Projet de loi sur le développement d'une économie verte dans les Prairies
Deuxième lecture
13 décembre 2022
Propose que le projet de loi C-235, Loi concernant le développement d’une économie verte dans les Prairies, soit lu pour la deuxième fois.
— Je prends la parole au sujet du projet de loi C-235. C’est avec des sentiments partagés que je le fais. Comme nous avons pu l’entendre dans l’intervention de la sénatrice Gagné plus tôt aujourd’hui, nous allons étudier ce projet de loi dont je suis le parrain. C’est un projet de loi qui, à la Chambre des communes, a été présenté par l’honorable Jim Carr, décédé hier après un combat héroïque contre le cancer.
Je ne connaissais pas bien M. Carr, mais je l’admirais beaucoup, comme bon nombre de sénateurs et de députés. En effet, M. Carr a continué son travail de parlementaire jusqu’au dernier jour de sa vie. J’espère que ce projet de loi sera à la fois un hommage à sa mémoire et une contribution significative à une économie durable dans les provinces des Prairies.
Dans le Globe and Mail, on pouvait lire la notice nécrologique de M. Carr, dont la dernière phrase est une citation de ce dernier : « Comment ne pas faire preuve d’humilité devant la grandeur de ce magnifique pays? »
J’ai laissé tomber à peu près tout ce que j’avais préparé, parce que, après le décès de M. Carr, je trouvais que ce n’était pas vraiment approprié. Je trouvais que mon discours sonnait trop bureaucratique. D’ailleurs, j’ai passé une bonne partie de la nuit à essayer de trouver ce que j’allais dire aujourd’hui. Il est tout à fait remarquable que, à 3 heures du matin, vous puissiez avoir l’impression d’avoir en tête un magnifique discours et que, en y repensant à 7 h 30, dans la lumière crue du jour, vous vous disiez que vous avez peut-être perdu la raison.
En tout cas, je vais prononcer mon discours et je ferai de mon mieux pour qu’il soit pertinent, senti et, je l’espère, inspirant. Souhaitez-moi bonne chance.
Je ne parlerai que brièvement du projet de loi C-235 en tant que tel. Le projet de loi est simple. Il s’agit d’un projet de loi-cadre qui a deux objectifs. Premièrement, il exige qu’un groupe de ministres fédéraux, il y en a environ six, élabore, sous la direction du ministre responsable du développement économique dans les provinces des Prairies, un cadre de coopération avec les leaders provinciaux, territoriaux et autochtones et avec le secteur privé, ainsi qu’avec les organisations qui représentent les employeurs et les employés, en vue d’une meilleure coordination de la mise en œuvre des programmes fédéraux qui contribueront à bâtir une économie verte et durable dans les Prairies.
La deuxième partie du projet de loi exige l’organisation d’une vaste série de consultations auprès de ces groupes pour que le plan soit mieux coordonné et pour qu’il réponde mieux aux besoins des gens des Prairies. C’est aux fruits qu’on jugera l’arbre, bien sûr, en ce qui a trait aux consultations et aux négociations, mais j’espère qu’à la lumière de ce processus — en présumant que le projet de loi était adopté —, les programmes fédéraux répondront mieux aux besoins des collectivités des Prairies.
Je voudrais dire encore quelques mots au sujet de l’économie des Prairies et de l’identité des habitants de cette région. Je vais radoter un peu dans ces observations, mais je vais les encadrer de deux récits qui me semblent être appropriés à la fois pour représenter les Prairies et, je l’espère, célébrer l’amour de Jim Carr pour les Prairies, ainsi que son propre engagement.
Il y a des années, alors que j’étais un jeune avocat, en me rendant à la cour en véhicule, j’écoutais un segment de Morningside, avec Peter Gzowski. Fait intéressant, le thème ce matin-là était la beauté subtile des Prairies. Je crois qu’il est juste de dire que la beauté dans les Prairies est subtile.
Un premier ministre de la Saskatchewan avait l’habitude de dire fréquemment aux gens de la Colombie-Britannique : « Vous n’avez même pas amorcé votre projet d’enlèvement des montagnes. En Saskatchewan, nous l’avons terminé. » C’était un genre de mécanisme de défense, si l’on peut dire.
M. Gzowski accueillait trois intervenants à son émission : un artiste de Winnipeg, un poète d’Edmonton et une auteure de la Saskatchewan; je crois qu’il s’agissait de Sharon Butala. Les intervenants ont donné leur point de vue sur ce qui est assurément subtil dans la beauté des Prairies, et je comprenais tout à fait ce qu’ils voulaient dire. Contrairement à ses habitudes, M. Gzowski est intervenu dans l’émission de radio pour décrire sa première expérience, sa découverte des Prairies. Il a alors commencé à raconter l’histoire d’un voyage en train à travers l’Est de la Saskatchewan par un jour de tempête de janvier.
Il ne l’a pas dit à la radio, mais en fait, il se rendait de Toronto à Moose Jaw, en Saskatchewan, pour occuper le poste de rédacteur en chef du journal Moose Jaw Times Herald. Il a raconté avoir voyagé dans le train ce jour-là, dans le compartiment voyageurs. Il y avait un autre gars avec lui, et tous les deux regardaient par la fenêtre du train, contemplant le paysage morne, nuageux, balayé par le vent, enneigé, d’un froid glacial. Au bout d’une heure de voyage en silence, il a demandé à son compagnon : « Alors, qu’en pensez‑vous? »
Il me faut être prudent en lisant cette réponse, chers collègues.
La personne a répondu : « C’est la plus grande étendue de rien du tout que j’aie jamais vue. »
J’ai esquissé un sourire en écoutant cette histoire, mais j’ai décidé d’écrire à M. Gzowski pour lui raconter une expérience bien différente que j’avais vécue. C’est la seule lettre que j’ai écrite dans ce contexte au cours de ma vie. J’avais 17 ans et je prenais le train à Windsor, en Ontario, pour retourner à Saskatoon afin de commencer mes études universitaires. J’avais travaillé sur une chaîne de montage de voitures pendant l’été afin de gagner de l’argent pour l’université. J’étais seul, pas très dégourdi, peu sûr de moi et solitaire.
Le deuxième jour du trajet, je me suis réveillé et j’ai regardé à l’extérieur. Nous nous trouvions dans le Sud-Est du Manitoba en ce petit matin. Si j’avais bien regardé, j’aurais peut-être aperçu le jeune sénateur Harder ou le jeune sénateur Plett. Je ne les ai pas vus, mais j’ai vu des milles et des milles de céréales ambrées, qui ondoyaient sous la brise d’été, des tiges dorées dans la lumière du petit matin. Encore aujourd’hui, ce souvenir m’émeut. J’ai pensé : « Je suis chez moi. » En fait, je me suis mis à pleurer. Habituellement, je ne raconte pas ce détail aux gens. Apparemment, M. Gzowski a lu ma lettre à l’émission Morningside. Même si je ne l’ai jamais entendue, j’y ai vu une sorte de validation de mon amour pour les Prairies et de mes espoirs pour l’avenir de la région.
Sous la superficialité de l’histoire de M. Gzowski et sous la couche de glace et de neige, il y a une magnifique région du Canada aux nombreuses possibilités et au grand potentiel. Beaucoup a été accompli par le dur labeur des gens qui ont défriché ces terres et de ceux qui les ont suivis, mais il reste beaucoup de possibilités et un énorme potentiel à découvrir.
Or, il faut souligner que ces possibilités et ce potentiel ont été rendus possibles en grande partie parce qu’ils ont été enlevés aux peuples autochtones. Que ce soit sur le plan du déni de la culture, de la religion, de l’expulsion des territoires vers des réserves de la grosseur d’un timbre postal — souvent hors des terres les plus productives de la Saskatchewan —, ou de la discrimination pure et simple, il y a beaucoup de travail à faire pour restaurer ce monde de possibilités qui a été enlevé aux Autochtones depuis si longtemps.
Ce projet de loi vise précisément ce but, en partie. Il existe des feuilles de route pour accomplir ce travail, comme vous le savez. J’espère que le succès sera au rendez-vous. S’il reste du temps, je reviendrai sur ce point.
J’aimerais prendre quelques minutes pour parler de l’économie de la Saskatchewan. Je sais que cette initiative concerne les Prairies, mais je reconnais qu’il y a certains éléments qui me sont complètement inconnus. Je vais par conséquent m’en tenir à la Saskatchewan.
L’économie de la Saskatchewan et ses liens avec la durabilité offrent un potentiel presque illimité. Le Nord regorge de matériaux, y compris des matériaux critiques qui seront nécessaires pour les véhicules zéro émission et tant d’autres filières énergétiques. On y trouve les plus vastes réserves d’uranium au monde, ainsi que les plus importantes réserves de potasse connues au monde. Il y a 40 ans, une personne occupant un poste au sein de la haute direction d’une entreprise productrice de potasse m’a dit que la Saskatchewan possédait suffisamment de réserves de potasse pour répondre à la demande mondiale des 2 000 prochaines années. Maintenant, il y en a peut-être uniquement assez pour les 1 960 prochaines années, mais il reste quand même beaucoup de potasse.
Cependant, le reste de mon intervention sur l’économie saskatchewanaise portera principalement sur l’agriculture. Je pense qu’il est assez crucial de discuter de cet enjeu pour diverses raisons. Je vais en nommer une. Il y a quelques semaines, le sénateur Black, qui préside le Comité de l’agriculture, nous a emmenés au Musée de l’agriculture du Canada ici, à Ottawa. Nous avons appris beaucoup de choses. Nous avons notamment appris — et je crois que je le savais intuitivement — que la vaste majorité des terres arables du Canada, c’est-à-dire les terres pouvant être utilisées pour l’agriculture, se trouvent dans les Prairies. En fait, si ma mémoire est bonne, 47 % des terres arables du Canada sont en Saskatchewan. C’est plutôt remarquable.
Permettez-moi de dire tout de suite un fait assez méconnu : les agriculteurs sont de formidables intendants des terres. De toute évidence, il est dans leur intérêt d’agir ainsi puisque leur gagne-pain et celui de leurs enfants qui pourraient reprendre leur entreprise agricole dépendent de la viabilité et de la productivité des terres dans l’avenir. Je tiens donc à déboulonner immédiatement le mythe selon lequel les agriculteurs, ou les Saskatchewanais en général, ne s’intéressent pas à la gérance de l’environnement. En fait, même si je ne connais pas les résultats des derniers sondages, je sais que lorsqu’on a fait des sondages pour connaître le niveau d’engagement des Canadiens à l’égard de l’environnement, les gens de la Saskatchewan sont arrivés en première place, année après année.
Je me permets de vous raconter une petite histoire — une anecdote, en fait — qui illustre à mes yeux l’engagement des Saskatchewanais en matière de gérance de l’environnement.
Mon ancien beau-père était agriculteur dans l’ouest de la Saskatchewan. Il était un agriculteur et un homme d’affaires prospère. Il était attentif au monde qui l’entourait. Dans ses jeunes années, il avait été amateur de chasse, il n’avait donc rien contre les personnes qui chassaient pendant la saison de chasse. Cependant, chaque automne, à la fin de la saison de la chasse aux oies, généralement en novembre, il partait avec son camion et un petit bateau à moteur à la recherche de petits lacs, d’étangs et d’étangs artificiels pour sauver des outardes qui avaient été prises pour cible par des chasseurs, mais qui n’avaient été que blessées. Si ces outardes étaient abandonnées à leur sort, incapables de voler et peut-être de se rétablir, elles mourraient de froid — une mort lente et horrible — à mesure que la glace de ces étangs se refermait sur elles.
Laissez-moi vous dire qu’il n’est pas facile de sauver une outarde. Aussi intelligentes soient-elles, elles ne peuvent pas faire la différence entre quelqu’un qui essaie de les sauver et quelqu’un qui veut les apprêter pour le dîner et elles sont très fortes. Cependant, il persévérait chaque automne. Une année, il a sauvé 24 outardes et les a soignées afin qu’elles puissent être relâchées dans la nature. J’ai trouvé qu’il s’agissait d’un bel engagement inédit à l’égard de la nature.
Maintenant, j’ai autre chose à dire sur l’agriculture et sur l’évolution de l’agriculture en Saskatchewan. En effet, il s’est produit une révolution des pratiques agricoles dans les Prairies. L’utilisation des terres est maintenant régie par la science et la technologie. Guidés par des chercheurs universitaires, les agriculteurs utilisent maintenant leurs terres de façon beaucoup plus extensive que dans les générations passées, réalisant deux ou trois choses remarquables en même temps. Premièrement, les terres sont plus productives et génèrent davantage de revenus pour les agriculteurs. D’ailleurs, on me dit que grâce aux résultats de recherches menées à l’Université de la Saskatchewan, qui ont permis une intensification de l’utilisation et un assainissement des terres agricoles, les revenus des agriculteurs de la Saskatchewan ont augmenté de 1 milliard de dollars par année. Cela a pu être réalisé grâce à des pratiques écologiquement durables, créant ainsi un environnement viable.
Les agriculteurs ne travaillent plus ou presque plus le sol. Ils utilisent des cultures de couverture et la rotation des cultures. Ils rétablissent la santé du sol grâce à ces pratiques, qui permettent aussi de capter du carbone. Au Comité de l’agriculture, nous avons entendu des témoignages selon lesquels, parmi toutes les terres agricoles au pays, celles des Prairies ont apporté une contribution spectaculaire au captage du carbone au cours des 20 dernières années, et il est possible d’aller encore plus loin.
Chacun de ces changements a sans doute constitué un défi pour les agriculteurs et pour l’économie rurale de ma province, mais ils offrent aussi de nombreux débouchés. Lorsqu’il est devenu évident que, guidés par la science, les agriculteurs étaient en mesure d’élargir le répertoire des cultures, des entrepreneurs avisés et engagés se sont manifestés.
Voici un exemple. Un jeune conseiller en politique commerciale du gouvernement de la Saskatchewan, qui travaillait pour moi, a su voir le potentiel d’une expansion spectaculaire de la production des légumineuses et de leur commercialisation au Moyen-Orient. Murad Al-Katib, un jeune homme d’origine turque vivant dans la petite ville de Davidson, en Saskatchewan, a créé une entreprise dans ce but. En collaboration avec des scientifiques, des agriculteurs et des acteurs de la chaîne d’approvisionnement, il a mis sur pied une entreprise de calibre mondial visant à faciliter la transformation des légumineuses et leur commercialisation dans des régions du monde où elles font partie intégrante de l’alimentation.
Il s’agit d’une formidable histoire d’opportunité parmi tant d’autres. Du point de vue de l’agriculture, on s’y est pris de manière à favoriser l’utilisation durable des terres agricoles pour les générations futures.
Lorsque j’entends des gens faire peu de cas de l’engagement des agriculteurs face au changement climatique ou de leur souci de l’environnement, je pense à deux choses. Premièrement, c’est faux. Deuxièmement, il ne s’agit pas vraiment d’une communication ou d’une critique généralisée visant un destinataire inconnu. En Saskatchewan, nous sommes si proches de la communauté agricole que cela semble une insulte pour chacun d’entre nous, individuellement.
J’admets qu’il reste du travail à faire — et il sera fait —, mais un engagement constructif entre Ottawa, les provinces, les organismes et d’autres intervenants permettra d’apporter des changements positifs et considérables. Le projet de loi de M. Carr y contribuera, même si ce n’est que modestement.
Permettez-moi aussi de parler d’un autre aspect de la Saskatchewan qui, à mon avis, est pertinent à l’agriculture. La production pétrolière et gazière va diminuer avec le temps, mais il est juste de dire qu’elle ne disparaîtra pas. Même le ministre des Ressources naturelles a dit que peu importe les progrès que nous réaliserons au chapitre de l’énergie et des transports, nous aurons toujours besoin de sous-produits du pétrole afin de produire des biens dont notre société a besoin.
La production agricole nous offre donc une occasion merveilleuse. Premièrement, elle représente une source de revenus à l’échelle internationale. Elle est bonne pour notre économie en ce moment et le sera encore plus dans le futur, tant sur le plan de la production durable que de la possibilité de valeur ajoutée à ce que nous cultivons et exportons en ce moment. Elle est bonne pour la valeur de notre dollar et nous aide à maintenir les coûts bas. Espérons que lorsque nous devrons importer des produits, nous n’aurons pas à payer 15 $ pour un ananas.
Deuxièmement, un des grands défis mondiaux dans l’avenir sera la sécurité alimentaire. Notre secteur agricole a la remarquable capacité d’assurer la sécurité alimentaire. Nous ferons une très bonne action en ce monde en produisant de façon durable les aliments qu’il faut pour nourrir la planète. Mon ami M. Al-Katib en est un parfait exemple.
Enfin, j’aimerais faire quelques observations sur les relations fédérales-provinciales et la Constitution. Je sais que certains considèrent, à juste titre, que c’est d’une importance capitale, mais j’aimerais au moins indiquer brièvement le contexte dans lequel s’inscrivent les efforts de consultation auprès de la Saskatchewan. Premièrement, comme vous le savez tous, ce n’est qu’en 1905 que la Saskatchewan est devenue une province. De plus, ce n’est que dans les années 1930 qu’elle est devenue propriétaire des ressources minières de son sous-sol, au sens où on l’entend habituellement, conformément aux ententes sur le transfert des ressources naturelles. D’ailleurs, c’est à ce moment-là que la Saskatchewan et l’Alberta ont enfin pu s’établir pour la première fois en tant que provinces en bonne et due forme.
Vous vous rappellerez que, par la suite, au début des années 1980, un conflit a éclaté en Alberta à cause du Programme énergétique national. Par ailleurs, vous avez peut-être entendu parler des difficultés que la Saskatchewan a éprouvées dans les années 1970 en ce qui concerne l’exploitation et la gestion des ressources naturelles. J’aimerais parler plus particulièrement de ce problème, de la façon dont il a été géré en Saskatchewan, et plus généralement de la façon dont les relations fédérales-provinciales se sont déroulées dans les 40 ou 50 dernières années.
Dans les années 1970, la Saskatchewan a cherché à réglementer le rythme auquel la potasse, le pétrole et le gaz étaient extraits et vendus sur les marchés internationaux. Elle souhaitait plus précisément ralentir la production pour que la potasse, le pétrole et le gaz se vendent plus cher, ce qui procurerait des redevances plus élevées à la province. En agissant ainsi, la province s’ingérait, il faut le reconnaître, dans le modèle d’affaires et le plan d’affaires des entreprises.
Il est cependant utile d’examiner aussi le point de vue que voici : le pétrole, le gaz et la potasse qui étaient extraits appartenaient aux citoyens de la Saskatchewan. On pouvait donc imaginer qu’il était justifié, dans l’intérêt public, de tenter de faire le nécessaire pour que ces ressources procurent une « rente équitable », comme le diraient, je crois, les économistes, sénatrice Marshall.
Pendant ce que j’appellerais cette période de crise, les entreprises ont fait valoir que le régime de conservation ne constituait pas une tâche provinciale acceptable en vertu de la Constitution. Cette position avait l’appui d’Ottawa. La Province de la Saskatchewan a dû se défendre devant les tribunaux, et elle a perdu. La Saskatchewan a donc dû rembourser environ 1,5 milliard de dollars aux entreprises en raison des pertes qu’elles avaient subies. C’était une somme énorme pour une province comme la Saskatchewan, surtout à l’époque, et le budget de la province devrait l’absorber. Je ne sais pas quel était le budget de la province à l’époque, mais j’imagine qu’il se situait autour de 3 ou 4 milliards de dollars. La somme exigée était énorme.
Qu’a fait le premier ministre de la Saskatchewan? Il s’est plaint publiquement, bien sûr, et a acheté quelques entreprises de potasse. Mais sur le plan constitutionnel, M. Blakeney et M. Lougheed, qui avait lui-même des problèmes avec Ottawa, sont allés à Ottawa et ont élaboré un nouveau régime qui tenait compte des intérêts provinciaux. Ce qu’ils n’ont pas fait, c’est adopter une loi énonçant les intérêts provinciaux. Ils se sont plutôt mis au travail pour résoudre le problème.
Depuis des décennies, c’est la façon de faire de la Saskatchewan.
Laissez-moi vous présenter deux autres aspects de la même approche, qui ne sont pas tout à fait directement liés aux relations fédérales-provinciales en matière de gestion des ressources, mais qui sont tout de même très importants. Ce que j’essaie d’expliquer, c’est que la Saskatchewan a toujours été et continue d’être un bon partenaire dans cette fédération.
En 1980, les négociations entre premiers ministres concernant la façon dont la Constitution serait rapatriée au Canada et la façon dont elle serait modifiée étaient dans l’impasse. Ottawa et certaines provinces avaient adopté une position, c’est-à-dire accorder le pouvoir unilatéral à Ottawa, et un certain nombre d’autres provinces avaient adopté des positions différentes. L’affaire s’est rendue devant la Cour suprême, par renvoi constitutionnel.
La Saskatchewan a élaboré une nouvelle position, à savoir qu’il peut y avoir une loi qui autorise le rapatriement unilatéral, mais que les conventions constitutionnelles, qui ne sont pas des lois, mais presque, exigent un processus axé sur une plus grande participation. La Cour suprême du Canada a adopté cette position précise. Sa décision a débloqué l’impasse et a produit une Constitution canadienne moderne au Canada. Tous les gens qui sont profondément liés à l’histoire du droit constitutionnel au Canada reconnaissent que la Saskatchewan a trouvé la solution au problème.
Un deuxième exemple est un événement qui s’est produit en 1995. Vous vous souviendrez que le référendum sur la sécession du Québec a échoué de peu cette année-là. Je pense qu’il est juste de dire que, pendant un bon moment, Ottawa n’avait pas de plan clair. Les premiers ministres provinciaux de l’époque, menés par les premiers ministres Romanow et McKenna, ont mis au point un plan provincial pour tendre un rameau d’olivier au Québec afin d’encourager les Québécois à demeurer au sein de la fédération.
Lors d’une réunion des premiers ministres provinciaux, convoquée à Calgary, on a publié une déclaration unanime — à l’exception du premier ministre M. Bouchard, qui avait un point de vue différent —, appelée déclaration de Calgary, pour tendre ce rameau d’olivier. Les premiers ministres Klein et Harris faisaient partie des signataires. De plus, et ce n’était pas très connu à l’époque, le premier ministre Romanow avait réuni un groupe de conseillers pour l’aider à réfléchir à sa façon de faire et à celle de la province afin de favoriser le dialogue sur l’unité nationale. Il avait réuni Michel Bélanger, John McCallum, alors économiste en chef de la Banque Royale du Canada, l’ancien premier ministre Blakeney et, en particulier, l’ancien premier ministre Lougheed. J’ai assisté à ces réunions et je pense que M. Lougheed a donné d’excellents conseils à M. Romanow.
Par la suite, le gouvernement du Canada a adopté la Loi de clarification, qui établissait les règles à suivre dans l’éventualité d’un référendum sur la sécession. Le projet de loi prévoyait l’exigence d’une question claire et d’une majorité claire répondant « oui » à cette question. Le projet de loi n’indiquait toutefois pas quelles seraient les conséquences d’un tel résultat. Cette question a également été renvoyée devant la Cour suprême du Canada.
Seules quelques provinces sont intervenues; la Saskatchewan en faisait partie.
Le premier ministre de l’époque m’a alors demandé de réunir les plus grands constitutionnalistes de la Saskatchewan pour participer à la rédaction de l’intervention la plus constructive possible. Permettez-moi de vous dire que la Saskatchewan comptait de grands constitutionnalistes à cette époque. J’ai une liste, mais je ne la lirai pas. Cela gênerait les personnes concernées.
Quand on y pense, la véritable question est la suivante : est-ce qu’un vote pour l’indépendance ne veut rien dire, comme ce serait probablement le cas aux États-Unis, ou est-ce qu’il entraîne la sécession d’une région ou d’une province du Canada? Voilà un choix difficile. Selon certains, cela menait à la sécession. Selon d’autres, cela ne voulait rien dire.
Ce fut une affaire importante. La juge en chef McLachlin de la Cour suprême du Canada m’a dit que c’était, de loin, l’affaire la plus importante au sujet de laquelle elle avait dû se prononcer au cours de sa carrière.
Selon la position présentée par la Saskatchewan, si le « oui » l’emportait par une majorité substantielle à la suite d’un vote sur une question claire, cela déclencherait des négociations de bonne foi sur la sécession et, le cas échéant, sur les conditions de cette sécession. C’est la position qui fut adoptée par la Cour suprême du Canada dans un jugement long, mais éloquent.
Ce que je veux dire, c’est que, depuis des décennies, la Saskatchewan fournit plus que sa part d’efforts en matière de relations fédérales-provinciales constructives, et il n’y a aucune raison de croire que cela va cesser.
Néanmoins, il y a de nos jours une profonde tension au sein de la fédération à propos des questions relatives aux champs de compétence du fédéral et des provinces. Certains seraient portés à croire que ce projet de loi alimente la tension, mais c’est tout le contraire selon moi. Cette mesure législative incite les provinces, le gouvernement fédéral et un vaste groupe d’entités ayant des intérêts dans l’économie des Prairies à unir leurs forces. De façon modeste, ce projet de loi offre la possibilité aux pouvoirs fédéraux et provinciaux de bâtir des relations constructives.
Réjouissez-vous, car j’ai presque terminé mes observations. J’aimerais vous raconter une histoire. Je le fais probablement trop souvent. C’est l’histoire d’un voyageur étranger qui arrive à l’aéroport de New York. Dans la section des bagages, il aperçoit un téléphone doré. Il demande aux gens autour de lui : « À quoi sert ce téléphone doré? » Quelqu’un lui répond : « C’est une ligne directe pour parler à Dieu. » Il dit : « Combien cela coûte-t-il? » Et on lui répond : « C’est 500 $ la minute. »
Il continue son périple jusqu’à Toronto. Mes excuses aux gens de Toronto. Dans la section des bagages de l’aéroport, il aperçoit un autre téléphone doré. Il demande : « À quoi sert ce téléphone doré? » Quelqu’un lui répond : « C’est une ligne directe pour parler à Dieu. » Il dit : « Combien pour un appel? » Et on lui répond : « C’est 100 $ la minute. » Il s’exclame : « Oh, c’est intéressant. »
Il poursuit son voyage jusqu’à Saskatoon. Dans la zone de réception des bagages, il aperçoit un autre téléphone en or. Il demande alors : « Qu’est-ce que c’est? » On lui répond : « C’est une ligne directe pour parler à Dieu. » Il demande : « C’est combien? » On lui répond : « C’est 25 ¢. » Il déclare : « Je ne comprends pas, ailleurs c’était 500 $ et 100 $. » On lui répond : « Eh bien, c’est parce qu’ici, c’est un appel local. »
C’est ce que je ressens au sujet de la Saskatchewan. J’espère que vous ressentez la même chose pour votre région. Vous pourriez demander que l’on installe des téléphones en or dans la zone de réception des bagages de l’aéroport de votre ville. En ce qui me concerne — peut-être que j’exagère un peu —, la Saskatchewan, c’est le paradis. J’espère que vous ressentez la même chose pour l’endroit où vous habitez.
Ce que je veux dire, c’est qu’en travaillant ensemble, à l’aide principalement de socs, et parfois d’épées lorsqu’il est nécessaire de se battre, nous pouvons bâtir une économie et un pays formidables et durables. C’est un peu ce que vise le projet de loi de M. Carr. Je considère un peu ce projet de loi comme une lettre d’amour de sa part aux Prairies.
J’espère que vous appuierez le projet de loi C-235 et que vous contribuerez à faire en sorte que ces téléphones en or permettent de faire des appels locaux d’un peu partout. Merci.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une question?
Oui.
Sénateur Cotter, un grand nombre de problèmes demeurent pour les titulaires de droits dans ce projet de loi. Dans quelle mesure la situation des titulaires de droits dans les provinces des Prairies sera-t-elle prise en compte de façon significative, quand on sait que l’Alberta et la Saskatchewan, suivies de près par le Manitoba, présentent des mesures législatives qui font fi de ces titulaires de droits? Dans quelle mesure pensez‑vous que ce projet de loi vise à régler ce problème?
Comme vous le constaterez dans le projet de loi, sénatrice McCallum, il y a une obligation de consultation et de dialogue avec les dirigeants autochtones des Prairies. C’est un mandat imposé au ministre qui coordonne ce travail et, je présume, aux autres ministres qui auront un rôle à jouer ici.
Je pourrais peut-être répondre à cette question en donnant un exemple de ce que je pense être une occasion perdue dans le passé, mais qui pourrait en être une à saisir à l’avenir.
Lorsque l’on pense aux possibilités économiques — permettez‑moi de m’attarder d’abord sur ce point —, les possibilités offertes aux Autochtones, mais surtout aux Premières Nations, ont été fortement circonscrites par les traités, les terres visées par des traités et les réserves. Je pense que vous et moi sommes sur la même longueur d’onde à ce sujet. En fait, si vous regardez les cartes — la Saskatchewan illustrant peut-être le pire des cas — beaucoup de Premières Nations ne sont pas seulement placées dans de petites réserves de la taille d’un timbre-poste, mais elles sont également en marge de l’économie productive de la province, du moins à l’époque où l’agriculture semblait être la priorité. Les peuples et les communautés autochtones n’ont donc jamais eu la chance de prospérer.
Là où ces conversations ont été les plus riches, c’est par rapport aux territoires traditionnels. Je ne parle pas des réserves de la taille d’un timbre-poste, mais des zones où les Premières Nations avaient tendance à vivre traditionnellement, qui couvraient souvent de vastes étendues.
L’un des moyens de tenter de bâtir une économie est de créer des occasions pour les Autochtones et les collectivités d’exploiter ces ressources. Ce n’est pas facile pour un gouvernement provincial, car habituellement, ces ressources — que les gouvernements provinciaux considèrent conventionnellement comme leur appartenant ou appartenant à l’ensemble de la collectivité — sont une source de revenu qui permet à la province d’offrir ses programmes. Ce qu’il faut, c’est un partenariat avec la province et le gouvernement du Canada, car, dans la Constitution, les Indiens et les terres réservées aux Indiens relèvent d’Ottawa. Il est possible pour le gouvernement du Canada de soutenir ces projets, parfois avec une aide au chapitre des capitaux, mais également pour le partage des contraintes ou des coûts de renonciation avec les provinces.
Ottawa n’a pas toujours été ouverte à cela. J’ignore où cela mènera. J’espère que des idées créatives pour exploiter ce potentiel qui avait été retiré se concrétiseront. Des gens beaucoup plus intelligents que moi trouvent ces idées. Cela dit, je crois qu’il existe un potentiel énorme. Il suffit de faire preuve de bonne volonté.
Les provinces sont vulnérables à certains égards. Parfois, lorsque les revenus du pétrole et d’autres ressources sont très élevés, la situation paraît idéale, mais les provinces risquent de devoir renoncer à une grande partie de leur assiette fiscale. Voilà pourquoi les partenariats avec le gouvernement du Canada sont avantageux, car ce dernier a une obligation fiduciaire dans ce domaine et a été le mécanisme utilisé pour retirer cette possibilité. Ainsi, je crois que le Canada a le devoir d’intervenir.
J’espère que ma réponse a été, à tout le moins, partiellement utile.
J’aimerais revenir sur votre déclaration concernant la Convention sur le transfert des ressources naturelles qui a été conclue unilatéralement, sans la participation des Premières Nations. Il s’agit maintenant d’une conversation et d’un sujet de préoccupation énormes pour les Premières Nations, et elles vont soulever cette question. La doctrine de la découverte et son rôle dans la Constitution y sont sous-jacents.
Y aurait-il moyen d’envoyer cette partie du projet de loi au Comité des peuples autochtones pour qu’il l’étudie? C’est énorme, et je pense que nous devons régler cela avant d’aller plus loin.
Très brièvement, je pense que le point que vous soulevez est un sujet de préoccupation légitime, mais la Convention sur le transfert des ressources naturelles est un événement récent dans les Prairies, en Alberta et en Saskatchewan, qui soulève en fait la même question dans tout le pays. En effet, qui sont les propriétaires des ressources souterraines, non seulement en Alberta et en Saskatchewan, mais partout au pays? Selon moi, si la question devait être étudiée, elle devrait l’être à l’échelle nationale et, en tout respect, je ne crois pas que le projet de loi à l’étude soit le bon véhicule pour ce faire.
Puis-je poser une question au sénateur Cotter?
Oui, bien sûr.
Sénateur Cotter, je remarque que vous avez parlé d’espoir dans vos observations au sujet du projet de loi et du fait que ce dernier serait le legs du parrain du projet de loi, le regretté Jim Carr, que nous respections tous et qui est malheureusement décédé avant que le Sénat puisse adopter le projet de loi, mais il était encore en vie lorsqu’il a été adopté à l’étape de la troisième lecture à la Chambre des communes.
À ce sujet, concernant l’établissement de ce que vous avez qualifié de legs du regretté député des Prairies, je voudrais vous poser une question. Avez-vous accepté de parrainer le projet de loi peu de temps après qu’il ait été renvoyé au Sénat dans l’intention, comme je l’ai entendu dire à maintes reprises, de le faire adopter rapidement par le comité, incluant les témoignages et l’étude article par article, puis de la faire adopter à l’étape de la troisième lecture cette semaine, trois jours avant la date prévue de la relâche de Noël?
Merci, sénateur Patterson. Vous le savez, ce n’est pas moi qui coordonne la façon dont les choses se déroulent au Sénat.
En ce qui concerne le projet de loi, je crois que de très bonnes discussions auront lieu si nous le renvoyons rapidement au comité. L’important au sujet de ce projet de loi n’est pas ce qui se passe aujourd’hui ou ce qui se passera demain ou jeudi. L’important, c’est ce que fera le gouvernement du Canada, si le projet de loi est adopté, dans les 12 mois à venir pour créer des conditions permettant l’avènement d’une économie durable dans les Prairies. C’est à ce moment que, à mon avis, les discussions seront les plus fructueuses, alors c’est pourquoi il est plutôt important d’y arriver rapidement.
Sénateur Cotter, je vous remercie de votre réponse. En tant que sénateur de la Saskatchewan, vous avez exprimé avec éloquence votre appui au projet de loi. Pouvez-vous expliquer pourquoi les représentants de la Saskatchewan et du Manitoba ont exprimé leur opposition à ce projet de loi lors de leur comparution devant le comité de la Chambre des communes?
Je vous remercie de votre question. Je suis incapable de lire dans les pensées. Je dirai cependant que si j’ai essayé de parler un peu du rôle constitutionnel constructif que les provinces ont joué — et, même si elle est loin d’être la seule, la Saskatchewan a joué un rôle important —, c’est, en partie, parce que ce projet de loi a généré des tensions, car certains craignent qu’il s’agisse d’un piège pour les provinces. Je ne crois pas que ce soit le cas. Je pense que, récemment, il y a eu une réticence des diverses parties à engager un dialogue constructif afin de bâtir ensemble un pays meilleur. C’est certes ce que j’observe de la part de certaines des provinces des Prairies, y compris ma propre province.
Il n’y a aucun mécanisme qui permettrait à ce projet de loi de priver les provinces de leurs droits. En fait, il s’agit d’un principe du droit canadien. J’espère que les provinces hésitent à appuyer le projet de loi à cause du climat de tension qui règne et à cause de propos qui ont été tenus, et non parce que les provinces n’ont rien à y gagner. Je pense que c’est ce que démontreront les premières discussions à ce sujet.
Je comprends pourquoi il y a des tensions. Ma province est réticente à appuyer cette mesure législative à cause de sa relation avec le gouvernement du Canada. Je pense que cela est corroboré par certains des témoignages. Toutefois, si nous travaillons ensemble, des occasions fort intéressantes s’offriront à nous. Certains des domaines visés par le projet de loi — l’agriculture, par exemple — sont de compétence partagée. Il semblerait donc logique pour les provinces et le fédéral d’entamer un dialogue pour faire avancer les choses.
Sénateur Cotter, je vous remercie de vos commentaires. Vous avez parlé du fait que vous voulez établir une économie durable dans les Prairies. Je crois que nous avons une économie durable dans les Prairies si nous lui permettons de se développer et de tenir compte des besoins locaux.
Pas plus tard que cet été, alors que nous parlions de certaines des préoccupations et de la résistance à ce projet de loi, nous avons entendu le gouvernement fédéral parler de réduire de 30 % l’utilisation des engrais. Le fait est que les agriculteurs sont les meilleurs intendants de la terre. Il est dans leur intérêt de veiller à ce que la terre soit préservée et utilisée judicieusement.
Vous avez parlé du secteur des engrais et de l’industrie de la potasse. Lorsque nous entendons de tels commentaires de la part du gouvernement fédéral, cela nous porte à nous demander si le gouvernement défend les intérêts des provinces des Prairies.
Sénatrice Wallin, y avait-il une question dans votre intervention?
Je viens de la poser.
Je pense avoir relevé une question dans cette intervention, sénatrice Wallin. Merci.
Vous avez choisi un très bon exemple. Mon avis sur la question de la réduction des engrais est qu’Ottawa n’en savait pas assez lorsqu’il a présenté cette proposition. Le dialogue permettrait d’améliorer la situation. Des programmes fédéraux sont en élaboration et seront mis en œuvre. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour nous assurer que ces programmes sont adaptés aux besoins réels des agriculteurs, des petites entreprises et de l’industrie des ressources et qu’ils peuvent être déployés.
J’ai peur que personne ne veuille parler à Ottawa, qu’Ottawa fasse quelque chose et qu’ensuite les gens qui ne voulaient pas parler disent : « Vous avez fait la mauvaise chose. » Sans vouloir manquer de respect à qui que ce soit, ce n’est pas la meilleure façon de bâtir un pays. Il faut plutôt qu’Ottawa mène des consultations et que les personnes consultées expriment véritablement leurs points de vue afin que les programmes puissent être construits et adaptés en fonction du meilleur ensemble d’objectifs possible.
Sénateur Cotter, je pense que vous avez compris que je suis préoccupé par le processus et que je souhaite que cet important projet de loi reçoive l’attention qu’il mérite.
Comme vous le savez, l’Alberta était au milieu d’une course à la chefferie lorsque le projet de loi a été étudié en comité à l’autre endroit, de sorte que le comité n’a pas entendu l’une des trois provinces des Prairies. Je suis sûr que vous suivrez le cheminement du projet de loi et que vous participerez peut-être aux travaux du comité, en tant que parrain. Si une question importante est soulevée au comité, en tant que parrain, êtes-vous prêt à envisager des amendements à ce projet de loi?
Je n’ai pas de réponse définitive à cette question. On m’a dit que, en raison du décès de M. Carr, amender le projet de loi créerait de véritables problèmes lors du renvoi à l’autre endroit. Comme vous le savez, quand il s’agit des règles du Sénat et de l’autre endroit, j’ai un handicap de 30 environ. Imaginons que vous me posiez la question suivante : « Sénateur Cotter, êtes-vous ouvert à un amendement qui mettrait en péril le projet de loi? » Je serais très réticent à cet égard.
Ce que je veux dire, c’est que si le projet de loi a des lacunes et que quelqu’un a une idée brillante pour l’améliorer, je suis disposé à l’entendre. Je ne suis pas prêt à prendre un engagement en tant que parrain. Une telle décision ne relèverait pas seulement de moi, comme vous pouvez le comprendre; le comité décidera.
Je souligne en passant que, en raison du décès de Jim Carr, le projet de loi mourra au Feuilleton s’il est amendé. Nous allons donc soit l’adopter, soit le rejeter.
Honorables sénateurs, je prends brièvement la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-235. C’est probablement l’un des discours les plus difficiles que j’ai prononcés au Sénat. Ce n’est pas en raison du sujet, mais parce que je dois prendre la position contraire, du moins en partie, à celle du parrain du projet de loi. En toute honnêteté, je le fais un peu à contrecœur.
Jim Carr était un ami et un collègue. Il venait du Manitoba. Je le connaissais depuis de nombreuses années.
Ce projet de loi a été présenté par le regretté Jim Carr en février de cette année et il vient tout juste de terminer son parcours à l’autre endroit. Il me pose quelques difficultés qu’il me faut aborder aujourd’hui.
Avant de poursuivre, chers collègues, je veux profiter de l’occasion pour offrir mes plus sincères condoléances à l’épouse de Jim, Colleen, à sa famille et à ses proches. C’est un moment difficile pour eux. Je sais que je parle au nom de tous les sénateurs lorsque je dis que nos cœurs et nos prières les accompagnent pendant cette période. Je prie pour qu’ils trouvent du réconfort dans les bras de Dieu pendant cette période de deuil.
Jim et moi voyagions ensemble entre Winnipeg et Ottawa, pas toutes les semaines, surtout au cours de la dernière année ou des deux dernières années, lorsque la santé de Jim se détériorait. Il n’était pas sur tous les vols, mais nous avons souvent voyagé ensemble. Nous avions de nombreuses occasions de discuter durant ces vols. J’ai toujours affectionné ces moments et ils me manqueront. Il y a deux semaines à peine, j’étais à bord d’un vol de Winnipeg à Ottawa avec Jim, et nous avons eu une bonne conversation.
Il y a quatre semaines, Jim et moi avons déjeuné ensemble à l’édifice de l’Ouest. C’est Jim qui m’a invité. Le projet de loi C-35 était l’une des choses dont il voulait discuter. Il ne m’a pas demandé d’appuyer cette mesure législative. Il m’a demandé si je pouvais aider à la faire passer à l’étape de l’étude en comité et à la troisième lecture. Il ne m’a pas demandé de voter pour le projet de loi. Il ne m’a pas demandé d’éviter de souligner les lacunes telles que je les voyais. Je lui ai promis de le faire et c’est ce que j’ai l’intention de faire aujourd’hui.
Je me souviendrai toujours de cette rencontre et j’en garderai précieusement le souvenir. Nous avons discuté de plusieurs sujets privés et personnels, y compris de la santé défaillante de Jim. Nous avons aussi parlé des vacances qu’il avait l’intention de prendre avec sa famille pendant les Fêtes. C’est pourquoi la triste nouvelle d’hier a été un choc pour moi. On m’a demandé de ne pas dire que j’allais au Mexique parce que cela a été le sujet de certaines discussions il y a quelques années. Jim devait justement se rendre au Mexique. Nous avons parlé de notre amour commun pour ce pays.
Comme je l’ai dit, je ne me suis pas engagé à appuyer ce projet de loi. Je me suis plutôt engagé à ne pas y faire obstacle et j’ai l’intention de respecter la promesse que j’ai faite à notre collègue. J’ai fait remarquer à Jim que la personne choisie pour parrainer un projet de loi au Sénat avait souvent beaucoup d’influence. Je lui ai demandé qui parrainerait le projet de loi. Il m’a dit que ce serait le sénateur Cotter. Je lui ai dit, sincèrement, qu’il avait fait un choix éclairé.
Honorables collègues, la semaine dernière, avant que nous apprenions le décès de Jim, les leaders du Sénat se sont entendus pour donner priorité à l’étude de ce projet de loi. Je le mentionne, car cela répond, du moins en partie, à quelques questions posées jusqu’ici. C’était une décision appropriée alors, et elle l’est toujours aujourd’hui.
J’ai fait la connaissance de Jim Carr à l’époque où il travaillait en politique provinciale, bien avant qu’il soit élu député fédéral. Nous étions des adversaires politiques, certes, mais je le considérais comme un ami. Je ferais mal mon travail si je ne signalais pas les points faibles que je perçois dans ce projet de loi comme dans tout autre projet de loi. Jim a fait la même chose pendant toute sa vie et il en attendrait autant de chacun de nous. Il s’attendrait à ce que ce projet de loi soit étudié comme il se doit et puisse profiter du second examen objectif qui est caractéristique du Sénat.
Comme le sénateur Cotter l’a indiqué, le projet de loi C-235 vise à amener le gouvernement fédéral à élaborer un cadre de coopération et de mobilisation locales aux fins de la mise en œuvre de programmes fédéraux dans divers secteurs en vue de développer une économie verte dans les provinces des Prairies. Le geste est noble, mais je dirais que cette initiative est inutile et qu’elle n’est pas la bienvenue.
Les trois provinces des Prairies déploient déjà des efforts considérables pour développer une économie verte. Comme c’est souvent le cas, le gouvernement fédéral arrive encore trop tard. Ce n’est pas seulement une observation et une crainte de ma part. C’est aussi ce qui ressort des témoignages entendus au Comité permanent de l’industrie et de la technologie de la Chambre des communes.
Cliff Cullen, ministre du Développement économique, de l’Investissement et du Commerce du Manitoba, a dit ceci au comité :
Le Manitoba n’appuie pas le projet de loi C-235 et considère qu’il s’agit d’une mesure législative inutile qui n’a pas fait l’objet de suffisamment de consultations avec les provinces.
Encore une fois, notons qu’on parle de consultations insuffisantes. Le ministre ajoute ceci :
Le projet de loi n’a pas été présenté en temps opportun et il ne reconnaît pas les progrès réalisés par des provinces, des entrepreneurs et des entreprises en ce qui concerne l’économie verte.
Le Manitoba craint que le projet de loi C-235, s’il est adopté, ne crée une bureaucratie inutile et une approche descendante qui retarderaient la progression de l’économie verte, retarderaient les décisions sur la recherche et le développement et freineraient l’innovation qui est en cours.
L’honorable Bronwyn Eyre, ministre de la Justice et procureure générale de la Saskatchewan, a aussi témoigné. Je la cite :
Ce projet de loi imposerait aux ministres fédéraux l’obligation « d’élaborer un cadre [...] aux fins de la mise en œuvre de programmes fédéraux », ce qui nous semble, en Saskatchewan, un libellé assez descendant et assez définitif, et un exemple de ce que nous appelons ici un « fédéralisme affirmé ».
Cela renvoie vraiment à une autre tendance plus profonde de ce gouvernement, que nous observons encore et encore, qui consiste à s’immiscer dans les articles 92 et 92A et dans la compétence exclusive des provinces sur la propriété, les droits civils et les ressources naturelles.
Quand on lui a demandé si, à son avis, le projet de loi était nécessaire, elle a répondu très clairement ceci :
Je ne pense pas que le projet de loi soit nécessaire. Je pense que nous prenons déjà des mesures concrètes au Canada, dans l’Ouest canadien et en Saskatchewan en matière d’émissions, et j’en ai cité quelques-unes. Les émissions de notre secteur de la potasse sont de 50 % inférieures à celles de toute autre administration au monde. Nous avons des normes environnementales rigoureuses. Nous avons des normes rigoureuses en matière de droits de la personne. Nous avons des normes du travail rigoureuses.
Ces préoccupations ont été partagées par Mme Cathy Heron, présidente d’Alberta Municipalities, quand elle a déclaré ce qui suit :
Il est question dans cette section de la création d’une économie verte dans les provinces des Prairies du Canada. Cela laisse entendre qu’à l’heure actuelle, les provinces des Prairies n’ont pas d’économie verte. [...] Nous sommes déjà bien engagés sur cette voie [...]
En plus de trouver que le projet de loi ne reconnaissait pas les progrès déjà réalisés dans le développement d’une économie verte dans les Prairies, d’autres intervenants ont noté qu’il pourrait en fait nuire à ces efforts. Mme Justine Ness, présidente et chef des opérations de Safety First, une entreprise qui travaille en étroite collaboration avec le secteur de l’énergie, a déclaré ceci :
Je crains que le projet de loi C-235, dans sa forme actuelle, ne nuise encore plus à l’industrie des ressources du Canada et ne prive le monde des valeurs énergétiques dont il a désespérément besoin.
Le projet de loi C-235 semble être une mesure fédérale typique qui va trop loin en essayant de s’imposer sur les trois provinces de l’Ouest.
Mme Catherine Brownlee, présidente de l’Alberta Enterprise Group a déclaré la chose suivante :
[...] les entreprises albertaines sont à la fine pointe de l’innovation technologique, de la réduction des émissions et de l’innovation verte. Étant donné que l’Alberta est déjà un chef de file dans ce domaine, cela nous amène à nous demander, en tant que chefs d’entreprise, quel serait l’impact positif d’un autre cadre basé à Ottawa, comme le propose ce projet de loi.
Honorables sénateurs, c’est une plainte courante de la part des provinces. Le gouvernement fédéral a l’habitude de s’immiscer dans les affaires provinciales sans consultation, et ce projet de loi ne fera qu’aggraver la situation.
Lorsque le député Michael Kram de la Saskatchewan a demandé au député Carr s’il avait consulté le premier ministre d’une province ou les ministres provinciaux de la Saskatchewan, le député Carr a admis que non, il ne l’avait pas fait.
Le député Brian Masse a également posé une question dans ce sens :
Hormis la Saskatchewan, avez-vous le soutien d’une province, l’appui explicite d’un premier ministre ou de ministres provinciaux?
La réponse était non. Est-ce qu’il y avait un appui des Premières Nations? Non. Il a demandé s’il y avait des pétitionnaires qui réclamaient ce genre de cadre. La réponse est non.
Au comité, on a demandé à Ray Orb, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities :
Avez-vous consulté le gouvernement fédéral avant que ce projet de loi ne soit présenté au Comité et à la Chambre des communes?
Il a répondu : « Non [...] nous n’avons eu aucun contact avec M. Carr [...] il ne nous a pas consultés au sujet de ce projet de loi. »
Honorables sénateurs, il semblerait que le plan consiste à adopter le projet de loi qui exige la mise en place d’un cadre et, par la suite, il y aura des consultations, plus tard au cours de la conception du cadre. Cependant, je ferais remarquer deux choses. Premièrement, le projet de loi ne prévoit que 12 mois pour mettre le cadre en place. Ce délai est loin d’être suffisant pour mener des consultations adéquates, surtout lorsqu’on tient compte du fait que les consultations doivent inclure :
[...] les représentants des gouvernements provinciaux responsables des transports, de l’environnement et de l’emploi, des représentants des municipalités, des corps dirigeants autochtones, le secteur privé et les représentants des employeurs et des employés de ce secteur.
De plus, le ministre responsable du développement économique des provinces des Prairies doit collaborer avec six autres ministres, notamment le ministre de l’Environnement, le ministre des Transports, le ministre de l’Industrie, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, le ministre des Finances et le ministre des Ressources naturelles. Le défi est de taille. Il est impossible que 12 mois soient suffisants pour permettre ces consultations.
Deuxièmement, promettre de consulter sur le contenu d’un cadre alors qu’il n’existe aucun accord sur l’existence même de ce cadre, c’est mettre la charrue avant les bœufs. Ce n’est pas la façon de développer des initiatives de politique publique de grande envergure, ce que ce cadre produirait s’il était couronné de succès. Chers collègues, c’est le rôle du Sénat de défendre les droits des régions. Je peux vous dire sans équivoque que les régions qui seront directement touchées par le projet de loi ne veulent pas de ce projet de loi et ne l’appuient pas.
L’intention du projet de loi est noble, mais celui-ci est redondant parce que l’écologisation des économies des provinces va déjà bon train, et il va trop loin parce qu’il n’a pas l’assentiment de toutes les provinces sur lesquelles il aura une incidence. Cependant, comme je l’ai dit plus tôt, même si j’ai souligné les nombreuses lacunes du projet de loi, je ne m’opposerai pas à ce qu’il soit renvoyé au comité. En fait, j’appuierai son renvoi au comité, car c’est là que le Sénat fait son meilleur travail. Est-ce que j’aimerais que nous ayons plus de temps? Sans contredit.
C’est le devoir et le rôle du comité et du Sénat d’examiner le projet de loi selon ses mérites. Je suis donc d’accord pour qu’il soit étudié à l’étape de la deuxième lecture et j’ai hâte de participer personnellement à son étude en comité. J’espère que vous êtes du même avis. Merci, honorables sénateurs.
Sénateur Plett, quand j’ai posé la question qui suit au sénateur Cotter, il a mentionné que cela dépassait ses connaissances, ou peut-être ses compétences. Vous faites vous-même partie des leaders du Sénat et vous nous avez dit que ceux-ci avaient accepté de donner priorité à l’étude de ce projet de loi. Nous le renverrons sans doute au comité aujourd’hui, et j’appuierai ce renvoi.
L’entente concernant la priorité accordée à ce projet de loi prévoit-elle que toutes les étapes — le renvoi au comité, l’étude en comité et la troisième lecture — seront accomplies à toute vitesse, en trois jours seulement, et que tout sera réglé cette semaine avant le congé des Fêtes?
Je vais devoir répondre à cette question de plusieurs façons différentes, sénateur Patterson. En effet, nous étions d’accord pour accorder la priorité à ce projet de loi ainsi qu’à d’autres projets de loi de la Chambre des communes, comme le mentionne la motion. Nous examinerions tous les projets de loi d’intérêt public des Communes, nous les classerions par ordre de priorité et nous en renverrions trois au comité.
Il n’a pas été prévu que nous nous précipitions. J’espère donc que nous ne nous précipiterons pas. J’espère que nous aurons des réunions de comité approfondies. Cependant, le nombre de jours dont nous disposons est limité. Je suis persuadé que la présidence et le comité directeur du comité auquel ce projet de loi sera renvoyé se mettront très rapidement au travail et feront en sorte que nous ayons deux, trois ou, au besoin, quatre réunions au cours des deux prochains jours pour étudier ce projet de loi. Cela peut sembler un peu irréaliste, mais, sénateur Patterson, d’après ce que j’ai compris, nous avions convenu qu’il y aurait un vote à l’étape de la troisième lecture avant le congé de Noël.
Sénateur Plett, je vous remercie d’avoir précisé que, en ce qui a trait à cet important projet de loi, qui, comme vous l’avez indiqué, soulève d’importantes questions, on prévoit faire adopter ces mesures à la hâte, si je peux m’exprimer ainsi, en seulement trois jours, en incluant aujourd’hui. Dans votre discours, vous avez dit que vous auriez souhaité avoir plus de temps. Or, nous aurons plus de temps, sénateur Plett, si le comité prend le temps d’entendre des témoins, y compris des témoins de l’Alberta, qui n’ont pas pu participer aux audiences à l’autre endroit. Pourquoi devrions-nous nous presser à toutes les étapes de l’étude de ce projet de loi, y compris à l’étape du comité, et ce, dès cette semaine, avant la pause pour la période des Fêtes?
Les comités sont maîtres de leurs propres travaux. Je participerai à l’étude au comité; j’y présenterai mon opinion, comme le feront d’autres. Si le comité devait demander plus de temps pour quelque raison que ce soit, il faudrait évidemment y réfléchir. C’est exactement ce que nous avons fait avec le projet de loi C-11, sénateur Patterson. Le processus ne s’est pas déroulé exactement comme le gouvernement l’aurait espéré. Il ne fait aucun doute que j’ai plus de sympathie dans ce cas-ci pour des raisons personnelles.
Nous nous trouvons dans une situation difficile, sénateur Patterson. Je l’ai dit sans ambages au début de mon discours : j’ai donné ma parole à un collègue mourant que je ne ferais pas obstacle à la progression de cette mesure législative. Je ne lui ai pas promis que j’appuierais le projet de loi, mais que je n’y ferais pas obstacle.
À mon avis, nous avons eu des discussions ouvertes et justes à nos rencontres des représentants des différents groupes. J’ai parfois dit qu’il s’agissait de rencontres à huis clos. Je ne l’ai jamais complètement accepté. Je dois donc faire un peu attention à ce que je dirai. Je suis sûr que vous en avez parlé avec le leader de votre caucus. Il a participé à ces rencontres, tout comme moi, la sénatrice Cordy, la sénatrice Saint-Germain et le sénateur Gold. Les chefs du personnel étaient aussi présents. Il y avait beaucoup de monde. Il y a donc beaucoup de gens qui pourront me corriger si ce que je dis est faux. Je croyais que nous nous étions tous entendus pour faire exactement ce que nous faisons maintenant.
On pourrait parler de précipitation. Ce ne serait certes pas la première fois qu’un comité n’a pas autant de temps qu’il le voudrait pour se réunir, mais nous verrons ce qui va se passer. Je crois fermement, sénateur Patterson, que les provinces sont également maîtresses de leurs affaires. Franchement, si les trois provinces des Prairies unissent leurs efforts pour s’opposer au projet de loi, je ne m’attends pas à ce que ce dernier aboutisse.
Sauf le respect que je dois à mes collègues, je pense que si quelqu’un imposait des mesures à l’Ontario ou au Québec, la situation serait gérée un peu différemment que lorsqu’on impose quelque chose aux provinces de l’Ouest.
Cela étant dit, le député Carr était un fier d’être Manitobain, et ce projet de loi vient du Manitoba. Il n’a pas été présenté par le gouvernement fédéral, même s’il a mis son poids derrière lui en fin de compte. C’est un projet de loi venant du Manitoba.
Est-ce que le sénateur Plett accepterait de répondre à une question?
Oui.
Je vais vous la poser en français, si vous le permettez. Le projet de loi a été présenté à la Chambre des communes le 7 février 2022. On vient de le recevoir et on a deux jours pour l’étudier. Au cours de la dernière semaine, on a limité énormément les travaux des différents comités. Pourriez-vous nous dire pourquoi? À la lumière des commentaires que vous avez faits dans votre critique du projet de loi, qui sont très pertinents, malgré le fait qu’il y ait une entente entre les leaders, pourquoi le Sénat ne pourrait-il pas prendre le temps nécessaire pour bien étudier ce projet de loi?
Je dirai ceci : les décisions ont, bien sûr, été prises alors que M. Carr était toujours en vie. Nous savions à quel point il était malade. Jim Carr tenait mordicus à voir ce projet de loi adopté avant son décès. Cela ne s’est pas produit.
Le premier ministre a usé de son poids pour en accélérer l’étude. C’est l’une des raisons. Je crois que l’appui du gouvernement n’est pas passé inaperçu puisqu’il a modifié l’ordre des affaires dont devait traiter le Sénat et retardé l’étude des affaires du gouvernement pour faire passer ce projet de loi en priorité. Je n’accuse personne, mais je crois que nous sommes tous des adultes capables de lire entre les lignes et de déduire ce qui s’est produit.
Pour ce qui est de la précipitation entourant l’adoption du projet de loi, je peux vous dire, sénatrice Moncion, que j’ai l’intention de voter contre le projet de loi, ou peut-être de permettre son adoption avec dissidence. D’après la compréhension que j’ai du projet de loi, je n’ai pas l’intention de l’appuyer. Je prévois poser des questions au comité. Je crois que quatre heures suffiraient au comité pour étudier le projet de loi — il y a les témoignages donnés à l’autre endroit que nous pouvons aussi étudier. Ce ne serait pas la première fois qu’un comité du Sénat étudie des mesures législatives très importantes en quatre ou six heures. Il ne s’agit pas d’un projet de loi volumineux. Ce n’est pas comme le projet de loi C-11. Il s’agit d’un projet de loi assez simple, si on veut, et je ne suis pas certain qu’il serait utile de tenir deux réunions de deux heures à son sujet pour arriver à quatre heures. Une fois le projet de loi renvoyé au comité, j’imagine que nous serons en mesure d’établir la marche à suivre.
Est-ce que le sénateur Plett accepterait de répondre à une autre question?
Oui.
Sénateur Plett, je voudrais vérifier la compréhension que vous avez du projet de loi. Si je comprends bien le texte de loi, on confie à un ministre fédéral le soin d’élaborer, avec d’autres ministres fédéraux, un cadre, et je cite le paragraphe 3(1) du projet de loi :
[...] visant à coordonner la coopération et la mobilisation locales aux fins de la mise en œuvre de programmes fédéraux dans divers secteurs en vue de développer une économie verte dans les provinces des Prairies.
Selon vous, est-ce que le projet de loi vise uniquement la coordination et la coopération pour la mise en œuvre de programmes fédéraux? On ne parle pas d’obtenir l’accord des provinces, mais d’un travail confié à un ministre fédéral, en collaboration avec d’autres ministres fédéraux, pour que ces ministres élaborent un cadre permettant de « coordonner la coopération et la mobilisation locales aux fins de la mise en œuvre de programmes fédéraux ». Est-ce que cela correspond à votre compréhension du projet de loi C-235?
Non, sénatrice Dupuis, je pense que vous avez assez bien compris le projet de loi. Il est clairement question que le gouvernement fédéral participe à l’élaboration d’un plan vert pour les Prairies.
Les provinces des Prairies affirment que c’est déjà ce qu’elles font et qu’elles le font beaucoup mieux que le pourrait le gouvernement fédéral. Le Québec affirme souvent qu’il est plus à même de gérer ses programmes que le gouvernement fédéral ne peut le faire.
À mon avis, c’est de cela qu’il est question. Il ne s’agit pas de savoir si c’est un objectif louable, car c’est probablement le cas. Les provinces affirment qu’elles ont déjà commencé à mettre en œuvre leurs plans et qu’elles n’ont pas besoin de l’ingérence d’un organe du gouvernement fédéral. Elles affirment qu’elles sont en mesure de se gouverner dans ce domaine, et que c’est ce qu’elles souhaitent. Elles ne veulent pas que le gouvernement fédéral vienne se mêler de leurs affaires. Elles ne veulent pas de cette emprise paternaliste du gouvernement fédéral.
En fait, il n’est pas question ici d’une divergence d’opinions sur ce qui devrait être fait dans les provinces des Prairies. Il s’agit plutôt d’une divergence d’opinions dans le sens où, en tant que Manitobain, je ne tiens pas à ce que le gouvernement fédéral — par le biais de quelque organe que ce soit —, vienne nous dire quoi faire dans un domaine que les Manitobains sont, à mon avis, mieux à même de gérer eux-mêmes.
Sénateur Plett, en tant que Manitobaine, puis-je poser à mon compatriote une question semblable à celle de la sénatrice Dupuis?
Je crois que nous essayons d’établir une économie verte dans le but ultime d’assurer l’avenir de la planète. Oui, ce projet de loi vise à consulter ma région, l’Ouest canadien, et à donner au ministre responsable de Développement économique Canada pour les Prairies un mandat et un cadre pour consulter les Premières Nations, les Métis et les municipalités des provinces, ainsi que les entreprises et la société civile — et non pour leur dire quoi faire — pour apporter les changements dont nous avons besoin afin d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Si c’est le cas et si nos provinces ont une longueur d’avance sur les autres, n’avons-nous pas la responsabilité de partager cette information afin de mettre en place un cadre national?
Il se trouve que je crois qu’il s’agit d’un objectif louable pour l’avenir de l’Ouest. J’aimerais savoir si vous êtes d’accord avec moi pour dire que cet objectif est louable et que la consultation et l’élaboration d’un cadre ne signifient pas nécessairement que le gouvernement fédéral dira aux régions ce qu’elles doivent faire. Peut-être est-ce plutôt les régions qui informeront le gouvernement fédéral de ce qu’elles doivent faire.
Eh bien, sans conteste, j’aimerais dire au gouvernement ce qu’il doit faire — il ne m’écoute tout simplement pas.
Sénatrice Bovey, vous pourriez bien avoir raison. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un programme national lorsque vous choisissez trois provinces et que vous intitulez le projet de loi « Loi concernant le développement d’une économie verte dans les Prairies ». Une loi concernant le développement d’une économie verte au Canada s’inscrirait dans un programme national. Alors pourquoi ne le faisons-nous pas? Ce serait alors un projet fédéral.
Ils demandent de dialoguer avec les Manitobains, les Saskatchewanais et les Albertains pour les aider à développer une économie verte alors que l’exploitation du gaz par l’Alberta, par exemple, et l’exploitation de la potasse par la Saskatchewan sont les plus vertes du monde. Ce n’est pas une réalisation du gouvernement fédéral. C’en est une de la province de la Saskatchewan.
Je ne suis pas du tout contre ce que vous avez dit. La Saskatchewan et l’Alberta ont fait de grands pas dans ces aspects du travail. Toutefois, nous sommes une nation formée de régions, et chaque région va approcher l’énergie verte d’un point de vue différent en fonction de ce qu’elle fait, de sa situation géographique, de son climat, etc.
Je ne comprends pas pourquoi le projet de loi présenté par l’honorable Jim Carr ne permet pas une telle discussion. À mon avis, notre région forme une partie très importante de notre nation. Si nous faisons certaines choses mieux que dans d’autres régions du pays en raison de notre situation géographique, alors tant mieux. Peut-être que nous pourrions tous pousser les choses un peu plus loin. Lorsque nos enfants et nos petits-enfants — n’est-ce pas? — construisent un édifice avec des briques LEGO, ils doivent avoir toutes les pièces pour terminer cet édifice. À mon avis, ce projet de loi est une des pièces de cet édifice.
Je vous remercie, sénatrice Bovey. Je ne m’oppose pas à ce que le gouvernement fédéral demande à la Saskatchewan, au Manitoba et à l’Alberta ce qu’il peut faire pour les aider. Ce n’est toutefois pas ce qu’il fait. Il n’a pas besoin d’un projet de loi pour leur offrir de l’aide et des conseils. Il peut simplement les offrir.
Les premiers ministres provinciaux supplient depuis un certain temps le premier ministre d’assister à une rencontre des premiers ministres consacrée à la santé. Malgré leurs supplications, il n’a toujours pas accepté. Si le premier ministre souhaite appuyer ce projet de loi, pourquoi ne va-t-il pas au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta pour rencontrer les trois premiers ministres et leur demander ce qu’il peut faire pour les aider, au lieu de dire « Voici ce que je vais faire. » Voilà où est la différence, sénatrice Bovey.
Dans le cas dont nous discutons, il s’agit du député Carr. Je le dis respectueusement, car il avait tout à fait le droit de présenter un projet de loi d’initiative parlementaire. Je trouve problématique que le premier ministre appuie cette mesure, mais ce n’est pas la première fois qu’un premier ministre appuie des projets de loi d’initiative parlementaire et ce ne sera probablement pas la dernière. Il y a un problème quand on a l’impression que le gouvernement fédéral tente de nous dire quoi faire, alors que nous le savons bien mieux que lui.
Le sénateur accepterait-il de répondre à une autre question?
Certainement.
Les Premières Nations sont aussi maîtres de leurs propres travaux. Comment va-t-on informer les dirigeants des Premières Nations et ceux qui défendent les intérêts des Premières Nations afin qu’ils puissent être présents, et comment le comité veillera-t-il à pouvoir entendre l’avis des peuples autochtones?
Je vous remercie de la question, sénatrice McCallum. Quel que soit le comité auquel ce projet de loi sera renvoyé, qu’il s’agisse du Comité de l’agriculture et des forêts ou du Comité de l’énergie, de l’environnement et des ressources naturelles, je ne fais pas partie du comité directeur, et ce sera à lui de déterminer quels témoins seront entendus.
Sénatrice McCallum, je pense que vous pourrez reconnaître que, dans les derniers mois, j’ai appelé le gouvernement fédéral à mieux consulter les communautés autochtones à l’égard de certains projets de loi, notamment en ce qui a trait au projet de loi C-11. Je vais donc continuer de le faire. Pour ce qui est de savoir comment le comité traitera de cette question, je suis désolé, mais je ne peux pas fournir de réponse avant que le projet de loi soit renvoyé à un comité et que nous voyions sa liste de témoins, car je n’ai vu aucune information à ce sujet.
Sénateur Plett, merci d’avoir exprimé votre appui à l’égard du principe selon lequel les comités sénatoriaux sont maîtres de leur propre destinée, un principe que j’appuie sans réserve, car il s’agit d’un élément distinctif des travaux du Sénat.
Vous avez mentionné que le premier ministre avait usé de son poids pour accélérer l’adoption du projet de loi. J’aimerais vous demander, vu la séparation des pouvoirs entre les pouvoirs judiciaire, exécutif et législatif — un principe fondamental de notre système de style Westminster —, croyez-vous qu’il soit approprié que le délai de la troisième lecture d’un projet de loi, y compris celui-ci, soit déterminé par des membres du pouvoir exécutif, des ministres ou même le premier ministre?
Je répondrai deux choses. Premièrement, l’autre endroit utilise fréquemment l’attribution de temps, donc manifestement, cela se fait. Cela se produit constamment. Cela se fait depuis 150 ans, sénateur Patterson.
Nous n’avons pas eu recours à l’attribution de temps; nous avons eu des négociations. Cela s’est fait non pas par le pouvoir exécutif, mais par cinq leaders élus par leur caucus respectif. Ils ont convenu des délais. Selon moi, la décision était unanime.
Les honorables sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?
Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?
Des voix : D’accord.
(La motion est adoptée et le projet de loi est lu pour la deuxième fois.)