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Projet de loi modifiant le Code criminel et la Loi sur l'identification des criminels et apportant des modifications connexes à d'autres lois (réponse à la COVID-19 et autres mesures)

Troisième lecture--Suite du débat

20 juin 2022


Honorables sénateurs, je reconnais que le manque d’accès à la justice et le manque de commodité sont des enjeux importants, qui ont été exacerbés par la COVID-19. Par contre, je ne suis pas en faveur de la commodité des procédures judiciaires si elle contrevient, même accidentellement, au droit des accusés à une procédure et à un procès équitables, des droits protégés par la Charte.

Nous devrions être grandement préoccupés par les dispositions du projet de loi S-4, parce qu’elles élargissent le recours à des audiences par audioconférence et vidéoconférence pour des accusés incarcérés. Au Canada, les normes voulant que les procédures des tribunaux pénaux se déroulent en personne et que l’accusé soit entendu sont essentielles pour assurer un procès équitable. On ne peut pas les changer à la légère.

Les procédures par vidéoconférence soulèvent des préoccupations liées aux garanties procédurales. En effet, la cour est moins en mesure d’évaluer des points comme la crédibilité et la compétence d’un accusé, son bien-être physique et psychologique, sa capacité de comprendre les procédures et, s’il est appelé à renoncer à des droits, la mesure dans laquelle il le fait volontairement. Pour les accusés qui sont incarcérés, les procédures par vidéoconférence entraînent des atteintes à la vie privée et à la confidentialité, et elles mettent souvent la sécurité des accusés en péril. Lorsqu’ils se sont rendus dans des prisons au cours des dernières années, des sénateurs ont constaté que les audiences par vidéoconférences pouvaient être entendues par des agents des services correctionnels et par d’autres accusés. Cela peut décourager, et décourage effectivement, l’accusé de parler librement par crainte du préjudice qu’il pourrait subir ou que d’autres personnes pourraient subir si des informations particulièrement sensibles étaient entendues, communiquées ou transmises à de mauvaises personnes.

Les procédures par vidéo nuisent également à la relation entre un avocat et son client. La communication cruciale entre un avocat et son client. Les communications entre un avocat et son client incarcéré au cours d’une audience peuvent ne pas être privées. Comme beaucoup d’entre nous l’ont observé directement, les autorités correctionnelles balaient couramment les droits des accusés à des communications confidentielles avec leurs avocats, comme prévu par la Charte, en affichant des avis de renonciation indiquant que tous les appels téléphoniques sont susceptibles d’être surveillés.

Même lorsqu’un client incarcéré dispose d’un téléphone plus sûr pour communiquer en privé avec son avocat, il peut être difficile de s’engager pleinement afin de fournir des informations pertinentes. Ceci est particulièrement troublant étant donné que 1 homme sur 3 et 1 femme sur 2 en détention fédérale sont autochtones, et que 1 détenu sur 10 est d’origine africaine. La multiplication des audiences vidéo et audio exacerberait probablement aussi les problèmes linguistiques et culturels.

Tandis que le Canada examine la possibilité de développer ou d’étendre de telles approches, nous pouvons apprendre des expériences d’autres gouvernements. Par exemple, une étude des audiences sur la libération sous caution en Illinois illustre l’importance des procédures en personne. Dans cet État, la caution moyenne d’une personne dont l’audience s’est déroulée à distance était de 51 % à 90 % plus élevée que celle d’un accusé ayant comparu en personne.

Le projet de loi S-4 sous-entend que les tribunaux surveilleront en permanence le caractère adéquat des comparutions à distance sans aucun cadre de responsabilisation ni aucune explication sur la manière dont les juges s’y prendront. En outre, la magistrature canadienne a déjà largement reconnu le caractère peu adapté des procédures d’accès à distance en matière pénale. Dans une étude réalisée en 2020, malgré les difficultés bien réelles de la pandémie, les juges canadiens ne favorisaient l’utilisation de cette technologie que dans les affaires urgentes et récentes. Le projet de loi S-4 vise à encadrer le recours accru à ces technologies dans le cadre de la lutte contre la COVID-19, mais ne prévoit aucune date de fin pour leur utilisation.

Comme nous l’avons constaté tout au long de la pandémie et lors de nos visites dans les prisons, l’issue d’un procès peut dépendre de questions traitées par vidéo seulement. Les Canadiens ont droit à un procès équitable et à l’aide véritable d’un avocat. Le projet de loi S-4 ne garantit ni l’un ni l’autre.

Comme nous l’avons appris dans le cadre de plusieurs études et rapports du Sénat, il n’existe pratiquement aucun moyen fiable de surveiller les autorités correctionnelles et de détention ni aucun moyen pour les détenus de faire connaître — et encore moins de corriger — leurs doléances, sans parler des infractions à la loi. Les accusés doivent donc assumer tous les risques liés aux procédures vidéo sans disposer de moyens clairs et fiables pour assurer leur sécurité ou remédier aux violations de leurs droits.

Soyons clairs. En appuyant ces mesures pour des raisons de commodité, nous continuerons de faire fi des problèmes sous-jacents qui contribuent à la criminalisation et à l’incarcération de masse au Canada. Nous devons adopter des approches claires, transparentes et responsables qui maintiennent le droit des Canadiens à des procédures et à un procès équitables.

Honorables collègues, la liberté est un droit fondamental qui est cher à l’ensemble des Canadiens. Ce droit fondamental ne devrait pas être limité pour des raisons de commodité.

Meegwetch. Merci.

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