Le Sénat
Motion tendant à exhorter le gouvernement à désigner la deuxième semaine de mai de chaque année comme la Semaine d'appréciation du jury--Ajournement du débat
3 mai 2022
Conformément au préavis donné le 24 novembre 2021, propose :
Que le Sénat reconnaisse que, chaque année, des milliers de Canadiens sont appelés à exercer la fonction de juré et contribuent au système de justice canadien;
Que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à désigner la deuxième semaine de mai de chaque année comme la Semaine d’appréciation du jury au Canada, afin d’encourager les Canadiens qui fournissent ce service public et de souligner leur devoir civique.
— Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 9, dans laquelle je propose, d’une part, que le Sénat reconnaisse la contribution au système de justice de milliers de Canadiens qui sont appelés, chaque année, à exercer la fonction de juré et, d’autre part, que le Sénat exhorte le gouvernement du Canada à désigner la deuxième semaine du mois de mai de chaque année comme la Semaine d’appréciation du jury au Canada, que l’on appelle en anglais Jury Appreciation Week.
La semaine proposée dans la motion, soit la deuxième semaine du mois de mai, coïncide avec la reconnaissance d’une telle semaine dans d’autres juridictions, notamment en Californie. La semaine est aussi reconnue par l’American Bar Association. Cette année, la semaine aura lieu, de manière officieuse, du 8 au 14 mai. La Commission canadienne des jurys fera une campagne dans les médias sociaux en collaboration avec des personnalités connues, afin de remercier les jurés et anciens jurés.
Chers collègues, vous conviendrez que les enjeux qui touchent la fonction de juré méritent notre attention et celle des Canadiens, et ce, au moins une fois par année. Je pense notamment à la reconnaissance de la contribution des jurés et anciens jurés au système de justice, à la santé mentale et au bien-être des jurés et anciens jurés, à l’accès à la justice et aux enjeux de représentation et de diversité au sein des jurys.
La cause des jurés et de leur bien-être a très humblement progressé au cours des dernières années. Permettez-moi de faire le point et de vous faire part de certains événements notables, qui sont des vecteurs de progrès pour la cause.
Mark Farrant a été juré dans un procès pour meurtre au premier degré en 2014. Il a contribué à attirer l’attention sur le besoin d’offrir plus de soutien aux jurés au Canada. À partir de son expérience, il a identifié les lacunes dans les mesures d’aide offertes aux jurés et il a découvert qu’il n’était pas le seul dans sa situation. Mark a reçu un diagnostic de trouble de stress post-traumatique après un procès et il a eu de la difficulté à obtenir du soutien en Ontario, où il habitait. En 2016, ses démarches pour faire valoir ses droits ont contribué à ce que le gouvernement de l’Ontario mette sur pied un programme de counseling gratuit pour les anciens jurés.
En 2017, afin de réaliser des progrès à l’échelle nationale, Mark a porté sa cause à l’attention des parlementaires et des représentants du gouvernement avec un document connu sous le nom des « 12 lettres de colère ». Dans ces lettres, 12 anciens jurés rapportent leur souffrance et leurs luttes pour obtenir de l’aide afin de gérer les symptômes découlant du traumatisme causé par leur expérience de jurés.
Cette initiative a tracé le chemin à la tenue d’une étude portant sur le soutien offert aux jurés, qui a été menée par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes, et au dépôt du rapport intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada en mai 2018. La quatrième recommandation de ce rapport a été transformée en projet de loi, et le projet de loi C-417 a été déposé à la Chambre des communes le 29 octobre 2018. Après un parcours tumultueux, j’ai espoir que ce projet de loi, qui est maintenant inscrit sous le numéro S-206, sera adopté à la Chambre des communes au cours des prochaines semaines. Je remercie son parrain au Sénat, le sénateur Boisvenu, dont le travail a permis d’assurer l’adoption accélérée de ce projet de loi au Sénat lors de la présente session.
Comme vous le savez, ce projet de loi modifie l’article 649 du Code criminel afin d’autoriser les jurés à discuter des délibérations avec des professionnels de la santé mentale après le procès. Pendant ce temps, en 2019, Mark Farrant a mis sur pied la Commission canadienne des jurys. Il s’agit du premier organisme à but non lucratif qui a pour mandat de représenter les intérêts des jurés exclusivement. Parmi les initiatives mises de l’avant par cet organisme, j’aimerais souligner la mise sur pied d’un projet pilote de soutien aux jurés en Colombie-Britannique, qui s’appelle Soutien des jurés par les pairs et formation en secourisme et bien-être en santé mentale pour les shérifs et les constables de la cour. Ce projet soutient et encourage les Canadiens à exercer les fonctions de juré en offrant un appui pendant et après le procès et en faisant la promotion de l’importance de la santé mentale au sein du système judiciaire.
L’organisme a également mené une étude d’opinion nationale, en juin 2020, qui a révélé que seulement 18 % des Canadiens se disent prêts à exercer la fonction de juré. Pour les anciens jurés, l’étude d’opinion a révélé que plusieurs souffrent de séquelles bien après le procès. D’anciens jurés ont rapporté avoir été traumatisés à nouveau en prenant connaissance de la couverture médiatique de cas semblables. D’autres ont rapporté avoir vécu des traumatismes lors d’audiences de libération conditionnelle dans leur propre affaire.
D’un autre côté, le rapport du Comité de la justice des Communes nous indique qu’en général, servir comme juré peut être une expérience gratifiante et générer le sentiment que l’on contribue à notre communauté. Ces aspects de l’expérience des jurés doivent également être promus et le gouvernement fédéral doit encourager et soutenir les Canadiens, dans toute leur diversité, à accomplir ce devoir civique.
La désignation par le gouvernement de la Semaine d’appréciation du jury nous permettrait de continuer de faire avancer cette cause et de promouvoir la mise en œuvre de toutes les recommandations du rapport intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada, et ce, partout au pays. Comme porte-parole du projet de loi S-206 au Sénat, j’ai, bien évidemment, parlé abondamment dans cette Chambre de la quatrième recommandation du rapport. Je me permets aujourd’hui de vous parler des 10 autres recommandations.
Comme je l’ai mentionné, en mai 2018, le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a présenté un rapport intitulé Mieux soutenir les jurés au Canada. Étant donné que l’aide aux jurés relève principalement des provinces et des territoires, qui sont responsables de l’administration de la justice, la plupart des recommandations contenues dans le rapport indiquent que le ministre de la Justice devrait encourager les provinces et les territoires à mettre en œuvre les recommandations.
J’aimerais donner un aperçu de certaines de ces recommandations. Premièrement, les provinces et les territoires devraient préparer une trousse d’information sur la fonction de juré à l’intention des jurés potentiels et sélectionnés. Cette trousse devrait contenir des renseignements sur les rôles et les responsabilités des jurés, l’indemnisation versée aux jurés, les concepts et les mécanismes juridiques du procès ou de l’enquête, le processus de délibérations et des outils pour les aider à gérer les conflits interpersonnels.
La trousse devrait être disponible dans les deux langues officielles et, au besoin, en langues autochtones ou en d’autres langues.
La deuxième recommandation dit que les provinces et les territoires devraient mettre en œuvre une politique permettant de s’assurer que les jurés ont accès à une séance de débreffage après le procès.
Ayant été juré, je peux confirmer sans l’ombre d’un doute qu’avoir accès à des séances de débreffage m’aurait été d’une aide précieuse. Il s’agirait d’offrir des séances de débreffage pour que les jurés puissent exprimer et mieux comprendre leurs émotions et en faire part à d’autres personnes qui ont vécu des expériences similaires. Ce processus collectif pourrait aider les jurés libérés de leurs fonctions à reprendre plus facilement une vie normale.
La troisième recommandation, qui porte sur l’aide psychologique, dit que les provinces et les territoires devraient offrir des programmes de soutien psychologique et de consultation à tous les jurés après le procès. Certaines provinces offrent un programme de consultation aux personnes qui ont été jurés. J’y ai fait allusion plus tôt dans mon discours.
Depuis 2016, dans le cadre du Programme de soutien aux jurés, l’Ontario offre aux jurés des services de consultation professionnels gratuits et confidentiels. Les anciens jurés peuvent parler à un conseiller d’expérience compétent, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7. La Saskatchewan offre un programme semblable, le Programme d’aide et de soutien aux jurés. J’invite les anciens jurés à s’informer sur les différentes ressources offertes dans la province ou le territoire où ils vivent.
La cinquième recommandation concerne l’indemnisation quotidienne. Les jurés reçoivent une indemnisation quotidienne d’au moins 120 $ pour leurs services, pour la durée des procédures judiciaires. Il faudrait ajuster cette indemnisation pour qu’elle tienne compte de l’augmentation du coût de la vie.
L’indemnisation des jurés varie d’un endroit à l’autre au Canada, mais, dans la plupart des cas, elle est moindre que le salaire minimum de la province ou du territoire. Cela nuit à la représentativité des jurys au Canada, car certaines personnes ne peuvent tout simplement pas se permettre de faire partie d’un jury.
Dans la même veine — et cela revêt également une grande importance pour assurer une meilleure diversité parmi nos jurés —, la sixième recommandation du rapport prévoit que les provinces et les territoires devraient offrir aux jurés une compensation, afin de couvrir les coûts associés à la fonction de juré, comme les frais de garde d’enfants, les déplacements, les stationnements et les repas.
La septième recommandation est liée à l’optimisation de l’environnement dans lequel travaillent les jurés. Les provinces et les territoires devraient s’efforcer d’offrir un environnement qui réduit les interactions informelles entre les jurés et les autres parties aux procédures à l’extérieur des salles d’audience, et ce, afin de réduire les risques d’intimidation et les situations inconfortables.
Certaines de ces interactions peuvent représenter une source importante de stress pour les jurés et peuvent contribuer à des problèmes de santé mentale qu’ils vivent pendant et après un procès.
Le pouvoir discrétionnaire de certains acteurs du système judiciaire n’est pas à négliger dans la recherche de solutions. La huitième recommandation mise sur l’offre d’un soutien financier du gouvernement fédéral à l’Institut national de la magistrature pour créer une formation conçue pour sensibiliser le milieu judiciaire aux besoins des jurés en matière de santé mentale. En ayant une formation adéquate, les juges, les coroners et les fonctionnaires judiciaires qui interagissent avec les jurés pourraient mieux parvenir à déceler le stress chez certains jurés et à offrir des conseils et du soutien, le cas échéant.
Dans la même veine, la neuvième recommandation concerne l’importance d’accroître la sensibilisation. Les provinces et les territoires devraient appuyer la création de programmes de formation visant à sensibiliser les juges, les coroners et les fonctionnaires judiciaires qui interagissent avec les jurés aux répercussions potentielles des procédures juridiques sur la santé mentale des jurés.
Comme je l’ai mentionné au début de mon discours, le projet pilote en Colombie-Britannique est une tentative de mettre en œuvre cette recommandation dans au moins une province. Le gouvernement fédéral pourrait faire preuve de leadership à l’échelle nationale et faire appliquer ce projet dans toutes les provinces et tous les territoires.
La dixième recommandation concerne un financement fédéral ponctuel aux provinces et aux territoires pour les aider à payer certains coûts découlant de la mise en œuvre des recommandations du rapport. Il faut en faire plus pour aider les provinces et les territoires à appliquer les diverses recommandations.
Enfin, la onzième recommandation est que le ministre de la Justice communique le plus rapidement possible les pratiques recommandées dans le rapport à ses homologues provinciaux et territoriaux, pendant la prochaine rencontre des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique. Le rapport a été communiqué avec les provinces et les territoires, et il a été discuté lors de la rencontre des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique en 2018.
Il est important de continuer à tenir des conversations de haut niveau comme celles-ci, et que les rapports sur nos progrès soient rendus publics pour tous les Canadiens.
Le 22 mai 2018, le gouvernement a répondu au rapport reconnaissant le rôle de chef de file du gouvernement fédéral pour soutenir la fonction de juré partout au pays. Voici une partie de cette réponse :
Le gouvernement du Canada reconnait l’importance d’appuyer les jurés dans l’exercice de leurs fonctions et s’engage à collaborer pour améliorer les mesures de soutien aux jurés et faciliter l’échange de pratiques exemplaires entre les administrations.
La reconnaissance officielle de la Semaine d’appréciation du jury s’avérerait utile à cet égard.
Dans sa réponse, le gouvernement a convenu de l’importance d’une collaboration continue avec les provinces et les territoires pour s’assurer qu’un soutien adéquat est fourni aux jurés. La ministre de la Justice et procureure générale du Canada a conclu à l’époque, et je cite :
S’assurer qu’ils [les jurés] reçoivent un soutien adéquat avant, pendant et après leur service est un objectif important pour maintenir la confiance du public envers les jurys, minimiser les répercussions que le devoir du jury a sur la vie des jurés et aider à assurer la représentativité du jury de diverses façons.
L’une des façons très simples et efficaces pour le gouvernement fédéral de passer de la parole aux actes serait de reconnaître officiellement la Semaine d’appréciation du jury au Canada, afin d’encourager et de promouvoir un dialogue continu et ponctuel entre les provinces et les territoires et les différents intervenants sur le soutien offert aux jurés partout au Canada.
Chers collègues, je vous invite donc à appuyer cette motion, pour exhorter le gouvernement du Canada à reconnaître officiellement que la deuxième semaine du mois de mai de chaque année est désignée la Semaine d’appréciation du jury. De plus, du 8 au 14 mai, je vous invite à souligner cette semaine à votre manière, afin de montrer votre soutien à cette cause.
Je vous remercie de votre attention.
(Sur la motion du sénateur , le débat est ajourné.)
Honorables sénateurs, nous sommes rendus à la fin de l’ordre du jour.
Conformément à l’article 9-10(7) du Règlement, la séance est suspendue. La sonnerie retentira à compter de 17 h 15 pour la tenue d’un vote à 17 h 30.