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Énergie, environnement et ressources naturelles

Motion tendant à autoriser le comité à examiner les effets cumulatifs de l’extraction et du développement des ressources--Suite du débat

17 novembre 2020


Honorables sénateurs, je prends la parole afin d’appuyer la motion no 17 présentée par l’honorable sénatrice McCallum.

La motion demande que le Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles soit autorisé à examiner, afin d’en faire rapport, les effets cumulatifs de l’extraction et de l’exploitation des ressources, et ses effets sur les considérations environnementales, économiques et sociales.

Comme la sénatrice McCallum l’a indiqué dans son discours du 27 octobre, nous avons entendu beaucoup de représentants de l’industrie de l’extraction des ressources naturelles lorsque nous avons étudié le projet de loi C-69, au cours de la dernière législature. Inversement, nous avons très peu entendu les populations touchées par les projets.

Nous avons entendu parler de la contribution de l’industrie de l’extraction des ressources naturelles au PIB canadien, mais on ne nous a pas beaucoup informés des effets moins désirables de cette industrie. Des gens ont affirmé avec emphase que ses projets étaient bénéfiques pour les Canadiens à cause des recettes fiscales qu’ils génèrent et des emplois qu’ils créent sans toutefois prendre le temps d’examiner la nature de ces emplois, de voir qui les obtient et de déterminer quels autres emplois sont perdus.

Pour bien cerner les retombées cumulatives de l’extraction des ressources aux plans écologique, économique et social, il faut voir comment elles se répartissent géographiquement, socialement, économiquement et entre les générations. Qui profite de ces retombées? Qui en souffre? À l’exception de l’analyse comparative entre les sexes, que le projet de loi C-69 a intégrée aux études d’impact, non sans controverse, les analyses permettant de déterminer comment les retombées se répartissent devraient vraiment retenir l’attention au Canada.

J’aimerais souligner certaines lacunes dans les connaissances sur la répartition des avantages et des inconvénients à l’intention du comité qui travaillera éventuellement là-dessus et aussi dans la perspective plus large d’une appréciation générale que nous pouvons faire de l’efficacité et de l’équité des retombées de l’extraction des ressources au pays, dans le cadre de notre travail de sénateurs.

Je n’oublierai jamais le témoignage courageux et émouvant de Connie Greyeyes, une technicienne médicale qui est membre de la nation crie Bigstone, en Alberta, et qui a fait du forage pendant un certain nombre d’années, dans le Nord-Est de la Colombie-Britannique. Elle a déjà été victime d’une agression sexuelle, mais la police n’a pas donné suite à sa plainte. Elle et d’autres témoins des Premières Nations ont rapporté des cas très graves de violence et d’agression liés à des projets de développement énergétique. Leurs témoignages concordaient avec deux rapports inquiétants publiés par Amnistie internationale, dans lesquels on décrivait en détail que les travailleurs migrants sont très bien payés, mais que ces salaires élevés font grimper le coût de la vie dans les collectivités de la région, créent une pression sur les services de santé locaux et causent un déséquilibre dans le tissu social, ce qui a un effet négatif sur les femmes et les enfants des Premières Nations. L’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a elle aussi fait ressortir le lien entre les projets d’extraction des ressources et les hausses de la violence contre les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones.

Mon bureau a tenté de voir s’il y avait une corrélation plus générale entre les sites d’extraction des ressources et les lieux où il y a de la violence envers les femmes autochtones au pays. Jusqu’ici, nous n’arrivons pas à obtenir de réponse puisque les services de police du pays ont tendance à éviter de remplir les formulaires de déclaration de la race ou de l’origine ethnique des victimes de crime ou des accusés pour des « raisons opérationnelles » — empêchant ainsi Statistique Canada de recueillir et de publier des données exactes sur l’identité des victimes —, quand ils ne rejettent pas carrément les signalements.

Comme je l’ai expliqué lors d’un discours précédent, le racisme environnemental est le fardeau imposé aux communautés racialisées par l’implantation disproportionnée d’industries dangereuses et toxiques, telles que les sites de déchets dangereux, les décharges et les incinérateurs, dans leurs quartiers. Le concept de justice environnementale est apparu aux États-Unis dans les années 1980, lorsque des quartiers à prédominance noire ont commencé à exprimer leurs préoccupations concernant les projets d’infrastructures toxiques entourant leurs communautés. Leurs efforts ont conduit à la création d’un mouvement de justice environnementale au sein de l’Agence américaine de protection de l’environnement.

Contrairement à d’autres pays, le Canada n’est pas tenu par la loi de faire respecter la « justice environnementale ». Par conséquent, cet enjeu demeure peu connu et n’est pas traité en dehors de l’œuvre de pionniers comme la chercheuse Ingrid Waldron, de l’Université Dalhousie, qui a étudié les effets dévastateurs de la pollution sur les communautés autochtones et noires de la Nouvelle-Écosse. Nous disposons de preuves régionales à Sarnia, à Grassy Narrows et dans d’autres villes, mais pas d’une vue d’ensemble au Canada.

En se penchant localement sur la répartition des avantages et des inconvénients, on peut tomber sur une rare étude de cas bien documentée, et qui souligne la nécessité de se concentrer sur la justice distributive. Je parle du projet controversé du Site C, qui soulève certains enjeux relatifs aux traités avec les Premières Nations. Il s’agit d’un projet qui n’est pas économiquement viable, et qui produit des dégâts aux terres agricoles. On parle également de pollution de l’environnement. Enfin, ce projet présente des risques géotechniques à une échelle importante.

Le barrage du site C est le plus grand projet d’infrastructure public de l’histoire de la Colombie-Britannique. Il devrait inonder la rivière de la Paix et ses tributaires sur une longueur de 128 km, détruisant ainsi des lieux de sépulture autochtones, des territoires traditionnels de chasse et de pêche ainsi que des dizaines de sites culturels et spirituels. Le rapport de la commission d’examen conjoint a conclu que le projet aurait plus d’effets négatifs sur l’environnement que tous les autres projets évalués au cours des 25 années d’évaluation environnementale au Canada. Or, le projet a été approuvé.

Quatre des huit Premières Nations touchées sont signataires d’ententes sur les répercussions et les avantages avec BC Hydro, mais les modalités de ces ententes sont confidentielles, à la demande des promoteurs. Une de ces ententes, offerte aux Premières Nations de West Moberly, a été refusée et a été rendue publique dans le contexte de leur poursuite judiciaire pour non‑respect des droits issus des traités. On leur a offert un premier paiement de 3,5 millions de dollars, avec des versements annuels de 350 000 $ pendant 70 ans, indexés en fonction de l’inflation, pour un grand total de 28 millions de dollars, avant rajustement en fonction de l’inflation.

Selon le Narwhal, des modalités semblables ont été offertes aux nations en lien avec le projet Coastal GasLink. Il semblerait qu’une somme minime suffise pour faire disparaître les droits autochtones dans le contexte des mégaprojets de plusieurs milliards de dollars.

Encore une fois, il est impossible d’obtenir un portrait complet parce que les ententes sur les répercussions et les avantages ne sont pas publiées, mais, surtout, les Premières Nations négocient à l’aveugle et se font concurrence, tandis que le gouvernement et les promoteurs connaissent toutes les options, ce qui crée une situation tout à fait injuste qui dépasse de loin les considérations financières.

Selon CBC News, une autre entente ayant fait l’objet d’une fuite comportait ce qui suit :

[…] une condition selon laquelle la bande devait « prendre toutes les mesures raisonnables » pour dissuader ses membres de faire quoi que ce soit qui pourrait « entraver, gêner, frustrer, retarder, arrêter ou contrecarrer le projet, les entrepreneurs du projet, toute autorisation ou tout processus d’approbation ».

Cela inclut des mesures pour dissuader les membres de la bande de prendre part « à toute campagne médiatique ou dans les médias sociaux ».

Chers collègues, il s’agit d’une grave restriction des droits civils.

Un rapport indépendant montre que les autres options de projet avaient des répercussions écologiques et sociales beaucoup moins importantes et créaient plus d’emplois. En comparaison, le site C a généré « le moins d’emplois par dollar dépensé », et ce, avant que le projet ne subisse un nouveau dépassement des coûts de construction de 3 milliards de dollars. Le site C est considéré comme un immense gâchis.

Cela m’amène à mon dernier point sur l’incidence distributionnelle et notre rôle en tant que sénateurs — la dimension temporelle ou intergénérationnelle. C’est probablement les générations futures qui se retrouveront avec un énorme passif environnemental, des puits orphelins, des paysages dévastés par des sécheresses attribuables aux changements climatiques, des parasites, des phénomènes météorologiques extrêmes et tous les préjudices à long terme de nos pratiques d’extraction imprévoyantes. Il y a actuellement 3 400 puits orphelins et 94 000 autres puits inactifs en Alberta seulement, ce qui représente approximativement un coût total associé à la responsabilité civile de 30,1 milliards de dollars qui est compensé par une garantie de seulement 227 millions de dollars. Ces puits ont des répercussions sur la santé des agriculteurs et des gens qui vivent à proximité.

J’estime qu’il est de notre devoir, à nous sénateurs, de nous pencher sur la question et de remonter jusqu’à ses origines. Constitutionnellement, le Sénat a pour mandat de protéger les intérêts des régions et des minorités. La Cour suprême a comparé la Constitution du pays à un arbre vivant — métaphore écologique appropriée s’il en est une —, c’est-à-dire qui évolue en fonction du contexte. Au fil du temps, l’étendue des minorités qui ont besoin d’être représentées et protégées par le Sénat n’a pas cessé de croître.

Qui n’a rien à dire au sujet des décisions prises par le Parlement et le gouvernement, même si lorsqu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour eux? Les enfants et la nature, bien entendu. Nos enfants et leurs enfants à eux ne peuvent pas se prononcer sur leur avenir au moyen d’un vote. Et le jour où ils le pourront, peut-être leur vote ne servira plus à rien si nos actions et notre aveuglement volontaire quant aux conséquences de nos décisions sur les milieux aériens, terrestres et aquatiques ont déjà épuisé les systèmes écologiques qui nous maintiennent en vie.

Chers collègues, si nous voulons sérieusement protéger les minorités du pays, nous devons nous faire les gardiens des générations à venir et renforcer la justice écologique et intergénérationnelle. Les peuples autochtones et les générations qui nous suivront ne devraient pas avoir à choisir entre deux maux.

Pour ce qui est de Mme Greyeyes, elle fait aujourd’hui du bénévolat pour l’organisme Fort St. John Women’s Resource Society, elle a fondé un groupe de soutien, les Warrior Women, pour les familles des femmes et des filles autochtones tuées ou disparues et elle a contribué à l’organisation de la vigile de Fort St. John des Sœurs par l’esprit. Elle incarne une leçon importante pour nous tous : il est possible de guérir de ces situations terribles et de jouer un rôle actif pour améliorer le bien-être collectif si on arrive à trouver le courage de les attaquer de front.

Nous pouvons et nous devons faire mieux. Pour toutes ces raisons, j’appuie la motion de la sénatrice McCallum. J’espère que notre institution s’attaquera à ces enjeux fondamentaux pour améliorer notre pays et notre société.

Merci. Meegwetch.

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