Projet de loi sur la Journée de l’indépendance de la magistrature
Deuxième lecture--Suite du débat
4 novembre 2025
Honorables sénateurs, le débat sur cette question a été ajourné au nom de la sénatrice Martin, et je demande le consentement du Sénat pour que, à la suite de mon intervention, le reste de son temps de parole sur cette question lui soit réservé.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
Il en est ainsi ordonné.
Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer le projet de loi S-219, Loi instituant la Journée de l’indépendance de la magistrature.
Le 10 juin dernier, le sénateur Moreau a prononcé son premier discours dans cette Chambre afin de nous remercier de l’accueil qu’il avait reçu, nous parler de ses origines, et manifester son désir de travailler en collaboration avec nous toutes et tous. Il a également parlé de son amour de la langue française, du rôle du Sénat et de l’importance de l’indépendance judiciaire. Après tout, sa compagne de vie est une juge très respectée.
Il déclarait alors ce qui suit, en fin observateur :
La séparation des pouvoirs est le principe fondateur de cette indépendance, en ce qu’elle garantit le traitement impartial des citoyennes et des citoyens devant les tribunaux et face à l’État. Comme la primauté du droit, l’indépendance judiciaire est garante de la dignité humaine et du respect des droits de la personne. Elle permet aux juges de résister à toute ingérence extérieure.
Cependant, sous le coup de la peur, du populisme exacerbé, de la déshumanisation ou à cause d’individus avides de pouvoir absolu, la démocratie recule.
Malheureusement, il n’est pas nécessaire d’aller très loin pour constater ce phénomène; il suffit de regarder au sud de la frontière. Là-bas, au cours des derniers mois, des membres de l’administration états-unienne ont qualifié des juges fédéraux de district de partout aux États-Unis de « gauchistes », de « libéraux », d’« activistes », de « radicaux », de « voyous », les disant « politisés », « dérangés », « scandaleux, trop zélés [et] anticonstitutionnels », « malhonnêtes » et d’autres qualificatifs encore pires que je ne citerai pas.
De plus, dans le but d’intimider des membres de la magistrature américaine, l’administration a engagé des poursuites abusives contre des juges fédéraux et d’État en exercice. Permettez-moi de vous donner un exemple. En mai dernier, le juge en chef George L. Russell III, de la cour fédérale de district du Maryland, a rendu deux ordonnances interdisant aux agents fédéraux de l’immigration, pendant deux jours ouvrables, d’expulser tout détenu étranger ayant déposé un bref d’habeas corpus auprès de son tribunal.
« Habeas corpus » est une expression latine qui signifie littéralement « que tu aies ton corps pour le présenter [devant le juge] ». Il s’agit de l’un des droits les plus fondamentaux dans les pays de common law, qui oblige les autorités à présenter un détenu devant un juge afin de déterminer si sa détention est légale.
Le juge en chef Russell craignait que, sans ces ordonnances, bon nombre des requérants soient transférés vers des centres de détention situés en dehors de l’État du Maryland, peut-être en Floride, voire expulsés des États-Unis avant qu’un juge ait eu l’occasion d’examiner leurs allégations de détention illégale.
Au lieu de faire appel de ces ordonnances, le département de la Sécurité intérieure a intenté une poursuite civile contre le juge en chef et les 15 autres juges du district afin d’obtenir une déclaration selon laquelle les ordonnances constituaient une atteinte directe à l’autorité absolue du département en ce qui concerne le contrôle des questions d’immigration et l’application des lois sur l’immigration. Il a demandé une injonction visant à invalider les ordonnances et à envoyer un message aux juges.
Le 26 août, un juge fédéral d’un autre district a rejeté la plainte en invoquant l’immunité judiciaire, un élément indispensable à l’indépendance judiciaire. Dans sa conclusion, le juge a cité un juge d’appel et écrit :
C’est peut-être trop espérer que de voir les pouvoirs exécutif et judiciaire se respecter mutuellement en ces temps si tendus et polarisés, mais cela reste la seule façon dont notre système de gouvernance constitutionnelle peut espérer fonctionner.
Malheureusement, au Canada, nous avons récemment été témoins d’une série d’attaques contre le pouvoir judiciaire. Au mieux, cela reflète une incompréhension du rôle du pouvoir judiciaire. Au pire, il s’agit d’une tentative alarmante visant à attiser le ressentiment et le mépris à l’égard de notre système constitutionnel de gouvernance.
Dans un tel contexte, le projet de loi S-219, bien que court et simple, offre une occasion bienvenue de réfléchir à la signification de l’indépendance judiciaire et de souligner son importance pour tous les Canadiens.
En termes simples, un juge indépendant est un juge qui est libre de statuer sur une affaire en se fondant uniquement sur les faits et le droit, et qui est donc libre de toute influence de la part du gouvernement, des médias, des groupes organisés ou de toute autre partie externe.
Comme l’a dit le sénateur Moreau, l’indépendance judiciaire « [...] permet aux juges de résister à toute ingérence extérieure. »
Chers collègues, il s’agit là d’un point important : l’indépendance judiciaire existe pour le bien de tous les Canadiens, et non pour celui des juges eux-mêmes. Elle sert des objectifs sociaux importants, résumés comme suit par la Cour suprême :
Un de ces objectifs est le maintien de la confiance du public dans l’impartialité de la magistrature, élément essentiel à l’efficacité du système judiciaire. L’indépendance de la magistrature permet de renforcer la perception que justice est rendue dans les litiges dont sont saisis les tribunaux. Un autre objectif sociétal que sert l’indépendance de la magistrature est le maintien de la primauté du droit, dont un des aspects est le principe constitutionnel suivant lequel l’exercice de tout pouvoir public doit en bout de ligne tirer sa source d’une règle de droit.
Le sénateur Moreau a traité de ce point dans ces termes en juin dernier :
La séparation des pouvoirs est le principe fondateur de cette indépendance, en ce qu’elle garantit le traitement impartial des citoyennes et des citoyens devant les tribunaux et face à l’État. Comme la primauté du droit, l’indépendance judiciaire est garante de la dignité humaine et du respect des droits de la personne. Elle permet aux juges de résister à toute ingérence extérieure.
En 1986, dans l’arrêt Beauregard, le juge en chef Dickson expliquait que les tribunaux ne font pas que décider des litiges, mais agissent aussi comme :
[...] protecteur de la constitution et des valeurs fondamentales qui y sont enchâssées—la primauté du droit, la justice fondamentale, l’égalité, la préservation du processus démocratique, pour n’en nommer peut-être que les plus importantes. En d’autres termes, l’indépendance judiciaire est essentielle au règlement juste et équitable des litiges dans les affaires individuelles. Il constitue également l’élément vital du caractère constitutionnel des sociétés démocratiques.
Dans la pratique, l’indépendance judiciaire comporte deux dimensions.
Sur le plan individuel, les juges doivent jouir d’une indépendance adjudicative, c’est-à-dire de la capacité de statuer sur une affaire en se fondant uniquement sur les preuves et le droit, sans crainte ni favoritisme.
Sur le plan institutionnel, les tribunaux doivent jouir d’une indépendance vis-à-vis des organes exécutif et législatif du gouvernement en ce qui concerne les questions administratives, ce qui a une incidence directe sur leur fonction judiciaire.
Comme l’a écrit l’ancienne juge en chef McLachlin en 1989 :
[...] pour jouer le bon rôle constitutionnel, le pouvoir judiciaire doit être complètement séparé, sur le plan des pouvoirs et des fonctions, des autres organes du gouvernement.
En fait, notre ordre constitutionnel repose sur cette séparation des pouvoirs.
L’indépendance judiciaire trouve ses origines historiques dans les traditions que nous avons héritées du Royaume-Uni et dans l’Acte d’établissement de 1701.
En 1997, le juge Lamer, alors juge en chef de la Cour suprême, a écrit ceci :
L’indépendance de la magistrature est une norme non écrite, reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. En fait, c’est dans le préambule, qui constitue le portail de l’édifice constitutionnel, que se trouve la véritable source de notre engagement envers ce principe fondamental.
Puisque la Cour suprême a reconnu que l’indépendance de la magistrature est surtout un principe constitutionnel non écrit au Canada, il serait peut-être préférable de l’inscrire dans notre calendrier, comme le propose le projet de loi S-219.
L’importance de l’indépendance de la magistrature est reconnue depuis longtemps en droit international. Par exemple, l’article 10 de la Déclaration universelle des droits de l’homme indique que « [t]oute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial [...] » lorsqu’elle fait l’objet d’accusations criminelles. Son importance est également reconnue à l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, adopté par les Nations Unies en 1966, qui indique ceci : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi [...] »
Désigner le 11 janvier comme Journée de l’indépendance de la magistrature montrera à la population et à la communauté internationale que le Canada accorde une grande importance à l’indépendance de la magistrature. Pourquoi cette date en particulier? Non, chers collègues, ce n’est pas pour tenter de rivaliser avec la Journée sir John A. Macdonald, qui rend hommage à un avocat et à l’un des rédacteurs de la Constitution fédérale, qui repose sur divers principes, dont l’indépendance de la magistrature.
Comme l’indique le préambule du projet de loi S-219, cette date est proposée pour commémorer ce qui suit :
que, le 11 janvier 2020, des dizaines de milliers de personnes, y compris des centaines de juges provenant de vingt-deux pays d’Europe, ont pris part à la « Marche des mille robes » à Varsovie afin de manifester leur opposition aux atteintes à l’indépendance de la magistrature en Pologne;
On pourrait même parler de milliers de juges. Nous savons d’ailleurs que la Pologne éprouve encore des problèmes sur ces questions à l’heure actuelle.
Comme l’a indiqué le sénateur Moreau, cette manifestation a eu lieu après que le Parlement polonais a cherché à abroger le principe de la sécurité d’emploi des juges. Autrement dit, on pouvait congédier les juges dont on n’aimait pas les jugements. La manifestation a été déclenchée par cette loi dite « loi muselière », qui interdisait aux juges d’examiner la composition des tribunaux sous peine de révocation.
Ce mouvement peut rappeler à certains d’entre nous les événements de 2007 qui ont eu lieu au Pakistan lorsque le président Pervez Musharraf a suspendu le juge en chef Iftikhar Chaudhry par crainte que ce dernier ne remette en question les efforts du premier pour se maintenir au pouvoir. Des manifestations généralisées d’avocats vêtus de robes, de partis de l’opposition et de citoyens ont finalement mené à la réintégration du juge en chef par le président. Des événements comme celui-ci montrent que les citoyens se soucient de l’indépendance judiciaire.
À la suite des événements en Pologne, l’Union internationale des magistrats, qui a le statut d’observateur aux Nations unies, a officiellement demandé aux Nations unies de commémorer la « Marche des mille robes ». Le projet de loi S-219 permettra d’atteindre cet objectif au Canada.
En conclusion, nous devons à la fois protéger et célébrer l’indépendance judiciaire. J’espère que vous vous joindrez à moi pour appuyer l’adoption du projet de loi S-219 à l’étape de la deuxième lecture au cours des prochaines semaines afin de le renvoyer au comité avant la fin de l’année.
Merci. Meegwetch.
Le sénateur Dalphond accepterait-il de répondre à une question?
Avec plaisir.
La semaine dernière, j’ai remarqué que vous avez fait quelques déclarations dans les médias au sujet de la proposition d’augmentations substantielles pour les juges nommés par le gouvernement fédéral au Canada. La plupart des juges nommés par le gouvernement fédéral gagnent actuellement environ 400 000 $ par année. Cette proposition entraînerait une augmentation d’environ 28 000 $ en plus des augmentations annuelles régulières, et le gouvernement a répondu à cette...
Je suis désolé, sénatrice Batters. Sénateur Dalphond, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps?
Avec plaisir, pour répondre à la question de la sénatrice Batters.
Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?
C’est ce qui leur est versé à l’heure actuelle.
Jusqu’à présent, le gouvernement a répondu qu’il estime que les salaires des juges nommés par le gouvernement fédéral sont adéquats et que cette augmentation supplémentaire n’est pas nécessaire pour attirer des candidats de qualité. Compte tenu de vos fonctions passées, un média d’information vous a demandé votre avis à ce sujet. Il ne vous cite pas directement dans cet article, mais il indique ce qui suit à propos de vous :
[...] il n’est pas particulièrement convaincu par les arguments du gouvernement. Il a déclaré que suivre les recommandations de la commission coûterait entre 30 et 40 millions de dollars par an, tout en soulignant que le gouvernement avait augmenté les dépenses militaires d’environ 9 milliards de dollars cette année, ce qui inclut des augmentations significatives pour les militaires.
Ce dont il est question ici, ce sont nos anciens combattants et nos militaires en service.
Pourquoi êtes-vous de cet avis? Considérez-vous qu’il y a un lien à faire avec l’indépendance de la magistrature, et, dans l’affirmative, que pensez-vous de la réponse du gouvernement?
Je vous remercie de cette excellente question.
L’indépendance de la magistrature est garantie de plusieurs façons. L’une d’elles est l’inamovibilité, qui signifie qu’une fois nommé, un juge ne peut être démis de ses fonctions que s’il fait l’objet d’une procédure de destitution par le Parlement; les deux Chambres doivent adopter une motion à cet effet. Ce principe est protégé par l’article 99 de la Loi constitutionnelle. Il a été conçu pour offrir une protection totale.
L’indépendance de la magistrature est également garantie au moyen de la disposition de la Constitution qui prévoit que les juges ont droit à un salaire déterminé par un vote des deux Chambres du Parlement, ce qui leur donne l’assurance qu’ils seront rémunérés. La Cour suprême a interprété cette règle comme signifiant que le salaire doit être suffisant pour attirer des personnes compétentes — c’est ce que dit la loi — et également pour qu’elles se consacrent à leur travail et qu’elles l’exercent de manière indépendante.
Selon la Cour suprême, pour garantir cette indépendance, les juges ne peuvent négocier avec le gouvernement, car étant donné qu’ils sont appelés à prendre des décisions dans de nombreuses affaires impliquant le gouvernement, cela créerait une situation délicate, en ce sens que la décision du gouvernement de leur accorder ou non une hausse salariale risquerait d’influencer les décisions des juges. Par conséquent, la Cour suprême a dit qu’il fallait établir un mécanisme indépendant où les juges et le gouvernement pourraient présenter leurs arguments devant un groupe impartial, qui produirait ensuite un rapport présentant ses recommandations.
Ce processus a été suivi et, en juillet, la commission indépendante a recommandé que le gouvernement augmente de 28 000 $ le salaire des juges, et en a exposé la justification. Les juges demandaient 60 000 $, et la commission est parvenue à cette recommandation.
On a également tenu compte de l’indexation du salaire, chaque année, sur la moyenne du secteur économique.
Cela dit, la prochaine étape était la réponse du gouvernement à ce rapport, laquelle a été rendue publique lundi. Le gouvernement a rejeté la recommandation de la commission. Il appartient maintenant aux juges de décider s’ils acceptent cette réponse ou s’ils en contestent la constitutionnalité devant un tribunal.
Je ne sais pas ce que fera l’actuelle présidence de l’association ni ce que fera le conseil d’administration, mais c’est à eux de décider s’ils veulent contester cette décision ou l’accepter, compte tenu des difficultés que traverse le pays.
Pour revenir à ce point, que pensez-vous de la réponse du gouvernement, qui estime que ce montant est adéquat et qu’il n’est pas nécessaire de l’augmenter davantage? Pensez-vous que la réponse du gouvernement respecte suffisamment le principe de l’indépendance judiciaire?
La Cour suprême a dit que les salaires des juges pouvaient être touchés par des mesures applicables à l’ensemble de la fonction publique, mais que les tribunaux verraient d’un mauvais œil que des mesures visent uniquement les juges, et non le reste de la fonction publique, et considéreraient alors que les juges ne sont pas traités correctement. Ce serait vu comme une atteinte à l’indépendance judiciaire et aux garanties qui l’accompagnent.
Donc, la décision d’accorder une augmentation de salaire substantielle aux membres des Forces armées canadiennes et de ne pas accorder une augmentation minimale aux juges nécessite une explication. Nous verrons de quoi il retourne pour la fonction publique. Dans quelques minutes, nous connaîtrons le point de vue du gouvernement sur l’avenir de la fonction publique et sur…
Sénateur Dalphond, votre temps de parole est écoulé. Demandez-vous plus de temps pour compléter votre réponse à la sénatrice Batters? Je sais que la sénatrice McPhedran a également des questions à vous poser. Demandez-vous plus de temps pour répondre aux sénatrices Batters et McPhedran?
C’est un sujet que je connais bien et je serais heureux d’en parler. Si mes collègues sont prêts à m’entendre plus longtemps, j’accepterai avec plaisir de le faire.
Le consentement est-il accordé?
Je vais donc compléter ma réponse à la sénatrice Batters.
Cette justification du gouvernement est une justification —
... et il semble laisser à désirer, mais la réponse contient d’autres justifications. La réponse du gouvernement comporte de nombreux aspects. Quand on tient compte de tous ces éléments, certaines décisions devront être prises. Je ne suis pas celui qui devra décider au nom des juges. Je ne suis plus juge, mais je dirais que la réponse à votre question n’est pas toute noire ou toute blanche.
Elle est pleine de nuances. Certaines parties de la réponse reprennent les arguments qui ont été présentés devant la commission, ce qui n’est pas une bonne chose. Il faut dire que la commission a pris en considération l’incertitude de la situation concernant les États-Unis, puis qu’elle a fait cette proposition.
Selon moi, les autres arguments avancés par le gouvernement dans le rapport sont rationnels. Pour déterminer si la réponse est constitutionnelle, la Cour suprême devra simplement se fonder sur le critère de la rationalité. Peut-être que la réponse respecte ce critère, et peut-être qu’elle ne le respecte pas. J’en resterai là. Si quelqu’un souhaite m’embaucher, je serais ravi de donner un coup de main. Je plaisante.
C’est une question qui demande que l’on fasse preuve de nuance, alors je ne peux pas vous donner une réponse simple, car elle nécessite davantage de réflexion.
Merci beaucoup, Votre Honneur. Je vous suis très reconnaissante de me donner l’occasion de prendre la parole.
Sénateur Dalphond, j’ai une question qui découle d’une expérience que j’ai vécue il y a quelques mois. Je faisais partie d’une délégation internationale de parlementaires et nous nous trouvions dans les couloirs du Congrès et du Sénat à Washington. J’ai été vraiment choquée de voir, à l’extérieur du bureau d’un sénateur républicain au Congrès, une affiche plus grande que moi et très large sur laquelle figuraient des photos de juges accompagnées d’insultes qui n’avaient rien de respectueux et d’appels à leur destitution.
Je me suis interrogée sur le privilège parlementaire dans ce contexte. Je sais que ce n’est pas l’objet du projet de loi, mais nous voyons quelques signes de certains parlementaires qui affichent clairement leur mépris — qui va au-delà du simple manque de respect — envers les grandes institutions qui soutiennent notre démocratie au Canada. Que pensez-vous du privilège parlementaire en ce qui concerne les juges et les attaques dont ils font l’objet de la part des parlementaires?
Je n’ai pas vu ces affiches, mais je suppose qu’on y voit la liste des suspects habituels. Donc après les listes de policiers, il y a maintenant une liste de parlementaires.
C’est très regrettable, mais, comme vous le savez, aux États-Unis, un juge nommé par le gouvernement fédéral peut être destitué selon les mêmes procédures que celles utilisées pour destituer un président. Au fil des ans, certains juges ont été destitués. Cette situation n’arrive pas très souvent, mais elle arrive.
Chose certaine, lorsque je regarde au sud de la frontière, je prie pour que les dirigeants de notre pays ne suivent pas cette voie et qu’ils respectent ce qui a fait du Canada un pays pacifique et respectueux, où la primauté du droit est respectée, ce qui suppose l’indépendance de la magistrature et le respect du travail des juges. Si nos dirigeants ne sont pas satisfaits de certains jugements, le Règlement prévoit qu’ils peuvent modifier la loi.
Il s’est dit des choses à propos du jugement rendu la semaine dernière par la Cour suprême sur la pornographie et de son soutien à la pornographie. Il faut lire le jugement : on comprend alors que ce n’est pas ce qu’il dit. Il ne s’agit pas d’un problème que le Parlement ne peut pas corriger. Quand on découvre des situations qui ne correspondent pas à la Charte des droits, c’est au gouvernement d’apporter des correctifs. Il n’a même pas besoin d’utiliser la disposition de dérogation pour le faire. Bref, j’invite les gens à lire le jugement avant de le commenter, à s’informer sur sa signification et à s’informer aussi sur la signification du respect envers ce qui est parfois le dernier rempart de la démocratie, c’est‑à‑dire les tribunaux.