Projet de loi sur l'unité de l'économie canadienne
Troisième lecture--Débat
26 juin 2025
Honorables sénateurs, j’ai été assermenté au Sénat en septembre 2023. Au cours des quelque deux années que j’ai passées dans cette enceinte, j’ai commencé à voir émerger certaines tendances inquiétantes.
Tout d’abord, immanquablement, une urgence surgit toujours à l’approche du congé des Fêtes, en décembre, et juste avant le congé estival, en juin. Je comprends bien que ces périodes précédant les longs congés sont souvent qualifiées de « saison folle » au Parlement, mais le refrain constant et répétitif qui demande aux sénateurs d’adopter un projet de loi sans délai et sans amendement en raison de ceci ou cela — insérez ici une date d’audience, une crise existentielle ou une pression extérieure — devient lassant. À quel moment le gouvernement demandera-t-il une prolongation du délai, commencera-t-il le processus plus tôt ou décidera-t-il même de siéger plus tard afin que nous puissions réellement bien faire notre travail?
Les sénateurs qui siégeaient dans cette enceinte lors de la législature précédente se souviennent peut-être du projet de loi S-7, qui visait à modifier la Loi sur les douanes et la Loi sur le précontrôle (2016). Il permettait aux agents de la sécurité frontalière de saisir et de fouiller les appareils numériques. Les délibérations à ce sujet ont soulevé de nombreuses questions sur la manière d’équilibrer la sécurité et la vie privée.
Comme l’a souligné le sénateur Wells dans son discours à l’étape de la troisième lecture :
Le gouvernement a présenté le projet de loi dont nous sommes saisis il y a quelques semaines à peine. Avant cela, il n’y avait eu aucune consultation auprès des parties externes par les représentants du gouvernement. Il n’y avait aucune indication de ce que le gouvernement envisageait. Au lieu de cela, on a balancé un projet de loi au Sénat en lui demandant de l’adopter le plus rapidement possible. De plus, vous vous souviendrez, chers collègues, qu’il a été présenté au Sénat le jour de l’échéance de la prolongation du délai.
On nous a dit qu’il était essentiel d’adopter ce projet de loi sans délai. Pourtant, chers collègues, le projet de loi S-7 n’a jamais dépassé la première lecture à l’autre endroit. Je me permets donc de remettre en question l’urgence réelle de la situation.
Les motions de programmation deviennent également la norme. En tant que nouveau sénateur, j’ai adhéré à l’argument selon lequel les motions de programmation aident à organiser notre temps et à éviter les jeux politiques qui retardent l’adoption de mesures législatives clés. Cependant, j’ai maintenant l’impression que les motions de programmation ne sont rien d’autre que des entraves qui limitent notre capacité d’examiner en profondeur les projets de loi, certains desquels auraient des répercussions importantes sur nos collectivités et sur le pays dans son ensemble.
Le projet de loi C-5, par exemple, a été amendé à l’autre endroit afin d’inclure des dispositions prévoyant un processus de consultation « acti[f] et significati[f] ». J’aurais aimé avoir eu l’occasion d’inviter le ministre responsable pour lui demander à quoi ressemblerait ce type de processus. On pourrait soutenir qu’un processus actif et significatif devrait déjà être en place puisque le gouvernement cherche à remplir ses obligations conformément à l’article 35 de la Constitution. Cette ligne ne me rassure guère. D’après les conversations que j’ai eues avec des titulaires de droits au cours des derniers jours, ce sentiment est partagé dans l’ensemble du pays.
Les études préalables constituent une autre tendance à laquelle nous semblons souvent nous conformer. Afin de mieux comprendre le Sénat, son histoire et les raisons qui sous-tendent notre Règlement et nos procédures, j’ai communiqué avec le bureau de recherche du Groupe des sénateurs canadiens, qui est une excellente source d’information. Je tiens à vous faire part de certains passages d’une note d’information qu’il a préparée à ce sujet :
La pratique des études préalables du Sénat découle de la procédure établie par le Comité sénatorial permanent des finances nationales dans les années 1940 pour étudier le budget des dépenses avant que les projets de loi de crédits connexes soient présentés à la Chambre. Le Sénat a adapté la procédure afin de s’ajuster à la vaste réforme du régime de l’impôt sur le revenu du Canada entreprise dans les années 1970 à la suite de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité, la Commission Carter. Pour faciliter l’examen approfondi des volumineux projets de loi fiscaux, le Comité sénatorial des banques a tenu des réunions sur la teneur des projets de loi avant qu’ils soient présentés au Sénat. Cette procédure législative unique est connue sous le nom de « formule Hayden », du nom du président du Comité des banques, le sénateur Salter Hayden. L’objectif de la formule était de donner au Sénat plus de temps pour étudier les projets de loi complexes et proposer des amendements qui pourraient être inclus dans les projets de loi avant qu’ils soient adoptés par la Chambre des communes.
Au cours des législatures subséquentes, le Comité des banques a continué de recourir à la formule Hayden pour étudier les projets de loi fiscaux et d’autres questions budgétaires. Sur les 30 projets de loi ayant fait l’objet d’une étude préalable au cours des années 1970, 23 l’ont été par le Comité des banques. Toutefois, l’objectif et la portée des études préalables ont considérablement changé dans les années 1980. Elles ont souvent été utilisées pour accélérer le processus législatif en donnant au Sénat le temps d’étudier les projets de loi qui lui étaient renvoyés peu de temps avant un congé. En 1991, une motion controversée du gouvernement visant à renvoyer quatre projets de loi à des comités pour qu’ils fassent l’objet d’une étude préalable a poussé Royce Frith, le leader de l’opposition, à exprimer « un certain sentiment de regret » pour son soutien initial aux études préalables lorsque la pratique a commencé dans les années 1970, expliquant que « peu à peu, l’exception est devenue la règle ». Au cours du même débat, le sénateur Douglas Everett, qui avait également soutenu la première utilisation des études préalables au Sénat, a fait remarquer que « [l]’étude préalable est devenue une manière d’empêcher l’ingérence du Sénat ».
Étant donné la grogne croissante à l’égard de l’évolution du recours aux études préalables, le nombre de celles-ci a considérablement diminué après 1990. De fait, de 1993 à 2009, une seule mesure législative non budgétaire, la Loi antiterroriste, présentée à la suite des attentats du 11 septembre, a fait l’objet d’une étude préalable. Depuis 2010, le nombre d’études préalables a augmenté, mais la majorité d’entre visaient des projets de loi liés à des mesures financières. Cependant, au cours des 43e et 44e législatures, le comité désigné pour réaliser une étude préalable de même que les sujets ainsi traités se sont diversifiés, la moitié des projets de loi renvoyés à un comité ayant trait à des mesures non financières.
Chers collègues, non seulement nous nous sommes égarés par rapport à ce que les études préalables étaient censées être à l’origine, mais comme l’a dit la sénatrice Simons hier, nous nous sommes peinturés dans un coin : après 12 heures d’étude préalable en comité plénier, nous sommes maintenant appelés à voter sur un projet de loi qui a changé considérablement. Chers collègues, nous n’avons pas la possibilité d’entendre des témoins au sujet des répercussions potentielles ou des conséquences imprévues de ces amendements.
Nous n’avons pas non plus vraiment donné aux Premières Nations le temps d’analyser les amendements pour déterminer comment ils répondent à leurs préoccupations. Nous devons plutôt nous fier aux quelques mémoires et lettres ouvertes que nous avons été en mesure de rassembler alors que de nombreux dirigeants autochtones participent à des cérémonies pour célébrer la Journée nationale des peuples autochtones et qu’une grande partie du Parlement est en vacances pour la Saint-Jean-Baptiste.
Voici maintenant la dernière tendance que je souhaite souligner aujourd’hui : lorsque le Sénat commence à se pencher sur la teneur des énormes projets de loi qui sont étudiés à la va-vite dans un contexte d’urgence, il suffit de l’ombre d’une rumeur de proposition d’amendement pour que nous recevions inévitablement une lettre d’un ou de plusieurs ministres qui vise à apaiser nos craintes et à nous dissuader d’adopter des amendements.
Par exemple, hier, le 25 juin, le sénateur Yussuff a déposé une lettre du ministre LeBlanc, qui nous remercie de notre travail en soulignant le fait que le gouvernement a répondu aux préoccupations soulevées lors des délibérations du comité plénier ou qu’il le fera.
Cependant, chers collègues, j’ai déjà vu ce film. C’est du réchauffé. Je connais la fin. J’aimerais citer aux sénateurs un extrait d’une lettre ouverte datée du 17 juin 2025, que l’Assemblée des chefs mi’kmaq de la Nouvelle-Écosse a adressée au premier ministre Carney au sujet du projet de loi C-5 :
Le document d’information du gouvernement destiné aux populations autochtones affirmait ensuite : « Les provinces, les territoires et les peuples autochtones nous ont fait savoir qu’ils souhaitaient que des projets concernant, par exemple, des mines, des installations nucléaires, des ports et d’autres infrastructures soient prioritaires. » Cette déclaration est trompeuse, selon nous, car elle traite les peuples autochtones comme un monolithe et ne reflète manifestement pas nos intérêts, puisque le gouvernement n’a eu aucune discussion préalable avec nous. Ce n’est malheureusement pas la première fois que les dirigeants mi’kmaqs se retrouvent dans une position difficile lorsque des projets de loi sont adoptés à la hâte. Cela devient même une tendance alarmante, tant au niveau fédéral que provincial. Nous n’avons pas la possibilité de faire entendre notre voix avant la présentation des projets de loi ou pendant leur processus d’adoption.
Quand une mesure législative ne tient évidemment pas compte de nos intérêts, on nous promet que nos préoccupations seront prises en compte après coup dans des règlements, mais ces promesses ne sont pas tenues. Voici quelques exemples.
Projet de loi C-49, Loi modifiant la Loi de mise en œuvre de l’Accord atlantique Canada—Terre-Neuve-et-Labrador et la Loi de mise en œuvre de l’Accord Canada—Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers : Cette mesure législative risque d’avoir de graves répercussions sur les droits des Mi’kmaqs de la Nouvelle-Écosse prévus à l’article 35. Bien qu’il y ait eu des rencontres portant spécifiquement sur les nouveaux projets du secteur de l’énergie, ce projet de loi n’a jamais été mis à l’ordre du jour ni mentionné par la Couronne. Nous siégeons à plusieurs tables avec les gouvernements provinciaux et fédéral où on aurait dû discuter de ce projet de loi, mais il n’en a jamais été question, et celui-ci n’a jamais été porté à notre attention. Du point de vue des relations, une telle omission est très nuisible. Tout au long du processus législatif, on a, à maintes reprises, assuré à notre équipe que nos préoccupations seraient prises en compte dans la réglementation, mais la réglementation proposée ne fait aucune mention de la consultation des Autochtones ni des droits ancestraux ou issus de traités visés à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et elle ne tient pas du tout compte de notre rétroaction.
Ces garanties avaient été offertes — vous l’aurez deviné — dans une lettre du ministre Wilkinson.
Pensons aussi au projet de loi C-45, qui a légalisé le cannabis au Canada. Dans une lettre, les ministres des Affaires autochtones et de la Santé avaient promis de travailler sur un cadre qui permettrait aux Premières Nations de taxer et de réglementer le cannabis dans les réserves. Or, sept ans plus tard, cela n’a toujours pas été fait. Les promesses non tenues sont tellement fréquentes que le Comité des peuples autochtones a réalisé une série d’études afin de pousser le gouvernement à répondre de son inaction.
À mes yeux, le projet de loi C-5 a permis non seulement de mettre en lumière ces tendances inquiétantes, mais aussi de souligner que le Canada est en train de devenir un pays d’extrêmes. Il n’est plus possible d’avoir un discours social modéré. Les positions doivent désormais être tranchées, sans zone grise.
Lorsque j’ai critiqué la précipitation avec laquelle ce projet de loi était présenté et que j’ai évoqué la nécessité de le modifier, voire de reporter son adoption, mon bureau a été la cible de propos racistes et de menaces si intenses que mes employés ont demandé l’autorisation de ne pas répondre aux appels téléphoniques provenant de numéros inconnus. C’est inacceptable.
Trop souvent, les peuples autochtones sont présentés comme des obstacles au progrès. On nous dépeint comme des peuples qui viennent « quémander » au gouvernement, comme l’a récemment déclaré un dirigeant canadien, ce qui me dérange parce que je sais que tous les peuples autochtones sont en faveur du progrès. Nous ne sommes pas opposés à la construction d’infrastructures et nous voulons avoir la possibilité de générer des revenus autonomes. Aucun d’entre nous ne veut voir nos enfants grandir dans la misère, sans accès à l’eau potable, sans possibilité d’obtenir un emploi bien rémunéré et sans soutien pour nos malades et nos mourants.
Cependant, nous ne voulons pas que le succès et le progrès se fassent au détriment des peuples autochtones. Nous voulons être à la table des décisions aux côtés des politiciens canadiens, car ces décisions nous concernent, et elles touchent nos terres et nos ressources.
Ces clichés racistes reposent sur une croyance tenace en la terra nullius et la doctrine de la découverte. Ils reposent sur la croyance persistante selon laquelle le Canada était une terre désolée peuplée de sauvages avant l’arrivée des Anglais et des Français. Ceux qui perpétuent les stéréotypes sur les Indiens paresseux sont ceux qui adhèrent aux affirmations que l’on trouve dans des éditoriaux comme celui de Nigel Biggar paru le 23 juin 2025 dans le National Post, qui affirme que l’idée selon laquelle le Canada s’est construit sur des terres volées est « historiquement et juridiquement inexacte ». Ce sont des gens qui prétendent avoir payé un prix juste et équitable pour obtenir le titre de propriété sur ce territoire, des gens qui posent sérieusement la question suivante dans leurs commentaires en ligne :
Je me demande à quoi ressemblerait le continent nord-américain sans les siècles d’immigration des Blancs.
Ce pays a adopté des lois qui restreignaient notre liberté de quitter nos réserves, qui nous interdisaient de pratiquer nos traditions et de parler notre langue. Il a adopté des lois qui nous ont séparés de nos enfants contre notre gré pour qu’ils soient placés dans des pensionnats. Nous avons même été empêchés d’engager des avocats pour nous défendre et défendre nos droits. Soit dit en passant, chers collègues, toutes ces lois ont dû être adoptées par cette assemblée avant d’entrer en vigueur.
C’est pourquoi nous insistons tant, en cette nouvelle ère de réconciliation, pour qu’il n’y ait pas de retour en arrière. Nous ne voulons plus jamais que les décisions nous soient dictées. Nous voulons participer à la discussion dès le début.
Ce qui est triste, chers collègues, c’est que nous serions probablement arrivés à la même situation ou à une situation très similaire si le gouvernement avait fait son travail et pris le temps de consulter les peuples autochtones. La promesse faite par le gouvernement était d’éliminer les derniers obstacles fédéraux au commerce interprovincial avant la fête du Canada. C’est la première partie de ce projet de loi.
La deuxième partie de ce projet de loi, la loi visant à bâtir le Canada, n’a jamais été promise dans un délai aussi court. Je suis convaincu qu’en investissant quelques mois de plus dans ce projet de loi et en veillant à ce que les détenteurs de droits aient la possibilité de faire part de leurs réflexions et de proposer des révisions, nous aurions vu ce projet de loi être adopté avec un soutien massif. Mais je suppose que nous ne le saurons jamais.
Je m’arrête ici pour remercier ma collègue, la sénatrice Patterson, et son équipe, qui ont défendu avec tant de vigueur l’inclusion de la voix des détenteurs de droits autochtones dans nos travaux limités sur ce projet de loi.
Je tiens également à remercier mes collègues du Groupe des sénateurs canadiens, qui ont compris à quel point il était important pour moi de veiller à ce que le contenu autochtone soit consigné au compte rendu. Ils m’ont soutenu en me donnant amplement l’occasion de poser mes questions aux ministres et aux témoins. Merci, chers collègues, de m’avoir donné l’occasion de faire entendre ma voix. C’est grâce à cette mobilisation que nous pouvons lire dans le hansard des paroles aussi puissantes que celles de la Cheffe Shelly Moore-Frappier, de la Première Nation de Temagami. Voici ce qu’elle a dit :
Le Canada continue à parler de relations de nation à nation et de réconciliation. Le projet de loi fait l’opposé en conférant un pouvoir à l’endroit des Premières Nations, leurs ressources et leurs droits. Ce texte a été rédigé sans nous. Il mentionne vaguement les protections constitutionnelles et issues des traités. Son adoption aura pour effet d’inscrire encore plus profondément dans la loi l’unilatéralisme comme méthode systématique pour gouverner les Premières Nations.
Le projet de loi C-5 ne favorise pas la réconciliation; il la trahit.
L’obligation de consulter n’a jamais été suffisante. Elle a toujours mis sur les épaules des Premières Nations le fardeau de la preuve et de la défense de leurs droits, le plus souvent avec des ressources limitées et sans garantie.
D’autres détenteurs de droits ont pris contact avec nous, insistant pour que nous les écoutions avant d’adopter ce projet de loi. Bien qu’ils n’aient plus la possibilité de s’adresser directement aux sénateurs, je tiens à vous faire part de certains de leurs propos.
Le conseiller Larry Sault, de la Première Nation des Mississaugas de Credit, m’a envoyé un courriel dans lequel il déclare ce qui suit :
D’un point de vue historique, sir John A. MacDonald (progressiste-conservateur) parlait d’« intérêt national » quand il militait pour la réalisation de son rêve et était l’âme dirigeante de la construction du chemin de fer transcontinental Canadien Pacifique (donc un contexte de territoire et de développement). L’histoire relate les actes atroces qu’il a commis contre notre peuple afin de l’éloigner du tracé qu’il souhaitait pour la voie ferrée : gens expulsés de force de leurs terres ancestrales, tactiques visant à créer une famine pour que notre peuple se plie à sa volonté, abattage des animaux qui nous nourrissaient (bisons), etc. On parlait du « problème indien », à l’époque.
M. Sault me demande ensuite si c’est ce que le Canada souhaite voir en 2025.
Pour sa part, le Chef Raymond Powder, de la Première Nation de Fort McKay, souligne ceci :
Notre priorité est la réconciliation économique. C’est sous cet angle que notre nation aborde le projet de loi C-5.
Il souligne ensuite que sa communauté souhaite « donner plus de profondeur et de sens » à l’alinéa 5(6)d) du projet de loi, qui parle de « promouvoir les intérêts des peuples autochtones ». Il ajoute ensuite ceci, plus loin dans son mémoire :
Nous reconnaissons que la période pendant laquelle il est possible de formuler des commentaires sur ce projet de loi est extrêmement courte. Nous nous tiendrons à votre disposition pour toute réunion ou consultation afin de faire entendre notre voix au cours du processus législatif. La Première Nation de Fort McKay est une nation souveraine, et nous souhaitons poursuivre notre relation directe avec le gouvernement fédéral.
De même, la Cheffe Phyllis Whitford de la Première Nation O’Chiese a écrit :
Malgré toutes les décisions concernant les cadeaux que nous a faits notre créateur, nous n’avons jamais renoncé à nos responsabilités et à nos pouvoirs en matière de protection de ces cadeaux. Lorsque le roi Charles III a prononcé le discours du Trône, il a mentionné notamment le droit au consentement libre, préalable et éclairé. Il s’agit là d’un droit qui nous est reconnu par traité [...]
Le Canada, sans consultation préalable de nos peuples, a présenté le projet de loi C-5, intitulé Loi sur l’unité de l’économie canadienne. Nos territoires et nos ressources vont être soumis aux décisions unilatérales du gouverneur en conseil. Ce processus contourne le Parlement et met fin à plus de 400 ans d’histoire parlementaire. Il est désormais inutile d’avoir une Chambre des communes ou un Sénat, puisque c’est le Cabinet qui prend les décisions. Toutefois, il y a un problème. Il y a les traités de paix et d’amitié conclus avec nos peuples. Les sujets de la Couronne n’ont pas le droit d’établir des règles qui l’emportent sur nos droits. Si la Chambre des communes peut renoncer à ses responsabilités envers ses électeurs, nous ne pouvons renoncer à nos responsabilités et obligations envers les générations futures.
Partout au pays, des sentiments similaires sont exprimés par les détenteurs de droits et les organisations autochtones représentatives telles que l’Assemblée des Premières Nations.
Dans sa lettre, le ministre LeBlanc déclare :
Le projet de loi vise à accélérer la réalisation de grands projets sans compromettre les obligations juridiques, telles que celles prévues par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et l’obligation de consulter, ni les objectifs plus larges de réconciliation.
Eh bien, chers collègues, selon l’article 5 de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones :
Le gouvernement du Canada, en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, prend toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que les lois fédérales soient compatibles avec la Déclaration.
Plus loin, le paragraphe 6(1) stipule que le gouvernement « élabore et met en œuvre [...] un plan d’action afin d’atteindre les objectifs de la Déclaration ».
Dans le chapitre « Priorités partagées » du Plan d’action 2023-2028, le tout premier objectif prioritaire est le suivant :
[...] garantir un Canada où : le respect des droits des Autochtones est systématiquement inscrit dans les lois fédérales et les politiques élaborées en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones concernés.
Il est désormais trop tard pour que le projet de loi C-5 soit élaboré en consultation et en collaboration avec les peuples autochtones, mais il est encore possible de veiller à ce que ce projet de loi soit modifié de manière à y inscrire le droit au consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause, qui n’est pas un droit de veto, mais une norme de traitement et une reconnaissance de notre droit inhérent à l’autonomie gouvernementale et à l’autodétermination.
Je sais que beaucoup d’entre vous hésiteront à amender ce projet de loi. Pour nombre de mes collègues, les rengaines suivantes paraîtront bien familières : « Nous ne devons pas aller à l’encontre de la volonté de Chambre élue. » « Nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes nommés et que nous n’avons donc pas le mandat d’amender une mesure qui a déjà été adoptée par l’autre Chambre. » Il y a aussi l’une de mes préférées : « Faites-nous confiance. » Cependant, si nous avons été nommés au Sénat, c’est pour échapper aux pressions du cycle électoral et pour pouvoir nous opposer par principe à des projets de loi mal rédigés.
Nous ne sommes pas inférieurs. Nous sommes une Chambre de même stature que l’autre endroit. Nous pouvons élaborer et amender des projets de loi. En fait, il est de notre devoir de veiller à ce que la loi reflète les régions que nous représentons, et il est de notre devoir de donner une voix aux minorités qui sont souvent marginalisées. Je frémis quand j’entends des gens dire que nous devons nous abstenir d’apporter des amendements, de peur que l’opinion publique ne se retourne contre nous. Les sénateurs ont souvent fait remarquer que les Canadiens s’interrogeaient sur notre pertinence. Je vous le dis : nous ne deviendrons insignifiants que si nous nous rendons nous-mêmes insignifiants.
Je vous lance un défi en reprenant les mots de la Cheffe Moore-Frappier :
Je vous rappelle que nous sommes prêts à avancer ensemble. Si le Canada prend la réconciliation au sérieux, il doit alors commencer à agir comme un cosignataire des traités. L’honneur de la Couronne n’est pas uniquement cérémoniel; c’est le fondement moral de votre relation avec les premiers peuples. Cet honneur est en jeu.
La Cheffe a aussi dit que la seule véritable monnaie d’échange, c’est la confiance.
Wela’lioq. Merci beaucoup.