Aller au contenu

Projet de loi de crédits no 5 pour 2020-2021

Deuxième lecture--Débat

9 décembre 2020


L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ - ]

Propose que le projet de loi C-17, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021, soit lu pour la deuxième fois.

— Honorables sénateurs, j’ai le plaisir d’intervenir à l’étape de la deuxième lecture du projet de loi C-17, Loi portant octroi à Sa Majesté de crédits pour l’administration publique fédérale pendant l’exercice se terminant le 31 mars 2021, que nous étudions maintenant.

Je partagerai mes remarques plus longuement à l’étape de la troisième lecture, et j’attends avec grand intérêt que nous poursuivions nos délibérations sur ces deux projets de loi. Je vous remercie.

Honorables sénateurs, j’aimerais d’abord remercier le sénateur Mockler et le sénateur Forest de leurs touchantes observations sur les gens pauvres qui sont laissés pour compte.

Jusqu’à présent, bon nombre des mesures prises par le gouvernement fédéral à l’égard de la pandémie de COVID-19, y compris celles qui sont incluses dans le Budget supplémentaire des dépenses (B), ont reflété l’importance de tenir compte des facteurs humains, sanitaires et économiques pour lutter contre la marginalisation économique et les inégalités afin d’assurer la réussite des efforts de relance après la pandémie. Dans les neuf derniers mois, ce sont les personnes marginalisées souffrant le plus de l’exclusion systémique qui ont été le plus durement touchées par la COVID-19.

C’est d’ailleurs ce que confirme l’Énoncé économique de l’automne :

Selon les données récentes de Santé publique Toronto, les personnes ayant un niveau de revenu plus faible et les membres de communautés racisées affichent des taux plus élevés d’infection et d’hospitalisation à cause de la COVID-19 [...] [L]es populations noire, latino-américaine, arabe, moyen-orientale et d’Asie de l’Ouest sont au moins 7 fois plus susceptibles de contracter la COVID-19 que les groupes non racisés de la ville. À l’échelle du Canada, selon de nouvelles données de Statistique Canada, les communautés qui comptent le plus grand nombre de Canadiens racisés ont affiché les taux de mortalité les plus élevés pendant la première vague de la pandémie.

Bien que la COVID‑19 constitue une situation sans précédent, le lien frappant entre le revenu et la santé que la pandémie a mis en relief n’est pas nouveau. Au cours des neuf derniers mois, nous avons constaté que le soutien direct au revenu profitait non seulement aux personnes dans le besoin, mais aussi à toute la société. Les mesures de soutien du revenu comme la Prestation canadienne d’urgence ont donné les moyens à certains Canadiens de rester à la maison au lieu d’aller travailler, de suivre les consignes de la santé publique, d’obtenir les produits et les traitements dont ils avaient besoin et d’assurer leur sécurité, ainsi que celle de leur famille et du reste de la population.

La Prestation canadienne d’urgence et d’autres mesures de soutien direct de la population pendant la pandémie ont également servi l’économie. Elles ont contribué à stabiliser la demande pour les biens et services et à assurer une reprise des dépenses commerciales. Cela n’a rien de surprenant. Le Canada tire déjà des avantages économiques de mesures semblables au revenu garanti comme l’Allocation canadienne pour enfants. Ces contributions économiques représentent 2,1 % du PIB total du Canada et elles génèrent une activité économique de 1,97 $ pour chaque dollar versé aux familles, en plus de garder 277 000 familles hors de la pauvreté.

Comme le souligne le rapport que vient de publier le Canadian Centre for Economic Analysis, si on devait adopter cette solution, en cinq ans, le revenu minimum garanti national représenterait de 1,6 à 2,4 % du PIB total du Canada, créerait plus de 300 000 à 450 000 emplois et sortirait au moins 3,2 millions de familles de la pauvreté.

L’énoncé économique de l’automne nous prévient que les indicateurs économiques traditionnels, comme le produit intérieur brut, ne donnent pas à eux seuls une image complète de la qualité de vie des Canadiens. Il souligne que la relance à la suite de la COVID-19 nécessitera :

[...] de réfléchir de manière globale à des facteurs comme la santé et la santé mentale, les communautés et la culture, la sécurité et les droits de la personne, la qualité des emplois et les opportunités. Cela signifie aussi penser de manière inclusive à la répartition des résultats.

Le rapport conclut que les inégalités rendent notre économie moins résiliente. Voilà pourquoi une relance solide et complète ne doit laisser personne pour compte. Nous avons tous intérêt à nous serrer les coudes et à refuser de laisser qui que ce soit pour compte.

Il n’est pourtant que trop évident que les mesures prises en réaction à la COVID-19, résumées dans le budget supplémentaire des dépenses et l’énoncé économique de l’automne, laissent des gens pour compte. Pis encore, malgré les nombreuses promesses du gouvernement, plus de 3,5 millions de Canadiens attendent toujours son aide, c’est-à-dire les personnes qui vivent sous le seuil de la pauvreté. En effet, les plus démunis sont exclus des mesures d’aide au revenu telles que la Prestation canadienne d’urgence et la bonification de l’assurance-emploi. Seuls ceux qui gagnent habituellement au moins 5 000 $ par année sont admissibles à la Prestation canadienne d’urgence et aux mesures qui lui ont succédé. Ainsi, en période de besoin et de crise, les systèmes de soutien d’urgence du revenu refusent les demandes de certaines personnes parce que ces dernières sont trop pauvres. Cela défie l’entendement. C’est scandaleux et incompréhensible. Ces personnes ont un revenu trop faible pour être admissibles à l’aide offerte.

C’est inacceptable, chers collègues, et nous devons cesser de regarder ailleurs simplement parce que le gouvernement continue de prétendre que le moment n’est pas venu.

Dans la plupart des provinces et dans un territoire, les personnes qui touchent des prestations d’invalidité ou d’aide sociale et qui ont aussi eu droit à la Prestation canadienne d’urgence ont dû rembourser cette dernière. Quant aux personnes qui n’y avaient pas droit, elles n’ont eu d’autre choix que d’affronter la pandémie avec pour seule aide des chèques d’invalidité ou d’aide sociale qui, quel quel soit l’endroit où on vit, sont tellement loin d’être suffisants pour subvenir à ses besoins primaires qu’ils en sont criminels — et nous nous rendrions complices de cette façon de faire si nous donnions notre aval aux budgets des dépenses à l’étude.

Honorables sénateurs, sur les 3,5 millions de personnes qui attendent toujours l’aide de l’État, il y a un nombre anormalement élevé de femmes et de personnes racialisées qui ont perdu leur emploi et qui avaient déjà été jugées inadmissibles à l’assurance-emploi avant la pandémie ou qui, malgré les multiples emplois précaires et mal rémunérés qu’elles devaient occuper, n’ont quand même pas réussi à gagner plus de 5 000 $.

Je pense par exemple aux Canadiens qui étaient sur le point de lancer leur entreprise, aux travailleurs autonomes ou aux artistes qui ont un contrat de temps à autre.

Il ne faut pas oublier les aînés qui ont demandé la PCU et qui seront ainsi privés d’une partie de leur Supplément de revenu garanti.

Même chose pour tous ces Canadiens — surtout des Canadiennes, souvent racialisées — qui prenaient soin de leurs enfants, d’un proche âgé ou d’une personne handicapée avant la COVID-19 : elles aussi travaillaient, mais elles n’en tiraient aucun salaire.

Que dire des personnes ayant une limitation non diagnostiquée et qui ne travaillaient pas parce qu’elles étaient à l’hôpital ou en convalescence?

C’est sans parler des personnes qui, avant même le début de la pandémie, ne travaillaient pas parce qu’elles n’avaient pas les moyens de prendre les transports en commun, de faire garder leurs enfants ou d’acheter des vêtements.

Il en va de même de celles qui n’avaient pas les moyens de renoncer à la couverture d’assurance-médicaments que leur procurait l’aide sociale.

Le plan d’intervention créé dans la foulée de la COVID-19 est peut-être assorti d’une enveloppe de 407 milliards de dollars, mais les plus démunis du pays ont tout au plus reçu un chèque, un seul, de 400 $ — et encore, seulement s’ils figuraient dans les registres de l’Agence du revenu et avaient droit au crédit d’impôt pour la TPS.

À l’autre bout du spectre, la fortune totale des 20 personnes les mieux nanties du Canada, qui étaient déjà milliardaires, a crû d’au moins 37 milliards de dollars depuis le début de la pandémie. Pendant ce temps, un ménage avec enfants sur cinq a connu l’insécurité alimentaire.

Au début de la pandémie, les petits salariés étaient plus susceptibles d’avoir perdu leur emploi. En effet, on constatait une baisse de l’emploi de 38 % parmi ce groupe, alors qu’elle était de 13 % pour les grands salariés. Chez les femmes ayant un faible salaire, la baisse était de 41 %. En outre, la relance de l’emploi pour les plus marginalisés et les travailleurs de secteurs précaires ou des secteurs des services ou de l’hôtellerie s’est faite plus lentement que dans les autres secteurs, d’autant plus que ces emplois sont moins adaptés au télétravail.

Chers collègues, que l’autre endroit accorde peu d’importance à l’exclusion et au manque de ressources qui poussent tant de gens sous le seuil de pauvreté ne nous autorise pas à réduire ces gens au silence. Nous avons l’obligation de représenter l’intérêt des minorités, alors faisons notre travail. Nous devons mettre en œuvre des mesures pour faire en sorte que tous surmontent cette crise et pour combattre les inégalités économiques grandissantes et la marginalisation qui accroît la vulnérabilité des gens à la crise qui persiste, aux vagues futures de la pandémie ou à la prochaine crise économique, environnementale ou sanitaire qui frappera.

En avril dernier, 50 d’entre nous se sont réunis pour demander la transformation de la PCU en un revenu de base garanti qui est accessible à tous ceux qui en ont besoin. En juillet, le Comité sénatorial des finances nationales a demandé l’étude prioritaire d’un programme de revenu de base garanti. Non seulement une telle mesure permettrait aux gens de sortir définitivement de la pauvreté, mais le directeur parlementaire du budget et le gouverneur de la Banque du Canada de l’époque n’étaient que deux des nombreux experts à souligner qu’une telle mesure pourrait mieux préparer le Canada pour réagir à la prochaine urgence qui surviendra.

À l’approche des Fêtes, de l’hiver et de la fin de l’année 2020, l’impact dévastateur de la pandémie se poursuit avec absolument aucune — zéro, nada — mesure de soutien à l’horizon pour les personnes qui en ont le plus besoin.

Le gouvernement fédéral a clairement indiqué que, dans sa lutte contre la pandémie de COVID-19, le Canada ne peut pas se permettre de laisser qui que ce soit pour compte. Pendant neuf mois, nous avons exhorté le gouvernement à prendre des mesures à cette fin, mais, au lieu de cela, il a mis en œuvre successivement des programmes qui ignorent les 3,5 millions de personnes ayant désespérément besoin d’aide.

Certains diront qu’une pandémie n’est pas le moment de risquer un changement audacieux pour le mieux. Chers collègues, les inégalités et la marginalisation ayant poussé de façon disproportionnée les pauvres, dont beaucoup sont des femmes, des personnes racialisées et des personnes handicapées, au bord de la maladie et même de la mort, quand agira-t-on si ce n’est maintenant?

Le gouvernement a apporté rapidement des changements audacieux grâce à des mesures comme la Prestation canadienne d’urgence pour protéger les gens de la classe moyenne afin qu’ils ne sombrent pas dans la pauvreté. Il faut des mesures tout aussi audacieuses pour que les travailleurs pauvres et les autres qui peinent à survivre dans la pauvreté disposent de moyens qui leur permettront de sortir de la pauvreté, d’y échapper et de s’en remettre.

Il y a lieu de féliciter le gouvernement, car le projet de loi C-17 prévoit 20 milliards de dollars pour financer des mesures louables de lutte contre la COVID-19 et de protection de beaucoup de Canadiens. Or, étant donné que les mesures prises en réaction à la pandémie de COVID-19 ont continuellement et systématiquement laissé pour compte les plus démunis, elles nous sont offertes aux dépens des plus marginalisés. Il faut empêcher qu’une telle chose se produise. Depuis trop longtemps, nous déplorons le sort de ceux qui vivent sous le seuil de la pauvreté et nous compatissons avec eux tout en investissant dans des programmes qui ne leur permettent pas de sortir de la pauvreté ou, pire encore, qui les excluent complètement.

Nous avons une chance d’améliorer leur situation. Ce que je nous demande, chers collègues, est une démarche audacieuse et essentielle. En tant que sénateurs non élus, nous n’avons pas le pouvoir de légiférer sur le type de dépenses que nous souhaiterions voir. En tant que Chambre de second examen objectif, il est cependant de notre devoir de garder un œil vigilant sur les intérêts à long terme du Canada, en particulier pour les groupes marginalisés que nous avons pour mandat de représenter. Nous ne pouvons pas, en toute conscience, attendre qu’il soit trop tard pour mettre en place des garde-fous pour les plus de 3,5 millions de Canadiens qui sombrent dans le gouffre de la pauvreté.

Haut de page