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La Loi constitutionnelle de 1867

Projet de loi modificatif--Deuxième lecture--Ajournement du débat

18 juin 2020


L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Propose que le projet de loi S-218, Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété), soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui au sujet du projet de loi dont je suis le parrain, la Loi modifiant la Loi constitutionnelle de 1867 (qualifications des sénateurs en matière de propriété).

Il s’agit d’une mesure législative importante, qui vise à modifier la Loi constitutionnelle du Canada en éliminant les dispositions qui prévoient que les sénateurs doivent avoir un actif net personnel de 4 000 $ et posséder une propriété d’une valeur de 4 000 $ dans leur propre région pour être nommés au Sénat.

Chers collègues, j’ai déjà parlé de ce projet de loi la première fois que je l’ai présenté, en 2016. Ce que j’avais dit alors tient toujours : ces dispositions désuètes et élitistes empêchent près de la moitié des ménages canadiens de participer pleinement à la gouvernance de notre pays. Ces exigences ont été imposées à l’époque pour donner à la bourgeoisie terrienne un moyen de discipliner la plèbe au cas où les élus de l’autre endroit se seraient montrés trop zélés dans leurs fonctions législatives. Ces exigences sont clairement incompatibles avec les valeurs démocratiques modernes.

L’adoption de ce projet de loi éliminerait la nécessité d’avoir un actif net personnel de 4 000 $ pour être nommé au Sénat. Cette exigence a été mise en place à une époque où le Sénat était censé tempérer la volonté des gens du peuple, lesquels étaient considérés comme des gens moins éduqués et, règle générale, moins pragmatiques que les riches propriétaires terriens. Ce raisonnement ne tient évidemment plus la route de nos jours, et le critère fondé sur un actif net minimal ne tient pas compte du fait que le salaire des Canadiens n’augmente pas aussi rapidement que le coût de la vie.

En 2017, 85 % des contribuables ont déclaré un revenu inférieur à 100 000 $, et 65 % ont déclaré un revenu inférieur à 50 000 $. Fait désolant, 1,7 million de Canadiens ont déclaré un revenu inférieur à 5 000 $. Pour former une Chambre démocratique, nous ne pouvons plus compter sur des règles élitistes et discriminatoires. Les données sur le revenu que je viens de mentionner ont une incidence considérable sur le critère voulant qu’une personne ait une propriété pour être nommée au Sénat.

Dans l’analyse socio-économique qu’elle a publiée en mars 2019, la Société canadienne d’hypothèques et de logement indique que « sans surprise, les ménages ayant un revenu relativement élevé tendent à accéder à la propriété ».

Les recherches de la SCHL montrent que le taux de propriétaires dépasse les 80 % parmi les ménages gagnant plus de 100 000 $ par année, et qu’il dépasse largement les 90 % dans les ménages gagnant 200 000 $ ou plus par année. Par comparaison, dans la fourchette de revenu annuel allant de 50 000 $ à 99 999 $, le taux de propriétaires est supérieur à 65 %; il est donc semblable à la moyenne nationale, qui s’établit à 67 %. Enfin, environ 50 % des ménages gagnant moins de 50 000 $ sont propriétaires.

Les critères actuels signifient que, parmi les 21,8 millions de Canadiens âgés de 30 à 75 ans, près de 10 millions sont automatiquement inadmissibles au Sénat, peu importe leur expérience et leurs compétences. Dix millions de Canadiens ne satisfont probablement pas aux critères fixés pour devenir sénateurs.

Signalons aussi que, d’après le recensement de 2016, près de 4,5 millions des foyers du Canada sont occupés par des locataires.

Un article de la CBC intitulé « Senate criteria angers potential Island candidate », publié en ligne le 12 août 2016, raconte l’histoire de Kelly Robinson, de l’Île-du-Prince-Édouard, une candidate potentielle mécontente des critères du Sénat. Bien connue pour son travail communautaire, Mme Robinson ne possédait pas, comme l’exigent les critères, une propriété d’une valeur de 4 000 $. L’article cite ses propos :

J’ai eu l’impression d’un retour à l’époque où seuls les propriétaires terriens avaient le droit de voter et pouvaient occuper certains postes. Je me suis dit que cela ne correspondait pas au Canada dans lequel je vis ou dans lequel je pensais vivre. C’est probablement une règle désuète qui n’a pas vraiment été remise en question [...] Nous arrivons à un moment où de nombreux Canadiens, particulièrement parmi les jeunes, ne posséderont peut-être jamais de terres en raison de l’état de l’économie.

Chers collègues, nous avons ici l’occasion de remettre en question cette règle désuète. Nous pouvons faire en sorte que le Sénat soit un endroit plus inclusif, qui accueille une diversité de voix reflétant la diversité du Canada. Il faut mettre fin aux critères qui empêchent des Canadiens compétents, intelligents et dévoués d’être nommés à la Chambre haute.

Chers collègues, ce n’est pas la première fois qu’un tel projet de loi est proposé. Notre ancien collègue, le regretté Tommy Banks, a tenté à trois reprises d’éliminer ces dispositions. Bien que l’un de ces projets de loi ait été renvoyé au comité, ils sont tous les trois morts au Feuilleton.

L’ancien sénateur Banks jugeait, lui aussi, ces dispositions dépassées. Je le cite :

Le projet de loi tente de supprimer une exigence qui, tout le monde en conviendra sûrement, est antédiluvienne. [...] Cette disposition était très logique en 1867, j’imagine. Mis à part le but pour lequel elle a été mise en place, la valeur des propriétés immobilières qui est requise dans cette partie de la Constitution serait inappropriée aujourd’hui, si elle devait servir d’obstacle ou d’exigence pour devenir sénateur.

Les anciens sénateurs Di Nino, Carstairs, Fraser et Tkachuk ont tous appuyé les diverses versions du projet de loi du sénateur Banks. L’une des critiques récurrentes portait toutefois sur la validité constitutionnelle d’une telle mesure. Rappelons qu’à cette époque, on ne savait pas avec certitude si le Parlement pouvait adopter, par lui-même, des changements d’une telle portée.

Je souligne avec bonheur que nous avons obtenu la réponse à cette question depuis.

En effet, dans la décision qu’elle a rendue le 25 avril 2014 à propos de la réforme du Sénat, la Cour suprême a dit ceci :

Nous concluons que le Parlement peut agir seul, en vertu de la procédure de modification unilatérale fédérale, pour abroger la condition relative à l’avoir net : par. 23(4) . L’abrogation complète du par. 23(3) requiert toutefois le consentement de l’assemblée législative du Québec, suivant la procédure sur les arrangements spéciaux. En effet, l’abrogation complète de la condition relative à l’avoir foncier (par. 23(3) ) constituerait également une modification du par. 23(6) , qui prévoit un arrangement spécial applicable uniquement à la province de Québec.

Par le passé, aux fins de l’« arrangement spécial », j’ai présenté en même temps que le projet de loi une motion visant à éliminer l’exigence concernant la propriété pour les sénateurs du Québec. J’ai l’intention de présenter de nouveau une motion semblable. Si elle est adoptée par le Sénat, elle devra ensuite être adoptée par la Chambre des communes et par l’Assemblée nationale du Québec. C’est la procédure décrite au paragraphe 46(1) de la Constitution. En effet, ce paragraphe dit :

L’initiative des procédures de modification visées aux articles 38, 41, 42 et 43 appartient au Sénat, à la Chambre des communes ou à une assemblée législative.

Honorables sénateurs, il est vrai que ce qui, à l’origine, m’a poussé à présenter ce projet de loi est la réalité des Nunavummiuts. En effet, hormis une très petite quantité de terres protégées par des droits acquis, la propriété de biens fonciers — c’est-à-dire le transfert de terres et de titres de propriété — n’est pas permise au Nunavut, les Inuits ayant décidé à trois référendums distincts que cela allait à l’encontre de leurs croyances et de leurs pratiques culturelles.

Or, je vous assure, chers collègues, que la question ne touche pas seulement le Nunavut. Elle concerne les millions de Canadiens qui méritent d’avoir la chance de représenter leur collectivité au Sénat, notamment les propriétaires de logement des Premières Nations qui vivent dans une réserve et qui occupent des terres en vertu d’un permis ministériel spécial, sans en être propriétaires. L’idée est d’éliminer une disposition archaïque que la Cour suprême a jugé avoir la compétence d’invalider. L’idée est de moderniser l’institution du Sénat, à commencer par l’élimination des obstacles à l’admission de futurs sénateurs.

J’aimerais préciser que, pour ce qui est de modifier la Constitution, mon intention n’est d’aucune façon de restreindre, de limiter ou de changer l’obligation pour les sénateurs de résider dans la région qu’ils représentent au Sénat. Cependant, ne pourraient-ils pas être autorisés à se loger dans un appartement loué? Ne devraient-ils pas avoir la possibilité d’habiter dans une réserve des Premières Nations s’ils occupent la fonction de ministre? Pourquoi ne leur serait-il pas permis de vivre dans un condominium? Je ne pense pas que ce type d’habitation est inclus dans la définition archaïque de ce qu’est une propriété dans la Loi constitutionnelle de 1867. Je parle de moderniser notre institution.

Je suis disposé à aborder la question avec chacun de mes collègues du Sénat. Je suis ouvert à recevoir vos commentaires et j’ai bon espoir d’obtenir votre appui pour faire place aux améliorations. Je ferai parvenir un document d’information à tous mes honorables collègues afin d’expliquer plus en détail les points que j’ai soulevés durant mon temps de parole aujourd’hui.

L’honorable Pierre J. Dalphond [ + ]

La question des 4 000 $ remonte à beaucoup trop longtemps, hélas. Comme le disait notre collègue, elle représente une position aristocratique de la conception que l’on avait de la Chambre haute du pays. À l’époque, on voulait y voir des gens importants qui étaient des propriétaires fonciers.

Lorsqu’on m’a demandé de siéger au Sénat, j’ai fait une vérification pour voir ce que le montant de 4 000 $ pouvait représenter comme valeur courante aujourd’hui. Selon les taux d’actualisation utilisés, et ils varient beaucoup — le dollar canadien n’existait pas en 1867 et c’était la piastre qui était émise par certaines banques —, il fallait convertir la monnaie en livres sterling, puis la reconvertir conformément au taux de conversion de l’époque. Selon les taux d’actualisation, le montant représente aujourd’hui entre 2 et 3 millions de dollars. Il s’agit donc d’une somme importante, et bien peu de Canadiens, moi y compris, auraient la chance de siéger ici aujourd’hui s’ils devaient posséder une telle somme.

Cette mesure n’a pas été conçue conformément à la pensée démocratique, mais plutôt à celle de John A. Macdonald, qui souhaitait voir une Chambre qui contrôlerait la démocratie et qui ralentirait les ardeurs des élus, peut-être trop peu représentatifs des intérêts fonciers du pays. À l’époque, les députés n’étaient élus que par des hommes. De plus, ils étaient peut-être perçus comme des gens dont on doit se méfier.

Je suis heureux que notre collègue le sénateur Patterson propose de mettre fin à cette mesure qui a été conçue dans un esprit essentiellement antidémocratique. En effet, on voulait à l’époque réserver cette Chambre à ceux qui étaient propriétaires fonciers ou qui avaient des intérêts fonciers à protéger.

Le temps est venu d’aborder cette question. Malheureusement, pour les sénateurs qui viennent du Québec, non seulement il faut posséder des terres d’une valeur de 4 000 $, mais il faut aussi posséder des biens fonciers dans certaines divisions. Cela concerne également la province.

Sénateur Patterson, je vous invite à présenter votre motion et je vous remercie de l’intérêt que vous portez à cette question.

Merci beaucoup, sénateur Patterson, d’avoir encore une fois pris cette initiative. Je parlerai brièvement, mais avec enthousiasme, à l’appui de votre proposition. Je veux aussi vous remercier, sénateur Dalphond, d’avoir opté pour une approche progressiste et inclusive concernant les changements que nous devons étudier.

Oui, il y a évidemment des défis pour nos collègues du Québec, mais j’espère qu’ils sauront y répondre et travailler en concertation à la recherche de solutions. Ce dont je voudrais parler aujourd’hui relève plutôt de l’anecdote. Je veux que ce soit consigné au compte rendu pour souligner certains des points présentés par le sénateur Patterson au sujet des impacts pour les communautés autochtones et pour les Autochtones en général.

L’anecdote dont je veux parler est la suivante. Lors de la ronde initiale d’appels de candidatures au poste de sénateur, j’ai été impliquée de près pour plusieurs candidatures. Il s’agissait dans tous les cas de candidatures de collègues Autochtones que je connaissais et que je respectais énormément et j’avais la conviction qu’ils pourraient apporter une énorme valeur aux travaux de notre vénérable institution. Dans les dernières étapes du processus, certains candidats — non sans embarras, je dois le souligner — ont dû admettre qu’ils n’avaient pas la somme requise et qu’ils ne possédaient pas de propriété répondant aux exigences.

Nous sommes allés de l’avant et nous avons présenté les demandes. J’ai inclus une note qui attirait l’attention sur ce point dans le cadre du processus d’évaluation des demandes. Dans un cas, je sais que certains transferts ont été effectués pour permettre à la personne de satisfaire aux exigences initiales.

Aucun de ces candidats n’a finalement été retenu. Nous avons des collègues d’origine autochtone très accomplis, dignes et de grande valeur qui ont réussi le processus — et je suis très heureuse que chacun d’entre eux soit parmi nous. Cependant, je pense que ce à quoi le sénateur Patterson nous invite tous à réfléchir, surtout, c’est la perte pour notre institution et notre démocratie, et l’atteinte à une gouvernance efficace, inclusive et moderne que représente une loi archaïque comme celle-ci, qui empêche tant de personnes très accomplies d’être parmi nous alors qu’elles devraient y être. Cette mesure d’avenir nous permettra de réaliser ce changement plus tard. Je vous remercie. Meegwetch.

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