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Projet de loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire (Loi de David et Joyce Milgaard)

Projet de loi modificatif--Troisième lecture--Débat

27 novembre 2024


L’honorable David M. Arnot [ + ]

Propose que le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je souhaite aujourd’hui appuyer le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel et d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (examen des erreurs judiciaires), que l’on appelle aussi « Loi de David et Joyce Milgaard ».

Chers collègues, mon intervention de cet après-midi s’articule autour de trois thèmes. Le premier : je veux pouvoir vous dire ce que vous devez savoir, selon moi, au sujet du projet de loi C-40, c’est-à-dire ses tenants et aboutissants, information dont vous avez peut-être déjà une partie en main parce que vous l’avez entendue à l’étape de la deuxième lecture au Sénat. Je vous expliquerai aussi ce que vous devez absolument savoir, à mon avis, pour juger du bien-fondé de cette mesure législative. Le deuxième thème est le fait que l’étude du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a donné lieu à un rapport ne proposant aucun amendement, mais contenant un certain nombre d’observations. Ce rapport a été présenté hier par le président du comité, le sénateur Cotter. Le troisième thème, enfin, est de nature personnelle. Je décrirai les événements, le contexte et les raisons qui m’ont poussé à parrainer ce projet de loi au Sénat.

Commençons par les tenants et aboutissants du projet de loi C-40. Ce texte créera une commission indépendante chargée d’examiner les erreurs judiciaires à la place du ministre de la Justice. En créant un organisme décisionnel indépendant, on veut que le grand public et les personnes qui ont pu être injustement reconnues coupables d’une infraction fassent davantage confiance au processus d’examen. Cet organisme a été réclamé par diverses commissions d’enquête chargées de faire la lumière sur des erreurs judiciaires, des personnalités du domaine et les défenseurs des personnes qui ont été injustement reconnues coupables d’une infraction.

Cette mesure législative fait aussi suite à la création de commissions indépendantes semblables dans d’autres pays, notamment en Angleterre, au Pays de Galles, en Irlande du Nord, en Écosse et en Nouvelle-Zélande, ce qui a donné lieu à une augmentation considérable des demandes présentées. Il en résulte qu’un plus grand nombre de déclarations de culpabilité injustifiées y sont rectifiées comparativement au Canada.

Selon la Cour suprême du Canada, les déclarations de culpabilité injustifiées sont un fléau dans notre système de justice. Tous les acteurs du système de justice pénale doivent assumer leurs responsabilités et prendre des précautions raisonnables pour éviter ce genre de choses. Le système de justice n’est pas infaillible. Il est donc aussi essentiel de se doter d’un cadre efficace et efficient permettant de mettre le doigt sur les erreurs judiciaires lorsqu’elles se produisent et de les corriger.

Ce sont souvent les cours d’appel qui relèvent et corrigent les erreurs judiciaires lorsqu’une affaire est toujours devant les tribunaux. Les erreurs judiciaires sont un motif d’appel, et les cours d’appel ont le pouvoir d’annuler une condamnation ou un verdict et d’ordonner la tenue d’un nouveau procès. Habituellement, les personnes qui estiment avoir été condamnées à tort doivent donc commencer par épuiser les recours qui leur permettent d’interjeter appel de la décision rendue. Toutefois, il arrive parfois que de nouveaux renseignements ou éléments de preuve qui remettent en cause la solidité d’un verdict ou la régularité de la procédure suivie surviennent lorsque les tribunaux ne sont plus saisis de l’affaire. La nature de la possible erreur judiciaire nécessite aussi parfois un examen et une enquête.

C’est le rôle de la nouvelle commission. Il s’agit d’une procédure d’enquête dans le cadre de laquelle on recueille des informations et des éléments de preuve pour déterminer si une erreur judiciaire a pu se produire et, s’il y a lieu, on renvoie l’affaire devant un tribunal pour qu’il prenne une décision finale quant au verdict. Par conséquent, le processus mené par la commission ne sera pas un processus mené parallèlement à celui d’une cour d’appel ou qui le remplacera.

Le projet de loi C-40 prévoit que la commission pourra faire des exceptions et accepter des demandes lorsqu’aucune autorisation de faire appel n’a été demandée. Le projet de loi énonce les facteurs pertinents dont la commission tiendra compte pour déterminer si elle peut accepter la demande et mener une enquête pour déterminer si une erreur judiciaire a pu être commise dans des circonstances exceptionnelles. Dans tous les cas, la commission aura les mêmes pouvoirs qu’une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes pour ordonner la production d’informations et d’éléments de preuve et exiger que des personnes témoignent sous serment.

La création d’une commission indépendante chargée exclusivement de l’examen des erreurs judiciaires vise à améliorer l’accès à la justice en facilitant et en accélérant l’examen des demandes des personnes qui ont possiblement été condamnées à tort, en particulier celles des Autochtones, des Noirs et des membres des communautés marginalisées.

Le projet de loi C-40 propose qu’il y ait au moins cinq et jusqu’à neuf commissaires à temps plein ou à temps partiel. Ainsi, la nouvelle commission pourrait examiner plus rapidement les plaintes pour erreur judiciaire, ce qui contribuerait à atténuer les répercussions dévastatrices qu’elles ont sur la personne condamnée, sa famille, les victimes et le système de justice dans son ensemble.

Le projet de loi C-40 autorise la nomination de commissaires qui doivent refléter la diversité canadienne et tenir compte de la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale, comme les Noirs et les Autochtones. Les commissaires doivent avoir des connaissances et une expérience en lien avec le mandat de la commission. Tous les commissaires ne seront pas des avocats, mais au moins le tiers d’entre eux devront compter au moins 10 ans d’expérience dans l’exercice du droit pénal.

Le vaste mandat de la commission lui permettra de relever ce qui pourrait être des erreurs judiciaires, de renvoyer ces cas aux tribunaux et de s’attaquer aux problèmes systémiques, le tout dans le but d’éviter les erreurs judiciaires. En plus des pouvoirs, obligations et fonctions qu’elle lui attribue, la mesure législative prévoit que la commission devra faire de la sensibilisation, faire connaître son mandat au grand public et aux demandeurs potentiels, leur fournir de l’information sur les erreurs judiciaires en général et publier ses décisions. Elle devra également offrir du soutien aux demandeurs démunis, sous forme d’assistance juridique, de mécanismes de réintégration, notamment pour se nourrir et se loger, de services de traduction et d’interprétation et d’aide en général pour présenter une demande. La commission aidera également les victimes en leur offrant de l’information, en leur envoyant des avis et en leur permettant de participer de la manière prévue dans la Charte canadienne des droits des victimes.

Pour ce qui est des réformes juridiques de fond, le projet de loi C-40 propose de modifier ainsi les critères de renvoi devant les tribunaux : pour commencer, le seuil juridique à franchir serait abaissé. À l’heure actuelle, le ministre de la Justice doit être convaincu qu’il y a vraisemblablement eu une erreur judiciaire pour agir. Si le projet de loi est adopté, la commission pourrait renvoyer une cause devant les tribunaux dès qu’elle a des motifs raisonnables de conclure qu’une erreur judiciaire a pu être commise.

Deuxièmement, la commission doit également considérer qu’il est dans l’intérêt de la justice de procéder au renvoi. L’intérêt de la justice englobe à la fois des considérations relatives à l’administration de la justice, mais aussi, et c’est important, la situation de chacun. C’est pourquoi les facteurs spécifiques que la commission doit prendre en compte pour décider si une affaire doit être renvoyée devant les tribunaux sont également modifiés.

Troisièmement, la situation personnelle du demandeur est ajoutée à la loi, ainsi que les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs appartenant à certaines populations pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreur judiciaire, particulièrement en ce qui touche la situation des demandeurs autochtones ou noirs.

La commission doit prendre en compte ces nouveaux facteurs, en plus des facteurs existants du processus ministériel repris dans le projet de loi, à savoir : la question de savoir si la demande repose sur une nouvelle question importante qui n’a pas été étudiée auparavant, la pertinence et la fiabilité des renseignements présentés et le fait que la demande ne doit pas tenir lieu d’appel ultérieur et que les mesures de redressement sont des recours extraordinaires.

Ce dernier facteur vise à tenir compte du fait que les renvois par le pouvoir exécutif sur des questions qui ont déjà été tranchées par les tribunaux constituent un recours exceptionnel. En règle générale, le pouvoir exécutif n’interfère pas dans les affaires qui relèvent du pouvoir judiciaire et, comme indiqué précédemment, les cours d’appel ont le pouvoir de traiter les erreurs judiciaires et d’y remédier, et ce devrait être elles qui s’en chargent le plus souvent.

Le processus de révision des erreurs judiciaires fonctionne de manière appropriée comme une soupape de sécurité. Il garantit l’existence d’un mécanisme permettant de procéder à un examen et d’enquêter sur une nouvelle question d’importance découverte après qu’une affaire soit sortie du système judiciaire, de sorte que les erreurs judiciaires potentielles ne soient pas négligées et puissent être corrigées.

C’est ici que se termine le premier sujet abordé dans mon discours. Le deuxième concerne les délibérations du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles.

Chers collègues, si mon compte est exact, le comité a entendu 37 témoins dans le cadre de huit séances, dont le ministre de la Justice, d’éminents experts canadiens, d’éminents experts internationaux, des défenseurs des personnes condamnées injustement, des défenseurs des victimes de crimes et des personnes qui ont elles‑mêmes été injustement condamnées.

Je vais commencer avec le puissant et fascinant témoignage de M. Guy Paul Morin, un des plus célèbres citoyens canadiens injustement condamnés. Voici ce qu’il a dit au comité :

Ce que ce projet de loi peut offrir à d’autres personnes qui se retrouveront dans ma situation à l’avenir, c’est de l’espoir. Ce ne devrait pas être au ministre de la Justice d’examiner les cas, étant donné qu’au départ, il fait partie du système qui m’a laissé tomber. Une nouvelle commission indépendante, ouverte à la réalité des erreurs judiciaires et vouée à la vérité et à l’équité contribuerait grandement à faire la lumière sur ces injustices.

Malgré mon exonération en 1995, la stigmatisation persiste. Elle a touché ma famille et mes enfants. Pas plus tard que cet été, je parlais au téléphone avec une cliente potentielle qui m’a dit que j’avais un nom difficile à porter. Lorsque je lui ai demandé pourquoi, elle m’a répondu : « Parce que c’est le nom d’un tueur. » J’étais estomaqué et je lui ai répondu : « Vraiment? » C’est 29 ans après ma disculpation et 4 ans après l’annonce du véritable meurtrier.

Lorsqu’une personne est condamnée à tort, cela entache sa vie pour toujours, et le moins que nous puissions faire, c’est d’essayer d’identifier ces cas le plus rapidement possible et d’aider les personnes touchées à sortir du système carcéral et des tribunaux pour pouvoir commencer à refaire leur vie. Plus elles demeurent longtemps dans le système, plus leur nom et leur réputation sont ternis.

Après avoir entendu des témoignages aussi convaincants, le comité a examiné neuf amendements bien étayés présentés par notre collègue la sénatrice Batters — la porte-parole du projet de loi — et le sénateur Carignan. Le sénateur Carignan a demandé au comité d’envisager la possibilité que la nouvelle commission examine les requêtes des demandeurs qui affirment avoir été condamnés à tort en vertu de la Loi sur la défense nationale — autrement dit, des militaires. En étudiant cet amendement, le comité a reconnu que rien n’indiquait qu’il y ait eu des condamnations injustifiées; toutefois, cela ne veut pas dire qu’elles ne se sont pas produites dans le système de justice militaire. Je sais également que les fonctionnaires du ministère de la Défense nationale sont au courant de l’absence de mesures précises, tant dans le processus d’examen ministériel actuel que dans le projet de loi C-40.

Certes, l’idée d’incorporer le système de justice militaire dans le processus général d’examen des erreurs judiciaires, y compris par une nouvelle commission, pourrait être examinée à l’avenir. Toutefois, cela nécessiterait une évaluation détaillée des considérations politiques et statutaires et la prise en compte non seulement du Code criminel, mais aussi de la Loi sur la défense nationale. Ce travail devrait être effectué en consultation avec le ministère de la Défense nationale et le juge-avocat général.

Modifier le projet de loi C-40 pour y intégrer ce système de justice militaire à l’heure actuelle dépasse, à mon avis, la portée du projet de loi.

Cela dit, le comité a également entendu des experts tels que Me Kent Roach dire que la commission serait habilitée à traiter de toutes les lois canadiennes ayant entraîné une condamnation injustifiée. Comme autre possibilité, le comité a également envisagé que le projet de loi C-66, qui est à l’étude à l’autre endroit et qui porte sur l’examen du système de justice militaire, puisse être mieux adapté pour incorporer cet enjeu. C’est une idée intéressante qui a été avancée par le sénateur Dalphond.

Cinq autres amendements mûrement réfléchis ont été proposés par notre collègue le sénateur Carignan, qui a fait valoir que le comité doit répondre aux besoins des victimes, ce que ce projet de loi ne fait pas. En ce qui concerne les amendements qui visent à inclure les victimes, on a indiqué que le projet de loi exige déjà que la commission fournisse de l’information et des réponses aux victimes, y compris les personnes lésées par le crime ainsi que leur famille. Selon l’information reçue du ministère de la Justice, ces personnes peuvent recevoir autant ou aussi peu de correspondance de la part de la commission qu’ils le souhaitent. De plus, la commission sera assujettie à la Charte canadienne des droits des victimes, qui a préséance au Canada. Les victimes d’actes criminels ont des droits en matière d’information, de protection et de participation qui doivent être respectés.

Une commission sur les erreurs judiciaires devrait également se pencher sur les façons dont le système de justice a laissé tomber les victimes. C’est ce que fait le projet de loi C-40 dans sa forme actuelle, car il oblige la commission à établir des politiques de communication avec les victimes d’actes criminels. En vertu du projet de loi C-40, la commission est tenue d’établir des politiques et des pratiques qui répondent aux besoins des victimes d’actes criminels. Ce comité a entendu l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, Benjamin Roebuck, dire qu’il était tout à fait prêt à travailler avec cette nouvelle commission pour élaborer ces politiques et ces pratiques. Le gouvernement a fait remarquer que le projet de loi prévoit des fonds pour la création d’un poste de coordonnateur des services aux victimes.

Bien que le projet de loi exige que la commission adopte des politiques relatives à la notification des victimes, il est nécessaire de faire preuve de nuance et de sensibilité à cet égard. Je pense que nous comprenons tous que certaines victimes ne voudraient pas de toute la notification obligatoire que ces amendements exigeraient.

Le facteur vraiment fondamental et critique ici, cependant — et que les témoins ont souligné l’un après l’autre —, c’est que les personnes condamnées à tort sont des victimes qui sont spécifiquement prises en considération par la mesure législative proposée. Il s’agit de citoyens canadiens qui sont devenus des victimes du système de justice. Être condamné à tort, c’est être victime d’un ou de plusieurs aspects du système de justice, de sorte que les droits garantis par la Charte, surtout la liberté, sont violés par l’État. Quand un citoyen canadien est accusé, blâmé et reconnu coupable d’un crime qu’il n’a pas commis, l’État fait une victime qui n’est que la création du système de justice pour résoudre un crime de même que la tragédie et l’horreur vécues par la victime du crime initial ou catalyseur.

Le projet de loi C-40 a été conçu en réponse à une situation particulière, celle des personnes qui ont été condamnées injustement; ces personnes sont au cœur du projet de loi. De toute évidence, la possibilité que la mauvaise personne ait été jugée coupable et emprisonnée a de profondes répercussions pour les victimes du crime commis à l’origine, leur famille, leurs amis et leur collectivité. Les condamnations injustifiées sont sans contredit source d’une terrible déception pour les victimes du crime commis à l’origine. Le projet de loi C-40 tient compte du fait que les victimes du crime, leur famille et leur collectivité sont touchées lorsqu’il y a une condamnation injustifiée.

Nous devrions tous reconnaître sans réserve qu’il faut accroître et améliorer le soutien offert aux victimes de crimes. Ces changements sont vraiment nécessaires, mais ils devront faire l’objet d’une autre mesure législative que celle-ci.

Le principe du projet de loi C-40, c’est que le crime commis à l’origine ne doit pas être la cause d’une autre injustice. C’est pourquoi il se concentre sur les besoins des personnes qui ont été condamnées injustement. Il se concentre sur les besoins de ces victimes-là, des gens comme Guy Paul Morin, Brian Anderson, Clarence Woodhouse, Donald Marshall junior et David Milgaard. Bref, le projet de loi porte sur les victimes d’erreurs judiciaires.

En fait, il aurait fallu adopter une mesure législative comme le projet de loi C-40 il y a plusieurs décennies, comme l’a proposé James Lockyer. C’est toutefois le premier projet de loi solide dans ce domaine. James Lockyer est avocat et expert canadien en matière d’erreurs judiciaires. Voici ce qu’il a déclaré au comité, avec force et passion :

Je pense que si David Milgaard était parmi nous aujourd’hui, il vous dirait : « Adoptez-le maintenant, sans amendement. J’ai passé 23 ans en prison pour un meurtre commis par quelqu’un d’autre. J’ai dû attendre 28 ans pour que l’ADN prouve une fois pour toutes que je n’étais pas le coupable, mais que quelqu’un d’autre l’était. Les personnes emprisonnées pour des crimes qu’elles n’ont pas commis ne devraient pas avoir à attendre aussi longtemps. Elles ont besoin d’aide maintenant. »

J’ai commencé le débat sur le deuxième thème de mon discours en citant les propos de Guy Paul Morin, et je le terminerai en citant les paroles de l’une des deux personnes mentionnées dans le titre abrégé du projet de loi, le regretté David Milgaard, qui avait affirmé : « Les personnes condamnées à tort ont déjà été déçues une fois par le système de justice. Les laisser tomber une seconde fois n’est pas une option négociable. »

Chers collègues, vous noterez que le rapport déposé par le sénateur Cotter l’autre jour contient plusieurs observations. Je remercie mes collègues du Sénat qui, dans leurs observations, ont tenu compte des questions de langue, mais aussi de l’incidence disproportionnée sur les personnes noires et autochtones, ainsi que sur les femmes.

Je vous exhorte à lire ces observations. Ce sont de puissants messages adressés à la commission que le projet de loi vise à créer. Elles constituent également un message pour ceux d’entre nous qui seront présents lorsque les travaux de la commission seront examinés dans cinq ans, comme le prévoit la mesure législative. Sur ce, je conclus le deuxième thème de mon discours.

Le troisième thème, lui, est de nature personnelle. Il porte sur les raisons qui m’ont poussé à parrainer le projet de loi C-40. Je réfléchis à la façon dont ce projet de loi boucle la boucle de ma carrière. Le titre abrégé de ce projet de loi — Loi sur la Commission d’examen des erreurs du système judiciaire — est, comme nous le savons tous, aussi connu comme la Loi de David et Joyce Milgaard. La condamnation injustifiée de David Milgaard pour le meurtre, en 1969, de Gail Miller, une étudiante en soins infirmiers, a été bien étudiée par la communauté juridique au Canada, y compris les magistrats et les avocats. Les Canadiens en général connaissent également l’histoire de M. Milgaard, les 23 années qu’il a passées en prison et les efforts inlassables de sa mère, Joyce Milgaard, pour l’innocenter.

Dans le cadre des discussions sur ce projet de loi, la chanson Wheat Kings, composée et interprétée par The Tragically Hip, a été mentionnée à quelques reprises. Elle parle du « Paris des Prairies », c’est-à-dire la ville de Saskatoon. À l’époque du meurtre de Mme Miller, j’habitais le « Paris des Prairies ». Je me souviens du choc ressenti dans toute la Saskatchewan à la suite de l’acte horrible commis à l’encontre d’une jeune étudiante en soins infirmiers. Le sentiment de sécurité avait été ébranlé à Saskatoon, une ville où des milliers de jeunes adultes faisaient des études postsecondaires. À peine quelques années plus tard, j’étais moi-même un jeune étudiant en droit qui fréquentait les mêmes rues et les mêmes endroits que Mme Miller avait bien connus.

En tant que jeune avocat et procureur de la Couronne, j’ai poursuivi Larry Fisher seulement 12 ans après le meurtre de Mme Miller. M. Fisher a alors été emprisonné. Il a refusé de suivre quelque programme que ce soit, et il a été libéré du pénitencier fédéral en raison des dispositions sur la libération d’office. Après être sorti de prison, il est retourné dans sa ville, North Battleford, en Saskatchewan. Tard un soir, il a traqué, violé et égorgé une femme de 50 ans qui rentrait chez elle après avoir participé à un tournoi de Scrabble à l’église. Heureusement, cette femme n’a pas été assassinée, mais on l’avait de toute évidence laissée pour morte. C’était l’intention de l’agresseur.

Malheureusement, la preuve contre M. Fisher était purement circonstancielle. Il faisait nuit noire, la survivante n’a pas bien vu son agresseur et il n’y avait aucun autre témoin. Elle a été incapable d’identifier l’accusé, qui était présent dans la salle d’audience lors de l’enquête préliminaire, car elle n’avait jamais vu son visage. Heureusement, un policier de la Gendarmerie royale du Canada, le sergent d’état-major Bob Young, qui connaissait les antécédents et le caractère de M. Fisher, l’a trouvé chez lui, alors qu’il sortait une paire de jeans d’une machine à laver.

À la Cour du Banc de la Reine, M. Fisher était représenté par Morris Bodnar, un éminent criminaliste de la Saskatchewan. En 1981, dans l’un de mes derniers dossiers à titre de procureur principal de la Couronne, j’ai présenté avec M. Bodnar une proposition conjointe demandant que la cour ajoute 10 ans aux trois années de peine qui restaient et que Fisher devait automatiquement purger. Ce qui revenait, autrement dit, à une peine d’emprisonnement additionnelle de 13 ans.

À peine quelques mois plus tard la même année, alors que je venais d’être nommé juge de la cour provinciale, j’ai visité, dans la cadre de ma formation, un certain nombre d’établissements de justice en Saskatchewan, y compris le pénitencier fédéral. Il se trouve que lorsque je suis entré dans la prison fédérale où M. Fisher était détenu, celui-ci a fait exprès de rester à un endroit où il pourrait me voir et il m’a fixé du regard. Il m’a vu et je l’ai vu, ce qui a effectivement prouvé le pouvoir de la communication télégraphique dans la culture pénitentiaire.

Dix ans plus tard, en 1991, j’ai suivi avec un intérêt particulier le renversement beaucoup trop tardif de la condamnation de M. Milgaard à la Cour suprême du Canada. J’avais poursuivi Fisher, et je connaissais ses antécédents tourmentés et violents. J’ai également suivi le procès avec le point de vue d’un juge de la Saskatchewan. On a conclu que seules des preuves circonstancielles existaient contre M. Milgaard, et que, dans les faits, ce jeune de 16 ans, considéré comme un hippie par les enquêteurs de police, s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment.

Il s’est fait manipuler par des détectives trop zélés, puis condamné sur la fausse déclaration d’une jeune femme, qui a tenté de revenir sur sa déclaration parce qu’elle s’était sentie forcée de dire aux policiers ce qu’ils souhaitaient entendre. M. Milgaard a été libéré de prison en 1992 et il a reçu une indemnisation financière en 1999.

Il se trouve que cela s’est produit en bonne partie grâce aux efforts de l’un de nos collèges et mon bon ami, le sénateur Brent Cotter. Il était sous-ministre de la Justice à l’époque, et la preuve génétique exonérait bel et bien M. Milgaard. M. Cotter a directement participé au processus qui a mené à l’adjudication d’une indemnité pécuniaire non négligeable, soit 10 millions de dollars, pour condamnation injustifiée.

L’exemple de ce fonctionnaire qui a décidé de suivre sa conscience et d’agir avec intégrité montre qu’il peut suffire d’une personne pour changer le cours des choses. Je m’égare, cela dit, et j’espère qu’il vous racontera lui-même cette partie-là de l’histoire la semaine prochaine. Sur ce, je conclus le troisième thème.

Qu’arrive-t-il maintenant? Chers collègues, c’est seulement en 2008 qu’une enquête sur cette erreur judiciaire a fini par recommander que le gouvernement fédéral crée un organisme indépendant pour étudier les allégations concernant ces erreurs. Seize ans plus tard — 16 longues années pour ce citoyen canadien injustement reconnu coupable d’un crime —, nous débattons de ce projet de loi, et je constate que la chanson des Tragically Hip que mes collègues et moi avons citée s’applique aussi au temps que M. Milgaard a passé en prison et à l’apathie de l’appareil judiciaire, car « personne ne s’intéresse à ce que tu n’as pas fait ».

Corrigeons maintenant les paroles de la chanson. Cette mesure législative est destinée aux victimes d’erreurs judiciaires, alors oui, l’appareil judiciaire s’intéresse à ce qu’elles n’ont pas fait.

Comme je l’ai dit, ainsi que bien d’autres sénateurs, ce projet de loi se fait attendre depuis longtemps. La commission indépendante qui sera créée pour examiner les erreurs judiciaires et enquêter sur ces dernières sera adéquatement financée avec un budget de 83,5 millions de dollars sur 5 ans, soit 16,7 millions de dollars par année. La commission sera dotée d’un personnel adéquat, ce qui inclut des avocats et d’autres personnes à l’expertise et à l’expérience diversifiées. Le personnel sera adapté aux enquêtes et à la surreprésentation des Noirs et des Autochtones dans le système de justice. Si le projet de loi est adopté, la commission sera habilitée à renvoyer des affaires à une cour d’appel ou à ordonner un nouveau procès, même si les cas n’ont pas été renvoyés à la Cour suprême du Canada.

D’aucuns diront — à bon droit — que nous devons tout faire pour éviter que ce genre de chose se produise et qu’il faut agir en amont. Sans aller jusqu’à dire que je ne suis pas d’accord, le système de justice a besoin, comme je le disais plus tôt, d’un mécanisme efficace en aval pour lui servir de soupape de sécurité. Même si je peux vous garantir, par expérience, que les juges ne rendent aucune décision à la légère, que les procureurs préparent leur dossier avec le plus grand soin, que les avocats s’emploient à présenter les arguments les plus convaincants qui soient et que les policiers sont conscients d’être sous le regard du public, les erreurs, les préjugés et les préjudices demeurent possibles — ce qui n’excuse en rien les erreurs judiciaires, loin de là. Ce projet de loi nous rappelle que le système de justice requiert une vigilance et un professionnalisme sans égal de tous ceux qui en font partie.

Chers collègues, nous devons être vigilants si nous voulons que le système de justice soit juste. Nous devons être constamment aux aguets dès qu’il est question d’incarcération. Cette mesure législative aidera le système de justice à regagner la confiance des Canadiens.

Aucun système n’est parfait parce que personne n’est parfait et que les erreurs sont toujours possibles. Ce ne sont pas là des excuses. Ce sont des faits, des faits qui se rapportent à un système de justice qui va adhérer aux préceptes de la justice fondamentale et à la primauté du droit et qui doit toujours y aspirer en se reposant sur des mesures qui l’améliorent concrètement et qui le protègent contre les erreurs judiciaires.

Je regrette, sénateur Arnot, mais je dois vous interrompre. Il est 16 heures, alors nous devons lever la séance.

Le sénateur Arnot [ + ]

Vous auriez dû me laisser commencer plus tôt.

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