Le discours du Trône
Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat
19 juin 2025
Honorables sénateurs, je m’adresse à vous avec la même motivation qui m’a amenée dans cette Chambre il y a neuf ans. J’ai prononcé mon premier discours à l’occasion de la Journée de la Terre et j’ai exprimé ma conviction que sans la nature, il n’y a pas de ville, pas de société, pas de nation. Lorsque Sa Majesté le roi Charles III a ouvert cette 45e législature, il nous a rappelé une fois de plus que nous sommes responsables de bien gérer la terre, de protéger ses habitants et de guider notre pays dans l’incertitude, mais aussi lorsque des occasions se présentent, comme en ce moment historique.
En 2017, je disais que notre pays était à l’aube d’une renaissance qui lui permettrait d’être un leader, non pas par la conquête ni par la domination, mais par la sagesse, l’équité et l’harmonie avec la nature. Cette renaissance n’est plus une vision lointaine; c’est désormais une nécessité urgente.
Les paroles du roi ont souligné la force de notre diversité et de nos institutions et les grands défis qui nous attendent. Pourtant, je vous pose la question suivante : notre ambition est-elle à la hauteur des crises planétaires auxquelles nous sommes confrontés, comme le réchauffement planétaire, l’acidification des océans, la dégradation de l’environnement et l’effondrement de la biodiversité, et ce, alors que les citoyens perdent confiance en la démocratie? Profitons du discours du roi pour réfléchir honnêtement à la situation.
Malgré des décennies de mises en garde des scientifiques, l’urgence écologique n’a fait que s’intensifier. Des feux de forêt sans précédent font désormais rage, décimant nos forêts. Les villes ont suffoqué sous la fumée et les dômes de chaleur. En 2021, 619 personnes sont décédées lors du dôme de chaleur extrême qui a frappé la Colombie-Britannique.
Le phénomène des feux hibernants est de plus en plus fréquent. Il s’agit de feux de forêt actifs qui « se propagent sous terre et couvent pendant les mois d’hiver » avant de réapparaître au printemps suivant. Le feu de forêt de Fort McMurray a causé plus de 6 milliards de dollars de pertes assurées en 2016 et celui de Jasper en a causé pour plus de 1 milliard de dollars en 2024. L’an dernier, les pertes assurées causées par des phénomènes météorologiques extrêmes ont été estimées à plus de 9 milliards de dollars. Cette année, nous avons déjà dépassé la barre des 5 milliards de dollars.
Dans les provinces des Prairies et les territoires, les rivières s’assèchent et on peut utiliser les routes de glace moins longtemps. Les océans, qui étaient autrefois des berceaux de la vie, se transforment en réservoirs de carbone qui s’acidifient. Chacun de ces changements est mesurable, prévisible, évitable et profondément injuste. Ils résultent d’un système défaillant fondé sur l’exploitation non durable des ressources naturelles, la pollution industrielle et une économie linéaire désuète qui traite la nature comme un entrepôt et une décharge sans limites plutôt que comme un espace sacré où l’ont vit.
Je prends la parole pour vous dire qu’il existe une autre voie. C’est une voie qui ne sacrifie pas l’avenir de nos enfants pour garantir les profits des sociétés. C’est une voie qui reconnaît que notre plus grande source de richesse ne réside pas dans la vente de nos ressources naturelles, mais plutôt dans les différents types de connaissances que possède notre société, dans l’attention que nous portons à nos concitoyens et dans l’amour et l’admiration que nous portons à la terre elle-même.
Le discours du Trône faisait allusion à la transformation économique, réclamant le plus grand virage économique depuis la Deuxième Guerre mondiale. Je me réjouis vivement de cette formulation. Cette ambition doit s’accompagner d’une vision claire. La transformation doit aller au-delà de la croissance du PIB ou de la concurrence sur le plan mondial. Il nous faut une nouvelle économie, fondée sur les cinq piliers suivants, qui s’imbriquent les uns dans les autres :
l’économie axée sur les soins, où les soins et la santé ne sont pas considérés comme des dépenses, mais comme des investissements fondamentaux dans la résilience humaine et sociale;
l’économie circulaire, où les déchets deviennent des ressources et où les matériaux sont réutilisés, remanufacturés et reconvertis;
l’économie de la connaissance, où l’éducation, la recherche, les sciences et les arts sont au cœur de l’innovation et du progrès social, et où l’intelligence artificielle sert à améliorer la qualité de vie de tous, et non à manipuler la société;
l’économie de restauration, où les dommages du passé et la dette écologique sont réparés activement, ce qui permet de créer des emplois et de restaurer les collectivités;
l’économie régénératrice, où on ne se contente pas de maintenir les écosystèmes, mais où on les améliore, en restaurant les sols, en remettant les terres à l’état sauvage et en redonnant vie aux océans.
Ces nouveaux modèles économiques permettent de rompre avec l’économie extractive coloniale et ouvrent la voie à de véritables partenariats qui profitent à l’ensemble de la société en valorisant le savoir, les sciences et les expériences vécues des peuples autochtones, en restaurant les écosystèmes et en guérissant les communautés, ce qui favorise la réconciliation et la viabilité mondiale.
Une véritable transformation nécessite non seulement une décarbonation en profondeur, mais aussi le démantèlement des injustices environnementales systémiques. Nous devons rejeter les modèles économiques qui arrachent la richesse aux populations et à la nature pour la concentrer entre les mains d’une poignée de privilégiés. Comme on l’a vu par le passé, les inégalités s’accentuent à mesure que la richesse et le pouvoir se concentrent entre les mains d’une élite, ce qui laisse de nombreux citoyens pour compte. Cette situation alimente la frustration, érode la confiance dans les institutions et aggrave les divisions sociales. De telles conditions favorisent l’agitation civile et affaiblissent la démocratie en sapant la participation, la légitimité et la cohésion sociale.
Le discours du Trône a réaffirmé l’engagement du gouvernement envers la réconciliation. Rappelons-nous néanmoins que la réconciliation n’est pas un projet à administrer, c’est une relation à rétablir.
Je salue la bonification du Programme de garantie de prêts pour les Autochtones et je demande instamment qu’elle s’accompagne d’investissements à long terme dans les capacités de gouvernance, la revitalisation des langues, la restitution des terres et la guérison culturelle.
Écoutons les peuples autochtones qui ont pris soin de ces terres pendant des millénaires. Leurs systèmes de connaissances offrent non seulement des renseignements, mais aussi une sagesse en matière d’incendies de forêt, de gestion de l’eau, de biodiversité et d’équilibre. Nous ne pouvons pas espérer résoudre la crise écologique sans placer les peuples autochtones au cœur du processus. Le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause ne doit pas être réduit à une simple case à cocher. Il doit guider toutes les décisions importantes en matière d’infrastructures et être inscrit dans la loi, les politiques et la planification économique.
Chers collègues, l’heure n’est pas à la timidité. Alors que les régimes autoritaires se réaffirment et que l’instabilité politique se répand, y compris la menace très réelle posée par les États-Unis de Donald Trump, nous devons défendre les principes démocratiques. Le totalitarisme prospère dans la peur, la désinformation et l’influence des secteurs inflationnistes des ressources finies. Il nie la science du climat, sape la coopération internationale et divise les sociétés par la haine et la méfiance. C’est une menace non seulement pour la protection de l’environnement, mais aussi pour la paix elle-même.
Le Canada ne doit pas suivre; il doit montrer l’exemple. Nous devons être le phare d’une démocratie inclusive et pluraliste, gouvernée par des politiques basées sur des données probantes et guidée par l’équité.
Le discours du Trône promet d’accélérer l’approbation des grands projets, de réduire les obstacles et de créer des stratégies nationales en matière de logement. Si ces objectifs sont louables et nécessaires, nous devons veiller à ne pas sacrifier les écosystèmes ou le consentement préalable, libre et éclairé des populations autochtones au nom de la rapidité. Un projet, une évaluation, c’est très bien, évidemment. Cette évaluation doit toutefois être exhaustive, publique, scientifique et véritablement participative.
N’oublions pas les douloureuses leçons de Lac-Mégantic et de Grassy Narrows et les fuites des bassins de résidus des sables bitumineux, où la rapidité ainsi que le manque de préparation et de transparence ont conduit à des dommages dévastateurs irréparables.
Si nous voulons construire des milliers de logements et devenir une superpuissance énergétique, faisons en sorte que ces logements soient construits pour durer et qu’ils soient résilients aux changements climatiques, abordables, économes en énergie et, surtout, intégrés à la nature.
Quand le Sénat a adopté la Loi sur l’évaluation d’impact modifiée et la Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale, nous avons reconnu l’importance des études d’impact, la nécessité de réaliser des évaluations régionales reliant les causes aux effets, ainsi que l’obligation d’entreprendre des consultations significatives avec les populations autochtones.
Lorsque je suis arrivée au Canada il y a plus de 40 ans — voilà qui ne me rajeunit pas —, un espoir tenace envers la science, l’équité et le progrès m’habitait. Cet espoir est toujours très vivant. Toutefois, à l’ère de la désinformation et de la pensée à court terme, nous devons renouveler notre engagement envers l’éducation, non seulement technique, mais aussi civique, environnementale et surtout éthique.
La méthode scientifique est notre boussole devant l’incertitude. Elle nous apprend à poser des questions difficiles, à tester nos hypothèses, à revoir notre façon de penser et à changer de cap à la lumière de nouvelles données probantes. Nous avons plus que jamais besoin de cet état d’esprit. Nous devons donner aux jeunes les moyens d’agir grâce aux connaissances. Nous devons soutenir les chercheurs et la science d’intérêt public. Nous devons élaborer des politiques avisées qui ne sont pas réactives, mais plutôt proactives, et qui sont fondées sur la prévoyance et non seulement sur la sagesse rétrospective.
À cette fin, le Canada serait bien avisé d’adopter des recommandations fondées sur des données scientifiques comme prochaines étapes de son plan national en matière de lutte contre les changements climatiques : renforcer la réglementation canadienne sur les émissions de méthane; accorder des droits à la nature afin que nos écosystèmes et nos cours d’eau bénéficient des mêmes protections juridiques que les entreprises; augmenter le financement des sciences et de la recherche afin de promouvoir l’innovation au Canada et de favoriser la résilience; favoriser la finance durable, car faute d’aligner les flux de capitaux sur les solutions aux crises, nous continuerons à régresser au lieu de progresser. Le Canada n’est pas en phase avec ses pairs. Si nous voulons renforcer nos liens avec l’Europe, le Commonwealth et même l’Asie, la finance durable est une nécessité absolue.
Chers collègues, je suis ingénieure, je travaille avec des contraintes. Je sais ce que c’est de construire sous pression, mais je sais aussi ceci : avec des conceptions judicieuses, nous pouvons construire des structures à l’épreuve du temps. Ensemble, concevons et bâtissons un Canada innovant et régénérateur, et pas seulement extractif, un Canada qui ne redoute pas la fin des énergies polluantes, mais qui embrasse l’essor d’une économie de la biosphère; un Canada qui ne considère pas la nature comme un décor, mais comme une partenaire; un Canada qui se réconcilie avec son passé en assurant un avenir juste et viable pour tous.
Ne nous laissons pas guider par des platitudes, mais par notre résolution. Montrons au monde que la démocratie, la droiture et la détermination peuvent venir à bout de la crise et de la crainte. Passons de la résilience à la régénération et de la rhétorique à des résultats concrets, par égard pour tout ce qui vit et respire sous ce ciel boréal, agissons maintenant avec courage, clarté et sérieux. Merci. Meegwetch.