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Le Code criminel

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture

5 décembre 2024


L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) [ + ]

Honorables sénateurs, j’interviens à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-332, Loi modifiant le Code criminel, concernant le contrôle coercitif d’un partenaire intime, présenté le 18 mai 2023 par Laurel Collins, députée néo-démocrate de Victoria, et adopté à l’unanimité par la Chambre de 12 juin 2024.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-332 modifie le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait d’exercer un contrôle coercitif à l’égard d’un partenaire intime. Ce projet de loi est important, et je le soutiens parce qu’il s’attaque à la violence familiale, qui touche les femmes de manière disproportionnée.

Le Parti conservateur du Canada s’est toujours engagé à protéger et à défendre les victimes d’acte criminel ainsi que les femmes victimes de violence conjugale ou familiale. Nous saluons cette initiative qui vise à renforcer le Code criminel.

Je tiens également à exprimer ma gratitude à Laurel Collins, députée de Victoria, pour avoir attiré l’attention sur la question du contrôle coercitif. Son engagement sur cette question est ancré dans le désir de protéger les victimes et de créer une société plus sûre pour tous les Canadiens.

Le projet de loi C-332 vise à lutter contre une forme de maltraitance reconnue dans d’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Écosse et l’Irlande, mais qui n’est pas encore incluse dans le droit canadien en tant que telle.

Je remercie également les députés de tous les partis pour le soutien unanime qu’ils ont apporté à ce projet de loi, ce qui témoigne de la gravité de la question.

Enfin, je remercie la sénatrice Julie Miville-Dechêne d’avoir accepté d’être la marraine de ce projet de loi au Sénat et d’y faire avancer ce débat important.

Je voudrais rappeler aux sénateurs que nous avons récemment adopté, le 10 octobre dernier, le projet de loi S-205 du sénateur Boisvenu, qui permet désormais à un juge d’utiliser un engagement spécial à maintenir l’ordre public dans les cas de violence familiale et d’imposer le port d’un bracelet électronique pour mieux surveiller les auteurs de violence familiale.

Honorables sénateurs, le contrôle coercitif est une forme très répandue de mauvais traitements qui prive les gens de leur autonomie, de leur liberté et de leur sentiment de sécurité. Ce projet de loi modifierait le Code criminel pour permettre aux victimes de tels comportements abusifs de trouver sécurité et protection au sein du système judiciaire. Il vise à donner plus de pouvoirs aux victimes, à les outiller pour leur permettre d’échapper à des situations dangereuses et, surtout, à empêcher qu’une situation ne mène à de la violence physique ou au féminicide.

Comme nous l’avons souvent dit au Sénat, la violence conjugale est un fléau qui touche de nombreuses femmes partout au pays. Les statistiques sont alarmantes, et il est urgent de continuer à légiférer et à donner le plus d’outils possible au système de justice pour lutter efficacement contre cette forme de violence et, par-dessus tout, pour réduire le nombre de femmes assassinées.

Il est honteux qu’aucune initiative ministérielle n’ait été présentée au cours des neuf dernières années pour s’attaquer à ce fléau malgré les statistiques alarmantes. Il est inacceptable que cela revienne aux députés ou aux sénateurs, avec le peu de moyens dont ils disposent, de faire avancer ce projet de loi d’initiative parlementaire, sachant à quel point il est long et difficile de faire adopter ce type de mesure législative au Parlement. Il incombe au gouvernement et au ministre de la Justice d’agir, et il est déplorable que les femmes ne soient pas une priorité pour le gouvernement actuel.

Prenons l’exemple de l’Espagne, qui était l’un des pays européens les plus touchés par la violence familiale. Le gouvernement a mis en place une politique de lutte contre la violence familiale en 1997, après qu’une femme a été brûlée vive par son partenaire. Au fil des ans, un système gouvernemental complet a été mis en place, si bien que l’Espagne est aujourd’hui l’un des pays qui luttent le plus efficacement contre la violence familiale. Depuis la mise en œuvre des premières mesures en 2004, le nombre de féminicides a diminué de 25 % en Espagne.

Les statistiques ne manquent pas. Comme je l’ai dit dans mon discours sur le projet de loi S-205, Statistique Canada a révélé en 2022 que le nombre d’incidents de violence familiale et de violence entre partenaires intimes a augmenté de 19 % entre 2014 et 2022, après avoir connu une baisse générale entre 2009 et 2014. Les femmes et les filles représentent la grande majorité des victimes, à savoir 8 victimes sur 10, et les femmes sont également surreprésentées parmi les victimes d’homicides.

Selon l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation, 184 femmes ont été tuées au Canada en 2022, dont 60 % par un partenaire intime ou ex-partenaire intime. Cela correspond à une femme tuée tous les deux jours au Canada. Par exemple, le Québec a déjà dépassé le nombre de féminicides qui ont été commis en 2023 puisqu’il en compte actuellement 13.

Honorables sénateurs, le projet de loi C-332 s’ajoute donc aux récentes initiatives visant à lutter contre la violence familiale. Comme je l’ai mentionné au début de mon discours, le projet de loi criminalise le contrôle coercitif dans le contexte de la violence contre un partenaire intime. Le ministère de la Justice décrit le contrôle coercitif comme suit :

Le contrôle coercitif comprend des actes répétés d’humiliation, d’intimidation, d’isolement, d’exploitation ou de manipulation, souvent accompagnés d’actes de coercition physique ou sexuelle. Cette forme de violence se caractérise par la façon continue dont elle supprime l’autonomie de la victime, la piégeant dans une relation et causant des préjudices émotionnels, psychologiques, économiques et physiques distincts.

Le contrôle coercitif est maintenant reconnu comme une forme de violence familiale dans la Loi sur le divorce et dans la plupart des lois provinciales et territoriales sur la famille.

En effet, en 2021, la Loi sur le divorce a été modifiée pour inclure la notion de contrôle coercitif. Dans la section intitulée « Intérêt de l’enfant », l’alinéa 16(4)b) de la Loi sur le divorce se lit comme suit : « [...] le fait qu’une personne tende ou non à avoir, par son aspect cumulatif, un comportement coercitif et dominant à l’égard d’un membre de la famille [...] »

On retrouve aussi la mention du contrôle coercitif dans la définition de « violence familiale » prévue par la loi.

Un article publié le 11 mai 2024 dans Le Devoir présente des statistiques intéressantes au sujet de l’utilisation de l’expression « contrôle coercitif » dans les jugements du tribunal de la famille depuis l’ajout de cette modification à la Loi sur le divorce. Selon cet article, le contrôle coercitif a été mentionné 13 fois dans des jugements en 2021, 24 fois en 2022 et 26 fois en 2023.

Honorables sénateurs, la violence conjugale ou familiale peut prendre de nombreuses formes, et les partenaires violents ont tendance à utiliser diverses stratégies afin d’exercer un contrôle insidieux sur leur partenaire intime. Ces stratégies vont au-delà de la simple violence physique ou sexuelle. Comme le ministère l’a indiqué, cela comprend la manipulation, l’isolement et l’intimidation, ce qui a des conséquences psychologiques ou économiques à long terme sur la victime.

En écoutant des victimes de violence familiale, nous avons rapidement constaté qu’au moins une forme de contrôle coercitif revenait dans la majorité des témoignages. Le Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, un organisme qui regroupe des refuges pour femmes, a lancé une plateforme de référence en ligne sur le contrôle coercitif en septembre 2024. Cette plateforme présente des exemples de contrôle coercitif dans la vie quotidienne et vise à sensibiliser les gens aux diverses formes que peut prendre le contrôle coercitif.

J’aimerais citer Annick Brazeau, présidente du Regroupement des maisons pour femmes victimes de violence conjugale, à ce sujet :

Parler du contrôle coercitif permet de sensibiliser les gens à diverses facettes de cet enjeu. On les sensibilise notamment aux formes de violence plus subtiles, qui touchent à la fois les victimes et leur entourage, y compris leur famille, leurs amis et des professionnels. Mieux comprendre le contrôle coercitif et les risques qu’il pose, c’est se donner collectivement les outils pour agir contre la violence conjugale beaucoup plus tôt dans la trajectoire de la victime, bien avant que le pire ne se produise.

Le projet de loi C-332 propose de modifier l’article 264 du Code criminel en y ajoutant le paragraphe 264.01(1), qui stipule qu’une personne commet une infraction si elle se livre de façon répétée à certains actes soit avec l’intention de faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger, soit sans se soucier du fait que ses actes peuvent faire croire à son partenaire intime que sa sécurité est en danger.

Le projet de loi précise, au nouveau paragraphe 264.01(2), quels sont les actes visés par le paragraphe 264.01(1). Il y est notamment question de situations de violence, de menaces et du fait de contraindre une personne à une activité sexuelle.

Le nouvel alinéa 264.01(2)c) parle également du fait de chercher à contrôler illégalement la vie d’une personne, particulièrement ses faits et gestes, ses déplacements et ses interactions sociales. On parle également d’aspects financiers, de l’emploi, des télécommunications, de l’apparence physique et de la prise de médicaments.

Le projet de loi C-332 prévoit aussi une peine maximale de 10 ans de prison. Ce projet de loi établirait clairement qu’un tel comportement constitue une infraction criminelle. Ce faisant, les victimes pourraient demander de l’aide plus tôt dans le processus, avant que les abus ne dégénèrent en violence physique. Ce projet de loi vise non seulement à rendre justice aux victimes, mais aussi à prévenir d’autres préjudices en s’attaquant au cœur du problème. Il offrirait également aux forces de l’ordre les outils dont elles ont besoin pour agir dans des situations où le contrôle coercitif est présent, mais où il n’y a pas encore eu de violence physique.

Le projet de loi C-332 soulève néanmoins certaines préoccupations, comme tous les projets de loi qui mènent à la criminalisation d’un comportement ou à l’atteinte à la liberté d’un individu, laquelle est protégée par la Constitution. Plus précisément, des questions se posent sur la façon dont les tribunaux interpréteront la notion de contrôle coercitif, son application et tout effet non voulu contraire à l’intention des législateurs.

Lors de l’étude en comité du projet de loi à la Chambre des communes, la professeure Jennifer Koshan, de la Faculté de droit de l’Université de Calgary, a fait la déclaration suivante :

À l’heure actuelle, le droit pénal met l’accent sur les incidents de violence — comme les voies de fait — où la gravité de l’incident est souvent évaluée en fonction des blessures physiques. Il est très difficile pour la police, les procureurs et les juges de comprendre le contrôle coercitif, qui relève de tendances plutôt que d’incidents de violence.

La professeure Koshan a également abordé la question du contrôle coercitif dans les tribunaux de la famille à la suite de la modification de la Loi sur le divorce :

Les tribunaux de la famille peinent à comprendre le contrôle coercitif et continuent d’aborder les allégations en mettant l’accent sur les incidents. À l’instar du système de justice pénale, les tribunaux de la famille considèrent également que la violence entre partenaires intimes est mutuelle dans de nombreux cas, ce qui peut minimiser les préjudices de la violence sur les femmes et les enfants.

Des tribunaux de la famille ont également qualifié les tentatives des femmes de protéger leurs enfants contre la violence de contrôle coercitif en soi.

De nombreux témoins ont également souligné que la lutte contre le contrôle coercitif nécessite un investissement plus vaste dans l’amélioration de l’infrastructure sociale pour soutenir les survivants de la violence domestique. Les groupes marginalisés font face à des obstacles cumulés, tels que l’insécurité économique et le manque d’accès à des services culturellement adaptés. Le projet de loi doit s’accompagner d’efforts proactifs pour démanteler les inégalités systémiques et fournir des ressources ciblées aux victimes marginalisées.

Pour que le projet de loi soit efficace, il doit être soutenu par une formation et un enseignement complets destinés aux forces de l’ordre, aux professionnels du droit et aux organismes de première ligne. Les témoins entendus lors des audiences du comité ont souligné que de nombreux policiers et juges ne comprennent mal ce qu’est le contrôle coercitif, ce qui conduit à des cas où les mauvais traitements sont négligés ou mal interprétés.

Roxana Parsa, avocate-conseil à l’interne, au Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes, fait écho à cette préoccupation en déclarant :

Étant donné les subtilités du contrôle coercitif, il y a un risque important que, lors du jugement d’une affaire, les forces de l’ordre puissent mal interpréter les situations de violence ou voir de la violence même lorsqu’il n’y en a pas. Les agresseurs peuvent aussi utiliser cela à leur avantage et se servir de la loi comme d’un outil de contrôle coercitif [...]

L’éducation est également essentielle pour les victimes. Dans bien des cas, la personne qui subit le contrôle coercitif n’associe pas son expérience à de la violence jusqu’à ce que la situation dégénère en violence physique. Les campagnes d’éducation et de sensibilisation sont essentielles pour aider les victimes à repérer les comportements coercitifs et à obtenir du soutien de façon précoce.

Les mesures législatives ne peuvent pas à elles seules résoudre ce problème complexe. Un changement systémique s’impose, et cela doit comprendre un financement et un soutien accrus pour les organismes de première ligne et les refuges. Ces organismes portent secours aux victimes en leur offrant un lieu sûr, des conseils et de l’aide juridique. Sans financement adéquat, de nombreux refuges se voient obligés de refuser des victimes.

Des témoins provenant d’organisations comme Hébergement femmes Canada et l’Association nationale Femmes et Droit soulignent l’importance d’indiquer clairement aux victimes comment elles peuvent se mettre en sécurité. Ils ont également demandé des investissements dans le logement abordable, les services de garde et les mesures de soutien à l’emploi pour aider les victimes à rebâtir leur vie.

Au Royaume-Uni, en Irlande et en Australie, des gouvernements ont mis en place des mesures législatives semblables dont le Canada pourrait tirer de précieuses leçons. Au Royaume-Uni, la Serious Crime Act de 2015 a criminalisé les comportements coercitifs et contrôlants, ce qui a mené à une sensibilisation accrue et à des condamnations.

Lors de son étude à la Chambre des communes, le projet de loi a fait l’objet d’une refonte en profondeur : le ministère de la Justice y a apporté 14 amendements. Comme pour toute loi modifiant le droit pénal canadien, les membres du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles devront évidemment mener une étude approfondie de ce projet de loi. Je suis convaincue que c’est ce qu’ils feront. Cela dit, nous ne devons pas laisser les aspects juridiques dissuader les législateurs d’agir pour protéger les femmes au Canada. Nous avons une responsabilité collective à cet égard, et nous devons agir chaque fois qu’une femme est menacée dans notre pays.

Il faut mettre fin au fléau qu’est la violence familiale au Canada, et la seule façon d’y parvenir est de mieux outiller le système de justice comme le prévoit le projet de loi à l’étude.

Le contrôle coercitif est une violation grave de la dignité humaine. Son incidence s’étend au-delà de la victime immédiate, touchant profondément les enfants, les familles et les communautés. Cette mesure législative représente une étape importante dans la reconnaissance de cette forme de maltraitance et la lutte contre ce problème.

Honorables sénateurs, je vous demande de soutenir les millions de femmes victimes de violence familiale aujourd’hui en renvoyant le projet de loi C-332 devant le comité pour une étude plus approfondie. Veillons à ce que cette loi ne soit pas simplement symbolique mais transformatrice, et qu’elle offre aux survivantes la protection, le soutien et la justice qu’elles méritent.

Il ne s’agit pas d’une question partisane, et d’autres pays l’ont fait. En mémoire des nombreuses femmes assassinées et par égard pour les nombreuses femmes maltraitées chaque année au Canada, nous ne pouvons pas échouer. Elles comptent sur nous. Je vous remercie.

Le sénateur Plett [ + ]

Bravo!

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)

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