Projet de loi portant sur un conseil national de réconciliation
Troisième lecture--Débat
28 novembre 2023
Honorables sénateurs, kwe, tansi. En tant que sénatrice du Manitoba, je reconnais que je vis sur le territoire du Traité no 1, les territoires traditionnels des peuples anishinabes, des Cris, des Oji-Cris, des Dakotas et des Dénés, et de la patrie de la nation métisse.
Je tiens à souligner que le Parlement du Canada est situé sur un territoire algonquin anishinabe non cédé et non restitué.
Je prends la parole aujourd’hui pour parler du projet de loi C-29, une loi visant à établir un conseil national pour la réconciliation. Je soutiens cette législation. J’ai l’intention de voter en sa faveur, et j’espère le faire aujourd’hui. J’espère que nous assisterons au même niveau de soutien unanime que le projet de loi C-29 a obtenu dans l’autre Chambre.
Je salue ceux qui ont porté ce projet de loi en comité, qui ont participé au débat à ses différentes étapes, et en particulier, je salue la sénatrice Audette pour son leadership et son esprit collaboratif dans la conduite de ce projet de loi au Sénat.
Le projet de loi C-29 donne suite aux appels à l’action nos 53 à 56 de la Commission de vérité et réconciliation, qui réclamaient, primo, la mise sur pied d’un conseil national indépendant détenant le pouvoir de suivre et d’évaluer les efforts de réconciliation du gouvernement et de lui demander des comptes, secundo, la création de plans d’action nationaux visant à faire progresser la réconciliation et, tertio, la promotion du dialogue public comme moyen de favoriser la réconciliation, et ce, dans toutes les couches et dans tous les secteurs de la société canadienne.
À l’étape de la troisième lecture, le sénateur Klyne a fait valoir que ce projet de loi devait être adopté et entrer en vigueur le plus rapidement possible et que c’était même notre obligation. Il a abordé de manière éloquente l’obligation de rendre compte et les responsabilités du Sénat :
En ce qui concerne la réconciliation, il ne suffit pas de faire les choses convenablement. Les nations autochtones, les pouvoirs provinciaux, territoriaux et municipaux ainsi que les assemblées législatives doivent constamment travailler à renforcer les relations et à obtenir les meilleurs résultats possible. L’honnêteté, le courage et la critique sont essentiels pour faire avancer la société […]
Il ne suffit pas de faire les choses convenablement. C’est dans cette optique que je souhaite attirer votre attention sur une nuance qui, quoique pointue, est loin d’être sans importance, à savoir la distinction entre la manière dont, traditionnellement, les Premières Nations et les Métis ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance.
Le 15 novembre, la grande cheffe Cathy Merrick, de l’Assemblée des chefs du Manitoba a fait parvenir une lettre au premier ministre, dont les sénateurs ont aussi reçu copie. Je vous en cite quelques extraits pour bien mettre en contexte l’amendement que j’entends proposer aujourd’hui :
Monsieur le Premier Ministre,
Au nom de l’Assemblée des chefs du Manitoba, ou ACM, je vous écris aujourd’hui pour dissiper une idée préconçue on ne peut plus préoccupante qui est très ancrée chez les politiciens canadiens et qui porte sur la distinction entre la manière dont, traditionnellement, les Premières Nations et les Métis ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance. L’ACM a appris que l’amendement que la sénatrice Mary Jane McCallum avait proposé au projet de loi C-29, Loi prévoyant la constitution d’un conseil national de réconciliation, avait été rejeté. Cet amendement visait à modifier le préambule, qui dit que, depuis des temps immémoriaux, les Autochtones se sont épanouis sur leur territoire et en ont assuré la gestion et la gouvernance.
La sénatrice McCallum a voulu corriger une généralisation outrancière associée au mot « Autochtones » et le remplacer par l’expression « Premières Nations et Inuits », qui reflète mieux la réalité des trois groupes distincts généralement désignés par le générique « Autochtones ».
La teneur même du débat et le fait que le Sénat ait fini par rejeter cet amendement montrent que les politiciens canadiens connaissent mal l’histoire distincte des Premières Nations, des Inuits et des Métis. J’aimerais donc profiter de l’occasion pour remédier à la situation. Par respect pour la nature plurijuridique du Canada et les nombreux ordres de gouvernement qui le composent, j’invoquerai à la fois le droit des autochtones et le droit canadien pour étayer mon explication.
Avant l’arrivée des Européens, les Premières Nations étaient présentes depuis des temps immémoriaux sur le territoire qui porte désormais le nom de Canada, et elles disposaient de leurs propres lois et droits, qui leur étaient inspirés par le Créateur. Cette vérité trouve écho dans les histoires sacrées qui relatent la création des Premières Nations du Manitoba et du Canada en général. Ces histoires comptent de nombreuses versions, et chacune d’elles est vraie. Elles sont transmises de génération en génération par les aînés, qui nous enseignent qui nous sommes et qui comprennent le lien spirituel qui nous unit à la terre. Pour un exemple détaillé, je vous invite à lire D’Arcy Linklater et coll., Ka’esi Wahkotumahk Aski, Our Relations With The Land : Treaty Elders’ Teachings, Volume 2, dans lequel l’aîné anishinabe Ken Courchene explique les origines de l’île de la Tortue. Avec cette histoire sacrée, il confirme que les Anishinaabes ont reçu leurs terres et territoires traditionnels en cadeau de la part du Créateur.
L’aîné anishinaabe Donald Catcheway ajoute que le Créateur a d’abord placé les Anishinaabes sur leurs terres et leur en a ensuite confié le soin. Par conséquent, les Anishinaabes sont tenus de prendre soin de la terre, obligation qui est intimement liée à la capacité d’en tirer des enseignements et de jouir de ses fruits.
Plus récemment, les Premières Nations ont exercé leur propre souveraineté parallèlement à la souveraineté présumée de la Couronne par l’entremise de traités négociés et dans le respect de notre nation souveraine. Au contraire, les Métis, dont bon nombre sont nos proches, ont vu le jour seulement après l’arrivée des Européens. Cette distinction ne peut être effacée, car elle éclaire les droits et les obligations de nos peuples.
La Cour suprême du Canada l’a d’ailleurs confirmé dans l’arrêt R. c. Desautel :
[…] les peuples autochtones du Canada au sens du par. 35(1) sont les successeurs contemporains des sociétés autochtones qui ont occupé le territoire canadien au moment du contact avec les Européens […]
Dans ce même arrêt, la Cour confirmait qu’il y a une distinction entre les droits des Premières Nations garantis par l’article 35 et ceux des Métis, car « [l]es communautés métisses [ont] vu le jour après le contact entre d’autres peuples autochtones et européens […] » Elle revenait en outre sur l’opinion qu’elle avait exprimée dans l’arrêt R c. van der Peet :
La manière dont les droits ancestraux des peuples autochtones sont définis n’est pas nécessairement déterminante en ce qui concerne la manière dont sont définis ceux des Métis.
On peut aussi lire ceci dans l’arrêt R c. Powley…
Je regrette, sénatrice McPhedran, mais il y a un bruit étrange qui se fait entendre de temps à autre. Est-ce que je peux demander aux sénateurs de vérifier que leur téléphone est éteint? Les micros captent quelque chose et tout le monde peut l’entendre, surtout si c’est près d’un micro. Je vous remercie. Vous pouvez poursuivre, sénatrice McPhedran.
Je poursuis la lecture de ma lettre :
Cette approche concorde avec la décision subséquente de la Cour dans l’affaire R c. Desautel, qui reconnaît la distinction entre les droits des Premières Nations garantis par l’article 35 et ceux des Métis de par la manière dont, traditionnellement, ils ont utilisé et occupé leur territoire et en ont assuré la gouvernance. Le droit des Premières Nations et le droit canadien s’entendent là-dessus. Les Premières Nations vivent sur ces terres et en assurent la gouvernance depuis des temps immémoriaux, tandis que les Métis ont vu le jour après l’arrivée des Européens. Ignorer ce fait favorise les généralisations outrancières et insensibles et fait passer la langue inclusive avant la vérité. Cette façon de faire va à l’encontre des efforts de réconciliation déployés par votre gouvernement et l’affirmation de la Commission de vérité et réconciliation du Canada selon laquelle « sans vérité, justice et guérison, il ne peut y avoir de véritable réconciliation ».
Cordiales salutations,
La grande cheffe Kathy Merrick,
Assemblée des chefs du Manitoba
Honorables collègues, j’ai tenu compte de la position de l’Assemblée des chefs du Manitoba et je me suis laissé guider par la grande cheffe Merrick. Les sénateurs et les législateurs que nous sommes sont tout à fait conscients du pouvoir des mots et de la valeur de la clarté et de la précision.
On voit tout de suite que ce projet de loi poursuit des objectifs louables, mais il ne suffit pas de faire les choses convenablement. Nous sommes tous d’accord. Quand il est possible de rendre les choses plus claires, c’est tout le monde qui en sort gagnant et la loi qui en est renforcée. Aucune loi ne sera jamais parfaite, mais quand un remède tout simple s’offre à nous, nous devons agir.
Reconnaître cette distinction et rendre le texte plus précis ne nuira en rien aux objectifs poursuivis par cette mesure législative, à son contenu ou à son effet. L’amendement proposé rend plus précis les passages dénoncés par ceux-là mêmes qui sont concernés, mais qui ne peuvent faire entendre leurs voix en ces murs. Il donne suite aux réserves exprimées par nos collègues sénateurs et par l’assemblée des chefs de ma province, le Manitoba.
D’aucuns prétendent que le préambule n’a aucune importance, que sa portée est limitée et qu’il peut être considéré comme la simple expression des objectifs d’une loi. Or dans les faits, le préambule a son utilité et il peut servir à interpréter le corps même de la loi en cas d’ambiguïté.