La Loi sur les Indiens
Projet de loi modificatif--Deuxième lecture
25 juin 2025
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture en tant que porte-parole au sujet du projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens en ce qui a trait aux nouveaux droits à l’inscription.
Les mesures proposées dans le projet de loi S-2 visent à corriger les iniquités de longue date qui existent dans la Loi sur les Indiens, des iniquités qui font du tort aux peuples autochtones depuis des générations.
Le projet de loi S-2 comporte quatre grands volets. Premièrement, il aborde la question de l’émancipation, une politique qui permettait, ou plus souvent contraignait, les membres des Premières Nations à renoncer à leur statut en échange des droits liés à la citoyenneté canadienne. Jusqu’en 1985, cette politique privait non seulement les particuliers, mais aussi leur conjoint et leurs descendants du statut juridique d’Indiens en application de la Loi sur les Indiens. Il en résultait non seulement une exclusion du registre des Indiens, mais aussi de leur communauté, de leur culture et de leur terre natale.
Le projet de loi S-2 vise à garantir l’admissibilité à l’inscription des personnes qui ont des antécédents familiaux d’émancipation, au même titre que les personnes dont la famille n’a jamais été émancipée. Il s’agit déjà là d’une correction aussi importante que nécessaire.
Deuxièmement, le projet de loi crée un processus qui permet aux personnes de se retirer volontairement du registre des Indiens, ce qui n’a jamais été possible officiellement sous le régime de la loi actuelle. Le projet de loi S-2 comble cette lacune en respectant le choix individuel et l’autodétermination. Les personnes qui choisissent de se désinscrire auront toujours la possibilité de présenter une nouvelle demande plus tard si elles souhaitent retrouver leur statut. Le projet de loi vise à ce qu’une telle décision n’ait pas de conséquences négatives pour leurs enfants ou leurs futurs descendants, dont l’admissibilité à l’inscription reste pleinement protégée.
Troisièmement, le projet de loi prévoit la possibilité pour les femmes de se réaffilier à leur bande natale. C’est particulièrement important pour les femmes des Premières Nations et leurs descendants qui, avant 1985, perdaient leur affiliation à la bande lorsqu’elles épousaient une personne d’une autre bande. La loi les transférait à la bande de leur mari, sans tenir compte de leurs souhaits. Même en cas de divorce, de décès ou de séparation, ces femmes et leurs enfants n’avaient souvent aucun moyen de retourner à leur communauté d’origine. Le projet de loi S-2 permet de rétablir les liens avec la communauté, liens qui ont été rompus par des politiques paternalistes et dépassées. Quatrièmement, le projet de loi supprime les termes péjoratifs de la Loi sur les Indiens, en particulier les références aux « Indiens mentalement incapables ». Il s’agit d’une étape importante dans la modernisation du langage de la loi pour refléter la dignité, l’exactitude et le respect.
Le projet de loi S-2 s’appuie sur une série d’efforts législatifs antérieurs visant à remédier aux inégalités de la Loi sur les Indiens.
Le projet de loi C-3, adopté en 2010, faisait suite à l’arrêt McIvor et s’attaquait à la discrimination fondée sur le sexe. Il a étendu le statut d’Indien aux petits-enfants des femmes qui avaient perdu leur statut en raison des règles qui entouraient le mariage avant 1985.
Puis est venu le projet de loi S-3, qui visait à éliminer toutes les inégalités connues fondées sur le sexe relativement à l’inscription. Ce projet de loi était le fruit de nombreuses années de lutte pour cette cause et a été défendu au Sénat par des sénateurs qui ont travaillé sans relâche pour garantir son adoption.
Le projet de loi S-2 s’appuie sur l’héritage de ces projets de loi antérieurs. Il nous permettra enfin de corriger des erreurs du passé.
Il est important de rendre hommage aux personnes qui nous ont amenés jusqu’ici. L’affaire Nicholas c. Canada (Procureur général) de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, intentée en juin 2021, a remis en question la constitutionnalité des effets persistants de l’émancipation. Les plaignants dans cette affaire ont présenté un argument convaincant : la loi, même après l’adoption du projet de loi S-3, continuait de traiter différemment certains descendants de personnes émancipées, ce qui constituait une infraction à l’article 15 de la Charte.
Le 3 mars 2022, des familles des Premières Nations et le gouvernement fédéral ont accepté de mettre en pause le litige pour donner au Parlement la possibilité de traiter la question par la voie législative plutôt que judiciaire. En conséquence, le gouvernement a présenté le projet de loi C-38. Malheureusement, ce projet de loi n’a jamais dépassé l’étape de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Il est mort au Feuilleton et, aujourd’hui, plus de trois ans plus tard, nous sommes de retour à la case départ en nous efforçant de faire progresser le présent projet de loi.
Ce retard est profondément injuste pour les milliers de personnes qui attendent patiemment, en toute bonne foi, alors que le gouvernement leur avait promis une intervention législative. Cette promesse n’a toujours pas été tenue. En l’occurrence, le fait que la justice tarde à être rendue continue à les priver de leur identité, de leur statut et de leur appartenance à une communauté. C’est inacceptable.
Le projet de loi vise des objectifs importants, mais ses effets ne se feront véritablement sentir que si les changements sont bel et bien apportés et si les gens qu’il est censé aider s’en portent mieux au quotidien.
La mise en œuvre suscite des interrogations. Si le projet de loi S-2 est adopté, des milliers de personnes seront admissibles à l’inscription. C’est un changement bénéfique, mais qui entraînera de vraies demandes. Les gouvernements des bandes auront besoin de soutien. Services aux Autochtones Canada devra être en mesure de traiter les demandes rapidement et équitablement. Les services de santé et d’éducation et les autres services doivent aussi être prêts à répondre aux besoins des nouveaux membres.
La mise en œuvre reste tout un défi. D’après un rapport de 2025 de la vérificatrice générale, plus de 80 % des demandes d’inscription prennent plus de temps à traiter que les six mois qu’exige la norme de service du ministère. En mars 2024, l’arriéré comptait près de 12 000 demandes, dont presque 1 500 dataient de plus de deux ans, y compris des centaines classées comme étant hautement prioritaires.
Voici un constat alarmant : un examen des dossiers d’inscription a révélé que, dans 58 % des cas, le ministère ne pouvait pas fournir de documentation prouvant que le fonctionnaire qui avait pris la décision avait reçu la formation et obtenu la certification nécessaires. Dans l’ensemble, la vérificatrice générale a constaté que le ministère n’exerçait aucune surveillance et ne faisait aucun suivi pour voir si les fonctionnaires chargés de prendre les décisions étaient dûment qualifiés.
Le rapport a également révélé que le modèle de financement pour les administrateurs du registre dans les collectivités n’a pas été mis à jour depuis 1994. Le tiers des Premières Nations ne reçoivent que le financement minimum, soit l’équivalent de moins d’une journée de travail par semaine. Les organisations désignées sources fiables, qui soutiennent les demandeurs dans les centres urbains, doivent présenter une nouvelle demande de financement chaque année, ce qui nuit à la stabilité. Ces lacunes compromettent l’intégrité du processus d’inscription et les droits des personnes qui cherchent à obtenir la reconnaissance.
Alors que nous nous apprêtons à adopter le projet de loi S-2, le gouvernement doit faire plus que simplement modifier la loi. Il doit veiller à ce que les droits confirmés par la loi puissent être exercés concrètement, de façon constante et équitable, et dans la dignité.
Au fond, ce projet de loi porte également sur l’autodétermination. La véritable réconciliation ne consiste pas seulement à réparer les torts du passé; elle consiste aussi à rétablir la capacité d’agir. Cela signifie donner aux Premières Nations et à leurs membres un plus grand contrôle sur leur identité, leur gouvernance et leur avenir. Les changements apportés par le projet de loi S-2 — que ce soit pour rétablir le statut d’une personne, lui permettre de retirer son nom du registre ou lui permettre de rétablir ses liens avec sa bande natale — visent ultimement à reconnaître que les peuples autochtones doivent avoir le pouvoir de déterminer leur identité et leur appartenance.
Honorables sénateurs, j’appuie le projet de loi parce qu’il vise à corriger des injustices historiques et à affirmer des principes fondamentaux d’égalité. Cependant, je l’appuie également en sachant très bien qu’il ne représente pas une ligne d’arrivée. Le projet de loi S-2 est une étape importante et attendue depuis longtemps déjà dans un processus beaucoup plus long qui vise à démanteler les structures discriminatoires et désuètes inscrites dans la Loi sur les Indiens. Il traite d’un aspect d’un cadre juridique qui, depuis trop longtemps, ne reflète pas les valeurs d’inclusion, de respect et de réconciliation.
C’est pour cette raison que j’encourage son adoption rapide, non pas à titre de point final, mais à titre de partie intégrante d’un processus législatif plus vaste et soutenu. Bien que le projet de loi ne règle pas tous les problèmes en suspens, il représente un progrès considérable. Il faudra effectuer des travaux supplémentaires, mais il s’agit d’une mesure axée sur des principes et nécessaire que nous devons prendre.
Merci.
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)