Aller au contenu

Le discours du Trône

Motion d'adoption de l'Adresse en réponse--Suite du débat

23 septembre 2025


L’honorable Pierre Moreau (représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Honorables sénateurs, j’aimerais souligner que nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe et exprimer mon engagement à l’égard de la vérité et de la réconciliation avec les Premières Nations, les Inuits et les Métis.

Chers collègues, la 45e législature a été ouverte par Sa Majesté le roi Charles III. La présence du roi parmi nous, dans cette enceinte, signifie que les temps sont peu ordinaires.

La grandeur des projets envisagés par le premier ministre indique que le programme du gouvernement n’est pas ordinaire.

Chers collègues, ce Parlement n’est pas ordinaire.

Le Parlement a été convoqué, nous a dit le roi, pour répondre à « des défis sans précédent » dans notre vie. En effet, chers collègues, au cours de nos vies, nous n’avons jamais été confrontés à une situation semblable : la menace d’annexion de notre principal allié, ce partenaire commercial imprévisible que sont devenus les États-Unis, la montée de l’autocratie et un monde dans lequel l’ordre fondé sur la règle de droit est menacé. Alors que nous continuons notre avancée dans le XXIe siècle, ce n’est pas le monde que j’avais imaginé pour mes enfants et mes petits-enfants.

Le roi, qui n’est pas étranger aux bouleversements politiques — le plus récent étant le Brexit —, nous a exhortés à profiter de cette occasion historique de renouveau pour voir grand et poser des gestes encore plus grands, et à profiter de cette occasion pour entreprendre la plus vaste transformation de notre économie depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Chers collègues, ces mots sont lourds de sens. Je suis convaincu que notre pays relèvera ces défis et que cette Chambre contribuera largement à la gestion de la grande transformation qui est en cours.

Honorables sénateurs, je tiens à remercier le premier ministre Carney de m’avoir nommé représentant du gouvernement au Sénat et je tiens à remercier la Présidente, les leaders et chacun d’entre vous pour votre accueil chaleureux.

Je suis honoré de prendre la parole au Sénat pour participer au débat sur le discours du Trône. Bien que le Règlement du Sénat m’accorde un temps de parole illimité, mon épouse m’a conseillé, à juste titre je pense, de ne pas abuser de ce privilège lors de mon premier jour en fonction. Mon épouse a toujours raison.

Dans son discours de départ à la retraite, la sénatrice Bellemare a souligné que cette enceinte réunissait un groupe de personnes talentueuses qui, dans leurs domaines respectifs, sont toutes sorties premières de leur classe. Chers collègues, alors que j’assume ma fonction, je tiens, en toute humilité, à réitérer les éloges de la sénatrice Bellemare. C’est un honneur de faire partie de votre groupe.

Alors que nous traversons ensemble cette période difficile, je bénéficierai de vos sages conseils. Au Sénat, dans les comités et dans le cadre de nos fonctions extraparlementaires, comme le travail diplomatique que nous accomplissons auprès des associations parlementaires et des groupes d’amitié, nous sommes aujourd’hui appelés à représenter cette institution et la population canadienne avec une détermination renouvelée.

Il y a trois mois, j’ai prononcé mon premier discours. Aujourd’hui, je tiens à réaffirmer sans ambiguïté mon engagement en faveur d’un Sénat indépendant. J’avais alors expliqué, sans minimiser les atouts que les partis politiques apportent à la démocratie de Westminster, que le Sénat doit s’efforcer de transcender les excès de la politique partisane. J’avais aussi expliqué que nous devons nous employer à protéger les droits individuels, tout en continuant à mettre l’accent sur le bien commun. Par ailleurs, le gouvernement doit maintenir un processus de nomination fondé sur le mérite, dans lequel l’expérience, la personnalité et l’aptitude personnelle sont les principaux critères qui régissent la sélection des nouveaux sénateurs par le comité consultatif. Je continue à défendre ces valeurs et à respecter ces engagements.

Mes prédécesseurs, les sénateurs Harder et Gold, nous ont guidés à travers une décennie créative dans l’évolution du Sénat, une décennie qui a apporté des changements importants au Règlement et un mode de gouvernance qui a rompu avec le duopole traditionnel. Je salue leur travail. Étant leur successeur, je tiens à vous assurer que je partage leur vision du Sénat, alors qu’il poursuit son évolution.

Dans mon premier discours, j’avais déclaré que, heureusement, le Sénat n’est pas figé dans le temps. Plus que jamais, chers collègues, nous sommes appelés à nous adapter à des contextes nationaux et internationaux qui subissent des changements tectoniques. Comme le Sénat l’a fait par le passé, nous comprenons tous que nous ne pouvons pas traiter les problèmes d’aujourd’hui avec les solutions d’hier. Les règles et les coutumes de cette institution nous permettent de nous gouverner avec souplesse. Faisons-le toutefois avec sagesse, prudence et responsabilité.

Ce matin, j’ai fait la première annonce concernant l’expansion du bureau du représentant du gouvernement. Comme vous le savez, la Loi sur le Parlement du Canada permet que ce bureau soit composé de cinq sénateurs. Cependant, après avoir examiné attentivement les lois et règles régissant le Sénat, je demande aux sénateurs d’adopter une motion visant à garantir l’harmonisation des rôles du bureau du représentant du gouvernement avec la loi et le Règlement administratif du Sénat.

Le Sénat est maître de ses règles et procédures, et j’attends avec impatience son accord et l’adoption de la motion demain afin que je puisse, en temps voulu, présenter le cinquième membre de l’équipe du bureau du représentant du gouvernement.

Permettez-moi maintenant de vous expliquer pourquoi je vous demande d’appuyer la motion qui permettra au bureau du représentant du gouvernement de passer à cinq membres. Comme le premier ministre l’a souvent mentionné, pour bâtir un Canada fort, le Parlement doit travailler en étroite collaboration avec les provinces, les territoires et les peuples autochtones. Si nous voulons relever les défis auxquels nous sommes confrontés, nous devons mobiliser tous les éléments de la fédération et ramer dans la même direction. Il en va de même pour le Sénat. C’est pourquoi l’équipe que je propose, en plus d’être composée de personnes exceptionnellement compétentes, représente les différentes parties de la fédération : l’Est du Canada, le Centre du Canada, l’Ouest du Canada et le Nord du Canada.

Honorables sénateurs de tout le pays, la sénatrice LaBoucane-Benson continue à assumer le rôle de coordonnatrice législative. En sa qualité de Métisse du territoire du Traité no 6 en Alberta, l’attachement qu’a la sénatrice LaBoucane-Benson envers la réconciliation est inestimable pour le bureau du représentant du gouvernement. Avec plus de cinq ans d’expérience au sein de cette équipe, où elle a travaillé avec mon prédécesseur, le sénateur Gold, la sénatrice m’aide à assurer la continuité en ce qui concerne les activités du bureau et l’évolution du Sénat. Je la remercie sincèrement de sa résolution.

La sénatrice Petten, de Terre-Neuve-et-Labrador, conserve son poste d’agente de liaison du gouvernement. La sénatrice Petten apporte une riche expérience du secteur privé et du secteur des entreprises, qu’elle combine à son service public, ainsi qu’à sa connaissance approfondie des problématiques auxquelles sont confrontés les Canadiens de la région de l’Atlantique. Forte de cette expérience, elle est bien placée pour établir des ponts entre nos différents groupes. Je la remercie également pour son engagement continu.

Issue du Groupe des sénateurs indépendants, dont je suis sûr qu’elle continue de chérir les valeurs, la sénatrice Pat Duncan rejoint l’équipe du bureau du représentant du gouvernement en tant qu’agente de liaison adjointe. Ancienne première ministre du territoire du Yukon, la sénatrice Duncan apporte au bureau du représentant du gouvernement plus de deux décennies d’expérience législative et une oreille attentive aux questions qui touchent l’Ouest et le Nord du Canada, ainsi que les nombreuses collectivités rurales et éloignées du pays. Ayant siégé à la table des premiers ministres, la sénatrice Duncan connaît de première main les points de vue des 13 provinces et territoires.

Nos engagements sont simples et vous les connaissez bien : comment mieux représenter les voix des minorités et comment mieux défendre les différents intérêts régionaux de ce vaste pays, y compris ceux des communautés rurales trop souvent négligées? Honorables sénateurs, en tant que représentant du gouvernement, mon travail consiste à assurer la liaison entre le Sénat et le gouvernement. Comme l’a déjà dit le sénateur Harder, j’agis comme un intermédiaire, un canal de transmission.

Le travail de mon équipe élargie consiste à renforcer ce lien et à augmenter la connectivité entre le bureau du représentant du gouvernement au Sénat, le BRG, vos bureaux et ceux de l’autre endroit. Cette Chambre regorge d’expertise et de sagesse politique, et je souhaite que le bureau du représentant du gouvernement au Sénat vous aide et aide le gouvernement à en tirer le meilleur parti.

Les sénateurs du BRG se verront attribuer un ensemble de portefeuilles ministériels à surveiller. Grâce à une équipe de cinq sénateurs, nous serons en mesure de mieux connaître les travaux effectués par les comités, ce qui permettra d’assurer une circulation plus fluide de l’information et d’apporter plus de clarté quant à la position du gouvernement sur les mesures législatives et les études des comités. En bref, en élargissant le BRG, nous serons plus proactifs et plus représentatifs des nombreuses régions qui composent le Canada.

Cette modification ne change en rien mon intention de confier aux sénateurs des différents groupes qui composent le Sénat la responsabilité de parrainer des projets de loi du gouvernement. Ces choix se feront en tenant compte de l’intérêt manifesté et de l’expérience des sénateurs; ils se feront au cas par cas. Le BRG n’entend pas s’arroger le privilège de parrainer tous les projets de loi.

Sénateurs, que ce soit clair, le bureau du représentant du gouvernement continuera de compter sur les sénateurs pour qu’ils parrainent, à titre individuel, des projets de loi.

Il existe d’autres moyens pour que le Sénat exerce une plus grande influence parlementaire et politique. Au cours de la dernière décennie, le Sénat a amendé un nombre sans précédent de projets de loi et, ce faisant, il a profondément influencé les politiques publiques de notre pays. Il s’agit là d’une réalisation importante. Nous devons continuer à marquer de notre empreinte le processus législatif, en particulier en amont, en influençant l’autre Chambre par des voies informelles et formelles.

Les études préalables constituent l’un des moyens dont nous disposons. Il s’agit d’un mécanisme qui permet aux comités d’entreprendre une étude dès qu’un projet de loi est déposé à l’autre endroit. Au cours des dernières années, les études préalables ont fait l’objet de nombreux débats, mais je tiens néanmoins à exprimer mon opinion à ce sujet. En bref, les études préalables sont un atout dont nous devrions mieux tirer parti. Elles nous permettent de participer au débat dès le début et sans limiter notre obligation constitutionnelle d’effectuer un examen.

S’il s’agissait simplement de faire adopter une loi par le Sénat à toute vapeur dans un souci d’efficacité, je serais certainement d’accord avec ceux qui doutent des mérites des études préalables. Nous avons un travail à accomplir. Nous avons un devoir constitutionnel. L’efficacité ne justifie pas à elle seule la décision de procéder à une étude préalable, mais ce n’est pas tout.

À mon avis, les études préalables permettent au Sénat d’exercer une plus grande influence sur le processus législatif. Non seulement un projet de loi suit son parcours habituel dans notre système bicaméral, mais grâce au mécanisme de l’étude préalable, un comité peut influencer l’autre endroit et l’inciter à apporter des modifications importantes avant que le projet de loi ne passe par les étapes des trois lectures ici, au Sénat. Chers collègues, nous disposons ainsi de plus de temps, et non moins, pour faire notre travail. C’est là l’avantage que les études préalables apportent à notre travail au Sénat.

Pour diverses raisons, la décision d’entreprendre une étude préalable doit être prise au cas par cas. Cependant, tout en maintenant notre tradition qui consiste à entreprendre des études préalables pour diviser et examiner les projets de loi d’exécution du budget, j’informe le Sénat que j’inciterai les leaders à discuter de la possibilité d’en entreprendre une notamment lorsqu’un projet de loi comporte des caractéristiques uniques qui le rendent digne d’une attention particulière, ou lorsqu’un projet de loi est complexe et comporte plusieurs facettes. Dans les bonnes circonstances, une étude préalable permet au Sénat d’apporter une contribution précieuse aux politiques publiques, et nous devons utiliser judicieusement cet outil précieux du Sénat.

Il existe aussi un autre type d’étude pour lequel le Sénat est historiquement connu, à savoir les études approfondies et exhaustives que seuls les comités du Sénat peuvent entreprendre. En relisant le discours inaugural du sénateur Harder — je recommande à tous les nouveaux sénateurs de le lire, car il s’agit d’un document précieux —, j’ai été encouragé de constater que le représentant du gouvernement de l’époque recommandait également aux sénateurs de poursuivre les études approfondies et exhaustives qui ont fait la renommée du Sénat.

Le sénateur Harder a fait référence à l’étude novatrice du sénateur Michael Kirby sur la santé mentale, dont les travaux préliminaires ont débuté en novembre 2004 et dont le rapport a finalement été déposé dans cette Chambre en mai 2006. On peut également citer d’autres études, comme celle portant sur le vieillissement de la population canadienne, menée en 2009 par la sénatrice Sharon Carstairs, qui a duré deux ans et demi, ou l’étude sur les drogues illicites, menée par le sénateur Pierre Claude Nolin en 2002, qui a donné lieu à un rapport en deux volumes sur les questions liées à la consommation, à l’usage et à la réglementation du cannabis.

Même si les résultats de ces études ne sont pas toujours immédiats, ce sont elles qui, à moyen et à long terme, sont susceptibles d’influencer davantage le programme du gouvernement. Dans son discours de 2016, le sénateur Harder mentionnait à quel point le rapport Kirby, publié 10 ans plus tôt, continuait d’influencer le gouvernement actuel. Chers collègues, l’autre endroit est accablé par la « chasse aux votes » et la priorité accordée à la réélection. Nous avons le privilège d’avoir du temps et de pouvoir mettre de côté les comportements partisans. Plus de temps et moins de partisanerie nous permettront de mener à bien des études qui profiteront à tous les Canadiens.

Je tiens maintenant à revenir sur la période historique unique que le roi a décrite. Chers collègues, comme vous le savez, non seulement le discours du Trône expose le programme du gouvernement, mais il décrit également l’état dans lequel se trouve le pays.

Plus de 100 jours se sont écoulés depuis que le roi s’est adressé au Sénat, et la situation du pays n’a pas beaucoup changé; elle demeure critique. Bien que le discours sur la destinée manifeste se soit atténué et que nos relations commerciales avec les États-Unis aient retrouvé une certaine stabilité, les Canadiens ont perdu confiance dans notre relation continentale. Même si j’ai bon espoir que nos relations avec les États-Unis se rétabliront un jour, l’amitié que nous avons tissée à la suite de la Seconde Guerre mondiale ne sera plus jamais la même. C’est un moment où il convient d’appliquer la devise « Je me souviens » à l’échelle du Canada.

Le problème ne se limite pas à l’Amérique du Nord. Mis à part les défauts historiques des États-Unis — en particulier son héritage de terribles relations raciales —, le monde admirait autrefois ce que ce pays représentait : en un mot, la démocratie. Aujourd’hui, son président méprise les idéaux mêmes qui vous inspirent à siéger en cette enceinte. Chaque semaine qui passe, le financement d’un organisme de réglementation est supprimé et la primauté du droit est ternie, que ce soit par des expulsions ou de la violence impitoyable dans les rues et sur les campus universitaires. Les États-Unis n’ont jamais paru aussi mal depuis la deuxième moitié du mandat de Lyndon Johnson.

Chers collègues, la crise est réelle. Le premier ministre a déclaré que le Canada « est à nouveau confronté à des puissances militaires, à des frontières contestées et à l’agression autoritaire ». Cependant, comme l’a écrit le poète allemand Friedrich Hölderlin : « Mais là où est le danger croît aussi ce qui sauve. »

Mon ancien chef, le premier ministre Jean Charest, a déclaré que, dans 20 ans, les Canadiens remercieront le président Trump pour le remaniement économique dont ils avaient tant besoin. Honorables sénateurs, le programme législatif du gouvernement est ambitieux. Le premier ministre veut mettre de l’avant plusieurs projets qui transformeront durablement notre pays et bâtiront la nation de demain, des projets à grande échelle comme l’ont été Expo 67 et la construction de la Voie maritime du Saint-Laurent. Pour amorcer son initiative, le gouvernement a créé le Bureau des grands projets. Le nom, à lui seul, en dit long.

Cela dit, permettez-moi de tempérer mon enthousiasme pour cette transformation en abordant une question que plusieurs d’entre vous peuvent se poser : lorsqu’un gouvernement entreprend des projets de grande envergure, les avancées démocratiques — comme les acquis réglementaires obtenus de haute lutte ou la réconciliation avec les peuples autochtones — doivent-elles être mises de côté?

En tant que Chambre de réflexion, il est assurément de notre devoir de surveiller tout cela et de toujours être à l’affût. Nous devons nous assurer que les droits et libertés consacrés dans la Charte ne sont pas bafoués, et nous devons veiller à ce que les voix des peuples autochtones soient entendues et à ce que nos décisions prennent en compte les droits des minorités et des groupes sous-représentés. Nous devons garantir l’équité dans toutes les régions du Canada, y compris dans les communautés éloignées et les communautés rurales. C’est notre devoir constitutionnel.

Par contre, dans notre vigilance, nous ne devons pas oublier que les grands projets menés par les gouvernements sont au cœur des démocraties modernes, qu’ils sont créateurs de richesse et qu’ils nous permettent de financer le filet de sécurité sociale qui est cher aux Canadiens. Dans ma province natale, c’est le gouvernement de Jean Lesage qui a été le fer de lance d’une politique industrielle qui continue aujourd’hui à profiter aux Québécoises et aux Québécois. Les mesures audacieuses prises par son gouvernement ont donné lieu à des projets d’infrastructure à grande échelle comme Hydro-Québec, qui fournit de l’électricité propre et renouvelable tout en continuant d’enrichir les Québécois.

Chers collègues, le défi qui nous attend est de taille. À une époque où l’autocratie est en plein essor, nous devons reconstruire ce pays sans renoncer à nos valeurs démocratiques.

Permettez-moi de conclure en soulignant ce que je considère comme le rôle principal du Sénat au sein du Parlement. En tant que Chambre de second examen objectif, le Sénat existe pour empêcher les éventuels excès de la Chambre élue. Cependant, le gouvernement a pour mandat de mettre en œuvre les politiques qu’il a énoncées dans son programme électoral. Les Canadiens ont voté pour ces politiques, et ils sont en droit de les obtenir.

Nous devons non seulement garder à l’esprit ce pour quoi les Canadiens ont voté, mais aussi tenir compte de la manière dont ils ont voté. Même si l’opposition officielle de Sa Majesté ne s’attendait pas à se retrouver à la même place, plus de 8 millions de Canadiens ont voté pour le parti du sénateur Housakos, soit près de 42 % des personnes qui se sont rendues aux urnes le jour du scrutin. Notre institution démocratique doit en tenir compte et ne pas faire fi de cette réalité de la représentation politique.

Chers collègues, j’ai dit que la présence du roi signifiait que nous ne vivions pas une période ordinaire et que le programme du gouvernement sortait de l’ordinaire. Ce n’est pas une législature ordinaire, et, compte tenu du talent qui se trouve dans cette enceinte, je suis convaincu que je peux compter sur vous pour servir les Canadiens de manière extraordinaire.

Merci. Meegwetch.

Honorables sénateurs, je tiens moi aussi à commencer par une reconnaissance du territoire. Nous sommes réunis sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe, et je suis heureuse de vivre sur le territoire où le chef Whitecap a recommandé à John Lake de fonder, en 1882, une colonie qui est devenue la ville de Saskatoon. Cette ville se trouve sur le territoire du Traité no 6, territoire traditionnel des Métis.

Je suis honorée d’être ici et reconnaissante envers l’ancien premier ministre Justin Trudeau et la gouverneure générale Mary Simon de m’avoir nommée à ce poste il y a à peine un an. J’ai hâte de servir notre pays avec vous tous.

Honorables collègues, nous avons tous été nommés pour représenter une région. Dans mon cas, il s’agit de la Saskatchewan. Je suis née à Humboldt et j’ai grandi sur une ferme céréalière qui se trouve entre Muenster et St. Gregor. Même si je n’ai pas toujours aimé la vie agricole, elle m’a appris l’importance du travail acharné, de la résolution de problèmes et de la persévérance, et elle m’a inculqué la conviction que, quand une personne est en difficulté, le reste de la collectivité doit intervenir. Cette éthique communautaire est au cœur de ma formation et me guide encore aujourd’hui.

Entre mon départ de la ferme et mon arrivée au Sénat, j’ai travaillé pendant 36 ans comme travailleuse sociale, tant sur le terrain que dans l’administration. Plus récemment, j’ai occupé le poste de directrice générale de l’Hôpital St. Paul’s, où j’ai dirigé notre réponse à la pandémie et, parallèlement, les efforts de RéconciliACTION. Auparavant, j’étais directrice des services de santé mentale et de toxicomanie pour la région sociosanitaire de Saskatoon et la Régie de la santé de la Saskatchewan, un travail qui m’a permis de mieux comprendre que la santé est influencée par le revenu, l’environnement, l’inclusion et l’appartenance. J’ai vu comment les inégalités systémiques telles que le classisme, le racisme, l’homophobie, le capacitisme et le sexisme s’entrecroisent et touchent les plus vulnérables. Cela m’a montré à maintes reprises l’importance d’adopter une écoute active, d’accorder à chaque personne la dignité qui lui est due et de mettre mes privilèges au service de l’équité.

Je reste attachée à ces principes alors que j’entame mon parcours au Sénat.

Examiner des mesures législatives et en débattre n’est pas un exercice abstrait : il s’agit de comprendre comment nos décisions affectent l’ensemble de la population. Je pense qu’il est important de prendre en compte toute la diversité humaine, en veillant à ce que les expériences des Premières Nations, des femmes et des personnes de toutes les identités de genre, mais aussi des personnes de tous les âges et de toutes les capacités soient entendues et prises au sérieux.

Nous savons qu’en raison de ces inégalités, beaucoup de gens au Canada sont aux prises avec des troubles de santé mentale et de toxicomanie. En Saskatchewan, j’ai travaillé de près avec des personnes aux prises avec ces difficultés dans le cadre de mon travail, tant sur le plan communautaire qu’hospitalier. J’ai constaté à quel point le manque de coordination et de volonté politique entrave souvent le rétablissement des personnes touchées.

Les jeunes sont particulièrement touchés. Un rapport de 2024 de l’organisme Saskatchewan Advocate For Children and Youth a mis en évidence une multiplication par cinq des problèmes de santé mentale et de toxicomanie signalés depuis 2020, ce qui montre à quel point des causes profondes comme la pauvreté, les traumatismes et les inégalités systémiques façonnent le bien-être mental. Je sais que je siège au milieu de collègues qui partagent ces préoccupations et qui sont motivés à trouver des solutions.

Dans les soins axés sur les solutions, la priorité doit être donnée aux Premières Nations, aux Inuits et aux Métis, car ces groupes restent touchés de façon disproportionnée en raison d’inégalités systémiques de longue date.

C’est une réalité que j’ai découverte au début de ma carrière d’intervenante en services d’aide sociale à l’enfance, en 1988. À 22 ans, j’étais une nouvelle travailleuse sociale — blanche — et un de mes premiers appels concernait une demande faite par un garçon de 6 ans qui avait signalé au directeur de son école qu’il fallait s’occuper de ses trois sœurs. Les adultes qui en étaient responsables étaient ivres et n’avaient aucune réaction, et les enfants vivaient dans des conditions qu’aucun enfant ne devrait subir : tous étaient atteints d’impétigo et avaient des poux; le bébé avait un retard de croissance et les trois filles étaient souillées d’urine. Le bébé était silencieux, allongé sur un lit; la fillette de 2 ans et demi a été trouvée gémissante dans un placard et celle de 5 ans se trouvait dans une fourgonnette stationnée dans l’entrée. Quand j’ai ouvert la porte, la mère est tombée par terre.

J’ai conduit les enfants dans un foyer d’accueil, j’ai aidé toute la journée à les nettoyer, les nourrir et les soigner, puis je suis rentrée chez moi en pleurant presque tout le long du trajet. Je savais au fond de mon cœur et de mon âme qu’aucune mère ne souhaiterait de telles conditions pour ses enfants. Que lui était-il arrivé pour en arriver là?

Bien sûr, après avoir noué une relation avec elle, j’ai appris qu’elle avait subi de nombreux traumatismes et j’ai su à quel point elle aimait ses enfants. C’était il y a 36 ans. Qu’avons-nous appris et qu’avons-nous fait pour changer les circonstances? Pas assez.

Rien qu’en 2023, 48 jeunes pris en charge par les services provinciaux en Saskatchewan ont tenté de se suicider, d’après les informations dont nous disposons. Le Canada doit améliorer le soutien apporté aux enfants qui ont besoin d’être pris en charge et protégés, mettre en place des interventions plus efficaces et garantir un accès fiable à des services de santé mentale complets, rapides et adaptés à la culture.

La santé mentale et la toxicomanie sont inévitablement liées, et la crise des drogues toxiques continue de ravager les collectivités. De janvier 2016 à septembre 2022, plus de 34 000 personnes sont décédées au Canada des suites d’une intoxication aux opioïdes. En Saskatchewan, les surdoses, dont le nombre ne cesse d’augmenter, et la toxicité croissante des drogues de rue continuent de faire des victimes.

Dans le cadre de mes anciennes fonctions à l’Hôpital St. Paul’s, j’ai personnellement vu le personnel des urgences réanimer et traiter des centaines de patients en état de surdose en l’espace de quelques semaines. Le personnel est épuisé, il part en larmes, beaucoup ont besoin d’un congé pour cause de stress pour faire face à la situation. C’est une réalité nationale. Cette crise exige une approche de santé publique compatissante et globale, ancrée dans les piliers clés de l’application de la loi, de la réduction des méfaits, de la prévention, du traitement et des mesures de rétablissement, étayée par des données probantes et soutenue par des investissements et des politiques adaptées à la culture.

Permettez-moi de dire ceci maintenant, pour la première fois en tant que sénatrice, mais certainement pas la dernière : dans un pays comme le Canada, l’accès à des soins de qualité ne doit jamais dépendre de la race, du revenu, de l’orientation sexuelle, de la capacité ou de la géographie. De plus, nous ne pouvons atteindre l’équité sans une véritable réconciliation. Cela signifie la cocréation de systèmes et la création de solutions dirigées par les Autochtones dans les domaines de la santé, de l’éducation et du développement économique qui respectent la souveraineté et le leadership des autochtones.

L’adoption unanime par le Sénat du projet de loi C-51 en 2023, qui a promulgué le traité de gouvernance entre le gouvernement du Canada et la Première Nation dakota de Whitecap, a reconnu Whitecap en tant que nation autonome en établissant une nouvelle relation de gouvernement à gouvernement. La Première Nation dakota de Whitecap est à l’origine de véritables réussites, comme en témoigne l’annonce récente d’un carrefour virtuel de la santé dirigé par des Autochtones, qui est en cours d’aménagement au sein de la Première Nation dakota de Whitecap et qui bénéficie d’un financement fédéral récemment annoncé. Il s’agit de la première initiative du genre au Canada, et elle utilisera la technologie de la téléprésence pour apporter des soins de santé directement aux communautés rurales et autochtones.

L’objectif est de former une nouvelle génération de travailleurs de la santé, dont beaucoup sont autochtones, afin qu’ils puissent offrir des soins dans leur propre communauté et ailleurs, de manière à améliorer l’accès aux soins et à réduire les déplacements coûteux et perturbateurs. Dirigé par le chef Darcy Bear et le Dr Ivar Mendez, le projet est déjà en cours et sera pleinement opérationnel d’ici 2026.

Il s’agit d’une innovation incroyable, qui montre aux Canadiens comment les solutions proposées par les Autochtones peuvent apporter des avantages durables à tous. Le traité est un modèle d’autodétermination des Autochtones, et j’ai hâte que le gouvernement donne suite au projet de loi C-51 et qu’il transforme ce cadre en une action durable.

Je voudrais maintenant parler de la Saskatchewan et des perspectives économiques de ma province natale. En hommage à mon enfance passée dans une ferme, je commencerai par l’agriculture.

En 2024, les exportations à l’international de produits agricoles de la Saskatchewan ont totalisé plus de 18 milliards de dollars. Les exportations agricoles ont augmenté de plus de 32 % depuis 2014, représentant 41 % des exportations totales de la province en 2024.

La province est le premier exportateur mondial de cultures clés telles que les lentilles, les pois secs, l’huile de canola et le blé dur, et nous expédions nos produits dans plus de 160 pays. Parallèlement, nous développons l’agriculture à valeur ajoutée, avec plus de 300 entreprises de transformation employant 6 000 personnes, un secteur qui devrait générer 10 milliards de dollars de revenus d’ici 2030. La Saskatchewan est également un chef de file mondial dans le domaine des pratiques agricoles durables telles que l’agriculture sans labour ou avec un travail minimal du sol, ce qui signifie que notre canola a une empreinte carbone inférieure de 67 % à la moyenne mondiale.

Je tire une grande fierté du fait que mon père et ses frères ont été parmi les premiers agriculteurs des environs de Muenster à acquérir un semoir pneumatique il y a 45 ans, diminuant ainsi les risques de labours excessifs.

De nombreuses institutions, par exemple l’Université de la Saskatchewan, avec son centre de développement des cultures et son centre d’excellence du bétail et des cultures fourragères, contribuent à stimuler l’innovation en réalisant des percées dans les pratiques durables pour les diverses cultures et élevages.

Parmi les autres histoires de réussite propres à la Saskatchewan, mentionnons l’Institut de machinerie agricole des Prairies. Cette institution fondée en 1975 à Humboldt, ma ville d’origine, a joué un rôle de premier plan dans l’innovation et le développement du secteur canadien de l’agriculture. Je lui souhaite d’ailleurs un joyeux 50e anniversaire.

En effet, pendant près de cinq décennies, toutes ces institutions ont aidé la Saskatchewan en fournissant des conseils d’expert en matière d’agriculture, d’exploitation minière, de transports et de défense, ce qui a mené à une vaste gamme de solutions d’ingénierie et de services de mise à l’essai servant de catalyseur à l’innovation et à la croissance économique. Le secteur scientifique des Prairies est un moteur qui propulse l’innovation dans l’agriculture canadienne et qui joue un rôle primordial pour promouvoir la sécurité alimentaire, le bien-être animalier et la durabilité environnementale, à la fois à l’échelle nationale et à l’échelle internationale.

Toutefois, les fruits de la recherche et de l’innovation de la Saskatchewan dépassent le monde agricole.

Le Centre canadien de rayonnement synchrotron, ou CCRS, seule installation synchrotron au Canada, se trouve également à Saskatoon. Cette incroyable structure produit une lumière extrêmement intense qui permet d’analyser les matériaux à l’échelle moléculaire et atomique. Au CCRS, on examine tout, des cellules cancéreuses aux batteries de véhicules électriques, en passant par des artefacts anciens. Ceux qui utilisent la technologie du CCRS ont à leur actif plus de 4 600 publications évaluées par des pairs, ce qui place le Canada à l’avant-garde de la recherche scientifique mondiale tout en créant des débouchés locaux et en favorisant l’innovation dans les Prairies.

Vous m’avez déjà entendue parler des Global Water Futures Observatories, ou GWFO, lancés en 2023 en tant que premier réseau national de recherche sur l’eau douce au Canada. Avec 64 sites d’observation répartis dans divers écosystèmes, les GWFO soutiennent des stratégies adaptatives pour la sécurité de l’eau, la gestion des inondations et des sécheresses et la planification à long terme afin de préserver notre eau douce pour les générations futures.

Les travaux menés par les GWFO sous-tendent le projet de loi C-241, présenté hier à l’autre endroit, qui établira une approche nationale coordonnée en matière de prévision des inondations et des sécheresses. C’est une cause à laquelle je crois fermement et que j’ai l’intention de défendre au Sénat.

Chers collègues, en terminant, permettez-moi de dire quelques mots sur le Sénat et sur ma place au sein de cette institution. C’est sans prétention que je me présente ici. Toutefois, je crois fermement en l’importance de la collaboration, au rôle de cette institution et à notre mandat qui consiste à représenter les Canadiens marginalisés. J’ai déjà eu l’honneur d’être élue présidente du Groupe progressiste du Sénat, ou GPS, et j’ai l’intention d’approfondir rapidement ma compréhension de nos pratiques et procédures. Je me tournerai vers bon nombre d’entre vous pour qu’ils me servent de mentors.

Je suis reconnaissante envers la sénatrice Boyer, qui était à mes côtés quand j’ai prêté serment dans cette enceinte, ainsi qu’envers mes collègues du Groupe progressiste du Sénat, des législateurs talentueux et perspicaces qui savent aussi trouver le temps de s’amuser un peu. Je me réjouis de travailler avec tous les groupes pour améliorer la vie des collectivités que nous représentons. Le Sénat évolue. Pour citer une fois de plus le sénateur Harder — j’aimerais qu’il soit ici, et je paraphrase peut-être un peu ses propos :

L’indépendance et l’absence de partisanerie ne sont pas des fins en soi. Elles se traduisent par la nécessité pour les sénateurs d’assumer leurs responsabilités, de rendre des comptes et de s’engager à examiner en profondeur les projets de loi. Nous ne sommes pas là pour rivaliser avec la Chambre des communes, mais pour la compléter; nous ne sommes pas là pour livrer des phrases-chocs, mais pour assurer un contrôle réfléchi. Nous devons donc veiller à ce que les débats soient opportuns, les décisions transparentes et la collaboration entre les groupes réelle, afin d’éviter que les bonnes idées soient mises de côté en raison d’habitudes partisanes dépassées et d’empêcher les mauvaises idées sans mérite ou sans base factuelle de progresser.

J’interviens ici en tant que sénatrice représentant la Saskatchewan. Au cours de mes 36 années comme travailleuse sociale, j’ai été témoin des horreurs de la violence familiale, du racisme dans les organismes de protection de la jeunesse, des effets dévastateurs de la toxicomanie et des troubles mentaux, ainsi que des répercussions intergénérationnelles du colonialisme et des traumatismes qui en ont découlé. J’ai aussi été témoin de la profonde compassion des gens et du vrai sens de la solidarité lorsque j’ai codirigé l’Intervention en santé mentale auprès des personnes touchées par la tragédie qui a frappé les Broncos de Humboldt. De plus, j’ai vu l’extraordinaire compassion offerte aux personnes recevant des soins de fin de vie, dans le cadre des fonctions que j’ai exercées à la direction de l’Hôpital St. Paul’s et de son centre communautaire de soins palliatifs. Enfin, j’ai été témoin d’une véritable motivation et j’ai vu des résultats significatifs dans le cadre des efforts conjoints qui ont abouti à la réconciliACTION.

Je suis une sénatrice déterminée à proposer des mesures législatives qui favorisent le bien-être de tous, l’équité et l’autodétermination des Autochtones, de même que des politiques qui stimulent la croissance économique et l’excellence scientifique.

Chers collègues, je suis remplie d’espoir. Je me réjouis à la perspective de poursuivre le travail avec vous tous pour bâtir un Canada où chaque personne dans chaque région et territoire visé par un traité a une véritable possibilité de réussir.

Merci, meegwetch, marsee.

Haut de page