Le Sénat
Motion tendant à condamner la détention injuste et arbitraire de la sénatrice Leila M. de Lima par le gouvernement des Philippines--Débat
3 juin 2021
Honorables sénateurs, cela devient personnel ici. Pour comprendre le sérieux de la vendetta menée par le président philippin contre la sénatrice Leila de Lima, permettez-moi de reprendre les informations résumées dans la résolution bipartisane no 142 du Sénat américain, adoptée à l’unanimité en janvier 2020 et selon laquelle, entre autres, la Global Magnitsky Act des États-Unis peut s’appliquer au président et à des fonctionnaires philippins.
Je vais vous expliquer brièvement comment la sénatrice est devenue la cible du président Rodrigo R. Duterte. Premièrement, la sénatrice de Lima a enquêté, à titre de présidente de la Commission des droits de l’homme, sur l’implication présumée du maire de la ville de Davao, Rodrigo R. Duterte, dans les exécutions extrajudiciaires commises par un soi-disant escadron de la mort de Davao.
Deuxièmement, le 15 décembre 2014, Mme de Lima, devenue secrétaire d’État à la Justice, a dirigé une descente dans le pénitencier national, qui a abouti à la confiscation de drogues, d’armes à feu et de marchandises de contrebande et à l’extraction de 19 barons de la drogue et détenus notoires impliqués dans le trafic de drogue à l’intérieur de l’établissement.
Troisièmement, le 13 juillet 2016, la sénatrice de Lima, en sa qualité de présidente du Comité sénatorial de la justice et des droits de l’homme, a déposé la résolution sénatoriale no 9 demandant une enquête sur les exécutions extrajudiciaires et les exécutions sommaires de personnes soupçonnées d’avoir un lien avec le trafic de drogue dans le cadre de la « guerre contre la drogue » du président Duterte.
Quatrièmement, le 22 août 2016, la sénatrice de Lima a mené des audiences sénatoriales pendant lesquelles des gens soupçonnés d’avoir fait partie d’un escadron de la mort ont décrit des exécutions extrajudiciaires effectuées dans le cadre de la campagne antidrogue. L’un d’entre eux a affirmé que le président Duterte avait participé à des exécutions extrajudiciaires lorsqu’il était maire de Davao.
Cinquièmement, le 2 août 2016 et le 19 septembre 2016, la sénatrice de Lima s’est prévalue de son privilège parlementaire en faisant deux discours au Sénat pour exhorter le président Duterte à mettre fin aux exécutions. Selon des faits amplement documentés, peu après ces discours, le président Duterte a juré publiquement de détruire la sénatrice de Lima.
Honorables collègues, les accusations lancées par le président Duterte contre la sénatrice de Lima s’appuient sur des témoignages recueillis auprès de détenus dont les activités illégales ont été interrompues lorsqu’elle a ordonné une descente dans la prison en 2014.
En 2017, la Commission Tom Lantos des droits de l’homme du Congrès des États-Unis a tenu une audience sur les effets de la guerre antidrogue aux Philippines sur les droits de la personne, pendant laquelle Human Rights Watch a parlé d’une :
[...] campagne impitoyable que le gouvernement a menée contre elle et qui se veut sans aucun doute une réponse aux vives critiques qu’elle a adressées au président Duterte pour sa « guerre contre la drogue » et à ses appels à rendre des comptes.
En 2018, le Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté un avis dans lequel il conclut que la détention de Mme de Lima est arbitraire au titre de plusieurs catégories. Il affirme notamment que :
[...] les opinions politiques et les convictions de Mme [d]e Lima sont de toute évidence au centre de l’affaire et que les autorités ont adopté une attitude discriminatoire à son égard.
Elle a effectivement été la cible de persécution partisane. Rien n’explique ce traitement si ce n’est l’exercice de son droit d’exprimer de telles opinions et convictions en tant que défenseure des droits de la personne.
Le groupe de travail de l’ONU a ensuite recommandé au gouvernement des Philippines d’adopter certaines mesures, notamment la libération immédiate de la sénatrice de Lima, l’ouverture d’une enquête indépendante sur les circonstances de sa détention arbitraire et le versement d’indemnités et d’autres dédommagements, y compris la réintégration des fonctions dont elle a été évincée.
L’administration Duterte a riposté en plaçant la sénatrice de Lima en détention arbitraire sans possibilité de libération sous caution, en la calomniant au moyen d’accusations éhontées et d’insultes sexistes grossières, en divulguant ses informations personnelles au public, en l’expulsant du comité sénatorial de la justice et des droits de la personne et en lui refusant l’accès au Sénat dans le but de l’empêcher de remplir ses fonctions parlementaires.
En février dernier, juste avant la fin de sa quatrième année de détention, la sénatrice de Lima et son équipe d’avocats ont remporté une manche avec une motion visant à rejeter la première accusation portée contre elle au motif que les preuves présentées par les procureurs étaient insuffisantes pour obtenir une condamnation au criminel. Une fois accordée, une telle motion équivaut à un acquittement.
Le président Duterte continue de lancer des insultes racistes à l’endroit de la sénatrice de Lima, fidèle à son habitude autant avant son emprisonnement qu’après sa libération, qui est survenue il y a quatre ans. Il y a quelques semaines, lors d’un événement public, il a déclaré : « Elle est la seule putain qui a convaincu le monde qu’elle est une prisonnière de conscience. »
Honorables collègues, nous savons que le fonctionnement d’une démocratie repose sur la capacité de personnes dévouées, au sein de l’État et dans la société civile, de passer au peigne fin le travail du gouvernement et de demander des comptes aux dirigeants. Aux Philippines et au Canada, les sénateurs font partie de ces personnes.
Quand l’honorable Raynell Andreychuk a présenté au Sénat le projet de loi de Magnitski, cette démarche découlait de la persécution et du meurtre par l’État d’un jeune avocat russe, Sergueï Magnitski, qui avait dévoilé la corruption massive du gouvernement de la Russie. Voici ce que l’ancienne sénatrice Andreychuk avait déclaré à l’époque :
Je voudrais également souligner que ce projet de loi n’engendre aucune obligation pour le gouvernement; il ne fait que l’outiller. Le gouvernement dispose ainsi d’un argument de négociation lorsqu’il poursuit ses objectifs de politique étrangère.
Le projet de loi dont vous êtes aujourd’hui saisis demande notamment au gouvernement du Canada de réclamer que justice soit faite au nom de Sergueï Magnitski contre tous les individus impliqués dans sa détention illégale, sa torture et sa mort. Il ne s’arrête toutefois pas là, puisqu’il permettrait au Canada de prendre les devants dans les efforts visant à renforcer concrètement les dispositions du droit international sur la perpétration d’infractions et de crimes. Il cible directement les principaux contrevenants aux droits de la personne, où qu’ils se terrent et où que soient cachés leurs avoirs. Il reprend d’ailleurs à son compte les divers instruments, normes et définitions reconnus sur la scène internationale.
Chers collègues, à la Chambre des représentants de l’Australie, certains ont donné l’exemple du sort réservé à la sénatrice de Lima pour faire valoir que l’Australie devrait emboîter le pas au Canada et aux États-Unis et adopter une loi semblable à la loi de Magnitski.
Le 24 février 2021 marquait le quatrième anniversaire de l’emprisonnement de la sénatrice de Lima. Cette motion a été présentée pour souligner sa détention de plus de 48 semaines. Par ailleurs, au Royaume-Uni, 27 députés et pairs de la Chambre des lords, membres de divers partis, ont envoyé une lettre à l’ambassade des Philippines à Londres pour demander la libération immédiate de la sénatrice de Lima. Cette motion vient appuyer le Parlement européen dans sa demande aux autorités philippines d’abandonner toute accusation à motifs politiques contre la sénatrice de Lima, de la libérer pendant qu’elle attend son procès, de lui permettre d’exercer librement ses droits et devoirs de représentante élue et de lui fournir, pendant qu’elle est détenue, des conditions de détention adéquates du point de vue de l’hygiène et de la sécurité.
J’interviens aujourd’hui dans le débat sur la motion afin que nous joignions nos voix de sénateurs se distinguant par leur indépendance d’esprit à celles de députés et de défenseurs des droits de la personne, avec l’assurance que nous ne serons pas les seuls à prendre position pour appuyer notre collègue sénatrice. En plus de la résolution bipartisane adoptée l’an dernier à l’unanimité par le Sénat des États-Unis afin de condamner l’emprisonnement de la sénatrice de Lima et de s’opposer à l’arrestation et à la détention d’autres défenseurs des droits de la personne et de journalistes qui exerçaient leur droit à la liberté d’expression, bon nombre de nos alliés ont déjà pris position.
La libération immédiate de la sénatrice de Lima a été réclamée par des organismes non gouvernementaux, des groupes de défense des droits de la personne, des organes parlementaires, des individus et des entités particulières, comme le Parlement européen, le Parlement de l’Australie, l’organisme ASEAN Parliamentarians for Human Rights, Amnistie internationale, Human Rights Watch et le Raoul Wallenberg Centre for Human Rights. De plus, il y a seulement quelques jours, la plus vieille et la plus importante association de parlementaires, l’Union interparlementaire, a réitéré ses appels précédents pour la libération de la sénatrice de Lima.
Honorables collègues, nous ne serons pas la première institution parlementaire à dénoncer cette situation. Toutefois, en donnant suite à cette motion, notre institution gagnerait beaucoup de respect, et elle ferait bien comprendre sa position à l’égard des droits de la personne en soutenant une collègue sénatrice qui paie un prix trop lourd pour avoir dit la vérité aux gens au pouvoir. Merci. Meegwetch.
Honorables sénateurs, comme il est 18 heures, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement et aux ordres adoptés le 27 octobre 2020 et le 17 décembre 2020, je suis obligé de quitter le fauteuil jusqu’à 19 heures, à moins que le Sénat ne consente à ce que la séance se poursuive. Si vous voulez suspendre la séance, veuillez dire « suspendre ».
La séance est suspendue jusqu’à 19 heures.