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Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

18 juin 2025


L’honorable Suze Youance [ - ]

Honorables sénateurs, c’est avec une profonde humilité et un grand sens du devoir que je prends la parole dans cette auguste enceinte pour la première fois aujourd’hui.

La sénatrice Youance [ - ]

Je profite de la motion en réponse au discours du Trône qui a ouvert la première session de la 45e législature et qui s’intitulait Bâtir un Canada fort, dont certains passages rappellent mon parcours d’hier à aujourd’hui.

Mon parcours vers le Sénat n’était pas tracé d’avance. Il est le fruit d’un engagement de longue date envers la justice sociale, l’équité et la dignité humaine. Ces mêmes valeurs se reflètent dans la section Bâtir de nouvelles relations avec les États-Unis et le reste du monde du discours du Trône. J’espère être une de ces bâtisseuses pour le Canada, car je crois profondément dans la coopération internationale.

Même dans ce monde nouveau en rapide évolution, je serai prête à montrer la voie à suivre et à apporter ma contribution en temps opportun, comme le dirait la gestionnaire de projet en moi. Mes expériences passées en ingénierie m’ont préparé à relever les défis urgents auxquels le Canada est confronté aujourd’hui, notamment la mise en œuvre de grands projets d’intérêt national.

Je suis née dans une société haïtienne et je crois profondément au pouvoir transformateur de l’éducation. J’ai eu le privilège de fréquenter certaines des meilleures écoles d’Haïti. J’ai commencé mon parcours dans une école primaire et secondaire de filles à Port-au-Prince, où le partage, le courage et la responsabilité étaient au cœur de l’enseignement.

La principale chose qu’on nous y a apprise est que nous, filles et femmes, pouvions forger notre avenir et changer le monde. Le monde s’ouvrait à nous et, pour utiliser un cliché, rien n’était impossible.

Je mesure la chance que j’ai eue dans mon pays natal, car bien que 88 % des enfants soient inscrits à l’école primaire, moins de 1 % d’entre eux se rendent à l’université et parmi eux, il y a très peu de femmes.

J’ai choisi de poursuivre des études en génie civil à la Faculté des sciences de l’Université d’État d’Haïti, un domaine où les femmes sont encore trop peu nombreuses. Quand je suis arrivée à l’université, il n’y avait que 20 femmes sur les 320 étudiants, dont 5 faisaient partie de ma cohorte de 120 étudiants. C’est cette année-là, en 1989, que s’est produit le drame de Polytechnique à Montréal, et nous l’avons ressenti jusqu’en Haïti.

J’ai été ébranlée par ce drame, mais il m’a donné l’occasion de réaffirmer ma volonté d’aller de l’avant dans le domaine du génie. Cette passion pour la construction, la sécurité et la résilience des bâtiments a été ma bouée de sauvetage tout au long de mon processus d’immigration et d’intégration dans la société canadienne.

Le hasard a voulu que je défende mon mémoire de maîtrise portant sur la vulnérabilité sismique des églises du Québec peu de temps après le grand séisme du 12 janvier 2010 qui a frappé en grande partie la capitale d’Haïti, Port-au-Prince. Le choix de poursuivre des études doctorales s’est donc imposé comme une évidence pour moi, car c’était la clé pour réaliser pleinement mon potentiel et contribuer de façon marquante à mon domaine. Ce choix m’a permis de surmonter des défis personnels et professionnels et de découvrir des aspects de moi-même que je n’aurais jamais imaginés.

Aujourd’hui encore, les femmes sont minoritaires en génie, avec seulement 13 % de femmes ingénieures en exercice au Canada et 15 % au Québec. Malheureusement, 45 % d’entre elles indiquent avoir subi de la discrimination en raison de leur genre au cours de leur carrière. Ces chiffres traduisent une réalité : les femmes doivent souvent franchir des barrières invisibles pour accéder à des domaines techniques encore majoritairement masculins. La parité se fait attendre.

J’ai commencé ma carrière professionnelle en participant à la coopération canadienne en Haïti, notamment à des dossiers liés aux infrastructures, à l’énergie, à l’environnement et au développement de politiques publiques. Ces expériences m’ont permis de mieux comprendre les dynamiques complexes du développement et de constater sur le terrain la fragilité, mais aussi la résilience des communautés haïtiennes face à l’adversité. J’ai également pu observer les liens importants entre la diaspora haïtienne et des pays aux quatre coins du monde.

J’ai également eu l’occasion de me confronter à de grands enjeux internationaux liés aux conventions des Nations unies : les changements climatiques, la sécheresse et la désertification, la gestion durable des ressources et les défis systémiques du développement durable.

Aujourd’hui, ce sont ces expériences de terrain, cette écoute active, ma connaissance des effets des politiques globales et cette volonté de contribuer au changement pour améliorer la qualité de vie des populations que j’apporte avec moi au Sénat.

Honorables sénateurs, le discours du Trône prononcé par Sa Majesté le roi Charles III, roi du Canada, a souligné que le système d’immigration du Canada est depuis longtemps une source de fierté pour les Canadiens et un moteur pour l’économie. Cela était vrai en 1867, cela était vrai en 2006 lorsque je suis arrivée au Canada, et cela est plus vrai que jamais aujourd’hui, car il est essentiel au maintien de notre diversité démographique.

Dans le discours du Trône, Sa Majesté nous a rappelé que nous parlions au nom de nos communautés et que nous représentions une incroyable richesse de cultures, de langues et de perspectives.

Dans son discours sur l’immigration le 5 juin dernier, le sénateur Ravalia a dit ceci :

Je ne prends pas seulement la parole aujourd’hui à titre de Canadien, mais aussi en tant que personne qui a choisi ce pays et qui s’est fait choisir par lui.

Pour moi aussi, ce choix a été mutuel et a créé un lien solide qui repose sur l’espoir, la responsabilité et un but commun.

Je rappelle les mots du roi du Canada :

À l’heure où le monde fait face à des défis sans précédent au chapitre, par exemple, de la paix et de la stabilité, de la situation économique ou des changements climatiques, des défis qui font naître des incertitudes sur tous les continents [...]

— d’ailleurs, Haïti est un exemple criant —

[...] vos communautés possèdent le savoir-faire et la détermination nécessaires pour y trouver tout un éventail de solutions.

Nous devons à la présente génération, ainsi qu’aux sept prochaines, de réfléchir et d’agir en faveur du bien commun.

Mon rôle de sénatrice, je le conçois comme un engagement à la fois rigoureux et profondément humain. Je m’engage à être une voix attentive, une force de proposition et une gardienne des principes démocratiques qui fondent notre pays.

Être sénatrice, pour moi, ce n’est pas seulement siéger dans une institution prestigieuse. C’est une responsabilité profonde : celle de comprendre et de porter la voix de celles et ceux qui, trop souvent, ne sont pas entendus.

Mon parcours d’ingénieure m’a appris la rigueur, la méthode, mais aussi l’importance de bâtir sur des fondations solides. Mon expérience de terrain en coopération internationale m’a appris l’humilité, l’écoute et la force du dialogue.

Ces deux dimensions — la science et l’humain — guideront mon action au Sénat.

Durant la 44e législature, j’ai eu l’honneur de siéger au Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, ainsi qu’au Sous-comité sur la Vision et le Plan à long terme.

Je remercie le Groupe des sénateurs indépendants de m’avoir confié ces rôles importants.

D’ailleurs, avec l’arrivée des projets d’intérêt national dans nos comités, il est important de rappeler l’engagement du gouvernement à rester résolument guidé par le principe du consentement libre, préalable et éclairé pour assurer et faire progresser la réconciliation au pays. La création d’une richesse et d’une prospérité durables doit se faire en collaboration avec les peuples autochtones.

J’ai eu aussi l’occasion de participer à trois missions parlementaires — en Hongrie, au Sénégal et aux États-Unis — qui m’ont permis de mesurer l’importance de la diplomatie parlementaire dans un monde en rapide mutation.

Ces échanges m’ont enrichie, tant sur le plan politique que personnel.

J’ai également pris part à de nombreuses activités du programme S’ENgage, qui m’ont mise en contact direct avec les jeunes Canadiens. Leurs idées, leur énergie et leurs espoirs sont une source d’inspiration constante.

Ces derniers mois m’ont aussi permis d’apprendre de vous, mes sages hiboux : de votre expérience, de vos expertises, mais surtout de cette collégialité bienveillante qui fait la force du Sénat et qui permettra de maintenir cette énergie au cours des prochaines années.

Mon parcours professionnel sera très utile dans le cadre des travaux et des études à faire.

Les hommages prononcés hier à l’intention de ma marraine, la sénatrice Mégie, nous faisaient miroiter les défis de la dualité linguistique au pays. Je constate que le fait d’être bilingue et de pouvoir compter sur une équipe polyglotte qui valide la concordance législative dans nos deux langues officielles est un atout.

J’aimerais souligner l’appui constant de la sénatrice Mégie, avec qui je partage mon directeur des affaires parlementaires, Nicolas Thibodeau.

Le départ de notre chère collègue pour sa retraite obligatoire du Sénat laissera bien plus qu’une chaise vide à mes côtés.

Honorables sénateurs, je m’engage à être une sénatrice accessible, engagée et connectée aux réalités du terrain. Je crois en une politique qui rassemble, qui construit des ponts entre les générations, les cultures et les régions.

Je m’engage à travailler avec cœur, avec rigueur et avec la conviction que chaque geste, chaque mot, chaque décision comptent pour contribuer à bâtir un Canada plus juste, plus équitable et plus solidaire.

Je souhaite travailler en collaboration avec le gouvernement en place, avec tous les parlementaires, les communautés locales, les chercheurs, les jeunes et les acteurs de la société civile pour faire progresser des politiques publiques inclusives, durables et ancrées dans la réalité, qui répondent aux attentes et aux besoins de tous les Canadiennes et Canadiens.

Je porterai une attention particulière aux enjeux de justice sociale et de droits de la personne, de paix et sécurité, de réduction de la pauvreté et de résilience des communautés face aux crises climatiques.

Enfin, je voudrais consacrer une partie de mon mandat à un dossier qui me tient particulièrement à cœur : celui de la restauration de la démocratie, de la sécurité, de la stabilité et du développement de mon pays natal.

Haïti, berceau de la première république noire indépendante, traverse une crise multidimensionnelle causée par une situation de conflit interne qui interpelle l’action internationale.

Alors que nous vivons dans un monde plus dangereux et divisé, que des risques surviennent sur le plan géopolitique et menacent même la souveraineté du Canada, que le système commercial mondial subit la plus grande transformation depuis la chute du mur de Berlin, que l’état de droit et la gouvernance démocratique sont pris d’assaut et que l’aide publique au développement est sérieusement remise en question dans plusieurs pays, Haïti vit une période critique qui risque d’être un point de non-retour, selon la représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Haïti.

En Haïti, à l’heure actuelle, la violence des groupes armés augmente ainsi que le territoire qu’ils contrôlent, ce qui crée le chaos et mine l’autorité de l’État. Les morts et les blessés se comptent par milliers, et il y a plus d’un million de déplacés internes, dont la moitié sont des enfants privés de scolarisation.

Les effets de cette crise sont multiples : épidémie de choléra, violences sexuelles et attaques contre les hôpitaux et les écoles, dont près de 2 000 sont fermées à Port-au-Prince.

Le recrutement forcé d’enfants par les groupes armés a augmenté de 70 % entre le milieu de l’année 2023 et le milieu de 2024. Ceux-ci constituent maintenant plus de la moitié des gangs. Enfin, 5,7 millions d’habitants environ font face à une insécurité alimentaire aiguë.

J’ai mentionné précédemment que j’ai eu le privilège de fréquenter certaines des meilleures écoles d’Haïti. Je me sens donc interpellée quand je vois tous ces enfants privés d’un droit fondamental : le droit à l’éducation. Je me sens aussi interpellée quand je vois ces jeunes recrutés de force par les gangs. Ils ont un avenir bien sombre. Rétablir le système éducatif, réintégrer socialement et sans impunité les enfants soldats, c’est donner à la jeunesse les moyens de redévelopper Haïti et sa capacité de jouer un rôle dans la gouvernance démocratique.

Honorables sénateurs, le premier ministre Carney, dans le but de bâtir des économies plus fortes, a fait du renforcement de la paix et de la sécurité des communautés et du monde la première mission du Sommet du G7.

La situation en Haïti n’a pas laissé le dernier gouvernement indifférent alors que les ministres des Affaires étrangères du G7, lors de leur réunion en mars dernier dans Charlevoix, ont réaffirmé leur engagement à aider les Haïtiens à restaurer la démocratie, la sécurité et la stabilité, notamment en soutenant la Police nationale d’Haïti et la Mission multinationale d’appui à la sécurité menée par le Kenya et en favorisant un rôle accru pour les Nations unies.

Dans le dernier résumé de la présidence, on souligne que les dirigeants du dernier Sommet du G7 à Kananaskis ont discuté de la crise en Haïti.

La représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies en Haïti a noté dans son dernier rapport au Conseil de sécurité que « tout effort du gouvernement haïtien ne suffira pas pour réduire significativement l’intensité et la violence des groupes criminels ».

Sénatrice Youance, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous un peu plus de temps pour terminer votre discours?

La sénatrice Youance [ - ]

Oui, s’il vous plaît.

Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

La sénatrice Youance [ - ]

Merci, chers collègues.

Cela dit, tout changement durable nécessitera la contribution des Haïtiennes et des Haïtiens eux-mêmes. Le rôle de la communauté internationale, y compris celui du Canada, doit être de soutenir, d’accompagner, mais jamais de se substituer. Seule une volonté nationale forte, inclusive et légitime permettra de mettre fin à la crise. Je veillerai donc à travailler pour que le Canada et la communauté internationale respectent les engagements qu’ils ont pris envers la restauration de la démocratie, de la sécurité, de la stabilité et du développement d’Haïti. Il faut que cet objectif demeure bien présent dans les forums multilatéraux et que le Canada joue un rôle constructif et solidaire. Les solutions envisagées doivent recevoir l’appui des Haïtiens et de la diaspora, et respecter leur souveraineté et leur dignité.

Honorables sénateurs et sénatrices, je vous remercie de m’avoir accueillie parmi vous. Comme je l’ai déjà dit, je suis prête à travailler avec vous avec rigueur, cœur et conviction, pour faire honneur à la confiance qui m’a été accordée.

Merci. Meegwetch.

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