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Le Sénat

Motion tendant à exhorter le gouvernement à adopter l'antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé--Suite du débat

30 mars 2021


Honorables sénateurs, je prends encore une fois la parole pour appuyer la motion de la sénatrice McCallum, soit que le Sénat du Canada exhorte le gouvernement fédéral à adopter l’antiracisme en tant que sixième pilier de la Loi canadienne sur la santé, en vue d’interdire toute discrimination basée sur le racisme et d’offrir à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.

Les faits à notre disposition prouvent actuellement que les patients d’origine autochtone sont aux prises avec un fardeau de racisme disproportionnellement plus élevé dans le réseau de la santé par rapport à la population générale. Si l’on prend seulement les derniers mois, plus de 9 000 personnes ont participé à une enquête sur le racisme envers les Autochtones dans le réseau de la santé en Colombie-Britannique, et plus de 600 cas ont été examinés.

Madame Mary Ellen Turpel-Lafond, la présidente de cette enquête provinciale, a déclaré que les constatations sont troublantes. Par exemple, 85 % des Autochtones ont dit qu’ils avaient été la cible de racisme et de discrimination au point de service. Le tiers des travailleurs non autochtones dans le secteur de la santé ont fourni des renseignements sur un incident raciste dont ils avaient personnellement été témoins. Au total, 52 % des travailleurs d’origine autochtone dans le secteur de la santé ont affirmé avoir été directement la cible d’actes de racisme de la part de leurs collègues.

Les cinq principes actuels de la Loi canadienne sur la santé sont la gestion publique, l’intégralité, l’universalité, la transférabilité et l’accessibilité. Bien qu’ils soient importants et essentiels, ils semblent abstraits et insuffisants quand des Canadiens risquent d’être laissés pour compte jusqu’à en mourir à cause des préjugés liés à leur identité, comme ce fut le cas de Brian Sinclair au Manitoba.

Voici un extrait de la lettre ouverte qu’ont reçue les sénateurs au sujet du décès de Brian Sinclair :

Il y a deux histoires centrales mais contradictoires sur les soins de santé au Canada qui dominent l’histoire de notre pays: la première est l’augmentation de l’accès garanti aux soins de santé pour tous les Canadiens et la seconde est le déclin de la santé et l’écart persistant dans les services de santé entre les Autochtones et les autres Canadiens.

Cet écart est bien documenté. Selon des recherches sur l’expérience des peuples autochtones de diverses régions du Canada, plus de 40 % des Autochtones ont été traités de manière injuste à cause du racisme. Dans l’une des études, les patients autochtones ont expliqué que le racisme était tellement marqué qu’ils planifiaient comment le gérer avant d’avoir recours à des soins médicaux d’urgence.

Le 17 mars dernier, la sénatrice Yvonne Boyer est intervenue au Sénat pour y porter la voix des femmes racisées qui ont été stérilisées sans leur consentement. La sénatrice Boyer nous a rappelé que cette pratique horrible a marqué plusieurs générations de femmes et de filles autochtones et que cette réalité tragique existe toujours, puisque des cas ont été signalés encore récemment, en 2018. Elle nous a aussi rappelé que des femmes noires, des femmes handicapées et des personnes intersexuées ont déclaré avoir été stérilisées sans leur consentement.

Le taux de mortalité infantile, l’un des indicateurs les plus révélateurs de la santé d’une population, est deux fois plus élevé chez les groupes autochtones que dans la population non autochtone.

Ces chiffres désespérants s’expliquent par de nombreux facteurs, mais on ne peut faire fi de l’intersectionnalité. On doit aussi tenir compte de la perpétuation de la violence historique et systémique dont les peuples autochtones et les différents groupes racisés du Canada ont toujours été victimes et dont ils le sont encore de nos jours dans le réseau de la santé.

Selon le rapport du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones, qui a été publié en 2016 et qui portait plus particulièrement sur les jeunes et les enfants, le droit à la santé est un élément indispensable de l’existence même des peuples autochtones et il est au cœur même de leur droit à l’autodétermination.

Chers collègues, c’est à nous de faire en sorte que les services de santé offerts aux patients autochtones soient aussi efficaces et aussi empreints d’empathie que ceux qui sont offerts aux autres patients et que, quand ces mêmes patients autochtones sont à leur plus vulnérable, ils ne soient plus sous le joug du racisme colonial qui, consciemment ou non, caractérise encore aujourd’hui le réseau de la santé.

Au-delà des soins eux-mêmes, nous devons réfléchir aux déterminants sociaux qui influent de manière plus pernicieuse et intersectionnelle sur la santé, comme l’histoire de la colonisation, l’oppression culturelle et les disparités socioéconomiques. La plupart des gens ont une telle confiance dans la Loi canadienne sur la santé qu’ils en viennent à croire que l’antiracisme est profondément ancré dans la tête des professionnels de la santé et que cela se traduit dans la manière même dont ils comprennent et appliquent les cinq piliers qui en constituent le fondement actuel.

Cependant, bien qu’il soit logique que les principes de l’intégralité et de l’universalité excluent automatiquement le traitement et la conduite discriminatoires, je suis véritablement attristée de devoir affirmer que les faits contredisent ces hypothèses réconfortantes. À preuve, les statistiques nous indiquent que ce que l’on retrouve à l’heure actuelle dans la Loi canadienne sur la santé ne suffit pas, étant donné que cette loi se trouve au cœur de notre système de santé national.

L’officialisation de la lutte contre le racisme en tant que pilier de la loi constituerait une reconnaissance explicite de l’existence du racisme systémique dans notre système de santé, ainsi qu’une invitation à la conception de politiques et de pratiques visant à réduire la prévalence et les répercussions du racisme dans les soins de santé, en plus d’offrir une plateforme à des règles déterminantes pour un accès équitable et universel aux services de santé.

Comme élément de cette réponse, on pourrait retrouver l’obligation d’une formation sur la compétence et la sécurité culturelles, comme celle qui sera offerte par la Provincial Health Services Authority en Colombie-Britannique. Cela comprend des programmes offrant de la formation sur la terminologie, la diversité, les divers aspects de l’histoire coloniale, ainsi que l’examen des stéréotypes et la culture d’outils permettant de communiquer et d’établir des relations avec les patients autochtones comme moyens de rendre les services de santé plus pertinents, plus respectueux et plus efficaces.

Honorables collègues, une personne qui vient chercher de l’aide dans un établissement médical, au moment où elle est entourée de membres du personnel médical, ne devrait jamais subir la négligence et les mauvais traitements que Joyce Echaquan a enregistrés alors qu’elle se mourait dans un hôpital du Québec. Une vérification du bien-être ne devrait pas non plus pouvoir se solder par la mort de la personne qui avait besoin d’aide. Pourtant, dans les derniers mois, c’est exactement ce type de comportement dangereux, voire mortel, que nous avons observé. Pour nous attaquer aux inégalités systémiques, nous devons d’abord reconnaître qu’elles existent et examiner leurs répercussions sur les Autochtones et les autres personnes racialisées, leurs familles et leur collectivité.

Les Canadiens choisissent régulièrement le système national de santé comme la grande priorité, comme un élément essentiel pour que le Canada demeure une démocratie forte. La Loi canadienne sur la santé est l’incarnation dans l’appareil législatif fédéral de ces valeurs canadiennes et de ce Canada plus fort et plus sain auquel nous aspirons. En soutenant cette motion, les sénateurs feraient clairement preuve de leadership dans l’adoption d’une approche antiraciste en recommandant l’ajout d’un sixième pilier à la Loi canadienne sur la santé qui interdirait la discrimination basée sur la race et offrirait à chacun le droit égal à la protection et au bienfait de la loi.

Saisissons cette occasion de montrer la voie à suivre. Démontrons que nous allons au-delà des mots et que nous passons à l’action en recommandant l’ajout d’un sixième pilier à la Loi canadienne sur la santé qui jette les bases pour éliminer le racisme dans notre système national de santé. Après tout, nous pouvons parfois être la Chambre du premier examen novateur et objectif.

Meegwetch à vous, sénatrice McCallum, d’avoir pris l’initiative de présenter cette motion et, par le fait même, de nous encourager à ne pas nous contenter de nommer le problème, mais plutôt de chercher une façon d’apporter des changements essentiels. Merci. Meegwetch.

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