Projet de loi sur l'unité de l'économie canadienne
Deuxième lecture--Débat
25 juin 2025
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. Toutefois, aujourd’hui, je prends la parole hantée, en quelque sorte, par le spectre d’un projet de loi que nous avons adopté au Sénat en 2019, soit le projet de loi C-69. On pourrait dire que, depuis que je siège au Sénat, je ressens la présence menaçante du projet de loi C-69.
La première fois que j’ai pris la parole au Sénat était le 16 octobre 2018, c’est-à-dire le jour de mon assermentation. Il est certainement inhabituel pour un sénateur de prendre la parole dès son premier jour au Sénat, mais le jour de mon assermentation coïncidait avec la présence d’Amarjeet Sohi, qui était alors ministre des Ressources naturelles, pour la période des questions avec un ministre. Je connaissais le ministre Sohi depuis des années parce qu’il était conseiller municipal d’Edmonton à l’époque où j’étais chroniqueuse urbaine à l’Edmonton Journal et je tenais, non seulement à le saluer, mais aussi à lui poser une question expressément sur le projet de loi C-69, qui modifiait la Loi sur l’évaluation d’impact et qui était extrêmement controversé en Alberta.
Quand j’ai dit à la greffière que je voulais poser une question — à peine quelques minutes après mon assermentation et avant de me joindre à un groupe —, elle a ri et m’a répondu que cela ne serait probablement pas possible. Toutefois, pour me faire plaisir, elle a inscrit mon nom tout en bas de la liste des sénateurs souhaitant poser des questions. J’ai été aussi surprise que ravie lorsque le Président, George Furey, m’a autorisée à poser la toute dernière question de l’après-midi. Je cherchais à savoir si la notion d’évaluation d’impact dans le projet de loi C-69 tiendrait compte des répercussions en aval de la consommation des combustibles fossiles.
Quand j’ai prononcé mon premier discours au Sénat trois semaines plus tard, je n’ai pas abordé un sujet personnel comme ma famille ou mon parcours professionnel. J’ai plutôt choisi de parler du projet de loi C-69.
Le projet de loi visait à rendre plus fiable l’approbation de nouveaux projets d’envergure, tels que les lignes de transport d’électricité interprovinciales, les pipelines, l’agrandissement des ports et les voies ferrées. Rappelons-nous qu’il y avait eu un problème avec des projets d’envergure qui avaient franchi la plupart des étapes du processus d’évaluation environnementale, mais qui avaient été bloqués à la dernière minute parce que ces évaluations avaient été contestées devant les tribunaux. Les promoteurs des projets demandaient de meilleures garanties dès le départ afin de ne pas se faire couper l’herbe sous le pied à la dernière minute. Parallèlement, les peuples autochtones et les groupes de défense de l’environnement réclamaient une meilleure consultation afin que leurs voix et leurs préoccupations soient prises en compte pendant le processus, et non à la toute fin.
Dans mon discours liminaire au Sénat, j’ai déclaré :
Il faut mettre en place un processus plus efficace, plus transparent et plus souple pour approuver les nouveaux projets de pipeline. Il faut aussi instaurer un régime de réglementation efficace et efficient, qui donne aux investisseurs une certaine assurance quant à la réalisation des projets.
J’ai poursuivi ainsi :
Cela ne signifie toutefois pas qu’il faut faire fi des préoccupations environnementales ou bafouer la souveraineté autochtone. En effet, la seule manière de pouvoir créer un système de réglementation qui favorise la confiance des investisseurs est de mettre sur pied un modèle ouvert, global et compréhensible qui assure la protection de l’environnement et veille au respect des Premières Nations et des Métis, qui demeurent nos partenaires au sein de ce processus de collaboration.
C’était vrai en novembre 2018, et ce l’est tout autant aujourd’hui. Malheureusement, le projet de loi C-69, la Loi sur l’évaluation d’impact, n’est jamais devenu ce modèle. Et je crains fort que le projet de loi C-5 ne nous permette pas non plus d’atteindre cet objectif. Après tout, le projet de loi C-5 est censé faire ce que le projet de loi C-69 devait faire : donner d’emblée de la clarté aux promoteurs et donner véritablement voix au chapitre aux communautés des Premières Nations, inuites et métisses.
Mais je crains que dans notre empressement à « corriger » les dispositions découlant du projet de loi C-69 — qui, rappelons-le, était censé corriger la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale de 2012 du gouvernement Harper —, nous ne nous retrouvions finalement au point de départ, avec les voix autochtones marginalisées et les préoccupations environnementales mises de côté. Ce n’est pas seulement un problème pour l’honneur de la Couronne et l’avenir de l’environnement. Loin de donner des certitudes aux promoteurs de projets, cela pourrait simplement alimenter davantage de contestations judiciaires, de protestations et de confusion. Les raccourcis entraînent de longs retards. Le projet de loi C-5 pourrait mal tourner et bloquer des projets dont nous avons réellement besoin.
Le projet de loi C-69 n’a certainement pas été adopté à toute vapeur par le Sénat. Après en avoir longuement débattu, nous l’avons renvoyé au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles pour une étude approfondie. Nous avons entendu des centaines de témoins des secteurs de l’énergie, des mines et des transports, de groupes environnementaux, de nations et d’organisations autochtones, ainsi que des premiers ministres provinciaux, des universitaires et des analystes de l’industrie. Nous avons tenu des audiences publiques partout au pays : à Vancouver, Calgary, Fort McMurray, Saskatoon, Winnipeg, St. John’s, Halifax, Saint John et Québec.
Lorsque je dis « publiques », je veux vraiment dire « publiques ». À Calgary, nous avions été interrompus par des manifestants qui craignaient que le projet de loi ne paralyse l’économie énergétique de l’Alberta. À Winnipeg, des manifestants écologistes et autochtones avaient interrompu les audiences pendant un certain temps, défilant dans la salle de réception de l’hôtel où nous nous réunissions.
Puis, ce fut le moment des amendements. Je me rappelle avoir regardé avec un certain émerveillement, en tant que nouvelle sénatrice, les sénateurs Howard Wetston et Yuen Pau Woo mettre en pièces le projet de loi, qui était un véritable désastre, et le reconstruire avec une certaine logique.
En fin de compte, le Sénat a adopté 188 amendements au projet de loi, et le gouvernement en a accepté 99, en tout ou en partie. Même après ces amendements, la loi comportait encore de graves lacunes. La Cour suprême du Canada a déclaré inconstitutionnelles dans une large mesure les parties qui portaient sur les grands projets dans une seule province. Cette loi a été critiquée, à tort ou à raison, pour la rareté apparente des grands projets approuvés depuis son entrée en vigueur.
Le projet de loi C-5, bien sûr, tente de « corriger » cette situation en permettant au gouvernement de désigner à l’avance certaines propositions comme des projets d’intérêt national. Une fois qu’un projet est préalablement désigné comme projet d’intérêt national, le projet de loi permettrait d’en accélérer le processus d’approbation environnementale et réglementaire. Si les choses n’avancent pas assez vite, eh bien, le projet de loi donnerait au superministre responsable des projets d’intérêt national le pouvoir de passer outre aux exigences d’une longue liste de lois, comme la Loi sur les pêches, la Loi sur la Convention concernant les oiseaux migrateurs, la Loi maritime du Canada ou la Loi sur l’évaluation d’impact elle-même. Ce sont les lois mêmes qui visent à protéger notre environnement.
Comme l’a mentionné le sénateur Housakos, juste avant d’ajourner pour l’été, nos collègues de l’autre endroit ont adopté quelques amendements intelligents de dernière minute qui limitent le pouvoir du superministre de faire fi d’autres textes législatifs, notamment de la Loi sur les Indiens et du Code canadien du travail. Ils ont ajouté des amendements visant à améliorer la transparence du processus et à nous garantir que les provinces et les territoires seront pleinement consultés. Ils ont supprimé les éléments les plus problématiques et les plus manifestement abusifs de la disposition de délégation législative, qui auraient conféré au gouverneur en conseil des superpouvoirs considérables et inacceptables.
Cette version du projet de loi C-5 est donc meilleure que l’originale, mais elle reste profondément imparfaite. Le projet de loi déplace encore le processus d’autorisation en amont, en demandant une consultation et un accord avec les parties concernées pour désigner un projet comme étant d’intérêt national avant que les évaluations des effets sur l’environnement et des autres effets ne soient réalisées. Ce jugement préalable pourrait être problématique si un projet se voyait désigné comme projet d’intérêt national et que les experts apprenaient par la suite qu’il pourrait présenter un risque majeur pour une aire de mise bas des baleines, les aires de nidification d’un oiseau rare et menacé ou une nappe phréatique.
Je crains également que la désignation d’un projet comme projet d’intérêt national n’entache, en soi, l’indépendance de l’évaluation environnementale, puisque le projet jouirait d’un statut spécial.
Par ailleurs, la rapidité avec laquelle ce projet de loi a été adopté par le Parlement a, en soi, nui aux relations de confiance durement acquises avec les Premières Nations, les Inuit et les Métis. Au cours de la dernière décennie, nous avons déployé tant d’efforts pour favoriser la réconciliation. Or, cette mesure législative semble faire fi d’une grande partie de ces efforts.
Nous aurions dû être autorisés à débattre et à analyser davantage ce projet de loi. Nos audiences en comité plénier ont été utiles, mais nous aurions dû renvoyer une mesure législative aussi importante au Comité sénatorial permanent de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles et au Comité sénatorial permanent des peuples autochtones pour qu’ils l’étudient comme il se doit. J’aurais au moins souhaité que nous ayons la possibilité, sans contrainte politique, d’apporter nos propres amendements. Au lieu de cela, on nous a acculés au pied du mur en nous renvoyant le projet de loi après l’ajournement de la Chambre des communes.
Le gouvernement dit qu’il souhaite qu’on ne se demande plus si on devrait réaliser des projets essentiels à l’édification de la nation, mais plutôt comment on pourrait les réaliser. Il est vrai que, parmi les nombreuses conditions préalables exigées par le projet de loi C-69, certaines semblaient avoir été délibérément conçues comme des excuses pour ne rien réaliser nulle part. Je crains cependant que nous soyons maintenant en train de surcorriger la situation en accélérant la réalisation de mégaprojets qui ne sont peut-être pas dans l’intérêt de la population locale, même s’ils sont d’intérêt national. Franchement, je crains que le sentiment d’urgence qui entoure le projet de loi C-5 ne crée des attentes irréalistes qui pourraient se retourner contre le nouveau gouvernement.
Une partie des beaux discours à propos de ce projet de loi a malheureusement donné l’impression erronée que le gouvernement allait financer lui-même un lot de projets d’intérêt national, qu’il allait utiliser cette loi pour régler le problème de l’isthme de Chignecto, construire un pipeline jusqu’à Prince Rupert, installer une nouvelle voie ferrée jusqu’à Churchill ou bâtir une nouvelle route toutes saisons jusqu’à Norman Wells. Quand il apparaîtra clairement qu’aucun financement fédéral n’accompagne ce projet de loi, je pense qu’il y aura probablement des déçus et un retour de manivelle politique.
Soyons clairs. Le père Noël n’existe pas. Il n’y a pas de « Pink Pony Club », comme dans la chanson, où nous allons tous « continuer à danser ». Ce projet de loi n’est pas une boîte à surprises remplie de projets d’infrastructures publiques. Il s’agit avant tout d’un projet de loi qui vise à offrir une plus grande certitude aux promoteurs qui utilisent leurs propres capitaux pour réaliser des projets adaptés aux conditions du marché. Et si ces promoteurs de projets privés estiment que le projet de loi C-5 ne leur apporte pas cette certitude, alors nous nous serons précipités ici pour rien, en foulant aux pieds les droits et les sensibilités des communautés autochtones.
Je voudrais terminer par un message à mes concitoyens albertains, en particulier à ceux qui ont fait du projet de loi C-69 le bouc émissaire pour toutes leurs ambitions contrariées.
Mes amis de l’Alberta, je veux m’adresser directement à vous et aux dirigeants politiques de notre province qui jouent avec le feu en échauffant les séparatistes et les racistes et en jetant de l’huile sur les flammes.
Aux Albertains qui veulent vraiment un pipeline, que ce soit vers le Pacifique ou vers l’est, vous devez accepter certaines réalités difficiles. Aucune entreprise privée ne va risquer des dizaines de milliards de dollars pour construire ce type d’infrastructures nationales si elle pense qu’il y a un risque que l’Alberta fasse sécession. Un pipeline ne sera construit que s’il existe un marché et que les investisseurs ont confiance. Le premier ministre Carney vous accorde ce que vous avez demandé : le rejet du projet de loi C-69. Si vous gaspillez cette occasion en menaçant de diviser le pays, vous le ferez à vos risques et périls.
Quand il s’agira d’édifier la nation, j’espère toutefois que l’imagination des Albertains ne se limitera pas aux pipelines. Que diriez-vous d’un réseau électrique dans l’Ouest qui permettrait à l’Alberta d’avoir un meilleur accès à l’énergie hydroélectrique verte de la Colombie-Britannique et à la Saskatchewan, à celle du Manitoba? Que diriez-vous d’un service ferroviaire de voyageurs reliant Edmonton et Calgary ou d’un réseau de pipelines d’hydrogène bleu permettant d’alimenter des trains, des autobus et des centrales électriques fonctionnant à l’hydrogène?
Il nous faut de nouveaux projets audacieux qui améliorent réellement notre avenir environnemental en rendant notre réseau électrique et nos réseaux de transport plus écologiques. Il nous faut des projets qui autonomisent, emploient et enrichissent les communautés autochtones et qui leur accordent le respect qu’elles méritent, tant sur le plan juridique que moral, comme partenaires à part entière de la Confédération. Il nous faut ces projets pour l’Alberta, pour le Canada et pour notre avenir collectif.
J’aurais aimé que nous ne précipitions pas l’adoption de ce projet de loi. J’aurais aimé qu’on laisse le Sénat procéder à un second examen objectif en bonne et due forme afin que les Canadiens aient l’assurance que le meilleur projet de loi possible a été adopté, de manière à susciter le consensus national qui sera nécessaire si nous voulons vraiment que ces mesures fonctionnent, car en cette période de crise mondiale où les vieilles alliances se défont et où les certitudes économiques sont ébranlées, il faut vraiment rêver grand, réaliser de grands projets et bâtir un pays uni dont la souveraineté s’inscrira dans la pérennité. Je ne sais tout simplement pas si le projet de loi C-5 nous permettra d’y arriver ou si, comme le spectre de l’ancien projet de loi C-69, il reviendra nous hanter en contrecarrant nos ambitions grandioses.
Merci. Hiy hiy.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui afin de participer au débat à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-5, Loi édictant la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada et la Loi visant à bâtir le Canada. Mon intervention sera brève, mais je souhaite mettre en lumière certains points importants.
La première partie du projet de loi C-5, qui édicte la Loi sur le libre-échange et la mobilité de la main-d’œuvre au Canada, est sans contredit très attendue. J’accueille favorablement cet important premier pas vers l’élimination de barrières au commerce interprovincial et à la mobilité des travailleurs. Dans ce contexte diplomatique incertain, nous avons une occasion unique de nous unir pour reprendre le contrôle de notre avenir économique. L’unité canadienne est la force que nous avons pour braver vents et marées, d’un océan à l’autre. Je félicite le gouvernement d’avoir proposé d’emblée cette vision pour notre pays et j’ose espérer que, dans un esprit de fédéralisme coopératif, d’autres barrières pourront tomber grâce à un leadership fédéral fort et à la collaboration continue des provinces et territoires.
La semaine dernière, la Chambre de commerce du Canada a fait paraître un document nous invitant à réfléchir aux grands projets sur lesquels notre pays pourrait se pencher pour renforcer sa sécurité et augmenter sa résilience économique. Ces projets passent par l’approvisionnement en minéraux et en matériaux critiques, la coordination stratégique du commerce, la sécurité de nos chaînes alimentaires, l’habilitation commerciale, l’adoption en accéléré de l’intelligence artificielle, l’interopérabilité de la réglementation numérique, les énergies renouvelables, abordables et sécuritaires, la mesure uniforme des émissions de carbone et de conformité, la santé mondiale, la résilience de nos infrastructures et la cybersécurité.
Ces projets sont importants pour la croissance et la productivité de notre pays, alors que nous nous trouvons à un moment décisif de notre avenir. Le projet de loi C-5 nous invite à faire preuve d’ouverture, mais aussi à poser un regard visionnaire quant à la prospérité que nous souhaitons donner au Canada.
Cela dit, je vais maintenant parler de la partie 2 du projet de loi, qui édicte la Loi visant à bâtir le Canada.
L’objectif de cette loi — accélérer les projets en simplifiant les processus d’approbation — est à la fois louable et opportun. Je pense qu’il peut rallier tous les Canadiens.
Cela dit, la version initialement présentée au Parlement a suscité de vives inquiétudes. Elle accordait un large pouvoir discrétionnaire à l’exécutif pour désigner unilatéralement des projets comme étant d’intérêt national, sans contrôle ni garanties.
Les dispositions des articles 21 à 23 proposés auraient permis au gouvernement de passer outre toute loi et toute réglementation. Le projet de loi n’affirmait pas non plus de façon claire et sans équivoque l’obligation constitutionnelle de consulter les peuples autochtones et il ne faisait pas adéquatement état de la nécessité de respecter les domaines de compétence exclusive des provinces.
Les personnes susceptibles d’être touchées par les décisions doivent avoir leur mot à dire dans le processus. Compte tenu du rôle du Sénat, qui consiste à effectuer un second examen objectif et à protéger les minorités, l’absence de garanties et de contrôle ainsi que la concentration des pouvoirs appellent une attention particulière.
Selon l’interprétation constitutionnelle établie par la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, nous devrions nous assurer que la proposition législative est conforme aux principes suivants : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, ainsi que le respect des minorités. Ces principes devraient guider notre évaluation globale des droits et obligations constitutionnels qu’implique ce projet de loi.
Dans le contexte du Canada et de notre démocratie, il est difficile d’envisager une situation contemporaine qui justifierait clairement l’octroi de pouvoirs quasi absolus à l’exécutif. En principe, la démocratie suppose un équilibre raisonnable entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire. Alors que la version initiale du projet de loi semblait soulever des inquiétudes quant à cet équilibre, les amendements ultérieurs représentent une avancée vers la résolution de celles-ci et reflètent un dialogue continu sur la répartition appropriée des pouvoirs dans une société démocratique, y compris en temps de crise.
Croire qu’une crise justifie toutes les mesures exceptionnelles peut créer des précédents dangereux. En tant que législateurs, nous devons rester vigilants et évaluer les propositions législatives au cas par cas. La première version du projet de loi reçue par le Parlement, qui a alimenté notre étude en comité plénier, fait ressortir l’importance pour un Parlement d’exercer ses pouvoirs législatifs avec rigueur et diligence, sans faire abstraction des principes inhérents à notre Constitution.
Les amendements proposés à l’autre endroit sont également rassurants à l’égard d’autres principes constitutionnels, notamment le fédéralisme et le respect des minorités.
Je me réjouis de constater que les travaux menés à l’autre endroit ont porté leurs fruits, ce qui permettra d’accroître la surveillance, la transparence et les protections ayant trait à l’environnement, à la santé et aux droits des peuples autochtones dans le cadre de la mise en œuvre du projet de loi.
J’aimerais toutefois relever une omission particulière dans la série d’amendements proposés au sujet du registre public. Il importe d’en faire mention dans cette Chambre, afin que nos débats fassent état de ce constat. Je fais référence aux commentaires que le sénateur Woo a faits tout à l’heure.
La création de nouvelles exigences en vue d’établir un registre public et de divulguer des informations détaillées sur les projets est manifestement une bonne mesure. Toutefois, je prends note de l’omission du facteur environnemental dans le nouveau paragraphe 5(1.1), qui, pourtant, figure dans la liste au paragraphe 5(6). Ce paragraphe énumère les facteurs pertinents à la désignation d’un projet national par le gouverneur en conseil, sur recommandation du ministre.
Malgré l’absence d’un langage contraignant à cet égard dans la loi, je m’attends tout de même à voir dans le registre public la mesure dans laquelle un projet « pourra » contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques. À mon avis, l’ajout de ces informations au registre est nécessaire et constitue une bonne pratique qui est d’autant plus conforme à l’intention du législateur, compte tenu de la liste complète qui figure au paragraphe 5(6). J’aimerais d’ailleurs que le gouvernement s’engage formellement à intégrer ces informations au registre public.
Avant de conclure, je tiens à souligner un dernier point essentiel. Le projet de loi, tel qu’il a été modifié, renforce le rôle de surveillance du Parlement, notamment par l’entremise d’un comité parlementaire.
Chers collègues, notre travail ne fait donc que commencer. Nous devrons continuer de surveiller la mise en œuvre du projet de loi d’une manière conforme à nos obligations et à nos privilèges et en nous portant garants des principes sous-jacents à notre Constitution.
En somme, ce projet de loi offre au Canada l’occasion de se placer à l’avant-garde des grandes transformations économiques, environnementales et géopolitiques à venir. C’est pourquoi nous devons veiller à ce que l’exercice des pouvoirs qu’il confère soit cohérent avec une vision moderne du Canada, notamment en ce qui a trait aux normes en matière d’environnement et de santé. J’ai confiance en ce gouvernement. Toutefois, il serait, selon moi, imprudent de lui accorder une confiance aveugle. Étant donné que nous ne sommes pas soumis aux mêmes contraintes que les élus de la Chambre des communes, les privilèges et responsabilités que nous confère notre rôle de sénateurs exigent que nous exercions une vigilance soutenue et que nous fassions un examen rigoureux de chaque projet de loi, y compris ceux qui émanent du gouvernement.
Honorables sénateurs, je prends la parole au sujet de la partie 2 du projet de loi C-5, Loi visant à bâtir le Canada, dont le but avoué est d’accélérer l’approbation de grands projets d’infrastructures énergétiques et d’exploitation de ressources naturelles.
Je comprends tout à fait le contexte très particulier dans lequel le projet de loi a vu le jour. Le Canada a dû encaisser le choc d’une guerre tarifaire avec son voisin américain; ce conflit a créé beaucoup d’incertitude et a provoqué des mises à pied, l’économie canadienne est ébranlée et il faut trouver des remèdes pour relancer l’activité économique.
Le but est louable. La méthode choisie est extraordinaire et pratiquement sans précédent : donner au gouvernement le pouvoir de suspendre des lois adoptées en bonne et due forme par le Parlement afin d’accélérer l’approbation de grands projets nationaux. Je suis l’actualité depuis longtemps, et je ne me souviens d’aucun gouvernement fédéral qui a suspendu des lois pour faire face à une récession.
L’ex-ministre conservatrice Lisa Raitt a bien résumé la situation en répondant à une question que je lui ai posée en comité plénier la semaine dernière. Elle a dit ceci :
Le libellé de la loi est très vague et donne effectivement carte blanche au ministre — quel qu’il soit — à bien des égards pour déterminer laquelle des lois s’applique.
[...] le gouvernement a manifestement jugé qu’il a besoin de ce pouvoir très étendu — qui est certes très large et aussi, probablement, terrifiant —, car, en substance, il demande aux Canadiens : « Accordez-nous votre confiance. Nous allons faire du bon travail. »
Certains des amendements adoptés par l’autre endroit exigent du gouvernement plus de transparence sur la nature exacte des projets et une plus grande surveillance par le Parlement. Les députés se sont aussi assurés que certaines lois ne pourraient pas être suspendues. Certes, ce sont des améliorations. Cependant, elles ne sont pas suffisantes pour calmer les craintes.
De plus, étant donné que le gouvernement était pressé, nous avons entendu nos témoins avant qu’ils puissent prendre connaissance des amendements de la Chambre des communes. Nous manquons donc d’expertise externe pour évaluer ces amendements. Voilà un processus d’étude trop rapide et approximatif pour une Chambre qui doit exercer un second examen attentif sur les textes législatifs qui lui sont soumis. Le recours au comité plénier — durant lequel les ministres se présentent devant tous les sénateurs — a de sérieuses limites. Il est difficile de poser des sous-questions plus directes ou d’interrompre un témoin qui ne répond pas vraiment aux questions, bref, d’obtenir des réponses approfondies, ce qu’on peut faire plus efficacement dans des réunions de comités sénatoriaux spécialisés où il n’y a que 12 sénateurs.
Ce n’est pas sans raison que l’étude de projets de loi complexes prend un certain temps. Pour dénicher les erreurs ou les conséquences inattendues de certains articles, il faut faire de la recherche, consulter, reformuler, et cetera. Je l’ai vécu par le passé : il a fallu plus d’un an de délibérations pour que des projets de loi importants, notamment le projet de loi C-11 sur les plateformes Web et le projet de loi C-18 sur la radiodiffusion, soient adoptés. Il y a parfois de l’obstruction. Toutefois, ce n’est pas la norme.
De toute façon, ce n’est pas la réalité devant laquelle les sénateurs sont placés. Les députés de la Chambre des communes ont terminé leur session parlementaire vendredi dernier. Ils ne sont donc plus à Ottawa. Il sera très difficile pour nous d’adopter des amendements et de demander à la Chambre des communes de se prononcer, car il faudrait sans doute rappeler les députés pendant l’été. Pourquoi n’a-t-on pas prolongé les travaux de l’autre endroit d’au moins une semaine, pour nous donner la possibilité de faire notre travail adéquatement? Je ne suis pas dans le secret des dieux, mais depuis que le Sénat a acquis plus d’indépendance et propose des amendements aux projets de loi, nous entendons dire que cela agace profondément plusieurs membres du gouvernement. D’ailleurs, le parrain de ce projet de loi, notre collègue le sénateur Yussuff, nous a rappelé, à la fin de son discours, qu’il espérait que le projet de loi soit adopté, et ce, sans amendement.
Nous sommes donc coincés. Lorsque l’on propose des améliorations à un projet de loi, on se fait dire qu’on n’a pas la légitimité requise pour le faire, car nous ne sommes pas élus. Lorsqu’on adopte un projet de loi tel quel, à la va-vite, on se fait dire que cela prouve bien notre complète inutilité.
Andrew Coyne, critique de longue date du Sénat, l’exprime ainsi dans son récent livre, que je suis en train de lire, intitulé The Crisis of Canadian Democracy :
Nous semblons pris dans un dilemme : un Sénat qui se contente d’approuver les projets de loi adoptés par la Chambre des communes est superflu, alors qu’un Sénat qui les rejette est une menace. Ce dilemme persistera tant que l’on ne parviendra pas à résoudre la contradiction fondamentale entre les immenses pouvoirs juridiques du Sénat et son absence totale de légitimité démocratique.
Il s’agit bien sûr de l’opinion d’Andrew Coyne. Je ne la partage pas entièrement.
Voilà pour la procédure. Revenons maintenant au contenu du projet de loi C-5.
En comité plénier, le ministre Dominic LeBlanc a réitéré l’engagement du premier ministre Mark Carney en disant ceci :
Il est évident que le projet de loi n’est pas étudié par le Sénat et par le Parlement pour que l’on décide d’imposer quelque projet que ce soit aux peuples autochtones, à une province ou à un territoire.
On comprend de cet engagement qu’il n’est pas question de passer outre le consentement des Autochtones ou du gouvernement d’une province pour lancer un grand projet dans cette province. Cependant, l’amendement adopté au sujet des provinces par les Communes n’est pas très clair. Il précise que le gouvernement fédéral devra consulter le gouvernement de la province où le projet sera réalisé, et que le gouvernement fédéral devra obtenir le consentement écrit du gouvernement de la province lorsque le projet touchera des domaines de compétence provinciale exclusive. Que se passera-t-il si ce projet national a des conséquences sur l’environnement, qui est une compétence partagée par les deux ordres de gouvernement?
Par ailleurs, pourquoi n’a-t-on pas inscrit dans le projet de loi que le gouvernement fédéral pourrait se satisfaire d’une évaluation environnementale faite par une province, plutôt que d’allonger les délais en faisant également une évaluation environnementale fédérale? Le Centre québécois du droit de l’environnement note aussi qu’aucune indication claire n’est donnée quant à l’application continue des lois provinciales aux projets désignés.
À ce stade, il est difficile de se contenter de beaux discours. Ce qui compte doit être écrit dans le projet de loi. Au sujet de la protection de l’environnement, le pouvoir du gouvernement fédéral d’accélérer les choses et de choisir quels objectifs il souhaite atteindre m’inquiète tout particulièrement. La Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et plusieurs autres peuvent être suspendues. Comme l’a expliqué ma collègue la sénatrice Simons, un projet national peut être préapprouvé sans connaître ses conséquences sur l’environnement.
Je comprends que les conséquences appréhendées à la suite de l’application du projet de loi C-69 que nous avons adopté sur les évaluations environnementales fédérales sont très — voire trop — lourdes et créent des délais inacceptables dans la réalisation de projets. Cependant, nous aurions pu viser cette loi en particulier plutôt que toutes les lois en faveur de l’environnement.
Une alternative qui a été proposée est tout aussi inquiétante. Par exemple, à l’alinéa 5(6)e) de la Loi visant à bâtir le Canada, on comprend que le gouvernement peut, mais n’a pas l’obligation de choisir des projets qui vont :
contribuer à la croissance propre et à l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques.
Cela veut dire que le gouvernement se donne le droit de choisir de grands projets qui contribuent à augmenter nos émissions de gaz à effet de serre, alors que les feux de forêt se multiplient sur notre territoire et que nous sommes déjà en retard dans l’atteinte de nos cibles climatiques.
En comité plénier, j’ai demandé au ministre LeBlanc si la construction de pipelines était vraiment un projet d’avenir, un projet du XXIe siècle, lorsque l’on pense à la survie de notre planète. Sa réponse se voulait rassurante :
Vous avez raison lorsque vous dites que l’on parle souvent de projets comme les pipelines. J’ai dit cela publiquement plusieurs fois à des journalistes, même en ondes. Lors de la réunion à Saskatoon avec les premiers ministres des provinces et des territoires, je dirais que moins de 5 % des conversations portaient sur des projets de pipelines.
Si l’on croit en une transition écologique, ne faudrait-il pas que les futurs projets nationaux contribuent à une économie sobre en carbone et respectueuse de la biodiversité? Doit-on faire confiance au gouvernement et lui accorder ces pouvoirs extraordinaires en espérant que l’on atteigne le bon équilibre? La sévérité de la crise avec notre principal partenaire commercial justifie-t-elle de pouvoir suspendre des lois? Il n’y a pas de réponses faciles à ces questions.
Pour ma part, je voterai contre le projet de loi C-5.
Honorables sénateurs, le gouvernement nouvellement élu a promis de nous rassembler pour défendre la souveraineté et les valeurs canadiennes en « jouant du coude ». Ainsi, on nous a informés que la partie 2 du projet de loi C-5 vise à favoriser les projets nationaux qui contribuent à l’édification du Canada. Malheureusement, le processus suivi jusqu’à présent en ce qui concerne cette mesure législative a suscité de vives inquiétudes parmi les Canadiens.
Étant donné que le projet de loi franchit les étapes du processus législatif à toute vitesse, des projets risquent d’être préapprouvés de façon expéditive, ce qui aura des répercussions irréversibles sur la santé, les collectivités, les économies et l’environnement, qui se feront sentir pendant des générations. Tout cela, en dépit des protestations des gens les plus touchés et sans que l’on ait mené de recherches adéquates pour comprendre les risques, et encore moins que l’on ait obtenu le consentement des gens.
Les Canadiens estiment que le projet de loi C-5 risque de conférer un pouvoir sans précédent à quelques membres du Cabinet au lieu de nous donner à tous les moyens d’agir. Au lieu de nous rassembler pour faire face aux menaces de notre voisin du Sud, le projet de loi risque d’exacerber les inégalités et les divisions en imitant et en renforçant les tentatives d’accaparement du pouvoir.
Les dirigeants autochtones, qui ont des décennies d’expérience dans la défense des droits inhérents à la souveraineté et à l’autodétermination, ont été particulièrement clairs à ce sujet.
L’ancienne ministre de la Justice et procureure générale, Jody Wilson-Raybould, a évalué comme suit l’adoption du projet de loi C-5 à l’autre endroit :
Aujourd’hui, le Canada s’est affaibli.
Le projet de loi C-5 confère des pouvoirs incontrôlés à quelques représentants, il outrepasse des lois du Parlement et il bafoue des droits constitutionnels.
Notre économie ne se développera pas en créant de l’incertitude et des conflits [...] On ne peut pas protéger notre souveraineté en étant antidémocratique.
La semaine dernière, la cheffe nationale Cindy Woodhouse Nepinak nous a exhortés à faire ceci :
Nous savons ce que c’est que d’avoir Trump à la frontière. Ne faisons pas la même chose et n’adoptons pas des politiques à la Trump entre nous.
Notre regretté collègue le sénateur Sinclair a lancé un défi à chacun d’entre nous et à la nation canadienne en posant les quatre questions suivantes : D’où venons-nous? Où allons-nous? Pourquoi sommes-nous ici? Qui sommes-nous?
Le processus législatif et l’approche en matière d’édification nationale qui sont prévus au projet de loi C-5 contribuent à définir les valeurs défendues par le Canada et notre identité.
Les amendements apportés jusqu’à présent au projet de loi C-5 prévoient certaines mesures de sauvegarde positives. Toutefois, comme l’ont reconnu les députés de tous les partis à l’autre endroit, elles ne sont pas suffisantes. Le projet de loi C-5 accorde toujours au gouvernement le pouvoir discrétionnaire illimité de définir, de préapprouver et de désigner des projets d’intérêt national sans évaluer leurs risques au préalable.
Les cinq facteurs que le gouvernement peut utiliser pour déterminer les projets d’intérêt national restent facultatifs plutôt qu’obligatoires. L’article 5.1 proposé, qui oblige les gouvernements à rendre compte de la manière dont les projets répondront à ces facteurs, omet de manière déterminante l’obligation pour le gouvernement de faire rapport sur la manière dont les projets contribueront à la réalisation des objectifs suivants : « la croissance propre » et « l’atteinte des objectifs du Canada en ce qui a trait aux changements climatiques ».
Des amendements protègent désormais certaines lois, comme la Loi sur les Indiens, mais le projet de loi C-5 continue essentiellement de donner au gouvernement « le pouvoir illimité d’exclure ou de modifier » les lois.
La rapidité avec laquelle ce projet de loi a été adopté par le Parlement laisse sans réponse des questions importantes concernant la démocratie et le respect de la loi et des droits légaux.
La cheffe nationale Woodhouse Nepinak a insisté sur ce que cela signifie pour les Premières Nations et, en fin de compte, pour l’ensemble des Canadiens, lorsqu’elle nous a exhortés à prendre notre temps et à faire les choses correctement, à prendre l’été pour discuter, pour travailler sur le projet de loi, pour le renforcer et pour s’attaquer aux parties préjudiciables aux droits des Premières Nations. Elle a été claire en disant ceci :
[...] faire adopter quelque chose à toute vapeur en 7 ou 14 jours n’est pas la façon canadienne de faire les choses. Tout ce que nous vous demandons, c’est de suivre vos propres règles, de respecter vos propres lois et de tenir compte du chemin parcouru. Nous ne devrions pas retourner plusieurs années en arrière et nuire à ces relations très fragiles que nous devons entretenir maintenant. Les gens essaient de travailler là-dessus ensemble. Les Premières Nations font aussi des efforts en ce sens.
Elle a poursuivi : « Ces mesures auront une incidence sur ces gens, sur leurs enfants et sur leurs petits-enfants. »
Les Premières Nations intéressées par les possibilités économiques qu’offre le projet de loi C-5 ont néanmoins été troublées de le voir adopté à toute vapeur, sans véritable consultation.
L’Assemblée des Premières Nations a clairement indiqué qu’une partie du travail significatif et des consultations que le gouvernement fédéral doit entreprendre auprès des détenteurs de droits des Premières Nations doit inclure, à tout le moins, l’intégration dans le projet de loi C-5 du principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qu’exige la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones.
Au comité de l’autre endroit, un amendement en ce sens a malheureusement été rejeté.
Bien que le ministre LeBlanc ait répété, notamment dans sa récente lettre à notre intention, qu’une « consultation complète » aurait lieu, beaucoup de gens sont encore préoccupés par ce que cela signifiera concrètement.
Comme l’Assemblée des Premières Nations l’a souligné en comité plénier, bien que le préambule du projet de loi C-5 fasse référence à la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et au devoir de consulter comme ayant « une valeur interprétative », « ces normes ne sont pas incluses concrètement dans le projet de loi » et « ne semblent pas y être mises en œuvre », tout comme le consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause.
Le conseil consultatif autochtone qui doit être créé est qualifié de réponse aux obligations de consulter du gouvernement, mais « on ne fournit aucune information sur les intentions réelles du gouvernement » ni sur la manière dont il prévoit respecter la norme du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. À juste titre, l’Assemblée des Premières Nations nous avertit qu’en vertu de l’article 19 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, un conseil consultatif composé de personnes nommées par le gouvernement, même si elles sont autochtones, ne peut pas être l’entité auprès de laquelle le gouvernement mène des consultations ou obtient un consentement.
Comme nous l’a rappelé Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, sans l’intégration claire du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause dans le projet de loi C-5, nous risquons de tomber dans le même piège et de n’exprimer que des vœux pieux pour les peuples autochtones. Il a déclaré aux sénateurs que :
Le Canada a toujours eu pour faiblesse de se féliciter d’être un grand défenseur des peuples autochtones, de la primauté du droit et du respect des droits des Autochtones, tout en adoptant des lois et des pratiques très différentes à ces égards. Je pense que ce comportement découle non seulement de l’ignorance, mais aussi d’un choix sans équivoque quant aux gens qui méritent de voir leurs droits respectés et à ceux qui ne le méritent pas, et quant à la manière d’atteindre un objectif qui permet au Canada de se donner bonne conscience tout en continuant à bafouer les droits qu’il prétend défendre.
Compte tenu d’une consultation insuffisante, les peuples autochtones sont naturellement préoccupés par les références vagues à la déclaration des Nations unies dans le projet de loi C-5.
À peine quelques jours après que le discours du Trône eut réaffirmé que :
Tout en mettant de l’avant ses projets d’intérêt national, le Gouvernement restera résolument guidé par le principe du consentement libre, préalable et éclairé.
L’Assemblée des Premières Nations a déclaré que, au moment de déterminer les risques importants pour les droits collectifs des Premières Nations qui découleraient du projet de loi C-5, la Couronne n’a respecté ni ses obligations constitutionnelles et juridiques ni ses responsabilités reconnues à l’échelle internationale pour ce qui est de mener des consultations approfondies en vue d’obtenir le consentement des peuples autochtones.
Les détenteurs de droits des Premières Nations ont plutôt obtenu :
[...] un délai déraisonnablement court — tant avant qu’après le dépôt du projet de loi — et peu de possibilités d’avoir des discussions de fond.
Les peuples autochtones subissent déjà de façon disproportionnée le fardeau de la dégradation environnementale causée par des politiques canadiennes irresponsables. Des consultations insuffisantes à propos du projet de loi C-5 et des projets d’exploitation des ressources naturelles qui en découleront ne feront qu’aggraver cette parodie. Pourquoi 34 Premières Nations ont-elles perdu tout espoir d’avoir leur mot à dire sur le projet de loi C-5? C’est parce que pendant toute la période où nous avons examiné ce projet de loi, elles luttaient contre des incendies de forêt causés par les changements climatiques attribuables à l’activité humaine, qui menacent la vie et l’univers de leurs communautés.
À l’instar des appels à la justice lancés dans le cadre de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, le président de l’ITK, M. Obed, nous a rappelé que parmi « les effets néfastes de l’exploitation des ressources naturelles au sein des communautés autochtones » figure « la violence fondée sur le sexe dans les projets d’exploitation des ressources naturelles ».
Cet aspect du projet de loi C-5 n’a pratiquement pas été abordé.
Comme l’a dit Jody Wilson-Raybould, « il faut dire clairement que cette nouvelle économie ne doit pas se bâtir sur le dos des peuples autochtones dans leurs communautés ni sur les territoires qu’ils protègent depuis des générations ».
Par le passé, il est arrivé trop souvent que le Canada manque à ses responsabilités et laisse aux peuples autochtones la tâche de contester des normes environnementales inadéquates et de protéger l’air, la terre et l’eau dont nous dépendons tous. Tout cela a coûté cher aux peuples autochtones, et ce, de mille et une façons, qui vont des frais judiciaires jusqu’à la criminalisation de personnes qui tentaient de remédier au fait que le Canada ne respectait pas des lois autochtones et le droit à l’autodétermination des Autochtones.
Le projet de loi C-5 oblige les jeunes leaders des communautés autochtones à se préparer une nouvelle fois à contester — et donc à assumer — ce fardeau injuste. Les jeunes Autochtones ont manifesté contre le projet de loi C-5 sur la Colline du Parlement, ce qui a marqué le début de ce que Ramon Kataquapit, conseiller jeunesse auprès des Chefs de l’Ontario et de la nation Nishnawbe Aski et membre de la Première Nation d’Attawapiskat, dans le Nord de l’Ontario, décrit comme « un mouvement » visant à protéger leurs cultures et leurs terres.
Terra Roy, une autre conseillère jeunesse auprès des Chefs de l’Ontario, se souvient que sa mère l’emmenait aux manifestations Idle No More il y a plus de 10 ans et déclare :
C’est frustrant que j’aie fait cela à 11 ans et que je le fasse encore à 23 ans [...] Si je suis fatiguée d’avoir à me battre à nouveau, je ne peux qu’imaginer ce que ressent ma grand-mère.
L’Assemblée des Premières Nations a également souligné que, lorsqu’il s’agit de projets d’édification du pays :
[...] nous voulons parler d’emplois, d’économie et de croissance, mais cela ne sera pas possible tant que nous n’aurons pas comblé le fossé en matière d’infrastructures dans les communautés des Premières Nations.
Elle a également déclaré :
Sans mesures concrètes pour l’accès à l’eau potable, pour les infrastructures de traitement des eaux usées et pour des écoles adéquates, les Premières Nations seront exclues de l’économie canadienne unifiée.
Les investissements proposés par l’Assemblée des Premières Nations concernant l’eau potable, les écoles et d’autres nécessités auraient d’importantes retombées positives sur l’économie canadienne. La correction de ces inégalités et de ces héritages du colonialisme devrait sans aucun doute s’inscrire dans l’édification du pays que vise le projet de loi C-5. La cheffe nationale Woodhouse Nepinak nous a parlé directement de nos devoirs dans le contexte du projet de loi C-5 :
Je pense qu’il incombe à vous tous [...] de faire le gros du travail pendant que vous étudiez le projet de loi dans cette enceinte. En même temps, je pense que nous jouissons d’une excellente occasion de faire les choses différemment au Canada, de travailler ensemble et de nous unir. Invitons tout le monde à la table : le premier ministre, tous les membres du Cabinet, les sénateurs et les membres des Premières Nations.
Elle a poursuivi en disant :
Il y a beaucoup de gens visés par des traités, des gens qui ont des droits inhérents, d’un océan à l’autre, qui veulent venir ici et vous parler. Vous devriez les écouter. Accordez-leur ce respect.
Chers collègues, si le projet de loi C-5 propose d’entreprendre un nouveau chapitre dans l’histoire du Canada, nous pouvons et devons insister pour que cette initiative repose sur des bases solides. Cela signifie qu’il faut défendre les principes d’égalité, de justice et de démocratie; protéger l’air, la terre et l’eau qui nous maintiennent en vie; et respecter la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ainsi que la souveraineté et l’autodétermination inhérentes des Premières Nations, des Métis et des Inuit. En cette période où il est urgent d’agir, on ne doit pas faillir à la tâche. Meegwetch. Merci.
Merci, sénatrice Pate. Les représentants du gouvernement ont indiqué avoir envoyé des lettres à 66 groupes autochtones, mais les chefs ontariens ont déclaré que tout était fait dans la précipitation. Est-il vrai que le gouvernement fédéral a empêché les Premières Nations de l’Ontario de s’exprimer devant le comité?
Il semble que c’est ce qu’on a affirmé, alors je crois que c’est vrai.
Sénatrice Pate, seriez-vous d’accord pour dire que, lorsque vous consultez des groupes, vous n’avez pas besoin de consulter des gens qui sont d’accord avec vous, puisqu’il n’y a alors personne à accommoder? Vous devez vous adresser à ceux qui ne sont pas d’accord, car vous pouvez alors faire des accommodements liés à ce que vous proposez. En convenez-vous?
Eh bien, selon mon expérience, la consultation se fait auprès des personnes qui s’intéressent aux questions que l’on soulève. Parfois, elles sont d’accord avec une mesure proposée, et parfois elles ne le sont pas. Évidemment, l’idée n’est pas de consulter exclusivement les personnes qui sont d’accord avec nous.
Sénatrice Pate, merci. Êtes-vous au courant des initiatives suivantes — qui ne sont qu’un début —, à savoir que le premier ministre organisera des réunions d’une journée entière avec les détenteurs de droits des Premières Nations le 17 juillet, des réunions avec les Inuit à la fin du mois de juillet, et des réunions avec les Métis par la suite? Ces réunions se dérouleront dans les communautés et seront l’occasion d’un dialogue ouvert sur la voie à suivre. Il y a plus de 700 Premières Nations, et plus de 125 détenteurs de droits seront donc inclus. Cette démarche s’ajoutera aux activités de sensibilisation menées au niveau régional. Le gouvernement travaillera également avec le conseil consultatif autochtone qui sera créé dans le cadre d’un bureau de gestion des grands projets, afin d’élaborer des protocoles de consultation qui tiennent compte de ces discussions.
Sénatrice, le projet de loi prévoit des consultations avec les groupes autochtones tant au moment où l’on déterminera si un projet est dans l’intérêt national qu’à celui où l’on fixera les conditions de sa mise en œuvre. Il s’agira d’un processus continu. Le premier ministre a également indiqué clairement qu’il estimait que le Canada était tenu de respecter le principe du consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. Convenez-vous qu’il s’agit là de mesures positives qui vont dans la bonne direction?
Sénatrice Pate, je suis désolé, mais le temps prévu pour le débat est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour répondre à la question?
Si telle est la volonté des sénateurs, oui.
Le consentement est-il accordé, sénateurs?
Oui, je suis tout à fait d’accord pour dire que les engagements pris par le premier ministre constituent un très bon pas dans la bonne direction. Le problème demeure toutefois que de nombreuses Premières Nations s’inquiètent du fait qu’il faille maintenant attendre de voir si ces engagements seront respectés. Le projet de loi sera adopté avant que ces mesures ne soient prises, et c’est ce que je voulais souligner. Ces engagements sont sans aucun doute importants.
Comme je l’ai dit à toutes les personnes qui m’ont contactée par téléphone et par... Pour être claire, je n’ai pas répondu à tous les courriels. Je m’excuse auprès des personnes qui m’ont envoyé un courriel, mais maintenant elles savent ce que j’aurais répondu : ces engagements sont importants. S’ils ne sont pas respectés, cela nous impose à tous une obligation supplémentaire de veiller à ce qu’ils le soient.
Je pense que la lettre du ministre LeBlanc a été utile. Il serait encore plus utile que le premier ministre publie un communiqué similaire.
Honorables sénateurs, le projet de loi C-5 traduit un engagement majeur : relancer l’économie canadienne après des années de sous-investissement.
Notre Chambre de second examen objectif dispose d’une occasion unique de veiller à ce que ce projet de loi crée de la valeur pour toute l’économie.
Je souhaite remercier et féliciter tous les collègues qui ont déjà participé au débat et qui ont permis d’éclairer les enjeux essentiels que soulève ce projet de loi.
Au cours du comité plénier, des préoccupations légitimes ont été soulevées en matière environnementale, de droits ancestraux des peuples autochtones, ou encore sur la portée du concept de « projet d’intérêt national ».
Permettez-moi cependant de soulever un paradoxe troublant : on ne peut prétendre relancer l’économie sans y associer pleinement celles qui en sont le moteur au quotidien : nos PME.
Le projet de loi C-5 ne peut ignorer les PME et nous ne pouvons pas laisser passer cela.
Forte de plus de 30 ans d’expérience en tant qu’entrepreneure, j’ai acquis une compréhension aussi profonde qu’intime du rôle central que jouent les petites et moyennes entreprises, les PME, dans notre économie. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles j’ai choisi de siéger au Sénat. Je veux être la voix des PME et m’assurer qu’elles ont leur place à la table où se prennent les grandes décisions économiques.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les PME représentent 98 % de toutes les entreprises au Canada et 54 % de l’emploi total, en plus de contribuer à près de la moitié de notre PIB.
Pourtant, elles semblent désespérément invisibles dans les appels à projets et les marchés publics gouvernementaux.
D’après les chiffres publiés par Services publics et Approvisionnement Canada, en 2008, la part des contrats fédéraux accordés à des petites et moyennes entreprises était de 38 %, de 32 % en 2022, de 24 % en 2023 et de 20 % en 2024.
Il est à noter que, durant cette période, il se peut que des PME aient été absorbées par de plus grandes entreprises ou rachetées à l’international. Pourtant, le nombre de PME a continué d’augmenter, ce qui rend ces chiffres encore plus alarmants.
Cette chute n’est pas un accident et résulte d’obstacles systémiques identifiés depuis des années.
Plusieurs rapports parlementaires de grande qualité — notamment ceux du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires (OGGO) publiés en 2009 et en 2018 — ont mis en lumière certains obstacles majeurs.
Parmi ces obstacles, le comité de l’autre endroit a notamment soulevé les suivants : premièrement, la complexité excessive des processus d’approvisionnement et le volume important de documents à fournir. Qu’attend-on pour simplifier ces procédures et les adapter aux réalités des PME?
Deuxièmement, l’accès inégal à l’information et la complexité du langage utilisé. Comment se fait-il que les dossiers d’appels d’offres ne soient pas toujours identiques en français et en anglais? De plus, pourquoi le vocabulaire employé est-il si complexe?
Troisièmement, le manque de ressources humaines au sein des PME pour répondre aux appels d’offres. Comment peuvent-elles le faire quand le coût de participation est parfois supérieur à la valeur des contrats visés?
Quatrièmement, la priorité accordée systématiquement au prix le plus bas, au détriment de la qualité ou de l’innovation.
Finalement, les délais de paiement trop longs, qui pèsent lourdement sur la trésorerie de nos PME.
Ces obstacles systémiques touchent toutes les PME, mais leurs effets sont encore plus marqués lorsqu’il s’agit de groupes sous-représentés, comme les entreprises à propriété féminine.
Le gouvernement est clairement au courant du problème. Il a déjà fixé à 15 % le taux cible pour la participation des entreprises détenues par des femmes aux marchés publics. Entre 2023 et 2024, cette cible a été atteinte en ce qui concerne le nombre de marchés, mais aucune donnée n’a été publiée concernant la valeur de ces marchés. Il est essentiel que les entreprises détenues par des femmes ne soient pas confinées à des marchés de faible valeur, en particulier dans les secteurs à forte valeur ajoutée.
Un autre biais systémique qui freine encore, en 2025, le développement des PME détenues par des femmes est l’accès au financement. Les prêteurs posent aux femmes des questions subjectives qu’ils n’oseraient jamais poser à un homme. J’ai moi-même vécu cette expérience, comme bien d’autres.
Alors qu’on interroge un homme sur le potentiel de croissance de son entreprise, on demande à une femme de justifier ce qu’elle a déjà accompli et de détailler ses plans d’expansion. Puis, on lui pose des questions comme : « Comment comptez-vous concilier vie familiale et projet entrepreneurial? » ou encore : « Quelqu’un peut-il se porter garant pour vous? »
On demande fréquemment aux femmes, entrepreneures et de minorités visibles, si elles ont déjà essayé d’obtenir des contrats publics. La plupart répondent que non, pas par manque de volonté ou de compétence, mais parce qu’on ne leur a pas encore donné cette chance. À force d’exclusion, elles finissent par ne plus essayer.
Ces questions n’ont rien à voir avec la capacité et la crédibilité de leur entreprise. Pourtant, les mêmes doutes persistent. Sont-elles vraiment capables de répondre aux exigences des contrats? Peuvent-elles répondre au cahier des charges?
Pense-t-on vraiment qu’une PME investirait du temps et de l’argent pour soumettre une candidature si elle n’en avait pas les capacités? Ce raisonnement est totalement obsolète en 2025.
À tout cela s’ajoutent le manque d’accès aux réseaux d’investisseurs et la sous-représentation des femmes dans les comités de décision. Les données parlent d’elles-mêmes : selon le rapport de 2024 du Portail de connaissances pour les femmes en entrepreneuriat, les entreprises détenues par des femmes ne reçoivent que 4 % des fonds de capital de risque au Canada.
Malgré les efforts considérables déployés pour informer les petites et moyennes entreprises, ou PME, pourquoi les résultats sont-ils encore insuffisants? Nous savons que le Bureau des petites et moyennes entreprises, la Banque de développement du Canada et de nombreux organismes régionaux ont investi massivement dans des séances de formation et des activités d’information. Pourtant, l’accès aux marchés publics demeure un défi de taille pour la plupart des PME.
Si l’information est facilement accessible et largement répandue, il ne s’agit pas d’un problème de communication; c’est le processus d’appel d’offres lui-même qui doit faire l’objet d’une refonte complète.
Voici quelques exemples de leviers concrets susceptibles de déclencher un véritable changement positif.
J’ai choisi de comparer deux plateformes d’achats gouvernementaux. D’un côté, la plateforme américaine GSA Advantage, qui centralise l’information et permet aux agences fédérales d’acheter à partir d’un guichet unique, à la manière d’un catalogue en ligne. De l’autre, la plateforme canadienne AchatsCanada, lancée en 2022, qui se contente de publier des appels d’offres, sans offrir de fonction transactionnelle directe. Le système canadien impose à nos PME beaucoup plus de lourdeurs administratives.
Je propose donc que le gouvernement fédéral exige des grandes entreprises et des sociétés d’État qui obtiennent des contrats publics qu’elles collaborent avec des PME, en fixant des quotas ou un pourcentage minimal de sous-traitance qui leur seraient réservés.
Je propose aussi l’inclusion de clauses comprenant des indicateurs pour mesurer les retombées réelles pour les PME et des incitatifs, fiscaux ou autres, qui pourraient être mis en place afin d’encourager activement ces partenariats.
Le gouvernement peut aussi s’inspirer d’exemples positifs tels que WEConnect ou Aéro Montréal, qui renforcent déjà les réseaux de fournisseurs et soutiennent un approvisionnement bien plus inclusif.
Enfin, pour que ces changements donnent des résultats positifs, les appels d’offres doivent valoriser davantage la qualité et l’innovation, au-delà du seul critère du prix le plus bas. Cette ouverture permettrait aux PME innovantes de mieux se positionner. On éviterait aussi que les contrats ne profitent toujours qu’aux mêmes soumissionnaires.
Honorables collègues, le projet de loi C-5 pourrait être une occasion en or de transformer les marchés publics fédéraux en un véritable moteur de prospérité nationale. Les marchés publics comptent pour 13 à 20 % du PIB du Canada. Les gouvernements ont un puissant levier pour stimuler l’économie nationale de façon à ce que personne ne soit laissé pour compte.
Nous avons besoin d’une nouvelle approche qui tient compte à la fois du rendement économique et de la responsabilité sociale. J’aimerais une économie florissante qui n’exclut personne, qui peut croître sans qu’on oublie les PME, et qui peut prospérer en soutenant ceux qui innovent tous les jours, souvent dans l’ombre.
Il est grand temps de regarder dans les coulisses de notre économie et de reconnaître celles et ceux qui la soutiennent discrètement. Derrière chaque PME, il y a un visage, une histoire, une volonté. Nous avons la responsabilité de leur tendre la main pour bâtir une prospérité qui soit à la fois durable et partagée.
Ce défi nous touche tous. Utilisons le projet de loi C-5 comme un véritable tremplin pour nos PME et nos communautés.
Merci de m’avoir écoutée. Meegwetch.
Honorables sénateurs, après avoir consulté des dirigeants autochtones et des leaders de la société civile — je remercie d’ailleurs l’équipe de mon bureau de son soutien —, je prends la parole aujourd’hui pour exprimer mes inquiétudes par rapport au contenu de ce projet de loi et à l’approche qu’il propose. J’ai l’intention de présenter des amendements en mon nom et en celui de la sénatrice Anderson.
J’aimerais d’abord faire une mise en contexte concernant les amendements qui seront proposés à l’étape de la deuxième lecture. Voici ce qu’on peut lire à l’article 2 de la Déclaration du Sommet de La Haye, qui a été publiée aujourd’hui :
Unis face à des menaces et défis de sécurité majeurs, en particulier face à la menace que la Russie fait peser pour le long terme sur la sécurité euro-atlantique et à la menace persistante que constitue le terrorisme, les Alliés vont, pour 2035, porter à 5 % la part du PIB consacrée chaque année au financement des besoins ayant trait à la défense proprement dite et aux dépenses liées à la défense et à la sécurité au sens large, afin d’honorer les obligations individuelles et collectives qui sont les leurs au titre de l’article 3 du traité de Washington.
Le premier ministre Carney a confirmé plus tôt aujourd’hui que le nouvel objectif de dépenses militaires de l’OTAN obligera le Canada à dépenser 150 milliards de dollars par an pour des postes liés à la défense. Demandez-vous d’où viendront ces milliards de dollars destinés à la militarisation si la prospérité promise ne se concrétise pas aussi rapidement que prévu.
Ici, le lien, c’est l’argent : l’argent pour la militarisation et l’argent pour la justice climatique. Je viens du territoire du Traité no 1, patrie de la nation métisse de la rivière Rouge au Manitoba, une province où quelque 21 000 personnes ont été déplacées en raison d’incendies de forêt. Un nombre disproportionné d’entre elles sont des Autochtones. Je remercie la sénatrice Pate de son analyse approfondie de l’injustice inhérente au projet de loi C-5, et je ne répéterai pas ce qu’elle a dit.
Comme l’a souligné le Globe and Mail ce matin :
Des millions de Canadiens vivent actuellement sous un dôme de chaleur, où la haute pression atmosphérique emprisonne l’air étouffant et transforme les villes en bains de vapeur. Toronto, Montréal et Ottawa viennent de battre des records météorologiques : les températures sont supérieures de 10 degrés Celsius par rapport à la normale pour cette période du mois de juin [...]
J’ai autrefois dirigé le bureau Ville-santé de Toronto. Dans notre rapport de 1991 sur l’état de la ville, nous tirions la sonnette d’alarme sur la qualité de l’air et la hausse des températures. À l’époque, Toronto comptait en moyenne moins de 10 jours par an où les températures quotidiennes dépassaient 30 degrés Celsius. Les scientifiques prévoient aujourd’hui 55 jours avec des températures supérieures à 30 degrés Celsius d’ici 2050.
Alors que le gouvernement américain a pratiquement supprimé toutes les lois sur la protection de l’environnement, le gouvernement canadien, bien sûr, adopte une approche plus subtile avec le projet de loi C-5. Il s’agit tout de même d’un mastodonte législatif qui écrasera les dirigeants autochtones et le reste d’entre nous qui préfèrent et croient encore au respect de la souveraineté autochtone et à des options plus écologiques que l’industrie extractive pour faire tourner l’économie.
Tous les sénateurs ont reçu des lettres de Canadiens inquiets qui nous demandent de faire notre travail, de prouver que nous faisons un véritable second examen objectif du projet de loi C-5 et d’être honnêtes en reconnaissant qu’un second examen objectif ne peut être effectué dans le temps et selon le processus qui nous sont accordés pour examiner ce projet de loi susceptible de changer le pays.
Le projet de loi C-5 repose sur le principe que les Canadiens méritent que l’on investisse dans des projets ambitieux qui servent notre identité unique, notre autonomie et notre sécurité et qui tracent une voie durable vers un avenir sain et juste pour les générations à venir. Honorables collègues, nous avons prêté serment de servir le pays, et notre démocratie est au cœur de celui‑ci. La résilience démocratique est essentielle pour que tous les Canadiens — et pas seulement ceux qui sont déjà riches — puissent connaître la croissance économique, la prospérité et le bien-être.
Le processus dans lequel nous sommes plongés pour faire adopter à la hâte ce projet de loi au Sénat affaiblit notre démocratie, sans oublier que le processus décisionnel secret et sans obligation de rendre des comptes qui subsiste dans ce projet de loi est l’antithèse d’une démocratie qui fonctionne bien.
Le jour même où le premier ministre Mark Carney a prêté serment, j’ai publiquement remis en question son passé corporatiste et son idéologie. Dans les pays où les dirigeants ont misé sur la peur pour opérer des changements radicaux afin de « sauver » le pays, un grand nombre d’hommes riches et d’entreprises puissantes se sont exponentiellement enrichis et les inégalités de revenus ont été exacerbées. Au final, ces changements ont consisté à supprimer des lois et à prendre des décisions irresponsables — malgré l’admiration de nombreux citoyens qui croyaient en un nouveau dirigeant capable de les sauver et malgré le discours du dirigeant sur la confiance nécessaire en temps de crise — qui ont enrichi les riches et rendu très difficile la promesse d’une richesse commune, de l’accès à la prospérité et à la sécurité pour les citoyens moins fortunés.
Dans son livre intitulé La Stratégie du choc, Naomi Klein nomme cette idéologie le « capitalisme du désastre », c’est-à-dire considérer les crises comme offrant des possibilités stimulantes pour les marchés. Le projet de loi C-5 a peut-être une disposition de caducité de cinq ans, mais c’est amplement suffisant pour éroder et éradiquer les services publics dans les domaines de la santé et de l’éducation, affaiblir la protection contre le racisme environnemental et faire disparaître certaines espèces. Par ailleurs, cela laisse amplement de temps pour détruire la confiance et le respect acquis au cours de la dernière décennie auprès des peuples autochtones et de leurs dirigeants, les contraignant à recourir aux tribunaux.
Permettez-moi de citer la lettre de la cheffe Claire Sault, adressée aux sénateurs, que nous avons reçue hier :
La Première Nation des Mississaugas de Credit ne s’oppose pas à la croissance économique ni au développement national. Nous aspirons à notre propre prospérité, mais aussi à celle de nos voisins et partenaires, tant autochtones que non autochtones. Toutefois, nous rejetons toute pratique qui reflète cette tendance colonialiste consistant à exclure les Premières Nations des décisions qui touchent leurs territoires. Pour être véritablement unifiée, l’économie canadienne doit reposer sur le respect mutuel et la prospérité commune.
On nous demande pourtant d’adopter ce projet de loi malgré des consultations préalables réduites à la portion congrue, sans même savoir quel ministre en sera responsable. Nous savons qu’une telle concentration du pouvoir et du processus décisionnel donne des résultats médiocres. D’ailleurs, le projet de loi C-5 vise justement à renforcer notre souveraineté et notre indépendance face au chaos qu’a semé un unique décideur au pouvoir consolidé, au sud de la frontière. Nous ne devons pas ignorer ce précédent et nous devons nous en prémunir.
Je termine par une citation tirée de l’éditorial du Hill Times d’aujourd’hui :
[...] considérant que la confiance dans les gouvernements s’érode dans le monde entier et que des abus de pouvoir demeurent impunis, le recours à un projet de loi omnibus est, à tout le moins, décourageant et contre-productif.
Ne manquez donc pas mes propositions d’amendement à l’étape de la troisième lecture. Merci, meegwetch.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne.
J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux Canadiens qui suivent nos travaux aujourd’hui les conséquences désastreuses des effets négatifs de l’extraction des ressources sur les territoires et sur la vie des Premières Nations, une situation qui se produit sans relâche depuis plus de 60 ans. Pendant de nombreuses années, les Premières Nations ont présenté à divers comités du Sénat et de la Chambre des communes des preuves solides des dommages graves et irréversibles que les projets d’extraction de ressources causent à leurs territoires, à leurs ressources et à leur mode de vie.
Au cours de la dernière législature, les témoignages des Premières Nations et d’autres communautés racisées qui ont vécu ces préjudices de première main ont contribué à l’adoption de la Loi sur la stratégie nationale relative au racisme environnemental et à la justice environnementale, qui a reçu la sanction royale en juin 2024. Les Premières Nations continuent de faire les frais du racisme environnemental, qui se traduit par leur morbidité et leur mortalité prématurées. Cette violence lente au fil des ans s’apparente à un génocide.
Honorables collègues, les correctifs à l’égard des mesures d’assainissement prises par les sociétés d’extraction des ressources n’ont pas été appliqués rigoureusement. La faillite de Sequoia Resources est maintenant réglée, mais le nombre de puits orphelins a doublé pour atteindre 3 200. Le nombre de bassins de résidus provenant de l’extraction du pétrole et du gaz continue d’augmenter, et aucun de ces bassins n’a fait l’objet de mesures d’assainissement.
Dans la baie Burrard, Rueben George, de la nation Tsleil-Waututh, a dit que la collectivité devait prendre de vastes mesures pour atténuer les répercussions des activités d’extraction dans sa région. Après 40 ans de travail, ces gens ont enfin pu pêcher la palourde. Toutefois, pendant que la collectivité prenait des mesures pour éliminer les produits toxiques issus des activités pétrolières et gazières, les sociétés d’extraction continuaient de détruire d’autres parties de son territoire à un rythme qui dépassait celui des mesures d’assainissement.
Non seulement les sociétés d’extraction des ressources naturelles abandonnent leurs responsabilités en matière d’assainissement — elles ne sont par ailleurs pas forcées de se conformer au principe du pollueur-payeur et au principe de précaution de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement —, mais elles ont également reçu des subventions du gouvernement fédéral. En effet, les subventions et le financement directs au secteur pétrolier et gazier se sont élevés à 29,6 milliards de dollars en 2024, et à 18,6 milliards de dollars en 2023.
Au cours des cinq dernières années, le soutien financier à l’industrie a atteint 74,6 milliards de dollars. Qui en profite? Les entreprises étrangères et les riches actionnaires.
Honorables sénateurs, le modèle d’exploitation de ces sociétés du secteur de l’extraction n’est pas compatible avec le droit à une bonne vie — mitho–pimatisiwin — des Premières Nations.
Pour l’industrie, il y a toujours eu une tension fondamentale entre deux mandats concurrents : la pression de contribuer à l’objectif social d’atténuation des effets sur l’environnement, et la nécessité d’obtenir de bons résultats financiers et de remplir des obligations envers les actionnaires, les propriétaires et les provinces au moyen d’activités qui contribuent directement aux changements climatiques. Bien entendu, les intérêts des actionnaires, des propriétaires et des provinces l’ont toujours emporté.
Les faits montrent que les grandes sociétés pétrolières ont fait pression sur les gouvernements pour qu’ils ne réglementent pas les émissions et ont brouillé le débat public sur les preuves scientifiques des changements climatiques anthropiques, tout en continuant à tirer profit de leurs activités polluantes. Ce que nous demandons, ce sont des changements dans le mode de fonctionnement de l’industrie pétrolière, afin que celle-ci s’engage à améliorer la durabilité et la conscience sociale de ses activités. Les fortes émissions de gaz à effet de serre de l’industrie pétrolière lui confèrent un rôle décisif dans la réussite de l’atténuation des changements climatiques.
Honorables sénateurs, la prévention est désormais absolument cruciale. Elle constitue la seule solution pour les Premières Nations à l’heure actuelle, car les tentatives d’atténuation des émissions se sont révélées insuffisantes. D’ailleurs, dans un article publié hier et intitulé « Alberta’s oilsands to hit record production high in 2025 », c’est-à-dire « Les sables bitumineux de l’Alberta atteindront un niveau de production record en 2025 », la CBC souligne la croissance continue non seulement des activités liées aux sables bitumineux, mais aussi des émissions qu’elles produisent.
On ne sait pas avec certitude quels projets seront énumérés à l’annexe 1 du projet de loi, mais on sait que le gouvernement prévoit laisser de côté des parties essentielles des lois conçues pour protéger l’environnement. Il est donc impossible de nier que le projet de loi C-5 aura pour conséquence que les entreprises extractives produiront plus d’émissions toxiques qui affectent négativement l’air, l’eau, la terre ainsi que la qualité de vie des Premières Nations.
Chers collègues, bien qu’un environnement sain soit essentiel à la vie, à la santé et au bien-être des êtres humains, les projets d’extraction de ressources ont toujours eu des conséquences environnementales qui nuisent manifestement aux Premières Nations. En 2022, le droit à un environnement sain a pourtant été reconnu par l’Assemblée générale des Nations unies, 161 pays, dont le Canada, ayant voté en sa faveur.
Le Canada a ensuite reconnu le droit à un environnement sain pour la première fois à l’échelon fédéral en 2023, au moyen de modifications apportées à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement de 1999. Ce droit est également reconnu de différentes façons en Ontario, au Québec, au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut.
Par suite de ces modifications fédérales, le gouvernement doit élaborer, d’ici juin 2025, un cadre de mise en œuvre qui précisera la portée et la réalisation, à l’échelle fédérale, du droit à un environnement sain. Il ne s’agit pas d’une mesure discrétionnaire, mais le premier ministre Carney semble avoir clairement fait part de son intention d’ignorer ou de mettre de côté unilatéralement la responsabilité légale du gouvernement à l’égard du droit à un environnement sain.
Il s’agit là d’une nouvelle menace brandie par le premier ministre Carney dans l’annexe 2 du projet de loi C-5, qui vise à supprimer des mesures de protection essentielles prévues dans diverses lois fédérales qui protègent l’environnement de multiples façons. Il s’agit notamment de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, la seule loi qui traite du droit à un environnement sain au Canada.
J’ai entendu dire que le projet de loi C-5 était pour le bien de tous. Voici une citation de Jakub Bożydar Wiśniewski, membre de l’institut Mises :
« Pour le bien de tous » : le syntagme qui précède toujours le pire des maux.
Nous, membres des Premières Nations, avons été sacrifiés pour le bien de tous pendant toute notre vie.
Chers collègues, je maintiens qu’il n’y a pas lieu d’adopter ce projet de loi, car les industries d’extraction des ressources ont déjà obtenu le pouvoir de continuer à causer des dommages catastrophiques, à polluer et à détruire, en dépit des lois fédérales et provinciales.
Comme nous allons le voir, la notion de compromis entre l’économie et l’environnement est un mythe. Dans son ouvrage intitulé The Right to a Healthy Environment: Revitalizing Canada’s Constitution, l’auteur David R. Boyd affirme :
[...] tout un tas d’études prouvent sans l’ombre d’un doute que le Canada est à la traîne par rapport à d’autres pays en matière de performance environnementale [...] Le très conservateur Conference Board du Canada […] [a déclaré que] les pays scandinaves [la Suède, la Finlande et la Norvège] devancent également le Canada en matière de compétitivité économique et d’innovation, ce qui met à mal le mythe selon lequel forte protection environnementale et prospérité économique ne peuvent aller de pair.
L’auteur poursuit :
Un projet de recherche collaboratif mené par l’Université Yale, l’Université Columbia et le Forum économique mondial a classé 45 pays devant le Canada en matière de performance environnementale. Neuf des pays classés parmi les quinze premiers du Forum économique mondial pour leur performance environnementale figurent également parmi les quinze premiers en matière de compétitivité mondiale, ce qui remet une nouvelle fois en cause l’idée d’une incompatibilité entre économie et environnement.
Lors d’une entrevue de fin d’année en 2006, le premier ministre Harper a reconnu que, « quelle que soit la mesure choisie, la performance du Canada sur le plan de l’environnement est une des pires du monde développé. Nous avons de graves problèmes. »
En 1969, le premier ministre Trudeau a déclaré :
Il est impossible dans notre État fédéral de lutter efficacement contre la pollution de nos rivières et de nos lacs, de notre campagne et de nos forêts, sans apporter à notre constitution certaines modifications ou précisions.
En 1978, l’Association canadienne du droit de l’environnement a conclu que le silence de la Constitution :
[...] a conduit les gouvernements fédéral et provinciaux à se renvoyer la balle et a abouti à une incapacité d’adopter les lois nécessaires, à une application inconstante et arbitraire de la législation existante et à des paradis de la pollution.
En 1984, J.P.S. MacLaren a fait valoir que « le spectre d’une contestation constitutionnelle a empêché Ottawa de mettre en œuvre ou de faire appliquer efficacement les lois environnementales ».
En 1992, la Cour suprême a statué que l’environnement est :
[...] une matière obscure qui ne peut être facilement classée dans le partage actuel des compétences, sans un grand chevauchement et une grande incertitude.
Voici une autre citation :
L’incertitude constitutionnelle entraîne un autre problème majeur : les entreprises contestent souvent les lois environnementales canadiennes — tant les lois provinciales que fédérales — sous prétexte qu’elles dépassent la compétence du gouvernement qui les a adoptées. Par exemple, la Cour suprême du Canada a invalidé une loi du Manitoba qui tenait les pollueurs industriels responsables des rejets de mercure nuisant aux pêches.
Dans les années 1990, Ottawa a été à un cheveu de perdre sa capacité de réglementer la pollution toxique à cause d’une contestation constitutionnelle. L’affaire s’est produite quand Hydro-Québec a été accusée d’avoir déversé des biphényles polychlorés, ou BPC, dans la Saint-Maurice, en violation de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement.
Hydro-Québec s’est défendue contre l’accusation de déversement de BPC en affirmant que la Loi canadienne sur la protection de l’environnement était inconstitutionnelle, et que le gouvernement fédéral n’avait pas le pouvoir nécessaire pour réglementer les substances toxiques. Selon Hydro-Québec, la pollution était une question locale relevant de la compétence exclusive du gouvernement provincial.
Les trois principaux ordres de tribunaux au Québec ayant donné raison au pollueur, l’affaire a finalement été portée devant la Cour suprême. En l’absence d’un mandat constitutionnel clair pour les lois fédérales sur l’environnement, les avocats défendant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement ont fait de leur mieux avec les quelques options médiocres dont ils disposaient : a) le pouvoir en matière de commerce du gouvernement fédéral; b) son pouvoir en matière de droit criminel; et c) le pouvoir du Parlement de légiférer sur les questions d’intérêt national en raison de sa compétence résiduelle relative au vague pouvoir concernant « la paix, l’ordre et le bon gouvernement », qui est prévu dans le paragraphe d’introduction de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Par la plus faible des marges possible — cinq contre quatre —, cinq juges de la Cour suprême ont confirmé la constitutionnalité de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement. Pour ce faire, ils ont toutefois dû faire preuve d’une certaine créativité judiciaire, car ils ont invoqué les pouvoirs du gouvernement fédéral en matière de droit pénal. En effet, à cause de l’absence de protections environnementales dans la Constitution, les tribunaux et Ottawa sont contraints de faire des acrobaties juridictionnelles pour valider...
Sénatrice McCallum, votre temps de parole est écoulé. En demandez-vous davantage?
Oui.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Certains invoquent également le vide constitutionnel du Canada pour retarder, bloquer ou édulcorer les mesures législatives et les règlements proposés en matière d’environnement. La loi fédérale qui régit la protection des espèces en voie de disparition en est un exemple classique.
En 2012, il est en effet devenu évident que le gouvernement conservateur dirigé par le premier ministre Stephen Harper misait sur une interprétation très étroite des compétences constitutionnelles afin de délester le gouvernement fédéral de ses responsabilités en matière de protection de l’environnement au Canada.
Je pose la question suivante à mes collègues : le gouvernement libéral actuel s’engage-t-il sur la même voie? Cherche-t-il à délester le fédéral de ses responsabilités en matière de protection de l’environnement?
Je vous laisse sur cette réflexion pour aujourd’hui et j’ai hâte de poursuivre mes observations lors du débat à l’étape de la lecture demain.
Kinanâskomitinâwâw.
Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole ce soir. Veuillez m’excuser, j’ai l’habitude d’utiliser des documents papier, mais je vais utiliser mon ordinateur ce soir.
J’ai rédigé des observations sur la partie du projet de loi C-5 qui traite de la mobilité de la main-d’œuvre. J’aimerais toutefois aborder ce soir les questions de fond qui méritent d’être examinées, à savoir la partie 2 du projet de loi C-5, qui porte sur l’édification du pays. Le préambule stipule « qu’il est urgent [...] de faire progresser [des projets] dans tout le Canada, y compris dans le Nord ».
Pourquoi a-t-on pris la peine de mentionner le Nord, et qu’est-ce qui constitue le Nord? Il se peut que les rédacteurs juridiques aient été invités à inclure ce passage afin de signaler l’attention que le gouvernement accorde à l’Arctique canadien, ce qui n’est pas non plus défini. Si, comme c’est souvent le cas, l’intention est de faire référence aux trois territoires du Nord, je trouve ce passage profondément troublant.
Les habitants des 10 provinces du Canada et les peuples autochtones du pays sont reconnus dans la Constitution canadienne. Le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut émanent chacun d’une loi du Parlement. Le Parlement peut modifier ces lois. Les trois lois ne figurent pas dans l’annexe et pourraient donc être modifiées par le gouverneur en conseil en vertu de cette mesure législative.
Certains pourraient dire de manière condescendante ou typiquement coloniale : « Ne vous inquiétez pas. »
Certains d’entre nous se souviennent de la réunion des premiers ministres des provinces et des territoires, en 1985, où le premier ministre de l’Ontario s’est montré peu accueillant envers le chef dûment élu du gouvernement du Yukon, Tony Penikett. La première chose que j’aie faite après mon élection en 2000 a été de signer officiellement l’accord sur les revendications territoriales des Ta’an Kwäch’än. La ligne où le Yukon devait signer, sur ce document qui avait été préparé par Ottawa, portait la mention « chef du gouvernement ».
Après mon élection, la première question que les médias m’ont posée a été : « Utiliserez-vous le titre de première ministre? » Ce à quoi j’ai répondu oui. Ottawa a mis beaucoup de temps à modifier son vocabulaire. Mes collègues à la réunion des premiers ministres étaient beaucoup plus généreux; ils ont accepté le terme et l’utilisaient. C’était il y a 25 ans seulement. La Loi sur le Nunavut a été adoptée en 1999.
La reconnaissance des territoires au sein de la famille de la Confédération du Canada n’en est qu’à ses balbutiements. En tant que parlementaires, vous devez penser aux plus jeunes et assumer vos responsabilités avec sérieux. Le monde nous observe, et tous convoitent ce que vous avez.
Veuillez noter que je n’ai pas l’intention de susciter un débat constitutionnel, ni de présenter un amendement à l’annexe du projet de loi. J’ai trop de respect pour les députés provinciaux et fédéraux, ainsi que pour les Premières Nations et les Inuit, pour emprunter cette voie, ce qui prolongerait le débat. Je vous demande de témoigner votre respect aux trois territoires et d’être conscients de la responsabilité qui vous incombe, au Sénat et à l’autre endroit, à l’égard de ces trois lois du Parlement qui définissent leur place au sein de la Confédération.
Il y a une expression selon laquelle ceux qui ne connaissent pas leur histoire sont condamnés à la répéter. Il existe également un vieil adage qui dit que l’on peut et que l’on doit tirer les leçons de notre histoire afin de ne pas répéter les erreurs du passé.
C’est particulièrement évident à l’article 7, qui porte sur la consultation. Comme je l’ai souligné dans mes questions pendant la séance de comité plénier, la consultation menée par le ministre est mal définie, elle n’est pas bien comprise par tous les gouvernements et il n’existe pas de définition commune des personnes qui devraient être consultées.
Permettez-moi de vous parler de l’expérience du Yukon.
En 1942, face à la menace japonaise, notamment après l’attaque des îles Aléoutiennes, au large de l’Alaska, le corps de génie militaire des États-Unis a construit la route de l’Alaska, qui relie Dawson Creek, en Colombie-Britannique, à Fairbanks, en Alaska. La majeure partie de cette route se trouve au Yukon. La contribution du gouvernement canadien a consisté à fournir les droits de passage.
Le ministère des Travaux publics a assumé cette responsabilité, et les États-Unis ont continué de financer l’entretien de cette route qui traverse le Canada en donnant de l’argent au gouvernement du Yukon jusqu’aux années 2000. L’oléoduc CANOL, qui faisait également partie de l’effort de guerre, a été construit pour transporter le pétrole de Norman Wells, dans les Territoires du Nord-Ouest, jusqu’à une raffinerie à Whitehorse. La raffinerie a été fermée, et les véhicules ayant servi à la construction, maintenant rongés par la rouille, ont été abandonnés sur le bord de la route. Le Canada a-t-il contribué à ce projet étatsunien? Pas tellement. Encore une fois, on voulait passer par notre territoire. On a aussi construit un oléoduc de Haines, en Alaska, jusqu’à Fairbanks, en Alaska, en passant par la route de l’Alaska et par Haines Junction, au Yukon.
Honorables sénateurs, vous avez peut-être entendu parler du Tordon 101, une substance toxique que les États-Unis ont utilisée comme défoliant pendant la guerre du Vietnam. Des documents révèlent que les États-Unis ont fait l’épandage de Tordon et d’autres produits défoliants au Canada, au-dessus de l’oléoduc dont je viens de parler. Une revendication particulière fait toujours l’objet de discussions entre les Premières Nations yukonnaises de Champagne et d’Aishihik et le gouvernement du Canada. On me dit que l’information sur ce dossier de revendication en suspens et non résolu se trouvait dans les archives de la division de l’ancien ministère des Affaires indiennes qui était responsable des revendications de l’Ouest.
Ce sont là trois projets étatsuniens réalisés en sol canadien — en grande partie au Yukon — qui ont eu d’importantes répercussions environnementales et sociales et qui, à part l’infrastructure de la route de l’Alaska, n’a offert pratiquement pas de retombées économiques durables pour le Canada ou les Canadiens.
Elijah Smith a consulté toutes les Premières Nations du Yukon pour rédiger son document intitulé Together Today for our Children Tomorrow, qui est par la suite devenu le fondement des revendications territoriales. Les consultations et ce document ont servi de base à l’accord-cadre définitif.
L’accord-cadre définitif comporte un chapitre qui exige que le Yukon procède à une évaluation des activités de développement. La Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon est une loi conçue au Yukon pour répondre aux besoins des Premières Nations et des autres Yukonnais. Elle ne ressemble à aucun autre processus d’évaluation au Canada. La Loi a constitué l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon, un organisme indépendant chargé d’effectuer des évaluations environnementales et socioéconomiques.
Les sept membres qui composent cet office sont nommés par le Canada d’après les candidatures proposées par le Conseil des Premières Nations du Yukon, ainsi que par les gouvernements du Yukon et du Canada. Le travail de l’office est régi par la loi. Comme je l’ai indiqué, cette loi a été signée et élaborée par le gouvernement du Canada, le gouvernement du Yukon et les Premières Nations du Yukon.
L’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon peut recommander qu’un projet soit permis, permis sous réserve de certaines conditions, refusé ou renvoyé pour examen à un niveau d’évaluation plus élevé si nécessaire, y compris un comité d’experts fédéral. Les décideurs sont le gouvernement du Yukon, les Premières Nations du Yukon et le gouvernement du Canada. La participation du public au processus n’est pas seulement souhaitée : elle est encouragée.
Chers collègues, cet office a été créé en 2003. La loi elle-même est entrée en vigueur en 2005. Elle est loin d’être parfaite. C’est un travail en cours, tout comme le Sénat indépendant est un travail en cours. Ce travail prend du temps. Tout le monde n’est pas satisfait du résultat, mais nous y travaillons ensemble.
Je vous parle de ce travail difficile et exigeant pour plusieurs raisons. L’histoire inclut les répercussions historiques, dans une région du Canada, de notre proximité avec nos voisins américains, ainsi que le manque de considération dont le Canada a fait preuve dans le passé envers les Premières Nations et notre incapacité à faire valoir notre souveraineté économique et sociale au Yukon en particulier. Nous devons tirer des leçons de l’histoire du Yukon afin de ne pas répéter les erreurs du passé, notamment dans le cadre du projet de loi C-5. L’histoire nous apprend comment élaborer une mesure législative sur l’évaluation qui fera l’envie des autres. Le Yukon est une région qui montre la voie à suivre grâce à ses Premières Nations.
Il existe également une expression selon laquelle le diable est dans les détails. Les détails se trouveront dans la mise en œuvre du projet de loi C-5. On ne sait pas encore clairement comment le projet de loi fonctionnera avec les lois existantes. D’autres ont fait remarquer qu’un projet jugé d’intérêt national pourrait bénéficier d’un statut privilégié par rapport à une évaluation environnementale. Je vois les choses différemment. Je considère cela comme une occasion pour le Canada de partager, de bâtir notre pays et d’inclure le Nord.
Les investisseurs seront l’élément clé pour tous les projets. Outre le gouvernement, les Premières Nations auront l’occasion d’investir, d’unir leurs forces et de financer, par exemple, la ligne de transport d’électricité dont il est question actuellement. La Colombie-Britannique a enfin reconnu nos besoins dans ce domaine et a convenu qu’il serait peut-être possible de prolonger une ligne de transmission. En tant que Canadiens, nous devons partager les uns avec les autres et nous devons bâtir notre pays. Nous devons le bâtir ensemble, selon moi.
Le projet de loi C-5 est porteur de possibilités non seulement pour le Yukon et les Premières Nations du Yukon, mais pour l’ensemble du Canada. Je suis certes sensible aux observations qui ont été faites, mais j’encourage vivement mes collègues à reconnaître qu’il y a, au pays, des endroits où on collabore, où on fait des progrès et où on crée une société qui s’efforce de bâtir un pays meilleur pour nous tous. Merci.