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Projet de loi sur les nouvelles en ligne

Message des Communes--Adoption de la motion de renonciation aux amendements du Sénat

22 juin 2023


L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Propose :

Que, en ce qui concerne le projet de loi C-18, Loi concernant les plateformes de communication en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles aux personnes se trouvant au Canada, le Sénat n’insiste pas sur ses amendements auxquels la Chambre des communes n’a pas acquiescé;

Qu’un message soit transmis à la Chambre des communes pour l’en informer.

 — Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet du message relatif au projet de loi C-18.

Pas plus tard que la semaine dernière, le Sénat a adopté ce projet de loi clé pour soutenir le journalisme au Canada en proposant une dizaine d’amendements. Le projet de loi nous est revenu de l’autre endroit et la plupart des changements que nous avions proposés ont été acceptés. Aujourd’hui, je propose que le Sénat accepte la réponse de l’autre endroit aux amendements du Sénat afin que la Loi sur les nouvelles en ligne puisse obtenir la sanction royale.

Avant de parler du message de l’autre endroit, je voudrais revenir sur la situation du journalisme et à ce qui nous a amenés au point où nous en sommes aujourd’hui. Le journalisme est à la croisée des chemins au Canada. Malgré la ténacité et l’engagement des témoins que nous avons reçus, la situation de l’industrie de l’information au pays est inquiétante. Les journaux locaux de partout au pays disparaissent. Les journalistes canadiens perdent leur emploi. De tristes nouvelles nous sont parvenues dans les derniers jours au sujet de Bell Média. Il pourrait y avoir des impacts à long terme sur l’écosystème des médias d’information et sur la démocratie au Canada.

Tout le monde y perdra si les entreprises du secteur canadien de l’information meurent à petit feu jusqu’à ne plus pouvoir produire de contenu journalistique de qualité. Quand plus personne ne sera là pour faire des reportages sur les institutions démocratiques et contrer la marée montante de désinformation, ce sont les citoyens qui en subiront les conséquences. Chaque jour, on constate de nouvelles indications de l’émergence de ce phénomène mondial. Le message que nous ont transmis les intervenants était clair : il faut agir maintenant.

Chers collègues, il ne fait aucun doute qu’Internet a changé la façon dont les Canadiens consultent l’actualité. De plus en plus, ces derniers se tournent vers les médias sociaux, les applications et les agrégateurs.

Les entreprises de nouvelles du Canada ont pris le virage pour adapter leur contenu aux médias numériques. Cependant, elles évoluent dans un monde où une poignée de géants contrôlent l’accès au contenu en ligne grâce à leurs pouvoirs démesurés.

Ces grandes plateformes numériques se servent de leur position dominante sur le marché pour rendre le contenu de nouvelles disponible sans rétribuer les médias d’information. Ces plateformes prétendent que les nouvelles ont peu ou pas de valeur. Or, les données montrent que les Canadiens dépendent fortement des médias sociaux pour consulter l’actualité : 55 % d’entre eux se servent des médias sociaux pour trouver leurs nouvelles.

Les plateformes prétendent fournir un service aux entreprises de nouvelles en rendant leur contenu disponible au public en ligne. Or, ce sont les plateformes qui profitent de la monétisation de l’accès des Canadiens en vendant les données des utilisateurs ou en vendant à des annonceurs des publicités ciblées fondées sur ces données.

Chers collègues, en même temps, je ne nie pas que la diffusion de leur contenu sur les plateformes numériques est avantageuse pour les médias d’information. Les Canadiens partout au pays utilisent ces espaces numériques pour accéder à de l’information, échanger des idées, communiquer entre eux et créer du contenu qui reflète leurs expériences uniques. De tels espaces peuvent renforcer notre démocratie en faisant la promotion de valeurs fondamentales telles que la liberté d’expression. Le problème, ce n’est pas la technologie, mais plutôt le déséquilibre de pouvoir entre les plateformes et tout le reste.

Honorables sénateurs, les plateformes et leurs sympathisants nous disent que toute réglementation qui remet en question leur modèle d’affaires constitue une menace pour Internet et la liberté d’expression. Comme on le sait, pourtant, Internet ne se résume pas aux seuls services offerts par les plateformes, tout comme la liberté d’expression n’est pas un produit vendu par une plateforme ou un moteur de recherche en ligne. Selon M. Winseck, qui a témoigné devant un comité sénatorial le mois dernier, les revenus de publicité de Google au Canada en 2021 s’élevaient à 4,9 milliards de dollars, et ceux de Meta, à 4 milliards de dollars. Ces sommes représentent 80 % du marché publicitaire en ligne du Canada. Le projet de loi C-18 est nécessaire pour contrebalancer la position dominante de ces plateformes sur le marché.

Les données qui se rapportent aux médias d’information canadiens contrastent vivement avec ces 9 milliards de dollars de revenus publicitaires. Depuis 2008, près de 500 médias d’information ont fermé dans 335 localités du Canada, et plus de 20 000 journalistes canadiens ont perdu leur emploi.

Pendant l’étude du projet de loi, nous avons entendu des témoignages personnels qui ajoutent une dimension humaine à ces chiffres. Peu importe leur taille, les médias d’information réduisent le nombre de journalistes. Les salles de nouvelles sont réduites au strict minimum ou ferment carrément. Les étudiants tournent le dos à une carrière en journalisme. Avec la disparition des journaux locaux, les déserts médiatiques se multiplient au Canada. Dans ces circonstances, bien des nouvelles dont les Canadiens voudraient être informés ne sont tout simplement pas diffusées.

Bien qu’il s’agisse de l’un des piliers d’une démocratie fonctionnelle, il n’a jamais été facile de financer un journalisme sérieux. Aujourd’hui encore, comme par le passé, des éditeurs, des radiodiffuseurs, des journalistes et des rédacteurs en chef déterminés continuent d’imaginer des moyens de faire du journalisme de qualité. Cependant, toutes les innovations et les compressions du monde ne seront d’aucune utilité si les médias d’information ne luttent pas à armes égales contre leurs concurrents.

La situation est intenable. Il faut intervenir de manière pondérée pour que les acteurs du milieu puissent trouver un terrain d’entente. La semaine dernière, les sénateurs ont manifesté leur soutien à ce projet de loi par un vote de 51 voix contre 23.

Nos collègues de l’autre endroit nous ont renvoyé le projet de loi en reconnaissant le travail que nous avons accompli et en acceptant presque tous les amendements que nous avons apportés. Grâce au travail assidu du Sénat, le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd’hui a été amélioré.

L’autre endroit a appuyé plusieurs amendements quant à la définition de « média d’information » dans le projet de loi. Un amendement proposé par le sénateur Cormier ajoute des références aux « médias d’information autochtones » et aux « médias d’information de communautés de langue officielle en situation minoritaire », tandis qu’un autre amendement proposé par la sénatrice Simons retire des exemples précis de ce qui pourrait être considéré comme du contenu de nouvelles. De plus, un amendement proposé par la sénatrice Clement et appuyé par l’Aboriginal Peoples Television Network retirant la spécificité de la définition de « contenu de nouvelles » en ce qui concerne les médias autochtones a été accepté.

L’ajout par le sénateur Cormier des définitions de « communauté de langue officielle en situation minoritaire » et de « média d’information de communauté de langue officielle en situation minoritaire » a aussi été accepté par l’autre endroit.

L’autre endroit a également accepté un amendement proposé par le sénateur Cormier, visant à créer une catégorie distincte pour les accords conclus avec les médias des communautés de langue officielle en situation minoritaire dans le cadre des critères d’exemption pour les plateformes. Deux amendements techniques à l’appui de cette modification ont été adoptés en conséquence.

La proposition de la sénatrice Dasko, qui vise à clarifier la désignation des organismes de presse — à leur demande — a également été acceptée.

L’autre endroit a également appuyé la proposition de la sénatrice Clement de créer une catégorie distincte dans les rapports du vérificateur indépendant afin de comprendre les conséquences de cette mesure législative sur les médias d’information autochtones, les médias d’information locaux et régionaux, les médias d’information de communautés noires et d’autres communautés racialisées, et les médias d’information de communautés de langues officielles en situation minoritaire.

L’autre endroit a en outre accepté un amendement de forme que j’ai présenté au comité, qui garantirait que le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes puisse imposer des conditions aux membres de la formation arbitrale en ce qui concerne la communication de renseignements confidentiels, et que les membres de la formation arbitrale connaissent leurs obligations en ce qui concerne ces renseignements confidentiels. De nombreux témoins ont souligné l’importance de protéger les renseignements de nature délicate sur le plan commercial tout au long du processus de négociation.

Enfin, l’autre endroit a appuyé un amendement proposé par la sénatrice Miville-Dechêne visant à mettre en place une mesure de sécurité pour que le régime complet entre en vigueur dans les six mois suivant la sanction royale.

Il y a cependant un point sur lequel l’autre endroit a respectueusement exprimé son désaccord, et les raisons en sont exposées dans son message. Cette décision a été prise à l’issue d’un débat solide et vigoureux dans un contexte de gouvernement minoritaire. Leur décision est claire, éclairée et mûrement réfléchie, et je demande à cette chambre de l’approuver.

L’amendement en question vise à réduire la portée des négociations entre les entreprises de nouvelles et les plateformes, en précisant que les accords doivent être fondés sur la « valeur tirée » par les deux parties. L’amendement exigerait alors que les parties attribuent une valeur monétaire au contenu de nouvelles. Cela aurait pour effet d’attribuer une valeur par voie de négociations.

Comme l’a fait remarquer le parrain du projet de loi, le sénateur Harder, en réduisant la portée du processus de négociation pour déterminer la valeur des échanges entre les deux parties, cet amendement donnerait lieu à des négociations moins favorables pour les médias et contraires aux objectifs du projet de loi. Dans sa forme actuelle, le projet de loi exige déjà que, si les parties n’arrivent pas à conclure d’accord et doivent recourir à l’arbitrage sur l’offre finale, la formation arbitrale doit examiner un ensemble de facteurs.

En effet, le projet de loi laisse une grande marge de manœuvre aux parties pour parvenir à une entente satisfaisante pour les deux parties pendant le processus de négociation et de médiation. Lorsqu’une formation arbitrale intervient en dernier ressort, sa décision doit se fonder sur les facteurs suivants : la valeur monétaire et non monétaire ajoutée au contenu de nouvelles en question, les avantages que chaque parti retire de la mise à disposition du contenu sur la plateforme, ainsi que le déséquilibre entre le pouvoir de négociation des parties. Chers collègues, comme vous pouvez le constater, cette approche permet aux parties de négocier les éléments qui vont au-delà de la compensation financière.

L’amendement qui n’a pas été retenu à l’autre endroit limite ce processus. Il peut poser des difficultés liées à l’établissement de la juste valeur marchande. Il pourrait être interprété d’une manière moins favorable aux médias d’information, ce qui se traduirait par une réduction considérable de l’indemnisation des médias.

Des intervenants ont soulevé ces préoccupations, et je pense qu’elles méritent d’être répétées. Par exemple, Paul Deegan, président et chef de la direction de Médias d’info Canada, un organisme qui représente 560 publications, a dit :

L’amendement limiterait la capacité des médias d’information de négocier une indemnisation équitable avec les plateformes dominantes. La valeur sera déterminée pendant les négociations.

Pierre-Elliott Levasseur, président de La Presse, partage le même avis :

Cet amendement nous lierait une main derrière le dos et nous paralyserait dans les négociations avec des plateformes nettement avantagées par le déséquilibre de pouvoir significatif entre elles et les médias d’information. La majorité des médias au Canada ont tenté de conclure une entente avec Facebook et Google, mais se sont fait claquer la porte au nez. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le Québec, où La Presse, les publications de Québecor et les Hebdos ont tous été abandonnés à leur sort. Cet amendement avantage les plateformes aux dépens des médias.

Nos collègues de l’autre endroit notent que la nouvelle disposition régirait ce qui est censé être un processus de négociation libre de manière plus restrictive que l’arbitrage d’offres finales. La décision de l’autre endroit de rejeter cet amendement est basée sur sa conclusion que l’inclusion de cette formulation pourrait contraindre les deux parties en limitant le montant et la forme de l’indemnisation que les plateformes proposent aux entreprises de nouvelles au début du processus de négociation, alors que les parties devraient avoir le plus de souplesse possible.

Chers collègues, avec la Loi sur les nouvelles en ligne, nous avons élaboré une solution canadienne qui offre une voie claire vers l’avenir. Le projet de loi C-18 exige que les entreprises de nouvelles et les plateformes s’assoient à la table de négociations pour déterminer la juste rémunération du contenu de nouvelles en ligne. Il permet aux entreprises de nouvelles de former des groupes de négociation collective afin d’inclure des entreprises de nouvelles de toutes les tailles dans le processus de négociation. Le projet de loi exige également que les plateformes concluent des accords avec un éventail d’entreprises de nouvelles reflétant la diversité du journalisme canadien. Si les deux parties ne parviennent pas à conclure un accord équitable, le projet de loi donne au CRTC le pouvoir de faciliter un processus d’arbitrage à l’égard de l’offre finale.

Certains seront d’avis que les accords existants entre les plateformes et les entreprises de nouvelles rendent l’adoption du projet de loi C-18 inutile. Nous savons très bien que les plateformes n’ont commencé à conclure des accords avec certains éditeurs au Canada que lorsque le gouvernement a fait savoir qu’il allait agir. En l’absence d’un cadre de responsabilisation transparent tel que le projet de loi C-18, les accords sont soumis aux caprices des plateformes et risquent de venir à échéance sans être renouvelés.

C’est à nous de continuer de faire pression sur les plateformes pour qu’elles soient à la table de négociations. Le projet de loi C-18 nous donne un moyen de le faire. Il garantit également la présence d’un plus grand nombre d’entreprises de nouvelles canadiennes à la table de négociations, plutôt que d’une petite poignée d’entreprises médiatiques privilégiées choisies par les plateformes.

Le mouvement sur la scène internationale pour réglementer les plateformes en ligne rendant disponible du contenu de nouvelles prend de l’ampleur. En plus du Canada et de l’Australie, le Royaume-Uni et la Nouvelle-Zélande proposent des mesures législatives comparables. Pas plus tard que la semaine dernière, nos collègues du Comité sénatorial américain des affaires judiciaires ont voté en faveur de la loi bipartite sur la concurrence et sur la préservation dans le domaine journalistique, la Journalism Competition and Preservation Act. Même si chaque cas est différent — les législateurs envisagent des approches différentes —, une tendance nette se dégage. La réalité est que le projet de loi C-18 s’inscrit dans une tendance mondiale visant à exiger des comptes des géants du Web.

Chers collègues, nous savons tous que le projet de loi C-18 ne sera pas une solution magique, mais il permettra d’uniformiser les règles du jeu. Il servira de contrepoids au pouvoir des plateformes numériques les plus dominantes et il permettra même aux petites entreprises de nouvelles d’obtenir une indemnisation équitable pour le contenu de qualité qu’elles créent pour les Canadiens.

Des parties prenantes de tous les secteurs des médias ont signalé l’urgence d’adopter le projet de loi C-18, une mesure législative qui, en plus de sauver des emplois et des entreprises d’ici, soutiendra la démocratie canadienne en permettant à un écosystème de nouvelles diversifié de continuer à couvrir ce que font nos institutions et nos décideurs.

Des gouvernements et des gens de partout dans le monde attendent de voir quels seront les développements au Canada. Comme je l’ai décrit, certains pays réglementent déjà les grandes plateformes technologiques pour assurer la pérennité de leur industrie de l’information. Aurons-nous, au Canada, le courage de faire de même? J’espère que la réponse à cette question sera un « oui » retentissant.

J’exhorte les honorables sénateurs à accepter le message de l’autre endroit et à adopter le projet de loi C-18. Merci.

L’honorable Julie Miville-Dechêne [ + ]

Honorables sénateurs, je prends brièvement part à ce débat sur le projet de loi C-18, afin d’apporter quelques précisions sur deux des amendements que j’ai présentés et qui ont été rejetés par le gouvernement.

À ce stade-ci, j’accepte cette décision des élus, même si les justificatifs à l’appui de ce rejet ne m’ont pas convaincue. Mon rôle de sénatrice est de proposer des changements législatifs qui me semblent nécessaires, mais je ne mènerai pas une croisade solitaire à l’encontre de la volonté d’une majorité de députés. Je note toutefois que le Sénat compte trois anciennes journalistes et que, au bout du compte, aucune n’aura soutenu le projet de loi C-18 dans sa forme actuelle.

Je tiens à dissiper tout malentendu qui pourrait subsister sur les amendements que j’ai proposés, qui visaient à inscrire dans la loi la notion d’échange de valeur, monétaire ou non, entre les plateformes et les médias.

Après des mois d’étude, de consultations et de discussions avec les experts et les parties prenantes, il m’est apparu clair qu’il y avait une faille dans le projet de loi.

C’est le témoin Konrad von Finckenstein, ancien président du CRTC — une voix indépendante —, qui l’a d’abord porté à notre attention : la loi ne précisait pas ce qui devait être négocié entre les médias et les plateformes comme Google et Facebook, ce qui donnait donc lieu à des visions très divergentes des attentes des uns et des autres. M. von Finckenstein a suggéré au comité de préciser l’objectif des négociations dans la loi.

Je suis, bien sûr, parfaitement consciente du déséquilibre des forces entre les organes de presse et les géants d’Internet. C’est une évidence.

Néanmoins, il me semblait nécessaire de préciser, dans le texte de loi, que la négociation, comme l’arbitrage, devait se concentrer sur un échange de valeur, monétaire ou non, entre les deux parties, et non sur une subvention de la masse salariale des salles de nouvelles.

Je n’ai rien inventé. C’est ce que le gouvernement et ses porte-paroles nous ont dit. C’est ce qu’ils affirment publiquement, et c’est aussi cette référence réaliste à un échange de bénéfices qui est inclus dans le code australien, le modèle dont le Canada s’est largement inspiré.

Personne — et certainement pas les plateformes comme Google ou Facebook — ne m’a dicté cet amendement. C’est plutôt une conséquence logique de nos débats, de nos recherches et des témoignages que nous avons entendus.

Je ne vous cache pas que j’espérais que cette précision — cette reconnaissance expresse et pragmatique de la relation bidirectionnelle entre les médias et les plateformes — permettrait de faire baisser la tension et d’assurer un dialogue plus constructif entre Facebook et Google, le gouvernement et les médias.

Ce que je souhaite avant tout, bien évidemment, c’est qu’un journalisme de qualité — indépendant, accessible et en bonne santé financière — continue d’exister au Québec et au Canada, pour que les citoyens que nous sommes soient bien informés et critiques.

C’est l’une des conditions d’une saine démocratie. La solution juste, équitable et réaliste, en ces temps de bouleversements technologiques, n’est pas évidente.

Comme je l’ai déjà dit, j’espère sincèrement que le gouvernement gagnera son pari. Merci.

L’honorable Leo Housakos [ + ]

Merci, honorables sénateurs. Sénateur Gold, je vous remercie d’avoir réorganisé l’ordre du jour et le débat sur le projet de loi C-18 parce que j’ai dû m’absenter brièvement. Si j’avais su que tout ce qu’il fallait pour retarder l’adoption du projet de loi, c’était de m’absenter, je ne serais pas revenu. Je sollicite votre attention encore quelques minutes parce que j’interviens au nom de l’opposition.

Sénateur Gold, comme l’a déjà dit le sénateur Harder, le projet de loi C-18 n’est pas une solution miracle. Au contraire, je crains bien que ce soit le coup fatal au journalisme qui, au Canada, est déjà aux soins intensifs.

Je souscris évidemment aux objectifs du projet de loi C-18. Nous savons tous que le journalisme traverse une grande période de bouleversements, comme toutes les industries canadiennes, en raison des plateformes numériques. Ce n’est pas un phénomène propre au journalisme. Le commerce de détail connaît les mêmes bouleversements. Les chauffeurs de taxi aussi. Ces nouvelles plateformes numériques transforment aussi profondément les transports et la façon dont les politiciens communiquent avec les citoyens.

Dans le monde du journalisme, certains se sont très bien transformés et s’en sortent très bien, et d’autres non. Comme je l’ai répété à maintes reprises dans mes discours précédents, il y a finalement le Globe and Mail, le Village Media, le Western Standard et une longue liste de médias couronnés de succès qui ont réussi à s’adapter et qui utilisent ces nouvelles autoroutes. Je répète que les plateformes numériques ne sont pas des radiodiffuseurs ni des journalistes; ce sont uniquement les autoroutes qui offrent à toutes ces industries l’occasion unique d’accéder à de plus gros marchés dans une optique de transformation.

Ces plateformes ont permis aux Canadiens de se développer et de vendre le Canada au reste du monde, tout en leur donnant une vision du monde qu’il était difficile d’obtenir avant ces plateformes.

Même si nous croyons tous à la démocratie et comprenons que nous avons besoin d’un journalisme dynamique pour que la démocratie s’épanouisse, je crois aussi que le gouvernement n’a rien à faire dans les salles de presse du Canada. Il importe peu que le gouvernement soit conservateur ou libéral. Nous devons avoir non seulement des médias solides, mais aussi des médias indépendants, sans aucune influence directe ou indirecte des fonctionnaires, des organismes de réglementation et des représentants du gouvernement.

C’est là où je suis en désaccord avec les intentions annoncées par le gouvernement, car je crains les conséquences véritables de ce projet de loi. Je crois qu’en fin de compte, lorsque ce projet de loi sera mis en œuvre avec ses règlements et qu’il donnera pleins pouvoirs au CRTC et à Patrimoine canadien, il nuira encore plus aux médias et, surtout, aux journaux qui, comme je l’ai dit, sont déjà à l’article de la mort.

La presse écrite est mal en point depuis maintenant plus d’une décennie et le gouvernement a attendu à la fin de son mandat pour faire quelque chose, ce qui en soi soulève des questions.

Je remets aussi en question l’authenticité du gouvernement en raison de sa tradition de défendre et de soutenir les oligarques et oligopoles du secteur de la radiodiffusion. Le ministre Rodriguez, le premier ministre et le gouvernement ont maintes fois répété que l’opposition conservatrice défend les intérêts des géants de la technologie et des grandes sociétés, mais ce n’est pas le cas. En tant que conservateurs, nous défendons les intérêts des Canadiens qui veulent plus de choix et une meilleure concurrence dans le secteur des médias d’information et des communications. En réalité, c’est le gouvernement qui défend les intérêts de ces grandes sociétés. C’est le gouvernement qui défend les intérêts de ces oligopoles et monopoles qui ont été établis par les législateurs de notre pays, ces mêmes législateurs à qui nous donnons les clés de nos médias d’information. Je n’invente rien. Nous connaissons la nature de Bell Média, Rogers et Québecor, ces entreprises qui sont devenues énormes et qui jouissent d’un succès gigantesque dans notre pays grâce à la réglementation mise en place par le gouvernement. Toutefois, les grands perdants depuis les 30 dernières années, ce sont les Canadiens, car ils n’ont pas obtenu en retour la concurrence et la tarification avantageuse dans tous les aspects des télécommunications. C’est un fait.

Il y a un autre exemple d’hypocrisie de la part du gouvernement sur lequel je m’interroge. Il dit vouloir diversifier davantage les médias d’information, aider les médias locaux et régionaux, les médias des communautés ethniques, les médias autochtones, et cetera, et il veut que le projet de loi C-18 aide tous ces médias d’information qui sont à l’agonie. Eh bien, pourquoi ne commence-t-il pas par mettre de l’ordre dans ses propres affaires? Pourquoi ne pas commencer par l’achat de publicité dans les médias par le gouvernement? Nous savons que le gouvernement est l’un des principaux acheteurs de publicité dans les médias au pays. J’ai déjà travaillé dans le domaine des communications. Si on veut contribuer à diversifier les médias d’information dans l’ensemble du pays, pourquoi ne pas mieux répartir les ressources déjà investies? Nous savons déjà que les achats directs de publicité dans les médias par le gouvernement comptent déjà pour au moins 150 millions de dollars, sans parler des achats indirects effectués par les divers ministères. Si vous pouviez voir quel pourcentage de cet argent va aux petits médias locaux de la presse écrite, aux médias des communautés ethniques ou aux médias autochtones de l’ensemble du pays, vous seriez renversés. Ils ne reçoivent pas plus de 2,5 % ou 3 % de ce budget. Presque tout va aux grands radiodiffuseurs, aux grands médias d’information.

C’est typique du gouvernement libéral. Les oligopoles rapetissent, mais leurs goussets épaississent. Le projet de loi C-18 est censé aider les journalistes. À la veille de l’adoption du projet de loi, Bell Média a jugé bon de licencier 1 300 journalistes. Depuis 10 ans, ce sont les journalistes qui écopent dans la presse écrite et le milieu de la radio. Depuis de nombreuses années, nous assistons à la débâcle de Postmedia un peu partout au Canada. C’est maintenant le tour de Bell Média. Que font-ils? Ils licencient des employés tout juste avant l’adoption d’un projet de loi qui est censé secourir le journalisme au Canada. En tout, 1 300 journalistes ont été licenciés.

Qui profitera des revenus supplémentaires que le gouvernement accorde à ces oligopoles et à leurs sympathisants? Je vous garantis que ce sont les têtes dirigeantes de CBC/Radio-Canada, de Bell Média, de Rogers et de Québecor. Je sais que je ne me fais pas d’amis et que ces médias ne me mettront pas à la une pour me féliciter, mais tout cela doit être dit. Je ne suis pas ici pour plaire à ces oligopoles, mais pour défendre les intérêts des consommateurs canadiens.

Si le gouvernement veut gagner ma confiance et apaiser mes soupçons, pourquoi ne commence-t-il pas — par exemple — en ne traînant pas un média devant les tribunaux et en ne contournant pas son accès payant? D’après les dires du gouvernement et du ministre, le projet de loi C-18 vise à empêcher le vol et la diffusion du contenu produit par les journalistes. Chers collègues, nous avons au Canada des lois qui protègent les journalistes ainsi que le droit d’auteur et la propriété intellectuelle. Si les lois sur le droit d’auteur ne sont pas assez solides, renforçons-les; c’est notre travail.

Prenons comme exemple le Blacklock’s Reporter, qui est un média prospère qui incarne un nouveau mode de fonctionnement pour les médias, lequel a aussi été adopté par La Presse, à Montréal, et, comme je l’ai dit, par le Globe and Mail. Ce ne sont là que de petits exemples d’organes de presse écrite qui utilisent un verrou d’accès payant et qui ont transformé leur façon de faire des affaires avec beaucoup de succès. Si le gouvernement ne respecte pas les verrous d’accès payant, c’est du vol de propriété intellectuelle. Le gouvernement du Canada est actuellement devant les tribunaux, essentiellement parce qu’il ne veut pas payer pour le contenu d’un organe de presse en particulier, et cela soulève des doutes quant à l’intention derrière ce que le gouvernement essaie de faire.

Le projet de loi me pose aussi un autre problème, comme je l’ai exprimé à maintes reprises, et c’est que nous sommes soudainement censés faire confiance au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le CRTC. Le CRTC est l’agent qui a créé ces oligopoles au Canada, celui qui a créé ces énormes radiodiffuseurs, puisque le CRTC est un organisme de réglementation de la radiodiffusion. C’est son travail; il a reçu des mandats des gouvernements successifs, conservateurs et libéraux. Voyons quel est le résultat dans le domaine de la radiodiffusion au Canada : il a créé des géants qui offrent moins de services pour plus cher. Si vous regardez ce que les Canadiens paient pour les services offerts par ces oligopoles, vous constaterez que nous payons tous beaucoup plus cher que les habitants de n’importe quel autre pays.

Maintenant, je suis censé faire confiance à ce même organe de réglementation — le CRTC — qui n’a aucune expérience en matière d’information ni en matière de presse écrite. En revanche, il a de l’expérience dans la création d’oligopoles. Vais-je lui confier l’objectif de sauver la presse écrite et la diversité des médias au Canada? Il a des antécédents. Réussira-t-il à atteindre cet objectif?

J’ai de sérieuses réserves quant au fait qu’il s’agisse du seul but dans tout cela : c’est-à-dire faire évoluer un modèle d’affaires qui a donné aux Canadiens des possibilités uniques, à savoir — comme je l’ai mentionné — promouvoir leurs produits. Nous voyons les politiciens le faire, et les médias d’information voient les politiciens le faire. Nous tentons essentiellement de prendre une façon traditionnelle de faire les choses — qui ne s’applique plus dans le monde moderne — et de créer des parallèles parce que nous avons un gouvernement qui aime choisir les gagnants et les perdants. Il aime déterminer qui obtient la plus grosse part du gâteau, malgré le fait que, peut-être, leur modèle d’affaires ne fonctionne pas. Si le modèle d’affaires de l’un fonctionne et procure des recettes, le gouvernement pigera dans ses poches pour remplir les poches de l’autre pour voir quel sera le résultat. Nous avons vu à maintes reprises dans le monde entier que cela ne fonctionne pas. Il faut laisser le marché libre et les consommateurs faire leurs propres choix.

Enfin, nous avons discuté du rôle de cette institution au cours des derniers jours. En fait, ces discussions perdurent depuis des années. Nous avons ici l’occasion, encore une fois, d’exercer notre droit constitutionnel et d’envoyer le message suivant au gouvernement : l’opposition n’a pas fait d’obstruction ni agi avec de mauvaises intentions lorsque ce projet de loi nous a été présenté. Comme le sénateur Harder le sait, nous avons adopté le projet de loi relativement rapidement au Sénat, car nous voulons, nous aussi, réaliser les objectifs que le gouvernement cherche à atteindre. Toutefois, lorsqu’un projet de loi fait l’objet d’un si grand nombre d’amendements et de préoccupations de la part de sénateurs nommés par le gouvernement, comme c’est le cas avec le projet de loi C-11, on peut en déduire qu’il y a quelque chose qui cloche dans la façon dont le gouvernement traite le dossier. Il n’a manifestement pas mené suffisamment de consultations auprès des parties prenantes, voire auprès de ses propres parlementaires, avant de présenter cette mesure législative au Sénat.

Il fut un temps, chers collègues — et j’en ai déjà parlé par le passé —, où le modèle de Westminster exigeait que les parlementaires fassent partie intégrante du processus politique et participent à l’élaboration des mesures législatives. Beaucoup des sénateurs qui se préoccupent de la législation sur les communications et les télécommunications, notamment les sénatrices Miville-Dechêne, Simons et Dasko et nombre des sénateurs avec qui j’ai eu le plaisir de travailler au sein du Comité sénatorial permanent des transports et des communications, auraient apporté des contributions utiles au gouvernement au sein de leur caucus national en fournissant des informations précieuses au stade embryonnaire de l’élaboration des mesures législatives. C’est ce qui se passait autrefois dans le bon vieux Sénat, et il n’était pas nécessaire que les sénateurs nommés par le gouvernement expriment leur indignation en déchirant leur chemise tout au long du débat sur un projet de loi, car ils l’auraient fait là où il le fallait.

Au cours des derniers jours, j’ai entendu le sénateur Gold dire que le représentant du gouvernement au Sénat exerce des pressions vigoureuses en votre nom pour faire adopter les amendements de cette enceinte. Il fut un temps où nous n’avions pas besoin d’un leader du gouvernement pour faire du lobbying en notre nom parce que, chaque mercredi matin, le premier ministre et les ministres de la Couronne comparaissaient devant nous, et nous pouvions présenter nous-mêmes nos arguments. En tant que parlementaires, vous méritez tous d’avoir ce droit et ce privilège. Cela vous a été enlevé, ainsi qu’à l’institution du Sénat, au détriment l’amélioration des mesures législatives.

J’insiste sur le fait que c’est l’occasion, sénatrice Miville-Dechêne, d’envoyer un message au gouvernement pour lui dire que nous ne sommes pas une assemblée de béni-oui-oui et que nous en avons assez de travailler dans des délais trop courts. Une urgence de sa part équivaut essentiellement à une mauvaise gestion du programme législatif, et il y a toujours urgence selon la Chambre. Cette façon de faire ne contribue pas non plus à l’élaboration de bons projets de loi, chers collègues. Ces derniers jours, un de nos collègues a dit que nous devons faire très attention pour que cette institution ne se donne pas le rôle de l’opposition officielle. Eh bien, je vous encourage tous à regarder la tendance des votes des cinq ou six dernières années au Sénat. Permettez-moi de vous dire qu’il n’y a aucun risque que cette institution devienne l’opposition officielle du gouvernement. J’espère que cela sera toujours le cas et que le même esprit enthousiaste d’indépendance dans le soutien au processus législatif du gouvernement se manifestera lorsque le nouveau gouvernement sera en place d’ici peu. On ne sait jamais, mais j’ai l’impression que ce ne sera pas le cas.

J’ai dit tout ce que j’avais à dire au sujet du projet de loi C-18. Je le répète, je souhaite bonne chance à ce projet de loi. Je souhaite bonne chance à l’industrie. Toutefois, j’espère qu’à un moment donné, le gouvernement va comprendre qu’on ne peut imposer quoi que ce soit au marché. Ce sont les consommateurs qui devraient avoir le dernier mot quant aux choix qu’ils font, ce qu’ils regardent, ce qu’ils lisent, ce qu’ils publient et ce dans quoi ils investissent, que ce soit en matière de nouvelles ou de quoi que ce soit d’autre.

J’insiste sur le fait que nous devons renvoyer ce projet de loi à la Chambre des communes. Elle ne cesse de nous menacer en disant qu’elle a ajourné pour l’été et que les députés ne peuvent revenir — et que si nous agissons ainsi, le projet de loi va mourir au Feuilleton. Vous avez tous déjà entendu cela : nous allons retarder le processus. Cela fait 156 ans que le gouvernement tente de nous contrôler. L’autre endroit est maintenant passé en mode hybride permanent. Les députés peuvent faire leur travail de législateurs à partir de leur cuisine ou leur chambre à coucher. Certaines des mesures législatives qu’ils nous renvoient semblent indiquer qu’ils passent beaucoup de temps à les rédiger à partir de leur cuisine ou de leur chambre à coucher.

Merci.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Que ceux qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur la Présidente [ + ]

À mon avis, les oui l’emportent.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a-t-il entente au sujet de la sonnerie?

L’honorable Patti LaBoucane-Benson (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat)

Quinze minutes.

Son Honneur la Présidente [ + ]

Le vote aura lieu à 14 h 14. Convoquez les sénateurs.

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