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Projet de loi sur le réseau de digues de l'isthme de Chignecto

Deuxième lecture--Suite du débat

30 octobre 2025


L’honorable Michael L. MacDonald

Honorables sénateurs, en tant que porte-parole favorable au projet de loi S-216, je veux répondre brièvement à l’affirmation de mon ami et collègue, le sénateur McNair, selon laquelle le projet de loi est désormais inutile et malavisé. Je ne pense pas que ce soit le cas.

La décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse n’empêche en rien le Sénat d’aller de l’avant avec le projet de loi S-216. En fait, les raisons invoquées par la Cour pour refuser de répondre à la question soumise indiquent pourquoi il est important que le Sénat transmette le projet de loi à la Chambre des communes et qu’elle tienne une discussion et un débat approfondis sur la question de savoir si le réseau de digues de l’isthme de Chignecto est dans l’intérêt général du Canada.

Dans la question soumise, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse demandait à la Cour de déterminer si les infrastructures ou les ouvrages spécifiques qui protègent les liaisons interprovinciales de transport, de commerce et de communication à travers le réseau de digues de l’isthme de Chignecto relèvent de la compétence fédérale ou provinciale. Permettez-moi d’en lire le libellé :

L’infrastructure qui protège les liens interprovinciaux de transport, de commerce et de communication à travers l’isthme de Chignecto relève-t-elle de la compétence législative exclusive du Parlement du Canada?

Le sénateur Marc Gold, ancien représentant du gouvernement et constitutionnaliste, a dit :

Le paragraphe 92(10) comporte trois alinéas. Comme l’a correctement souligné le sénateur Quinn, et comme je l’ai aussi mentionné, l’affaire dont est saisie la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse concerne l’alinéa a), qui porte sur les infrastructures de transports ou de communication reliant les provinces. Le gouvernement de la Nouvelle-Écosse demande à la cour de confirmer que cette définition englobe l’isthme.

Le sénateur Gold poursuit en soulignant que l’utilisation du pouvoir déclaratoire est une question tout à fait distincte :

L’alinéa 92(10)c) est un élément distinct. Qu’il relie les provinces ou non ou qu’il corresponde à une « entreprise », qui s’entend de l’assemblage d’activités autour d’un objet physique, les travaux sur l’isthme pourraient, en vertu de cet alinéa, être considérés comme des ouvrages à l’avantage général du Canada.

Au bénéfice de la Chambre, je vais lire l’intégralité de l’alinéa 92(10)c) :

Les travaux qui, bien qu’entièrement situés dans la province, seront avant ou après leur exécution déclarés par le parlement du Canada être pour l’avantage général du Canada, ou pour l’avantage de deux ou d’un plus grand nombre des provinces;

Honorables sénateurs, la formulation clé ici est « [...] déclaré par le Parlement du Canada [...] » et non par le gouvernement ni par les tribunaux. Il s’agit d’une décision politique et stratégique qui revient uniquement aux parlementaires du Sénat et de la Chambre des communes.

Je tiens à exprimer mon profond respect envers le sénateur McNair, mais ses citations de la décision de la Cour d’appel ajoutent une certaine confusion involontaire. En particulier, le sénateur McNair n’a pas mentionné que la question renvoyée concernait une autre partie de la Constitution du Canada et n’avait aucune incidence sur le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Je le répète : la Cour examinait la question d’attribuer la compétence à un pouvoir provincial ou fédéral, et elle a finalement refusé de trancher. Elle a motivé sa décision en indiquant qu’il s’agissait d’une décision politique qu’il valait mieux laisser aux politiciens. C’est ce qu’on entend par « fins politiques ».

Chers collègues, la Cour suprême du Canada respecte l’exercice du pouvoir déclaratoire par le Parlement. Dans l’affaire Luscar Collieries, Ltd. c. McDonald, en 1925, le juge Mignault de la Cour suprême du Canada a écrit ce qui suit au sujet du pouvoir déclaratoire :

Seul le Parlement peut juger de l’opportunité de faire cette déclaration, car il s’agit d’une décision politique que lui seul peut prendre.

Encore une fois, chers collègues, je souligne que seul le Parlement — et non le gouvernement ou les tribunaux — peut décider d’invoquer ou non le pouvoir déclaratoire.

Le principe selon lequel les tribunaux doivent respecter le rôle exclusif du Parlement a été réaffirmé en 1993 dans l’affaire Ontario Hydro c. Ontario (Commission des relations de travail), lorsque la Cour suprême du Canada a de nouveau refusé de limiter la capacité du Parlement à exercer son pouvoir déclaratoire :

[...] les tribunaux, y compris notre Cour, ne se sont jamais montrés enclins à en limiter ainsi l’application, et ont jugé que toute une gamme d’ouvrages — chemins de fer, ponts, installations téléphoniques, silos, provenderies, énergie atomique et fabriques de munitions — ont été validement déclarés à l’avantage général du Canada. Je souligne que ni le Juge en chef ni le juge Iacobucci n’ont exprimé de doute sur ce point.

Avec tout le respect que je lui dois, l’affirmation de mon collègue du Nouveau-Brunswick selon laquelle l’invocation du pouvoir déclaratoire « reviendrait essentiellement à dire que le Parlement n’est pas d’accord avec la décision de la cour » et aurait une incidence sur la réputation de la magistrature n’a aucun fondement en droit. Ce n’est pas l’avis de la Cour suprême du Canada, cela n’a aucun lien avec ce projet de loi et, surtout, cela ne correspond pas au point de vue du gouvernement, comme l’a déclaré le sénateur Gold au sujet de l’utilisation du pouvoir déclaratoire :

Bref, je ne dis pas qu’il est inapproprié pour nous, sur le plan constitutionnel, d’adopter ce projet de loi. Je dis simplement que le gouvernement est d’avis qu’il serait préférable d’attendre que la cour rende sa décision sur cette question fondamentale.

Honorables sénateurs, les tribunaux ne se sont jamais prononcés sur la question fondamentale de la compétence en vertu d’une autre partie de la Constitution. Il n’y a pas de désaccord à ce sujet. Le projet de loi propose que le Parlement utilise un pouvoir qui lui est conféré par la Constitution, par les Pères de la Confédération. Les tribunaux respectent le fait que l’utilisation de ce pouvoir relève uniquement du Parlement. Il n’est plus nécessaire d’attendre. Il aurait été utile de savoir si la cour avait trouvé une compétence dans une autre partie de la Constitution, mais ce n’est pas impératif.

Je termine en citant, encore une fois, le sénateur Gold : « [...] invoquer le pouvoir déclaratoire constitue un exercice légitime prévu par la Constitution. »

Lorsque j’ai ajourné le débat sur ce projet de loi la semaine dernière, j’ai déclaré que nous devions respecter la décision de la cour. Je maintiens cette déclaration, mais le fait de donner suite à ce projet de loi n’entrera en aucun cas en conflit direct avec une décision de la cour.

En tant que sénateurs, nous avons l’obligation de représenter et de protéger les intérêts de nos provinces au niveau fédéral. Il ne s’agit donc pas d’une question qui concerne uniquement la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick. L’approche adoptée par le gouvernement fédéral à l’égard de cette question devrait préoccuper tous les sénateurs.

Chers collègues, nous devons suivre la procédure éprouvée à cet égard. Votons en faveur de l’examen du projet de loi à l’étape de la deuxième lecture afin de pouvoir remplir et respecter notre rôle constitutionnel de représentation régionale.

Merci.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur McNair, avez-vous une question?

L’honorable John M. McNair [ - ]

Oui. Le sénateur MacDonald accepterait-il de répondre à une question?

Bien sûr.

Le sénateur McNair [ - ]

Merci. Sénateur MacDonald, j’apprécie le mémoire juridique qui a été présenté aujourd’hui. Je ne conteste pas le fond de vos propos, mais encore une fois, si la question du financement de la remise en état du réseau de digues de l’isthme est réglée, ce qui est le cas — le gouvernement fédéral assumant 50 % des coûts et les provinces, 25 % chacune — et si l’on accepte la même formule de financement pour tout dépassement de coûts, pourquoi serait-il nécessaire d’utiliser le pouvoir déclaratoire?

C’est parce que la question du pouvoir déclaratoire reste en suspens. Oui, c’est bien qu’ils soient parvenus à cet accord pour obtenir un financement, mais il incombe au Parlement de trancher cette question. Ce n’est qu’une question parmi d’autres; d’autres détails pourraient devoir être réglés plus tard. Nous devons donc conserver une certaine ouverture à la possibilité et à la responsabilité d’utiliser le pouvoir déclaratoire sans faire appel aux tribunaux.

Je crois qu’il est de notre responsabilité, en tant que sénateurs, de veiller à maintenir le respect du pouvoir déclaratoire.

Le sénateur McNair [ - ]

Une fois encore, je ne parviens pas à suivre le raisonnement selon lequel il serait nécessaire d’exercer le pouvoir déclaratoire. Rien ne l’exige. Le financement est réglé. Les parties auraient tout intérêt à entamer les travaux et à remettre les digues en état.

Cela n’a aucune incidence sur le financement. Si nous campons sur nos positions à cet égard — et je pense que nous devons le faire au Sénat —, rien n’empêchera les gouvernements d’aller de l’avant et d’effectuer les travaux. Il s’agit là de deux questions totalement distinctes. Les gouvernements fédéral et provinciaux sont libres d’entamer les travaux dès maintenant, sans avoir à consulter la cour ou le Parlement.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur McNair, avez-vous une question complémentaire?

Le sénateur McNair [ - ]

Oui.

Vous avez dit qu’il ne s’agissait pas d’une question de financement. Nous avons entendu cela à maintes reprises au cours de ce débat, y compris de la part du sénateur Quinn lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture. Cependant, pour citer la décision :

[...] Dans leur demande au Fonds d’atténuation et d’adaptation en matière de catastrophes, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse affirment que la responsabilité constitutionnelle du paiement des coûts des travaux incombe à 100 % au gouvernement fédéral [...]

Si le pouvoir déclaratoire est exercé, la province reviendra et demandera un financement à 100 % alors que la question aura déjà été réglée par les parties. Pourquoi nous engagerions-nous dans cette voie?

En tant que Néo-Écossais — et, je suppose, puisque vous êtes Néo-Brunswickois —, si nous sommes d’avis que le gouvernement fédéral devrait fournir 100 % du financement... Alors je veux que nous réclamions ce financement; cela ne me dérange pas le moins du monde. Nous avons déjà vu ce pouvoir déclaratoire à l’œuvre. Il a déjà été utilisé pour financer le pont Champlain à Montréal. Il s’agissait d’un pont municipal, et quand on a demandé au gouvernement conservateur de l’époque de le financer, il a dit qu’il fournirait les fonds. Nous avons déboursé près de 5 milliards de dollars en supposant que le pont comprendrait un poste de péage et que l’argent serait reversé dans le Trésor fédéral. Le nouveau gouvernement qui est arrivé au pouvoir par la suite a rejeté cet accord et déclaré que le gouvernement fédéral paierait lui-même le pont.

Si le gouvernement fédéral peut financer un pont municipal à Montréal, il peut financer ce projet nécessaire à la frontière entre le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur McNair, souhaitez-vous poser une autre question?

Le sénateur McNair [ - ]

Votre Honneur, j’ai une autre question.

Je déteste lorsqu’on utilise l’exemple du pont Champlain pour justifier le fait qu’on poursuive le processus, en pensant que toutes les provinces vont trouver des projets fédéraux et demander un financement de 100 %. Je pense que, de nos jours, tout le monde doit payer sa part et que c’est ce que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse ont convenu de faire avec le gouvernement fédéral pour régler le problème. Je ne comprends pas le raisonnement et les motifs qui poussent à encore réclamer un financement complet au gouvernement fédéral.

Je suppose que c’était un commentaire plus qu’une question.

Son Honneur la Présidente [ - ]

Sénateur, vouliez-vous qu’il approuve votre commentaire?

Je pense que ma position à ce sujet est relativement claire. Je crois que le gouvernement fédéral devrait accepter de payer la totalité des coûts. Il faut le faire. Il ne devrait pas y avoir le moindre délai. Nous voulons que cela soit fait, et les fonds seront disponibles, alors allons-y.

Toutefois, en ce qui me concerne, cela ne change rien au principe. Si nous parvenons à convaincre le gouvernement fédéral de tout payer, je pense que le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse s’en porteraient mieux.

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