant au plus quatre ans et neuf mois. Compte tenu des normes du Sénat, c’est peu de temps pour atteindre des objectifs. Il serait donc irréaliste de ma part de vous présenter une longue liste. Parmi mes principaux objectifs, soulignons la promotion et la protection de la démocratie et des droits de la personne au Canada et dans le monde. En vérité, je n’ai pas choisi ces buts. Ce sont eux qui m’ont choisi.
L’histoire commence il y a 102 ans, dans un minuscule village hongrois coincé entre l’Ukraine et la Roumanie, où mon père, Miklosz Mike Adler, est né de deux parents juifs orthodoxes qui tenaient le magasin général du village. Ils vendaient de la nourriture, des vêtements et beaucoup d’eau gazeuse. Les relations de la famille Adler avec ses clients n’auraient pas pu être meilleures. À l’aube du XXe siècle, il existait un système de troc. Les agriculteurs apportaient leurs récoltes au magasin, et c’était le travail de mon père et de ses frères d’apporter ces récoltes dans une ville où ils pouvaient les vendre contre de l’argent sonnant. La vie n’était pas facile. Les routes menant à la ville se trouvaient dans une zone inondable. Les chemins de terre étaient parfois tellement boueux que, bien des jours, seul un bœuf pouvait tirer la charrette des Adler. Acheminer les marchandises au marché, ce qui prenait parfois des heures, prenait plusieurs jours lorsque les routes étaient boueuses.
Même si cette vie était pénible, c’était une belle vie, malgré le gant noir de la brutalité qui se cachait juste au coin de la rue. Avant que mon père n’atteigne l’âge de 17 ans, Adolf Hitler a braqué ses yeux sur toute l’Europe, plaçant une cible dans le dos et une étoile jaune sur la poitrine de chaque Juif. Ils ne seraient pas autorisés à posséder des magasins généraux. Leurs commerces devaient être pillés, leurs synagogues détruites, leurs vies anéanties. Les parents, les frères, les sœurs, les neveux, les cousins et les nièces de mon père ont vu leur vie s’achever dans les fours d’Auschwitz.
Je dois vous présenter la dure réalité de l’Holocauste en Hongrie. Plus de 840 000 Juifs vivaient en Hongrie avant l’Holocauste. Seul un sur cinq a survécu, car quatre sur cinq ont été exterminés par les ennemis de la démocratie et des droits de la personne.
Mon père a survécu à l’Holocauste grâce à la générosité d’un gentil vertueux, un ami de mon père qui ne lui a pas permis de se rendre à la gare pour être déporté à Auschwitz. Il a mis mon père dans sa charrette et il est parti en direction de la frontière roumaine. Il a traversé la frontière et il a dit à l’un des fermiers que mon père était un homme bon, un travailleur assidu, qui allait travailler dans les champs toute la journée et dormir dans l’étable la nuit.
C’est ce qu’il a fait durant trois mois, jusqu’à ce que les soldats russes traversent la Roumanie dans le but de retirer l’Europe des mains d’Hitler. Ils ont frappé à la porte de l’étable où Miklosz Adler se cachait. Mon père a été arrêté par les communistes russes et envoyé dans le goulag sibérien, où il a vécu pendant trois ans dans des conditions que je ne peux pas vous décrire. Honnêtement, j’ignore comment il a pu survivre. Les chances de survie de mon père étaient très peu élevées, mais il a réussi, et même si son esprit n’était plus le même, son cœur, lui, était intact. Mon père a survécu.
Ma mère, Rosza — ou Rose —, est née il y a 90 ans dans un autre village hongrois. Elle était enfant unique, sans frère ni sœur, et sa mère était une jeune veuve. Son mari, le père de ma mère, est mort pendant que bébé Rosza était encore dans le ventre sa mère. Cela faisait de ma grand-mère maternelle une mère célibataire qui n’avait aucun moyen d’élever une enfant dans un village comme le sien. Elle a donc emmené sa fille dans la grande ville de Budapest.
Si le père de ma mère n’était pas mort dans la vingtaine et que ma grand-mère était restée dans son village, elle, son mari et sa fille — donc ma mère — auraient fini dans une cheminée à Auschwitz; c’est la dure et froide réalité de l’Holocauste en Hongrie. Voyez-vous, absolument tous les Juifs du village ont été déportés et tués. C’est l’histoire de ma famille qui me sert de boussole quand, au Sénat, je décide d’appuyer un ordre de renvoi sur les effets intergénérationnels de la déportation.
Je ne suis jamais allé à Auschwitz, mais cet endroit m’a toujours habité. Les cauchemars qui troublent nombre de mes nuits me hantent souvent en plein jour également. Le poids de l’histoire semble toujours aussi accablant, que l’on soit éveillé ou non. Les périodes de célébration sont toujours suivies de périodes de solitude et de silence. C’est le même sentiment de culpabilité du survivant qui hantait ma mère et mon père. Cela fait partie d’un phénomène qu’on appelle le traumatisme intergénérationnel.
Le même traumatisme affecte tant de personnes qui sont des descendants des Premières Nations, les premiers peuples de ce grand pays. Je n’en saurai jamais assez sur leurs histoires, mais je partagerai toujours leur douleur. Comme je ne suis pas dépourvu d’empathie, je dois maintenant présenter mes excuses sans réserve pour les souffrances inutiles qui ont été causées par des propos que j’ai tenus et dont j’assume la responsabilité dans cette vénérable enceinte.
Je parle de ce que j’ai dit lors d’une émission de radio il y a 25 ans. Cela n’avait pas attiré l’attention des médias à l’époque parce que rien de ce que j’avais dit ne paraissait alors digne de mention ou controversé. Cependant, certains de mes propos qui ont ressurgi lors de ma nomination, il y a trois mois, ne reflètent tout simplement pas l’époque dans laquelle nous vivons. Je n’utiliserais jamais ces mots aujourd’hui et je ne les répéterai pas ici. Il y a trois mois, lorsqu’on a déterré ces paroles de mon passé, elles étaient horribles et révoltantes à mes yeux, tout comme elles l’étaient sans doute aux yeux des Autochtones.
Peu importe que ma motivation ait été l’amour pour mes auditeurs, y compris pour certains des plus fidèles d’entre eux : les Autochtones. Peu importe si j’essayais d’être utile en critiquant les dirigeants de certaines Premières Nations. Je me suis permis d’utiliser un langage qui, de nos jours, est jugé excessif, offensant et blessant.
Ces mots ont été enregistrés, et il n’y a rien que je puisse faire pour les effacer. La seule chose que je puisse faire pour les Autochtones du Manitoba, pour les Autochtones du Canada et pour le Sénat du Canada, c’est d’ajouter ces trois mots : je suis désolé.
Je saisis l’occasion qui m’est donnée ici pour présenter mes excuses à l’égard de certains propos que j’ai tenus il y a 25 ans, mais je tiens à ce que vous sachiez que je suis très fier du travail que j’ai accompli dans les médias pendant un demi-siècle, un travail qui m’a toujours tenu à cœur et qui a toujours visé à remercier le Canada de son attention.
Grâce à ma carrière dans les médias, j’ai eu le privilège, pendant des dizaines d’années, d’apprendre à connaître les Canadiens d’un océan à l’autre et de leur parler de choses importantes pour eux, en particulier les Manitobains, que je suis très fier de représenter. Pendant de nombreuses années, j’ai animé des émissions nationales de radio et de télévision qui étaient écoutées par des Canadiens d’horizons très variés. Cette expérience m’a donné une perspective unique sur notre pays, qui n’est pas seulement théorique, ainsi qu’une meilleure compréhension des aspirations et des préoccupations des habitants des différentes régions du pays.
Mon travail au Sénat sera le reflet de mon amour pour le Canada et pour les personnes qui font non seulement la grandeur, mais aussi la bonté de ce pays. Le Canada est un bon pays.
Plus tôt, je vous ai raconté comment un non-Juif vertueux a sauvé la vie de mon père en l’empêchant de monter à bord d’un train en direction d’Auschwitz. Un autre non-Juif vertueux a évité à ma mère, alors âgée de 10 ans, de monter dans un train vers la même destination. En 1944, ma mère vivait dans le ghetto juif de Budapest lorsque les nazis ont rassemblé plus d’un demi-million de Juifs hongrois. Elle a échappé à la rafle grâce à l’aide d’un ambassadeur suédois en Hongrie. Il s’appelait Raoul Wallenberg. Son équipe et lui ont réussi à fournir des passeports suédois à des milliers de Juifs du ghetto. Ma mère était du nombre. Je ne le remercierai jamais assez de lui avoir sauvé la vie et je tiens à remercier publiquement le gouvernement du Canada d’avoir accordé la citoyenneté honoraire à titre posthume à Raoul Wallenberg en 1985.
Je devrais ajouter que, peu de temps avant la fin de la guerre, les nazis ont cessé de reconnaître la légitimité des documents diplomatiques suédois. Ils ont fomenté un plan visant à assassiner la totalité de la population du ghetto. M. Wallenberg a dit aux commandants nazis de Budapest qu’il ferait le nécessaire pour qu’ils soient tous inculpés de crimes de guerre une fois le conflit terminé. Cet homme ne se distinguait pas seulement par son autorité diplomatique, il se démarquait aussi par son autorité morale. Les quelque 70 000 Juifs que comptait le ghetto de Budapest, dont ma mère, qui était alors âgée de 10 ans, ont été épargnés.
Quand je réfléchis au fait que ma mère et mon père ont survécu à la Seconde Guerre mondiale, je pense toujours à l’héroïsme des membres des Forces armées canadiennes qui se sont sacrifiés pour sauver la démocratie du fascisme. Le Canada a été parmi les premiers pays, en septembre 1939, à déclarer la guerre à Adolf Hitler. Sans le Canada et ses alliés, ma mère et mon père n’auraient eu absolument aucune chance de rester en vie. Ce que les nazis appelaient « la question juive » aurait trouvé une réponse sans appel si les alliés avaient perdu.
C’est le plus grand honneur de ma vie de pouvoir prendre la parole dans ce foyer de la démocratie canadienne et de remercier publiquement les militaires canadiens ainsi que les enfants et petits-enfants de ceux qui ont combattu avec bravoure et héroïsme pour abattre et détruire le régime qui se vouait à l’élimination de tous les Juifs en Europe et, en fin de compte, dans le monde entier. Je remercie les membres des Forces armées canadiennes pour la vie de mes parents et, en fait, ma propre vie. Merci du fond de mon cœur canadien pour vos sacrifices, votre bravoure et votre honneur.
Mes parents hongrois, meurtris et traumatisés par l’Holocauste, se sont mariés en 1951, sept ans après la fin de la guerre en Europe. Je suis né trois ans après leur mariage. Deux ans après ma naissance, les Hongrois se sont révoltés contre leurs maîtres communistes soviétiques. Si le soulèvement a été un échec, écrasé par les chars soviétiques, la torture et les assassinats, la frontière a été poreuse pendant une très brève période et 200 000 Hongrois ont réussi à fuir le communisme. Mes parents m’ont mis dans un sac à dos, et mon père m’a porté jusqu’à la liberté. Notre première destination a été l’Autriche, où nous avons passé des mois dans un camp de réfugiés en attendant qu’un pays nous permette d’avoir la liberté, l’humanité et la dignité. Ce pays, chers collègues, a été le Canada. Ma mère, mon père et moi avons fait partie des 37 500 Hongrois admis au Canada.
Maintenant, 85 ans après que le gouvernement du Canada s’est engagé — sur la Colline du Parlement, à quelques pas de l’endroit où je me trouve à présent — à vaincre Adolf Hitler pour libérer le monde du fascisme, je suis ici pour dire merci au Canada pour ma vie et pour ma liberté, et merci de m’avoir accordé le privilège de servir le pays que j’aime.