Aller au contenu

Projet de loi sur le réseau de digues de l'isthme de Chignecto

Deuxième lecture--Suite du débat

23 octobre 2025


L’honorable John M. McNair [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi S-216, Loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages à l’avantage général du Canada.

J’ai écouté attentivement le discours du sénateur Quinn à l’étape de la deuxième lecture et j’ai ressenti le besoin de prendre la parole compte tenu de la récente décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse sur la question du renvoi.

Chers collègues, je vous rappelle que l’isthme de Chignecto est le seul lien terrestre qui relie la Nouvelle-Écosse au Nouveau-Brunswick et au reste du Canada continental. À partir de la fin des années 1600, la région a été endiguée à des fins agricoles. Depuis lors, d’importantes infrastructures de toutes sortes ont été construites dans la région.

Avec la hausse des températures et du niveau de la mer attribuable aux changements climatiques, l’isthme de Chignecto est davantage exposé aux risques d’inondation et à d’autres dommages. Le réseau de digues doit être rehaussé afin d’être protégé, et le projet devrait coûter 650 millions de dollars.

Le 20 mars dernier, les gouvernements du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick ont annoncé qu’ils étaient parvenus à un accord concernant le projet de l’isthme de Chignecto. Chacune des provinces s’est engagée à verser 162,5 millions de dollars pour financer le projet, tandis que le gouvernement fédéral s’est engagé à prendre en charge les 325 millions de dollars restants.

Malgré cet accord, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a soumis un renvoi à la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse. La question était la suivante :

L’infrastructure qui protège les liens interprovinciaux de transport, de commerce et de communication à travers l’isthme de Chignecto relève-t-elle de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada?

Le 13 juin 2025, les trois membres de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ont rendu leur décision : la cour a refusé de répondre à la question. À mon avis, il s’agit d’une décision très importante. Chers collègues, prenons un moment pour examiner le contexte dans lequel la cour a rendu cette décision.

En 2023, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont présenté une demande « sans préjudice » au Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes afin d’obtenir un financement pour un projet visant à rehausser le réseau de digues de l’isthme.

La cour a indiqué que le caractère « sans préjudice » de la demande présentée au Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes découlait d’un différend entre les provinces, c’est-à-dire la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, et le Canada quant à la responsabilité ultime du paiement des coûts de remise en état des digues de l’isthme.

La cour a déclaré que les provinces du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse disposent de lois précises qui permettent la construction, la modification et l’entretien d’ouvrages destinés à protéger les terres contre les inondations causées par les marées.

Chers collègues, il ne s’agit pas d’un nouvel enjeu. Depuis au moins 150 ans, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont élaboré des lois concernant la construction, la réparation, l’entretien et la gestion des digues et des aboiteaux afin de se protéger contre l’envahissement des eaux.

La cour a également indiqué que, dans les années 1930 et au début des années 1940, les agriculteurs et les organisations locales chargées de la gestion des marais avaient signalé que les structures d’origine situées à l’embouchure de la baie de Fundy, qui protégeaient les terres agricoles, étaient défaillantes, et que la conjoncture économique leur rendait difficile l’entretien de ces digues et de ces aboiteaux.

Le Canada, en collaboration avec les deux provinces, a donc créé l’Administration de l’assainissement des terrains marécageux des provinces maritimes. Dans le cadre du même processus, en 1948, le Canada a adopté la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces Maritimes, qui prévoyait la construction de digues, d’aboiteaux et de brise-lames dans la région. La réalisation des projets sous le régime de cette loi était conditionnelle à la participation des autorités provinciales, qui devaient en assumer la responsabilité et l’entretien.

Jusqu’à son démantèlement, en 1970, l’Administration de l’assainissement des terrains marécageux des provinces maritimes a renforcé les structures existantes, remplacé ou réparé 373 kilomètres de digues et plus de 400 aboiteaux et bâti 5 barrages anti-marée. À ce moment-là, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick avaient pris la responsabilité de toutes les digues et des autres ouvrages réalisés sous le régime de la Loi sur l’utilisation des terrains marécageux des provinces Maritimes. Celle-ci a été entièrement abrogée en 1983.

Chers collègues, la cour a clairement établi que, traditionnellement, la restauration, la réparation et l’entretien des digues de la région relevaient des provinces.

Elle a ensuite indiqué pourquoi elle avait refusé de répondre à la question du renvoi :

Il ressort de la jurisprudence que les tribunaux jouissent d’un large pouvoir discrétionnaire leur permettant, pour toutes sortes de motifs, de ne pas répondre à la question d’un renvoi, y compris parce qu’elle est trop vague ou inopportune ou parce qu’y répondre pourrait poser problème.

La cour poursuit ainsi :

Ce renvoi est unique en ce sens qu’il n’a pas été initié par le Canada, dont la compétence est directement touchée par la question. Normalement, un renvoi sur le partage des pouvoirs comprendrait un avant-projet de loi (ou un projet de loi en bonne et due forme) ou, à tout le moins, un projet de mesure législative ou une mesure gouvernementale qui remettrait en question l’autorité législative. Rien de tout cela n’avait été présenté.

La cour a conclu que la question du renvoi était vague et qu’elle :

[...] devrait se livrer à des conjectures quant à la teneur et à la substance de la législation qui, selon la Nouvelle-Écosse, relèverait de la compétence exclusive du Canada.

La cour a indiqué : « L’incapacité de faire la distinction entre les régimes législatifs provinciaux et fédéraux valides revêt une importance particulière dans cette affaire. »

Elle a déclaré :

Les annexes A et B présentent en détail la loi adoptée par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. Celle-ci est très complète. On nous demande de nous prononcer sur la question de savoir si le Canada a une compétence exclusive [...] en ce qui concerne les infrastructures de l’isthme. Nous ne disposons d’aucune loi fédérale permettant de déterminer s’il s’agit d’un exercice valide de la compétence fédérale en vertu de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cela compromet notre capacité à répondre à la question. Toute réponse serait imprécise et inutile.

La cour a ajouté :

Le contexte qui a conduit à cette question suggère qu’il s’agit d’une tentative visant à impliquer la Cour dans un différend politique, à savoir : qui est responsable du financement de la remise en état de l’isthme?

Dans leur demande au Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick ont adopté une position « sans préjudice » afin d’invoquer « la détermination juridique » de « l’autorité constitutionnelle » des gouvernements provinciaux et fédéral.

La cour a indiqué ceci : « Cette formulation fait évidemment référence à la question qui nous a été soumise le lendemain. »

Le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont tous les deux fait valoir dans leur demande que la responsabilité constitutionnelle du paiement des travaux incombe uniquement au gouvernement fédéral.

La cour a déclaré ceci :

Dans leur demande de financement, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse affirment que la question de savoir qui paiera sera expressément ou implicitement déterminée par la question, bien que l’avocat de la Nouvelle-Écosse ait déclaré avec insistance dans son argumentation devant nous que la question n’a rien à voir avec le financement.

La Cour a conclu que la position adoptée dans la demande correspond à ce que le premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Tim Houston, a déclaré dans une lettre datée du 19 mars 2025 adressée au premier ministre Mark Carney, où l’on peut lire ceci :

Je cherche à obtenir la confirmation qu’un gouvernement dirigé par vous acceptera la décision de la cour, si celle-ci décide que le financement du projet de l’isthme est une responsabilité fédérale.

En examinant cet élément de preuve, la cour a conclu que « [...] tout avis que nous donnerions serait utilisé comme tactique politique, comme l’a soutenu le Canada lors de l’audience ».

La cour a ajouté :

Les observations présentées par la Nouvelle-Écosse reposaient sur les pouvoirs législatifs et non pas sur la question de savoir qui allait payer pour la remise en état des infrastructures. Cependant, il semble évident que, sur le plan politique, notre avis serait utilisé pour établir ce point précis. Nous savons que nous avons l’obligation de donner notre avis lorsqu’une affaire nous est renvoyée, mais le gouverneur en conseil ne devrait pas utiliser le processus de renvoi à des fins politiques. Le processus de renvoi n’est pas un mécanisme servant à l’atteinte d’objectifs politiques.

La Cour a ajouté :

Il est difficile de connaître l’application que l’on souhaite faire de la réponse demandée. L’avocate de la Nouvelle-Écosse a déclaré qu’il s’agissait « d’orienter » les discussions. Nous en déduisons qu’il s’agit des discussions avec le Canada au sujet du litige financier susmentionné. L’avocate de la Nouvelle-Écosse a également déclaré que cela permettrait de « mettre en contexte » les débats du Parlement si un projet de loi déclarant le réseau de digues de l’isthme de Chignecto et ses ouvrages connexes comme étant des ouvrages dont l’existence est dans l’intérêt général du Canada […] était présenté à nouveau au Parlement.

La Cour a déclaré :

Il est difficile d’imaginer comment un avis consultatif demandé par un gouvernement provincial à sa cour d’appel pourrait guider les délibérations des députés.

La Cour a indiqué ne pas voir :

[...] en quoi une réponse à la question serait utile à cet égard.

Enfin, l’argument de la Nouvelle-Écosse reposait en partie sur ce qu’elle appelait des « principes constitutionnels non écrits ». Selon elle, ces principes créent une obligation constitutionnelle pour le Canada de maintenir un lien entre la Nouvelle-Écosse et le reste du pays. Le Nouveau-Brunswick et l’Île-du-Prince-Édouard affirment que des principes similaires s’appliquent à eux.

La cour ajoute :

Le Canada affirme que cette question ne fait pas partie du renvoi et qu’il n’a pas traité de cette obligation présumée dans ses observations. Le Canada ajoute que si cette question était en jeu, il aurait inclus des documents supplémentaires dans le dossier. Nous sommes d’accord avec le Canada pour dire que cette question ne fait pas partie du renvoi tel qu’il a été rédigé et que nous ne devrions pas l’aborder. La compétence législative et les obligations constitutionnelles sont deux choses différentes.

En résumé, la cour était d’avis que :

[...] la question, formulée en termes vagues, qui visait à imposer au Canada une compétence sur un sujet à propos duquel les provinces légifèrent depuis des décennies, serait trop compliquée à trancher. Nous sommes portés à croire que le renvoi a pour but d’utiliser l’avis de la cour à des fins politiques. Les autres explications quant à l’utilité du renvoi sont pour le moins ténues. Les répercussions sur les lois passées et futures ne sont pas claires. La question non posée concernant l’obligation du Canada de maintenir un lien entre la Nouvelle-Écosse et le reste du pays ne devrait pas être abordée dans le cadre d’un débat parallèle sur les principes constitutionnels non écrits.

Honorables sénateurs, je crois que la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse a rendu la bonne décision.

Dans son discours à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi S-216, le sénateur Quinn a fait référence à un article publié le 22 mars dans le Telegraph-Journal du Nouveau-Brunswick, juste avant les élections, dans lequel le ministre Dominic LeBlanc a pris un engagement politique supplémentaire, à savoir que le partage des coûts engloberait toute dépense supplémentaire au-delà du financement prévu par l’entremise du Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes. Le sénateur Quinn a indiqué que le ministre LeBlanc avait déclaré que l’accord comprend également l’engagement d’un futur gouvernement libéral de partager les coûts supplémentaires éventuels du projet, dont la réalisation pourrait prendre jusqu’à 10 ans. Le sénateur Quinn a affirmé qu’il s’agissait d’une bonne nouvelle et que, selon lui, cela réglait la question financière.

Chers collègues, si la question du financement de la remise en état du réseau de digues de l’isthme est réglée — le gouvernement fédéral assumant 50 % des coûts et les provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick en assumant chacune 25 % —, je ne vois pas pourquoi il est nécessaire d’aller de l’avant avec le projet de loi S-216.

Dans son discours, mon collègue a dit qu’en déclarant que le réseau de digues est à l’avantage général du Canada, le projet de loi permet au gouvernement du Canada de jouer un rôle de premier plan dans la collaboration avec le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse pour la remise en état des digues. À mon avis, il devrait pouvoir jouer un rôle de premier plan même s’il ne fait pas cette déclaration.

À mon avis, l’invocation du pouvoir déclaratoire est à la fois inutile et malavisée. Cela reviendrait essentiellement à dire que le Parlement n’est pas d’accord avec la décision de la cour et qu’il estime que le projet devrait être entièrement financé par le gouvernement fédéral.

Je crois sincèrement qu’il vaudrait mieux que les parties respectives consacrent leur temps à la restauration de l’isthme, un projet auquel je souscris d’ailleurs pleinement.

Pour les raisons que je viens d’exposer, je voterai contre le projet de loi S-216.

Merci, meegwetch.

L’honorable Michael L. MacDonald

Je remercie le sénateur McNair pour son explication très complète de la décision rendue par la cour. Je respecte son opinion sur ce que nous devrions faire et je le remercie de nous en avoir fait part. Je pense que les habitants du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse, qui connaissent très bien cette région, savent à quel point la remise en état des digues de l’isthme est importante. Elle doit être effectuée rapidement. Je suis quelque peu surpris qu’on ait proposé de ne pas poursuivre l’examen du projet de loi et de ne pas le faire adopter.

Je tiens à aborder le sujet avec le sénateur Quinn, car je ne m’attendais pas à devoir fournir ma réponse dans ce contexte. Le plus important, c’est bien sûr de veiller à ce que les travaux soient menés à bien. Je suis tout à fait d’accord.

Tout ce que nous devons faire, c’est respecter l’avis des tribunaux. Nous n’avons pas à être d’accord, mais nous devons le respecter. Je vais en rester là pour le moment.

Haut de page