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Projet de loi no 1 d'exécution du budget de 2022

Deuxième lecture

14 juin 2022


L’honorable Paula Simons [ - ]

Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler du projet de loi C-19, la Loi d’exécution du budget, plus précisément d’un petit article qui ajoute une nouvelle infraction au Code criminel. En effet, le projet de loi C-19 crée une nouvelle infraction pour interdire la communication de déclarations, autrement que dans une conversation privée, qui fomentent volontairement l’antisémitisme « en cautionnant, en niant ou en minimisant l’Holocauste ». Ce nouvel acte criminel serait assorti d’un emprisonnement maximal de deux ans.

Je dois dire aux sénateurs que l’Holocauste occupait une grande place dans mon imaginaire d’enfant, quand je grandissais à Edmonton dans les années 1970. La famille de mon père était l’une des rares familles albertaines à avoir réussi à parrainer des membres de la famille qui étaient parvenus à quitter une Autriche occupée par les nazis en 1938, quelques semaines à peine avant la Nuit de cristal.

Mackenzie King était un antisémite poli et, devant les réfugiés juifs, son gouvernement adoptait une attitude de tolérance zéro. Malgré cela, la cousine de la mère de mon père, Luba, a tout de même obtenu l’appui du député de Vegreville, lequel, d’après les récits familiaux, s’est démené pour obtenir un décret spécial autorisant les visas qui permettraient à Rosa, cousine germaine de ma grand-mère, à son époux, Hans, et à leurs jeunes enfants, George et Helen, de s’échapper de Vienne juste à temps.

C’était pratiquement un miracle, à une époque où le Canada avait à toutes fins utiles fermé la porte aux Juifs désespérés. La plupart des Juifs européens n’ont pas été aussi chanceux. En septembre 1941, les nazis ont occupé la région de Poltava, dans l’Ukraine actuelle, d’où était originaire la famille de ma grand-mère. En novembre de cette année-là, tous les résidents juifs de cette communauté autrefois florissante avaient été exécutés. Les nazis n’ont même pas attendu de les envoyer dans des camps de concentration; ils les ont simplement tous abattus.

De l’autre côté de ma famille, la famille de ma mère était composée de personnes d’ethnicité germanique vivant dans cette même partie de l’Union soviétique que nous appelons aujourd’hui l’Ukraine. Lors de l’invasion nazie, le père et les oncles de ma mère ont été enrôlés de force dans l’armée allemande. Mon grand-père a péri sur le front russe. Mais un de mes grands-oncles — grand, blond, courtois et cultivé — a fini par être recruté dans l’élite de la Waffen-SS. Il a passé le reste de sa vie à essayer d’expier cela.

La guerre était un sujet de discussion courant quand j’étais jeune, mais je peux mettre le doigt sur le moment exact où l’Holocauste est devenu plus réel pour moi. J’avais 8 ans et j’étais en troisième année. Cette année-là, j’avais une enseignante juive qui a pensé, avec toutes les bonnes intentions, que j’aimerais peut-être lire les petits contes de fées écrits par Anne Frank alors qu’elle se cachait dans son sanctuaire, l’annexe secrète. Je ne pense pas que mon enseignante voulait que je lise le journal d’Anne Frank lui-même, mais je l’ai trouvé et je l’ai lu de toute façon, et j’étais obsédée. Je n’étais pas trop jeune pour le lire, mais j’étais beaucoup trop jeune pour l’horreur de son message. À 8 ans, j’ai passé les semaines suivantes à la recherche d’endroits, dans la maison de mes parents, où nous pourrions nous cacher quand les nazis arriveraient. Peut-être le placard de cèdre dans le sous-sol? Non, trop petit. La chaufferie? Trop évident. Les recoins du grenier? Peut-être.

En grandissant, je suis devenue un peu obsédée par l’Holocauste. J’ai utilisé mon formulaire du club de lecture Scolastic pour commander tous les livres que je pouvais trouver, de Quand Hitler s’empara du lapin rose à The Rise and Fall of Adolph Hitler par William L. Shirer.

Je savais que les Allemands n’étaient pas des monstres, qu’ils étaient des gens ordinaires comme mes chers oncles et tantes. Toutefois, des millions d’Allemands ordinaires ont été séduits et corrompus par le dangereux piège de l’antisémitisme, au point où ils étaient prêts à fermer les yeux ou même à offrir leur collaboration avec enthousiasme pendant que leurs amis, leurs voisins et leurs connaissances de la communauté juive étaient regroupés, arrêtés et massacrés.

Je ressemblais beaucoup à Anne Frank. À 8 ans, je me suis demandé si, un jour, mes gentils voisins, des Canadiens ordinaires, allaient me dénoncer ainsi que les gens qui me ressemblaient. J’avais les cheveux foncés et bouclés, des lunettes épaisses et un nez proéminent. Était-ce suffisant pour que quelqu’un veuille me tuer ou me perçoive comme un être inférieur?

Soyons très clairs. Il n’y a pas de débat de bonne foi ni de remise en question possible en ce qui a trait à l’Holocauste, qui est l’une des atrocités de l’histoire moderne les mieux documentées. Tous ceux qui remettent en question toutes les horreurs de l’Holocauste, qui en nient l’existence ou qui en minimisent l’importance ne se livrent pas à un vrai débat intellectuel; ils propagent la haine. Ceux qui nient l’existence de l’Holocauste propagent la haine. Toute manière de remettre en question l’existence de l’Holocauste est en soi antisémite.

La minimisation de la Shoah est tout aussi ignoble. Quand des personnes qui s’opposent aux règles liées au port du masque épinglent une étoile jaune à leur poitrine ou qu’elles osent comparer les exigences liées à la vaccination aux crimes de guerre nazis qui ont été jugés à Nuremberg, leur appropriation simpliste de l’horreur de l’Holocauste souille la mémoire de tous ceux qui en sont morts ou qui y ont survécu.

Pourtant, mes amis, je prends la parole au Sénat aujourd’hui pour m’opposer aux efforts du projet de loi C-19 visant à criminaliser le déni ou la minimisation de l’Holocauste.

L’adjonction de sanctions pénales à de telles déclarations et actions n’atténuera pas l’antisémitisme. En revanche, cela offrira aux néo-nazis et aux racistes une plateforme pour jouer les martyrs, pour se draper dans le discours sur la liberté d’expression et pour réclamer l’attention du public en tant que faux défenseurs de la liberté intellectuelle. Cela vous amuse? Pas moi. Vous devriez cesser de rire. Comment puis-je savoir que cela ne fonctionnera pas?

Il y a 40 ans, l’Alberta était ébranlée par un débat politique et juridique portant sur le déni de l’Holocauste, avec les procès de Jim Keegstra, qui avait été enseignant de sciences sociales au secondaire à Eckville. Il enseignait à ses élèves que l’Holocauste était un canular orchestré par un complot juif international pour contrôler le monde de même que l’économie mondiale. Il a enseigné cette haine horrible durant des années sans qu’un directeur ou qu’un administrateur l’en empêche, jusqu’à ce qu’une mère héroïque, Susan Maddox, entreprenne une lutte pour le congédiement de Jim Keegstra, ce qu’elle a finalement obtenu en 1982. Deux ans plus tard, on lui retirait son brevet d’enseignement.

Vous pourriez penser que jusque-là, tout va bien. Or, en 1984, Jim Keegstra a aussi été visé par des accusations au criminel pour avoir fomenté volontairement la haine. Cette affaire, qui s’est rendue jusqu’à la Cour suprême deux fois — on peut parler d’un aller-retour —, s’est finalement conclue en 1996 avec une condamnation et une peine de 200 heures de service communautaire. C’était, au mieux, une victoire à la Pyrrhus.

Le précédent juridique historique de la cause Keegstra a établi la constitutionnalité des dispositions législatives canadiennes interdisant les propos haineux. Hélas, cela veut probablement dire que les dispositions sur le déni de l’Holocauste du projet de loi C-19 sont aussi parfaitement constitutionnelles. Pourtant, loin de faire taire M. Keegstra, ces 12 années de procédures d’appel et de nouveaux procès lui ont donné une tribune d’intimidation pour se faire le faux défenseur des libertés civiles et pour amplifier ses théories du complot. Il s’est régalé de sa notoriété nationale.

En 1987, il est passé d’enseignant de village à chef du Parti Crédit Social du Canada. Entretemps, l’avocat de M. Keegstra, Doug Christie, qui niait lui aussi l’Holocauste, a utilisé la notoriété qu’il avait gagnée dans ce travail de défense pour devenir le fondateur et le chef du parti Western Canada Concept. Pendant que MM. Keegstra et Christie faisaient les manchettes et répandaient des mensonges allègrement, les crimes haineux antisémites en Alberta ont en fait grimpé en flèche.

Quelle est la morale de l’histoire? Premièrement, nous n’avons pas besoin de cette nouvelle disposition législative. Comme la cause Keegstra le montre bien, nier l’Holocauste est déjà un crime haineux; cette mesure est redondante. Deuxièmement, et plus important encore, les poursuites de ce genre ont souvent des conséquences néfastes et inattendues.

L’ajout en catimini d’une modification au Code criminel dans un projet de loi d’exécution du budget pourrait bien ouvrir la porte à des centaines de nouveaux semeurs de haine et bigots qui joueront les victimes, qui se démèneront pendant leur heure de gloire et qui déverseront leur fiel au moyen de tous les médias sociaux, d’une façon que M. Keegstra n’aurait jamais imaginée ou rêvée. Il n’avait qu’un petit auditoire captif : les élèves d’Eckville. Aujourd’hui, les antisémites et les gens qui nient l’Holocauste déversent leur fiel à des centaines de milliers de personnes au moyen d’un simple clavier.

J’ai consacré ma vie entière à la défense de la liberté d’expression et des libertés civiles. C’est ce que m’ont appris à faire mon regretté père, mon regretté oncle et mon regretté grand-père, tous des fervents défenseurs juifs des libertés civiles qui m’ont enseigné tôt à ne pas croire en un État protecteur.

Je ne crois pas que nous pouvons lutter contre la haine en criminalisant les discours, peu importe à quel point ils sont infâmes ou trompeurs, ni en les muselant, même si c’était possible. Il n’est pas utile de pousser les gens à dissimuler leur haine, la laissant ainsi couver et s’envenimer.

Une fois que nous commençons à criminaliser les discours et à décider ce qui est vrai ou faux, une fois que nous nous servons du Code criminel et des tribunaux pénaux pour réduire au silence les méchants groupes politiques marginaux, nous nous engageons dans une voie qui nous mène exactement où nous ne souhaitons pas aller. Par ailleurs, la décision d’insérer subrepticement cette nouvelle infraction dans la loi d’exécution du budget, où elle ne peut pas être débattue en bonne et due forme et faire l’objet d’un vote indépendant, ne fera que convaincre les paranoïaques et les complotistes qu’ils ont raison. Cette stratégie fait le jeu des arnaqueurs et filous de l’extrême droite.

Je suis convaincue que le gouvernement était animé de bonnes intentions en mettant cet article dans le projet de loi C-19. Après tout, c’est une mesure que de nombreux membres de la communauté juive ont réclamée. Je sais que bon nombre d’entre eux seront en profond désaccord avec moi et, d’après ce que je sais de ma communauté, ils n’hésiteront pas à me le faire savoir.

Mon père demandait toujours, sur le ton de la plaisanterie : « Est‑ce que c’est bon pour les Yidden? ». « Est-ce que c’est bon pour les Juifs? ». Ce projet de loi n’est pas bon pour les Juifs ni pour le Canada d’ailleurs. Rien de bon n’en ressortira.

Au lieu de criminaliser les mensonges et les discours haineux, répliquons avec la vérité. Nous pourrions nous assurer de raconter, encore et encore, la véritable histoire de l’Holocauste et de l’ascension d’Hitler. Nous pourrions archiver les histoires des survivants afin de ne pas les oublier et de les mettre en valeur, avant que ceux-ci ne disparaissent et qu’ils emportent avec eux leurs témoignages.

Particulièrement dans le contexte actuel, au vu de la multiplication des crimes haineux, de la propagation de la haine sur les plateformes de réseaux sociaux, de la montée du racisme et de l’antisémitisme, des semeurs de haine et des néonazis qui défilent fièrement dans nos rues, des parlementaires canadiens ordinaires qui adhèrent aux théories du complot et aux affirmations antisémites et les diffusent, d’un nouveau sondage d’Abacus Data qui indique qu’un tiers des Canadiens croient en partie à la théorie antisémite du grand remplacement, nous devons dénoncer les mensonges et défendre la vérité.

Au lieu d’arrêter et de condamner tous les trolls et autres semeurs de haine sur le Web — une mission quasi impossible —, nous devrions nous évertuer à obliger les géants du Web à être plus transparents et responsables, car leurs algorithmes favorisent et promeuvent les discours haineux et incendiaires.

Permettez-moi une dernière histoire. En 2019, Bibliothèque et Archives Canada a fait l’acquisition d’un livre extraordinaire. Ce mince ouvrage, produit par les services de renseignement allemands en 1942, explique où et comment trouver les Juifs en Amérique du Nord. Il commence par des données sur les États-Unis, mais la dernière partie du livre comprend des données démographiques précises sur les Juifs canadiens.

Que trouve-t-on au verso de la couverture? Un ex-libris qui se lit comme suit : « Adolf Hitler ». Oui, le pays possède le guide de chasse aux Juifs ayant appartenu à Hitler. Il contient des rapports démographiques sur la langue maternelle et les origines nationales des Juifs du Canada. Il commence par Montréal, Toronto et Winnipeg, les villes où se trouvaient les plus importantes populations juives à l’époque.

Le livre indique également qu’il y avait précisément 1 622 Juifs à Calgary et 1 057 à Edmonton. Qui se trouvait parmi ces Juifs précisément dénombrés à Edmonton? Mon père, mes tantes, mes oncles et mes grands-parents.

Pensez-y : Hitler avait dénombré avec précision chacun des membres de ma mishpachah juive-canadienne. Les membres de ma propre famille, qui vivaient paisiblement au Canada. Absolument tous les Juifs du Canada avaient été localisés, dénombrés et décrits.

Lorsque j’ai eu ce livre entre mes mains — un livre ayant appartenu à Hitler, un livre que l’architecte de la Shoah avait probablement lui aussi tenu entre ses mains —, cela m’a donné froid dans le dos. J’avais entre les mains une preuve du plan des nazis de mettre en œuvre l’Holocauste au Canada.

L’Holocauste n’est pas simplement quelque chose qui est arrivé à « ces gens-là » « là-bas ». Cela aurait pu se produire ici même. Quant à la haine et aux forces du mal qui ont engendré l’Holocauste? Elles n’ont pas disparu. Elles sont omniprésentes une fois de plus.

Déjà, je riais en pensant à moi, à l’âge de 8 ans, qui me cachais des nazis imaginaires dans le garde-robe de ma mère. Or, quand je vois des antivaccins porter leur fausse étoile jaune, quand je vois des gens manifester dans les rues de notre capitale en brandissant la croix gammée, quand je lis les courriels que je reçois débitant des infamies antisémites, je ne ris plus.

Cela dit, criminaliser le fait de nier ou de minimiser l’Holocauste, quoi que cela signifie, n’est pas la solution. Ce projet de loi est dangereux. Il est malavisé. Il aide et encourage ceux qui voudraient nous diviser et nous détruire. Ainsi, pour l’amour du Canada qui m’est si cher, ce pays qui a procuré asile et paix à ma famille, je ne peux appuyer ce projet de loi et ne l’appuierai pas.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ - ]

Sénatrice Simons, tout d’abord, je vous remercie pour ce discours. Je ne vous poserai pas de question sur l’Holocauste et sur votre point de vue à ce sujet. Je pense que vous êtes la mieux placée, en tant que juive, pour parler de l’Holocauste, puisque vous connaissez le sujet à cause de votre famille. Vous portez certainement un regard critique là-dessus.

Cela dit, vous avez élargi votre propos en disant que le Web est plein de discours haineux, ce qui est vrai. Nous sommes face à un problème de société incroyablement difficile où la criminalisation n’est évidemment pas la solution. Nous sommes face au Web, où les préjudices causés aux jeunes, aux femmes et aux personnes vulnérables sont énormes. Quand les jeunes se suicident à cause de ce qu’ils voient et perçoivent comme de la haine sur Internet, il faut s’interroger sur cette liberté d’expression à laquelle je souscris, tout comme vous. Nous avons été toutes les deux journalistes, mais nous ne sommes plus en mesure de réagir à la question, car il est difficile d’y répondre individuellement.

La question est la suivante : que fait-on pour contrer cette haine, qui ne porte pas précisément sur l’Holocauste, mais qui circule sur Internet? On ne peut pas dire qu’on va y répondre de cette façon et qu’on va y opposer la vérité.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Sénatrice Simons, votre temps de parole est écoulé. Souhaitez-vous disposer de plus de temps pour répondre à la question?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Je vous accorde cinq minutes.

La sénatrice Simons [ - ]

Je vous remercie, Votre Honneur. C’est une bonne question et c’est la vraie question : elle est au cœur même de ce débat. Je voudrais répondre en français, mais pour moi c’est un peu plus difficile.

J’ai dîné récemment avec Taylor Owen, qui a signé avec madame la juge Beverley McLachlin le rapport publié le mois dernier qui portait sur la façon de contrer les préjudices en ligne. Selon les auteurs du rapport, il est impossible de contrecarrer chaque occurrence de discours haineux ou chaque préjudice. Il faut plutôt aller directement aux plateformes.

Nous avons eu une conversation très intéressante, lors de ce dîner, sur les mesures prises en Grande-Bretagne et dans l’Union européenne pour contraindre les plateformes telles que Facebook et Twitter à faire preuve de plus de transparence, à rendre des comptes et à réaliser une évaluation des risques pour ainsi répondre à l’énorme quantité de plaintes.

Selon moi, nous devons commencer par là. Nous devons exiger une plus grande imputabilité de la part de ces géants des technologies, non seulement à l’égard du contenu dont ils permettent la publication sur leurs plateformes, mais aussi de ce que les algorithmes choisissent de mettre en haut de la page. Ce sont les contenus qui provoquent de fortes réactions qui font gonfler les statistiques de YouTube, de Facebook, de Google. Les messages les plus haineux ou incendiaires sont donc ceux qui sont transmis au plus grand nombre d’utilisateurs.

Je ne pense pas qu’il soit utile de criminaliser la stupidité vile et haineuse de chaque Canadien. Nous devons aller à la source du poison dans le puits. C’est probablement une mauvaise métaphore, car c’est la médisance que l’on a toujours utilisée contre les Juifs, à savoir qu’ils empoisonnaient le puits. C’est peut-être pour cela qu’elle m’est venue à l’esprit de manière si désinvolte. En vérité, tant que notre société ne sera pas prête à affronter ce que nous faisons, peu de choses changeront.

Honorables sénateurs, comment est-il possible qu’au Canada, en 2022, des politiciens de la majorité se servent des tropes de l’antisémitisme? Que faisons-nous pour dénoncer cela? Que faisons-nous pour dire : « J’ai lu The Rise and Fall of Adolf Hitler quand j’avais 10 ans. Je connais cette histoire »? Il incombe à chacun d’entre nous dans cette enceinte de se demander : qui soutenons-nous? À qui faisons-nous des dons? Quelles sont les causes que nous cautionnons? Qu’allons-nous faire pour nous assurer que notre capitale et notre pays ne soient pas envahis par des personnes dont les intentions ne sont que maléfiques?

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Simons [ - ]

Oui.

Je vois de nombreuses similitudes entre ce que vous dites et les questions relatives à la pollution de la diffusion et à la pollution de la source. Je penche aussi en faveur de s’attaquer à la source plutôt que de gérer les conséquences en amont.

Le temps presse en ce qui concerne les Juifs et l’histoire mondiale. Bientôt, il ne restera que très peu de personnes qui pourront témoigner de leur expérience de ces événements. Comme vous l’avez si bien dit, comment pouvons-nous maintenir ces mémoires en vie afin de ne jamais oublier?

La sénatrice Simons [ - ]

Dans ce même budget, des fonds additionnels sont prévus entre autres pour les installations et les musées pour ne pas oublier l’histoire de l’Holocauste. Il ne reste que très peu de temps pour enregistrer sur support audio ou vidéo les témoignages directs des survivants.

Aussi tragique que fût l’Holocauste, l’histoire va se répéter un jour ou l’autre. Malheureusement, l’antisémitisme n’est pas tombé dans l’oubli. Au cours des deux dernières années où nous avons combattu la COVID-19, on a remarqué une résurgence accélérée de l’antisémitisme — comme un zombie qui revient nous hanter. Le déni de l’Holocauste est aussi réel aujourd’hui qu’il l’était il y a 50 ans. D’abord, c’est absolument crucial que nous enregistrions la mémoire des personnes qui ont souffert et qui sont encore en vie pour en témoigner, même si à l’époque elles n’étaient que des enfants.

En ce qui concerne toutes les horreurs de ce monde — et Dieu sait qu’il y a eu beaucoup d’autres horreurs et d’autres génocides, qui glissent dans l’oubli avec chaque année qui passe —, ce qui m’inquiète, ce n’est pas seulement que nous finirons par oublier l’Holocauste, mais aussi que nous finirons par oublier les leçons tirées de la montée d’Hitler. Nous voyons des hommes puissants, dans plusieurs pays partout dans le monde, se livrer à des comportements qui auraient été familiers aux gens de 1934 et de 1935. Nous devons nous souvenir des victimes de l’Holocauste, mais nous devons aussi nous rappeler que nous descendons du monde laissé derrière par l’Holocauste. Si nous ne pouvons pas tirer des leçons de l’histoire, les conséquences pour les générations à venir seront extrêmement problématiques.

L’honorable Ratna Omidvar [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la loi d’exécution du budget, et je concentrerai mes observations sur les questions avec lesquelles j’ai directement interagi.

Avant de commencer, je tiens à remercier quelques femmes parlementaires remarquables dans cette enceinte et sur la Colline du Parlement. La sénatrice Moncion arrive en première place sur ma liste. Ce n’est pas la première fois qu’elle parraine un projet de loi d’exécution du budget compliqué qui comporte de nombreux éléments. Elle l’a fait avec sa rigueur, sa grâce et son élégance habituelles, qui nous ont amenés jusqu’ici aujourd’hui.

Je tiens également à remercier la sénatrice Marshall, qui nous a toujours aidés à mieux comprendre diverses questions financières, que ce soit la loi d’exécution du budget, le budget ou les différents projets de loi de crédits. Je continue de l’écouter avec beaucoup d’attention.

Enfin, je tiens à remercier une autre femme, toujours en ce qui concerne les finances. Ce n’est pas par accident que j’ai remercié des femmes au sujet des finances. Il s’agit de l’honorable Chrystia Freeland, la ministre des Finances, qui a accepté des propositions qui ne faisaient peut-être pas partie du programme du gouvernement, mais qui provenaient d’initiatives privées à la Chambre ou au Sénat. J’espère vraiment qu’il y aura un moment où je voudrai remercier, sur le plan des finances, les hommes honorables qui travaillent sur la Colline du Parlement, car il n’en manque pas.

La loi d’exécution du budget comprend quatre mesures qui étaient à l’origine des projets de loi d’intérêt public présentés au Sénat ou à la Chambre des communes. Le premier, le projet de loi C-241 présenté par le député conservateur Chris Lewis, vise à modifier la Loi de l’impôt sur le revenu pour créer une déduction des frais de déplacement pour les gens de métier. Nous avons entendu les observations de la sénatrice Moncion à ce sujet.

Le deuxième, le projet de loi C-250 du député conservateur Kevin Waugh, modifierait le Code criminel pour créer une interdiction de fomenter l’antisémitisme. La sénatrice Simons vient tout juste d’en parler.

Les troisième et quatrième sont des propositions que j’ai déposées au Sénat et qui ont été débattues, examinées et approuvées par celui-ci.

J’en profite pour remercier aussi le sénateur Wetston, puisqu’il a contribué à la loi d’exécution du budget en travaillant à Loi sur la concurrence, comme on l’a déjà souligné. Cela prouve, je crois, que certaines bonnes idées — j’ajouterais « pas toutes les bonnes idées » après avoir entendu la sénatrice Simons — peuvent trouver une place dans les mesures législatives du gouvernement, peu importe de quel parti et de quel coin du Sénat ou de la Colline elles proviennent. Pour y arriver, il faut travailler fort, avoir la patience de Job et avoir la chance de son côté. Les exemples que nous voyons aujourd’hui montrent, d’abord et avant tout, que les bonnes idées font du chemin.

J’aimerais maintenant aborder les deux mesures du projet de loi C-19 — la loi d’exécution du budget — qui y sont exprimées différemment que dans les mesures législatives d’origine : le projet de loi S-217, Loi sur la réaffectation des biens bloqués, et le projet de loi S-216, Loi sur l’efficacité et la responsabilité des organismes de bienfaisance.

Commençons par le projet de loi S-217, Loi sur la réaffectation des biens bloqués. Je tiens à me rappeler, ainsi qu’à tous ceux qui nous écoutent, que ce petit bijou d’idée ne vient pas de moi. C’est une idée de la société civile, du World Refugee and Migration Council, qui a joué un rôle essentiel de leader d’opinion et d’influenceur dans cette importante initiative.

Je me réjouis des mesures que le gouvernement a proposées dans le projet de loi à l’étude. Elles sont très semblables au projet de loi S-217. Par conséquent, j’ai décidé que mon projet de loi n’ira pas de l’avant une fois que leur projet de loi aura été adopté, car la proposition du gouvernement suit le principe de mon projet de loi, qui consiste à réaffecter les actifs déjà visés par des sanctions et détenus au Canada au profit des victimes des activités criminelles, que ces victimes soient des particuliers, des collectivités ou des États-nations.

Cependant, il y a quelques différences qui, selon moi, méritent d’être soulignées. Les mesures que le gouvernement propose dans le projet de loi d’exécution du budget visent non seulement les personnes corrompues, comme je l’ai proposé, mais aussi des entités comme les entreprises. Je suis favorable aux améliorations apportées dans le projet de loi, car cela permet d’étendre la portée des mesures pour punir ceux qui soutiennent des régimes corrompus. Il y a également une mesure pour que les biens visés comprennent les cryptomonnaies, ce à quoi je n’avais pas songé. Le gouvernement a donc trouvé une façon d’améliorer les mesures que nous lui avions proposées.

Le projet de loi s’appuie aussi sur les principes de transparence et de reddition de comptes. Dans ce cas-ci, le gouvernement propose une approche un peu différente. L’un des aspects clés de ma proposition était le recours aux tribunaux pour établir si les biens pourraient ou devraient être réaffectés, comment ils devraient l’être et comment on devrait rendre des comptes à cet égard. Cette proposition visait à garantir des procédures équitables pour toutes les parties concernées, y compris les dirigeants corrompus.

Selon la proposition du gouvernement, on fera appel aux tribunaux, mais leur contribution se limitera à faire des vérifications à l’égard des biens et à déterminer à qui ils appartiennent. Ils ne seront pas chargés de la redistribution des biens aux victimes. Une fois que les tribunaux auront terminé leur enquête et rendu une décision, les biens seront liquidés, et le produit sera versé au gouvernement aux fins de redistribution. Le gouvernement aura alors des comptes à rendre aux victimes et aux Canadiens.

Honorables collègues, je crois que c’est l’un des aspects auxquels les groupes de réflexion, les intervenants et le gouvernement devraient réfléchir un peu plus. Le gouvernement doit réaffecter les biens de manière transparente et responsable, et il doit, autant que possible, écarter toute considération politique.

D’importantes questions doivent être posées. Qui devraient obtenir ces actifs? Les pays d’origine ou un pays qui réclame un dédommagement, comme l’Ukraine? S’agirait-il des victimes elles-mêmes ou des collectivités ou des États-nations? Comment ces actifs seraient-ils répartis? Quels mécanismes de reddition de comptes sont requis? Voilà d’importantes questions auxquelles il faut répondre, parce que le gouvernement ne souhaite certainement pas être accusé de distribution inappropriée de fonds ou, pire encore, d’appropriation de fonds pour son propre usage, quoique je sois convaincue que les choses n’iraient pas aussi loin.

La dernière différence que j’aimerais souligner est encore plus préoccupante. La loi d’exécution du budget ne prévoit pas de registre public qui contiendrait la liste des entités ou des actifs détenus au Canada. On n’aurait donc pas accès à cette information. Je sais que le gouvernement instaurera un registre de la propriété effective en 2023, ce qui pourrait atténuer certaines de nos préoccupations. Je crains toutefois que cela ne suffise pas. À ce moment-ci, tout indique que le registre ne comprendra que les entreprises sous responsabilité fédérale, ce qui créerait probablement une échappatoire, puisque les entités constituées en vertu d’une loi provinciale en seraient exclues. Nous devrons garder cela à l’esprit lorsque le gouvernement nous soumettra sa proposition de registre de la propriété effective.

Enfin, à ce sujet, la GRC nous a appris récemment que des actifs de plus de 123 millions de dollars ont effectivement été gelés au Canada dans les six derniers mois seulement. Ne sont pas inclus tous les actifs gelés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales ou de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, aussi appelée la loi de Magnitski. Ce montant ne couvre donc qu’une petite portion des actifs gelés. J’ai toujours eu de la difficulté à répondre aux gens qui me demandaient de combien d’argent on parlait. Nous le savons maintenant. Il ne s’agit pas de milliards de dollars, mais ce n’est pas de la menue monnaie non plus.

Nous savons aussi que le concept que j’ai proposé n’est pas nouveau. La Suisse réaffecte des biens depuis 10 ans : elle a réaffecté des actifs d’une valeur d’environ 22 milliards de dollars américains. La France a adopté une loi semblable il y a quelques années. Aucun de ces pays n’a été accusé de violer le droit international.

Passons au projet de loi S-216 qui a été débattu, étudié, approuvé et renvoyé à la Chambre des communes. Son objectif est de permettre des liens entre les organismes de bienfaisance et les autres organismes, qui prévoient une reddition de comptes et qui donnent plus de moyens d’agir. Dans le cadre du projet de loi d’exécution du budget, le gouvernement est allé jusqu’à dire que sa modification reflétait l’esprit du projet de loi S-216, la proposition que j’ai présentée.

J’aimerais, encore une fois, rappeler à mes honorables collègues que le secteur caritatif — je veux dire par là les organismes de bienfaisance se trouvant dans tous les secteurs et toutes les régions au Canada — a appuyé sans réserve le projet de loi S-216. On dénombre parmi ces organismes Imagine Canada, qui réunit plusieurs organismes caritatifs canadiens, Coopération Canada, qui œuvre dans le domaine du développement international, et le Canadian Centre for Christian Charities. N’oublions pas Centraide Canada, de même que 42 des meilleurs avocats spécialistes du droit régissant les organismes de bienfaisance, qui ont publié deux lettres ouvertes demandant que des changements soient apportés à cette mesure législative. J’aimerais réitérer que je ne fais que relayer leurs idées au Parlement. Ils ont travaillé et milité auprès des parlementaires et leur ont conseillé de se pencher sur cette question. Je leur lève mon chapeau.

La proposition du gouvernement concorde avec le principe qui sous-tend mon projet de loi, qui est de permettre aux organismes de bienfaisance de travailler avec les autres organismes non caritatifs dans un cadre qui leur confère du pouvoir, mais aussi des responsabilités. Par contre, encore une fois — et il en a a parfaitement le droit —, le gouvernement a emprunté une voie différente qui, ma foi, était un peu rocailleuse au début. Nous avons été étonnés de voir que le libellé se trouvant dans la loi d’exécution du budget était plus prescriptif que celui de la loi actuelle. Il a préféré intégrer des éléments prescriptifs plutôt que des lignes directrices, que les organismes de bienfaisance doivent suivre lorsqu’ils collaborent avec des organismes non caritatifs. Cette démarche était problématique à plusieurs points de vue.

Comme je l’ai dit plus tôt, les organismes de bienfaisance veulent et ont besoin de rigoureuses mesures de reddition des comptes. Toutefois, le gouvernement, dans la version originale de son amendement à la loi d’exécution du budget, a fourni une liste de prescriptions à respecter, quels que soient l’importance, la portée, le type ou l’objectif du partenariat entre l’organisme de bienfaisance et l’organisme sans vocation de bienfaisance. Ce point était problématique, car tous les partenariats sont différents, et les mêmes mesures de reddition de comptes ne peuvent pas s’appliquer à tous ces partenariats. Les gens sur le terrain nous ont dit que ces prescriptions présenteraient plus de risques pour les organismes de bienfaisance qui travaillent avec des organismes sans vocation de bienfaisance, et qu’aucun membre du conseil d’administration responsable n’autoriserait son organisme à prendre le risque de se retrouver rayé de la liste des organismes de bienfaisance.

Après les fortes mobilisations des membres de ce secteur en avril et en mai, et grâce à ma collaboration avec le bureau de la ministre des Finances — en compagnie du député conservateur Philip Lawrence qui a parrainé le projet de loi S-216 à la Chambre des communes et du député néo-démocrate Daniel Blaikie — le comité des finances de la Chambre des communes a modifié à l’unanimité la loi d’exécution du budget pour retirer ces prescriptions. En lieu et place, des mesures de reddition de comptes seront fixées lors de consultations et de séances d’orientation. Cela correspondra mieux à l’envergure et à la complexité de ce secteur à l’avenir.

Encore une fois, je remercie le gouvernement de l’ouverture et de la souplesse dont il a fait preuve à l’égard de cet effort ultime que nous avons dû déployer à la dernière minute ainsi que de sa disposition à changer et à adapter sa réponse. Je félicite le gouvernement d’avoir gardé ses lignes de communication ouvertes.

Cela dit, chers collègues, rien n’est jamais parfait. La nouvelle modification soulève des préoccupations. Il s’agit de la nouvelle règle qui interdit de diriger un don. Les dons dirigés sont assez communs, mais la nouvelle modification y mettra un terme. Par exemple, beaucoup de Canadiens et d’organismes veulent contribuer à financer les efforts d’aide à l’Ukraine. De la manière dont la modification est rédigée, il est concevable que tous les dons versés à la Croix-Rouge avec comme directive de diriger ces fonds vers les efforts en Ukraine justifient la perte du statut d’organisme de bienfaisance de cette société, car il s’agit de dons dirigés. Un don dirigé, c’est lorsqu’on donne de l’argent à un organisme de bienfaisance en lui donnant la directive de diriger ces fonds vers x,y et z, c’est-à-dire ailleurs.

Cependant, après d’autres conversations que j’ai eues avec le cabinet de la ministre des Finances, j’ai obtenu l’assurance que le gouvernement adoptera une approche douce quant à cette modification et que l’Agence du revenu du Canada en fera une application raisonnable afin de ne pas nuire à la création de fonds communs par les organismes de bienfaisance canadiens et à la participation de ces derniers à de tels fonds. Je crois et j’espère sincèrement que le gouvernement respectera cette promesse, mais le secteur et moi continuerons de collaborer avec le gouvernement et de suivre la progression concernant ces modifications sinon quelqu’un ici, probablement moi, déposera éventuellement une modification.

En terminant, j’appuie les mesures proposées dans la Loi d’exécution du budget. Je trouve encourageant que le gouvernement ait tenu compte des efforts de différents parlementaires. De bonnes idées, beaucoup de dur travail et de persévérance et, surtout, la voix et le leadership de la société civile peuvent faire bouger les choses qui comptent pour nous. Merci, chers collègues.

L’honorable Brent Cotter [ - ]

La sénatrice Omidvar accepterait-elle de répondre à une brève question?

La sénatrice Omidvar [ - ]

En 30 secondes, absolument, sénateur.

Le sénateur Cotter [ - ]

J’ai été impressionné par votre discours, mais je crois qu’il manquait seulement une chose. Dans la liste des sénatrices qui ont contribué à ces efforts, vous avez fait un oubli. Je voudrais savoir si vous seriez prête à ajouter le nom de la sénatrice Ratna Omidvar à cette liste.

La sénatrice Omidvar [ - ]

Je ne pèse pas lourd à côté de mes collègues les sénatrices Marshall et Moncion. Je suis heureuse de suivre leur exemple. Merci.

L’honorable Rosemary Moodie [ - ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la loi d’exécution du budget. Il y a quelques semaines, j’ai eu l’honneur d’être invitée à prononcer un discours-programme à une conférence organisée par Campagne 2000, un groupe de premier plan dans la lutte contre la pauvreté des enfants.

J’ai fait remarquer à cette occasion que lorsque j’ai été nommée au Sénat, en décembre 2018, je n’aurais jamais pu imaginer les bouleversements que la société allait connaitre peu après : le meurtre de George Floyd, la montée du mouvement Black Lives Matter et les réactions qu’il suscite, les urgences climatiques de plus en plus fréquentes au Canada et dans le monde entier, les crises économiques et, bien sûr, la pandémie de COVID-19. Bref, la société canadienne, nos opinions et nos priorités ont énormément changé en très peu de temps.

Évidemment, la pandémie de COVID a accéléré ces changements et nous a obligés à nous pencher sur les lacunes si longtemps oubliées de notre société. Pour les Canadiens, cela a renforcé l’idée selon laquelle l’économie est au service des gens et que, peu importe la vigueur du marché boursier ou le PIB annuel, si les Canadiens vivent dans la pauvreté, s’ils luttent pour accéder aux services ou s’ils sont incapables de construire une vie pour eux et leurs familles, alors, chers collègues, notre économie ne fonctionne pas.

La COVID nous a appris une fois de plus l’impératif collectif inhérent à notre économie et le fait que celle-ci ne fonctionne vraiment que si elle bénéficie à tous les Canadiens. Cela fait plus d’un demi-siècle que notre approche des politiques publiques ne reflète pas cette obligation collective, et nous vivons maintenant avec les conséquences de ces décisions.

Le manque de logements, les services publics inadéquats et insuffisants, l’insécurité alimentaire et tant d’autres problèmes trouvent leur origine dans une approche des politiques publiques qui a oublié que notre rôle, en tant que parlementaires, est de construire notre pays, notre société, sur une vision d’égalité et d’équité pour tous.

Présentant des lacunes importantes, le budget de 2022 est, à mon avis, un pas timide dans la bonne direction pour de nombreux Canadiens. Pour beaucoup d’autres, il n’est pas à la hauteur. J’aimerais prendre un peu de temps ce soir pour discuter de ce que ce budget signifie pour les enfants et les jeunes. Il y a de bonnes choses dans ce budget. L’un des plus importants investissements annoncés est un investissement de 625 millions de dollars sur quatre ans dans les services de garde d’enfants.

Comme je l’ai expliqué l’année dernière, la création d’un programme universel et abordable de services de garde d’enfants améliorera la qualité de vie de millions de familles en aidant les parents — surtout les femmes — à développer leur potentiel économique. Ce programme contribuera aussi à ce qu’un plus grand nombre d’enfants aient accès à des services de garde et d’éducation qui les aideront à avoir un bon départ dans la vie afin de connaître le bonheur, le succès et la prospérité.

Les ententes conclues avec les provinces et les territoires pour réduire les coûts de ces services feront augmenter la demande, y compris le nombre d’installations. Cet investissement est essentiel et il arrive au bon moment.

Le budget comporte aussi plusieurs autres engagements importants, comme un fonds pour accélérer la construction de logements assorti d’une enveloppe de 4 milliards de dollars avec comme objectif de construire 100 000 maisons au cours des cinq prochaines années; un projet pilote assorti d’une enveloppe de 25 millions de dollars pour un programme de distribution de produits d’hygiène menstruelle pour les personnes dans le besoin; et une enveloppe de 5,3 milliards de dollars sur cinq ans pour les soins dentaires. Ces nouveaux programmes aideront directement des millions de Canadiens. Sur ce point, le gouvernement mérite des félicitations.

Néanmoins, j’estime qu’en ce qui concerne des aspects importants, ce budget n’arrive pas à offrir des mesures pour remédier aux problèmes les plus urgents de notre société. De plus, il présente une vision d’avenir qui, dans l’ensemble, est très modeste et peu ambitieuse.

Honorables collègues, malgré les bons éléments prévus dans le budget de 2022, je crois que, dans l’ensemble, il laisse tomber les enfants et les jeunes à un moment où ils ont cruellement besoin de notre soutien. Un enfant canadien sur cinq vit dans la pauvreté, et cette statistique s’élève à un enfant sur deux chez les Premières Nations.

En raison de l’augmentation du coût de la vie, un nombre croissant de Canadiens ont du mal à arriver; ceux qui s’en tiraient de peine et de misère par le passé sont maintenant dans une situation encore plus difficile. Malgré cela, le budget ne prévoit pas vraiment de soutien financier accru pour les familles, que ce soit au moyen d’une augmentation de l’Allocation canadienne pour enfants ou d’autres mesures de soutien.

Parmi les utilisateurs des banques alimentaires, un tiers sont des enfants. Une famille sur huit vit une insécurité alimentaire. Malgré cela, alors qu’on reconnaît que la guerre en Ukraine viendra intensifier l’insécurité alimentaire, le budget ne propose pas grand-chose pour régler ce problème pressant.

Selon les dernières données d’UNICEF Canada, seulement 55 % des enfants et des jeunes disent avoir un niveau élevé de satisfaction à l’égard de la vie, alors que plus du quart d’entre eux disent avoir ressenti de la tristesse ou du désespoir pendant une période prolongée. Par ailleurs, des intervenants en médecine pédiatrique m’ont signalé que le budget n’offrait pas vraiment de solutions notables pour régler les problèmes de santé mentale des jeunes.

Lorsqu’on l’examine sous l’angle des besoins et des droits des enfants, il devient clair que ce budget ne fait que maintenir un statu quo qui répond mal aux besoins des enfants. Je prendrai donc quelques minutes pour parler des gestes audacieux qu’il faut poser de toute urgence pour améliorer le statu quo. Pour ce faire, je m’appuierai sur quelques faits saillants provenant de l’examen du Canada qui a été fait récemment par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies.

Les conclusions du comité ont été publiées la semaine dernière. Elles dressent un tableau sombre du rendement du Canada et décrivent les changements que le Canada doit apporter pour respecter les droits des enfants.

Au début de son rapport, le comité attire l’attention du Canada sur les questions entourant la surveillance indépendante des droits concernant la non-discrimination, le droit à la vie, à la survie et au développement, les mauvais traitements et la négligence, l’absence de milieu familial et le niveau de vie. Ils indiquent que des éléments aussi fondamentaux que le droit à la vie, à la survie et au développement sont des aspects qui doivent être considérablement améliorés au Canada. Peut-être que cela ne nous étonne pas vraiment, mais cela devrait nous inquiéter vivement.

En ce qui concerne la surveillance indépendante, le comité exhorte le Canada à établir un porte-parole fédéral des enfants semblable à celui que j’ai prôné dans le passé. Il s’agirait d’un élément clé pour assurer que tout le travail au niveau fédéral, y compris les budgets futurs, est considéré sous l’angle des droits et du bien-être des enfants.

Pour ce qui est de la discrimination au Canada, le comité s’est dit très préoccupé à l’égard de :

a) La discrimination à l’égard des enfants en situation marginale et défavorisée dans l’État partie, comme la discrimination structurelle à l’égard des enfants appartenant à des groupes indigènes et des enfants afro-canadiens, notamment en ce qui concerne leur accès à l’éducation, à la santé et à un niveau de vie adéquat;

b) Les disparités apparentes dans le traitement des enfants et de leurs droits dans les différentes régions et territoires, notamment en ce qui concerne les enfants handicapés, les enfants migrants, les enfants des minorités ethniques et autres.

Le comité appelle aussi à mettre un terme à la discrimination structurelle au Canada. Le budget de 2022 comprend des mesures pour continuer de lutter contre la discrimination raciale, mais nous aurions avantage à ne pas perdre de vue l’ampleur des problèmes, et à nous rendre compte que les mesures sont insuffisantes.

En ce qui concerne le droit à la vie, à la survie et au développement, le comité a appelé le Canada à mettre en œuvre l’ensemble des appels à la justice de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Le comité a aussi recommandé au Canada de mettre en œuvre une stratégie nationale de prévention de la violence envers les enfants, de renforcer ses mesures de prévention pour empêcher que des enfants soient retirés de leur famille et de revoir sa stratégie pour répondre aux problèmes qui touchent l’eau et les installations sanitaires dans les réserves.

En ce qui concerne plus précisément la pauvreté chez les enfants, le comité a établi que le Canada devrait:

Veiller à ce que tous les enfants ainsi que leurs familles qui vivent dans la pauvreté reçoivent une aide financière adéquate ainsi que des services gratuits et accessibles, et ce, sans discrimination [...]

Ce sont là quelques-uns des nombreux domaines où le Canada aurait avantage à s’améliorer. La triste vérité, c’est que nous n’avions pas besoin des Nations unies pour nous rappeler l’existence de ces problèmes, car nous sommes bien au courant. Ce rapport nous a rappelé une réalité que nous connaissons. Il nous a rappelé que nous devons prendre des mesures plus ambitieuses pour que les droits des enfants soient respectés. Je suis donc d’autant plus déçue des mesures timides qui sont proposées dans le budget.

L’examen réalisé par le Comité des droits de l’enfant des Nations Unies rappelle qu’outre nos échecs dans plusieurs domaines d’action, on a constaté qu’il nous manque une approche exhaustive pour assurer le respect des droits de nos enfants et leur bien-être. Chers collègues, cette observation ne devrait pas nous étonner. Comment pouvons-nous arriver à nos fins si nous ne savons pas où nous allons? Comment pouvons-nous bâtir en mieux sans établir de plan?

Nous n’arriverons jamais à nos fins si nous ne savons pas où nous allons et nous ne bâtirons jamais en mieux sans avoir de plan.

Alors, que devrions-nous faire?

D’abord, le Canada n’a pas mis en œuvre de loi complète sur les droits des enfants. Cela entraîne une lacune importante dans notre vision des choses.

Ensuite, nous n’avons pas de stratégie. Il nous manque une approche exhaustive pour assurer le respect des droits de nos enfants et leur bien-être, ainsi qu’une stratégie pour réunir les ressources, les idées et l’énergie qui sont déjà déployées, une stratégie pour définir nos objectifs et les résultats souhaités, une stratégie pour déterminer les indicateurs à utiliser pour mesurer le succès et les progrès, et pour nous aider à savoir si nous progressons par rapport à notre vision.

Aucune des conditions nécessaires à la réussite n’est en place en ce moment. Nous devons corriger cette situation. Chers collègues, pour bien des questions sociales, le budget de 2022 aura un effet positif, mais il ne tient pas compte des nombreux défis auxquels les enfants, les jeunes et leurs familles sont confrontés. Le statu quo a laissé tomber beaucoup de gens, et il est temps que nous déterminions une voie vers le progrès.

Je suis impatiente de travailler avec vous tous pour y arriver. Meegwetch, merci.

Son Honneur le Président [ - ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ - ]

L’honorable sénatrice Moncion, avec l’appui de l’honorable sénatrice Pate, propose que le projet de loi soit lu pour la deuxième fois.

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois, avec dissidence.)

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