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Projet de loi sur le moratoire relatif aux pétroliers

Rejet de la motion d'amendement

13 juin 2019


L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 4, à la page 2, par adjonction, après la ligne 33, de ce qui suit :

« (1.1) Le ministre peut prendre des règlements pour réviser au besoin les limites nord de la zone décrite au paragraphe (1) afin de s’assurer que la Nation nisga’a contrôle l’accès maritime aux terres visées à l’article 8 de la Loi sur l’Accord définitif nisga’a. ».

Merci, honorables sénateurs.

Son Honneur le Président [ + ]

L’honorable sénateur Patterson propose en amendement que le projet de loi C-48, tel que modifié, ne soit pas lu pour la troisième fois maintenant, mais qu’il soit modifié... puis-je me dispenser de lire l’amendement?

Son Honneur le Président [ + ]

Sénateur Patterson, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Patterson [ + ]

Oui.

L’honorable André Pratte [ + ]

Merci. Savez-vous, sénateur Patterson, que, dans l’amendement proposé par le sénateur Sinclair, que vous avez mentionné il y a quelques minutes, il est indiqué au paragraphe 33(2), à propos de la constitution conjointe d’un comité, que, dans les 180 jours suivant la date à laquelle entre en vigueur le présent article, le ministre de l’Environnement établit un comité chargé d’effectuer l’évaluation régionale. Ce n’est donc pas cinq ans, mais bien 180 jours. Saviez-vous que cela se trouve dans l’amendement?

Le sénateur Patterson [ + ]

Le paragraphe 32(1) qui est proposé dit ceci :

Au début de la cinquième année suivant la date d’entrée en vigueur du présent article, les dispositions de la présente loi sont soumises à l’examen approfondi d’un comité soit du Sénat, soit de la Chambre des communes, soit mixte, constitué ou désigné à cette fin.

Le sénateur Pratte [ + ]

L’honorable sénateur sait-il que l’amendement prévoit deux étapes? Il y a l’évaluation régionale, conformément au projet de loi C-69, réalisée par un comité constitué conjointement et, une fois l’évaluation terminée, il y a l’examen parlementaire au début de la cinquième année.

Le sénateur Patterson [ + ]

Oui, je le sais, mais nous ne savons pas combien de temps va prendre le processus. Nous ne savons pas s’il sera facile d’obtenir la collaboration, au sein d’un comité spécial, de la Colombie-Britannique, de l’Alberta, de la Saskatchewan et des corps dirigeants autochtones au sens de l’article 2 de la Loi sur l’évaluation d’impact. Cela ne rassure pas du tout les Nisga’as quant à la facilité du processus et, pire encore, il n’y a aucune garantie qu’ils en seront satisfaits.

Son Honneur le Président [ + ]

Voulez-vous poser une question, sénatrice Griffin?

L’honorable Diane F. Griffin [ + ]

J’ai une question pour le sénateur Patterson.

Son Honneur le Président [ + ]

Acceptez-vous de répondre à une question, sénateur Patterson?

Le sénateur Patterson [ + ]

Oui.

La sénatrice Griffin [ + ]

Merci.

Sénateur Patterson, voudriez-vous nous dire comment cet amendement contraint davantage les gouvernements à prendre en considération les souhaits de la nation nisga’a? J’ai appuyé l’amendement du sénateur Sinclair, mais je crains qu’il ne soit pas applicable. Il n’est pas contraignant sur le plan légal, mais seulement politique. Le comité parlementaire pourrait ne pas se réunir dans cinq ans et le gouvernement n’est pas tenu d’accepter les recommandations du comité si celui-ci propose de modifier le moratoire.

Par exemple, je sais que lorsque nous étions saisis de la Loi sur la statistique, le gouvernement était tenu d’en faire l’examen, mais semblait l’avoir oublié, même s’il s’agissait d’une obligation légale.

Pouvez-vous nous dire en quoi votre amendement est complémentaire de l’autre, mais offre davantage de certitude juridique aux collectivités autochtones en ce qui a trait à l’exploitation des ressources?

Le sénateur Patterson [ + ]

Je pense que mon amendement n’entre probablement pas en conflit avec l’amendement qui a été approuvé par le Sénat aujourd’hui, mais j’aimerais répondre à la question de savoir en quoi mon amendement est contraignant.

Il dit que le ministre peut prendre des règlements, ce qui peut sembler permissif à cet égard, mais l’honneur solennel de la Couronne exige que le Canada respecte les droits des Autochtones protégés par l’article 35 de la Constitution et exprimés dans l’accord nisga’a. Donc, si la Couronne doit agir honorablement et respecter les droits solennels garantis par l’article 35 de la Constitution aux Nisga’as dans leur accord moderne, le ministre devra respecter leurs droits lorsqu’ils demanderont à faire valoir ces droits sur des terres visées par des revendications qu’ils ont réglées de bonne foi avec le gouvernement du Canada.

C’est ce qui est solide dans l’amendement. Si nous votons en faveur de mon amendement, nous exprimons en fait notre respect pour les droits des peuples autochtones, et nous indiquons à la Couronne que si elle veut agir honorablement, elle doit ajuster son régime pour respecter les droits territoriaux des détenteurs de ces droits. C’est ce qui rend mon amendement contraignant.

En tout respect, je dirais que mon amendement offre une plus grande garantie à cet égard que l’amendement du sénateur Sinclair.

Son Honneur le Président [ + ]

Nous débattons de l’amendement.

Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer l’amendement proposé par mon collègue le sénateur Patterson. En fait, j’avais l’intention de présenter un amendement similaire, mais je suis heureuse de plutôt appuyer la proposition de mon collègue d’en face.

Je me suis jointe au Comité sénatorial permanent des transports et des communications il y a environ sept mois. En toute honnêteté, j’ai voulu faire partie du comité principalement en raison de ma longue carrière en journalisme et de mon intérêt pour la politique en matière de communications à l’ère numérique. Je n’avais aucune idée que je me retrouverais, en cours de route, dans la position peu enviable d’avoir le vote décisif sur le projet de loi C-48 au comité.

Ma décision de voter contre le projet de loi au comité a été extrêmement difficile. En avril dernier, j’ai eu le grand privilège de me rendre à Prince Rupert et à Terrace, en Colombie-Britannique, pour participer à des audiences publiques sur l’interdiction des pétroliers. C’était une occasion extraordinaire.

Nous avons entendu des témoins passionnés, des dirigeants des Premières Nations, des spécialistes de l’environnement, des travailleurs des pêches, des maires et des militants d’organismes communautaires, autochtones et non autochtones. Ils ont appuyé avec éloquence le projet de loi et ils ont donné des témoignages poétiques et émouvants sur le besoin de protéger non seulement les eaux de la côte nord de la Colombie-Britannique, mais également les frayères vitales du saumon dans la magnifique rivière Skeena.

J’ai entendu l’émotion, la crainte et le mécontentement dans leur voix, et j’ai été profondément touchée par leur amour pour leurs terres et leurs cours d’eau. J’ai vu de mes propres yeux à quel point ces paysages terrestres et marins sont beaux et uniques.

Ne vous méprenez pas. Je n’interviens pas ce soir parce que je suis la porte-parole de l’industrie ou parce que j’ai peur des trolls sur Twitter. On ne m’a ni harcelée ni intimidée pour que j’adopte cette position. J’ai entendu les discours enflammés des Britanno-Colombiens qui se sont battus sans relâche pour obtenir ce moratoire sur les pétroliers, et j’ai compris leurs raisons. Je n’ai pas juste honoré leurs propos; je partage aussi leurs inquiétudes. Il est vrai que des protections environnementales strictes s’imposent et qu’il faut améliorer considérablement le système régional d’intervention afin de pouvoir lutter contre toute forme de pollution possible.

J’interviens aussi en tant que fière Albertaine...

Je suis très fière d’être Albertaine.

J’interviens aussi en tant que Canadienne inquiète. Je vous dis que le projet de loi C-48, dans sa forme actuelle, est mauvais non seulement pour l’Alberta et son industrie pétrolière, mais aussi pour la Confédération.

L’Alberta est une province enclavée. La seule façon pour elle d’acheminer ses produits — son canola, son blé, ses lentilles, son bœuf et, oui, son pétrole — vers les marchés asiatique et européen est en collaborant avec ses provinces partenaires de la Confédération et le gouvernement fédéral.

L’Alberta est entrée à la Confédération en 1905 après qu’on lui a promis qu’elle ferait partie d’une grande nation unie dont les provinces s’entraident et s’appuient. Tout comme j’ai essayé de comprendre la Colombie-Britannique, je lui demande de bien vouloir essayer de comprendre les émotions, la peur et la frustration ressenties par les Albertains, qui ont l’impression qu’on leur interdit sans cesse d’acheminer leurs plus importantes exportations vers de nouveaux marchés étrangers et qu’on leur dit qu’ils ne sont pas des partenaires égaux dans notre système fédéral.

Il est tout à fait juste et indiqué que nous prenions des mesures concrètes pour protéger la côte nord-ouest du Canada contre la dégradation environnementale, mais fermer la porte au nez de l’Alberta en imposant un moratoire permanent qui empêchera les pétroliers de s’approvisionner en pétrole dans les ports du Nord, surtout pendant que le projet TMX fait l’objet d’un examen, constitue une violation du contrat fondamental de la Confédération. Je crains que cette mesure aide et réconforte le mouvement séparatiste de l’Alberta, un élément autrefois marginal qui était endormi depuis longtemps, qui a rejailli de ses cendres sous une forme particulièrement inquiétante et virulente et qui est né d’une frustration et d’une rage qui sont alimentées, exploitées et manipulées par autrui à des fins politiques.

En tant qu’Albertaine et très fière Canadienne, je suis profondément préoccupée par les mesures législatives qui alimentent ce discours séparatiste.

Depuis que nous avons commencé à entendre des témoins au sujet du projet de loi C-48, je m’efforce de trouver un compromis national pratique et sensé, une solution qui n’anéantit pas tous les espoirs des Albertains et qui, parallèlement, protège l’intégrité de l’écosystème du nord-ouest de l’Amérique du Nord et qui respecte les droits et les désirs des Premières Nations côtières.

La première idée qui m’est venue à l’esprit est la création d’une espèce de voie réservée, un corridor maritime qui permettrait aux pétroliers de passer directement de leur port d’origine à la haute mer. Le pétrole pourrait alors être exporté sans danger et sans que les pétroliers aient à passer par le dangereux détroit de la Reine-Charlotte ou celui d’Hecate. Hélas, nous ne sommes pas des cartographes, honorables sénateurs. Je nous vois mal nous mettre à dessiner des corridors maritimes. Nous n’avons ni l’expertise ni l’autorité nécessaires, point à la ligne.

C’est alors que j’ai compris que ce n’est pas à nous de nous dessiner des corridors pour les navires. Le travail des sénateurs, c’est de faire respecter la Constitution et de se battre pour leur région, oui, mais aussi pour le bien du pays.

J’en reviens aux témoignages que nous avons eu le privilège d’entendre de vive voix à Prince Rupert et à Terrace, aux mots immensément porteurs de la nation nisga’a.

Le territoire des Nisga’as est situé au nord de Prince Rupert et de Haida Gwaii et il se rend jusqu’à l’archipel au sud de l’Alaska. Il s’agit d’un élément important qui renforce l’argument du sénateur Patterson, parce que si jamais on construisait un port sur les terres des Nisga’as afin de pouvoir exporter du pétrole, les pétroliers pourraient emprunter la passe Portland pour se rendre directement dans les eaux internationales, ce qui ferait diminuer de beaucoup les risques de contamination dans la partie sud de la côte.

Même si le projet de loi C-48 a été élaboré et présenté comme un symbole de réconciliation, il n’a pas, à mon avis, respecté les droits protégés par traité de la nation nisga’a, qui est signataire d’un traité moderne avec le Canada — le premier en son genre, comme l’a dit le sénateur Patterson. Les Nisga’as, comme il l’a expliqué avec éloquence, estiment qu’ils n’ont pas été suffisamment consultés comme prévu à l’article 35 de la Constitution. Ils insistent pour dire que le projet de loi C-48 abolit leurs droits à l’autodétermination économique et leurs droits d’évaluer et de développer des projets d’infrastructure sur leur propre territoire en vertu du traité.

Lorsque nous étions en Colombie-Britannique, nous avons entendu d’autres Premières Nations qui étaient divisées sur le projet de loi, notamment les Lax Kw’alaams, et les tribus qui étaient ambivalentes, comme les Metlakatlas, qui sont en faveur d’un moratoire de courte durée, mais non d’une interdiction permanente.

En revanche, les Nisga’as se sont toujours montrés contre le projet de loi. Les sénateurs LaBoucane-Benson et Patterson ont cité la lettre de la présidente Eva Clayton, mais j’ai aussi cité le témoignage qu’elle a présenté à notre comité, au Best Western de Terrace, en avril.

Maintenant, je vais mettre les choses au clair. La présidente Clayton ne nous a pas dit que sa nation voulait qu’un pipeline sillonne son territoire. Elle n’a pas non plus dit que les Nisga’a accueillaient favorablement les superpétroliers dans leurs eaux littorales. Elle a plutôt donné un argument simple et convaincant, à savoir que les Nisga’a veulent avoir leur mot à dire sur ce qui se passe sur leur territoire, tout comme ils veulent avoir le droit de participer à leur propre évaluation environnementale de toute proposition future.

Je cite le témoignage de la présidente Clayton :

Si l’on activait les dispositions de notre traité relatives à l’évaluation des projets éventuels en fonction de leur mérite, on s’assurerait que les données scientifiques jouent un rôle essentiel dans l’évaluation des répercussions et une prise de décisions éclairée, plutôt que l’approche actuelle, qui consiste à édicter unilatéralement et arbitrairement un moratoire général relatif aux pétroliers couvrant une région particulière du Canada.

Si nous accordons aux nations signataires de traités certains droits à l’autonomie gouvernementale, nous ne pouvons pas ignorer ces droits simplement lorsque cela ne nous convient plus ou ne correspond pas à notre discours politique du jour.

Le gouvernement du Canada agit-il d’une manière conforme à l’esprit de réconciliation s’il déclare, d’un ton quelque peu condescendant et paternaliste, qu’il interdit cette forme particulière de développement économique à toutes les Premières Nations le long de la côte, et qu’il impose cette interdiction, que les nations le veuillent ou non, pour leur propre bien?

Le traité Nisga’a est peut-être dérangeant pour le gouvernement dans ce cas-ci. Il s’agit néanmoins d’un traité écrit noir sur blanc. Je vous demande : existe-t-il une manière d’honorer l’esprit et la lettre du traité Nisga’a tout en protégeant la côte, et, du même coup, d’indiquer clairement aux Albertains qu’ils sont des membres respectés de la famille canadienne?

Assurément, l’amendement proposé par le sénateur Sinclair hier soir, dont ont parlé avec éloquence les sénateurs Pratte, McCallum, LaBoucane-Benson et Woo, nous fait parcourir un bout de chemin. J’ai été fière de me lever ce soir afin de voter pour leur amendement, mais j’estime qu’il ne va pas tout à fait assez loin. Selon moi, l’amendement élégant du sénateur Patterson nous aide à aller jusqu’au bout.

À l’heure actuelle, la nation Nisga’a n’a pas de port en eau profonde sur son territoire, mais elle a la possibilité d’en construire un dans le bassin hydrographique du fleuve Nass, dans la région du Nass, le territoire auquel s’applique le traité.

Si vous le permettez, je vais citer l’Accord définitif Nisga’a :

« Région du Nass » s’entend :

a. de l’ensemble du bassin hydrographique du Nass,

b. de tous les bassins hydrographiques et nappes d’eau canadiens qui se jettent dans des parties de Portland Inlet, Observatory Inlet ou Portland Canal, tels que définis à l’alinéa c., et

c. de toutes les eaux marines de Pearse Canal, Portland Inlet, Observatory Inlet et Portland Canal au nord-est d’une ligne commençant à la frontière canadienne, à mi-chemin entre Pearse Island et Wales Island, puis le long du Wales Passage vers le sud-est jusqu’à Portland Inlet, puis vers le nord-est jusqu’à mi-chemin entre Start Point et Trefusis Point, puis vers le sud jusqu’à Gadu Point.

La nation nisga’a est propriétaire des terres nisga’as et en contrôle l’aménagement. La nation détient en outre des droits complets en ce qui a trait aux consultations et aux évaluations environnementales relatives aux aménagements proposés dans le reste de la région du Nass.

Ces droits issus de traités sont définis au chapitre 10 de l’Accord définitif Nisga’a, intitulé « Évaluation et protection environnementales ». Ces droits s’appliquent dès que l’on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’un projet proposé ait des effets environnementaux négatifs sur les résidants des terres nisga’as ou les intérêts nisga’as issus de traités.

Bref, l’amendement du sénateur Patterson ne signifie aucunement que les considérations environnementales seront négligées ou omises, surtout pas une fois que le projet de loi C-69, tel que modifié, entrera en vigueur. Plutôt, l’amendement donnera à cette nation une chance de gérer ses propres terres, ses propres cours d’eau et son propre avenir économique. Nous respecterions les droits inscrits dans la loi et les droits moraux des titulaires de titres conférés par des traités, tout en laissant ouverte la possibilité d’aménagements futurs, ce qui insufflera de l’espoir aux gens de ma province. Nous pourrions honorer les droits constitutionnels des Nisga’as tout en défendant le tissu de la Confédération.

Si nous nous mobilisons ici ce soir, nous pourrions envoyer à la Chambre des communes un message clair comme quoi nous examinons ce projet de loi de manière réfléchie et non partisane, c’est-à-dire non pas en tant que libéraux, conservateurs ou indépendants, mais en tant que sénateurs canadiens qui se consacrent à servir l’intérêt des Canadiens. Merci.

L’honorable Lucie Moncion [ + ]

Est-ce que la sénatrice accepterait de répondre à une question?

Bien sûr.

La sénatrice Moncion [ + ]

Je vais la poser en français. Elle est rédigée en français et elle concerne le rôle du gouvernement fédéral. J’aimerais porter à votre attention la décision de 1988 R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd. de la Cour suprême du Canada. Dans cette décision, la cour tranche une question constitutionnelle et affirme que le contrôle de la pollution de la mer est une question relevant de la théorie de l’intérêt national qui justifie l’exercice de la compétence que possède le Parlement du Canada en matière de paix, d’ordre et de bon gouvernement.

Selon la cour, la pollution des mers, en raison de son caractère et de ses incidences extraprovinciales et internationales, est manifestement une question qui intéresse le Canada tout entier. Donc, en 2019, il est raisonnable que le gouvernement souhaite réduire au maximum le risque d’un déversement catastrophique dans un écosystème vierge et riche, que Pêches et Océans Canada classe d’ailleurs comme une zone d’importance écologique ou biologique conformément aux critères énumérés dans la Convention sur la diversité biologique.

De même, il me semble tout à fait logique, en 2019, que le gouvernement fédéral cherche à protéger les droits ancestraux des Premières Nations et à assurer le bien-être économique des gens qui habitent le long de la côte nord de la Colombie-Britannique.

La rhétorique qu’on entend depuis le début relativement à ce projet de loi se rapporte à la division entre l’Alberta et les provinces de l’Ouest et le reste du Canada. Je ne pense pas que le projet de loi a été présenté dans cette optique. Voici la question : sachant que le projet de loi C-48 était une promesse électorale, comment —

La sénatrice Moncion [ + ]

Je posais la question. C’est tout ce que je faisais.

Comment les intérêts économiques de l’industrie du pétrole —

La sénatrice Moncion [ + ]

Je suis toujours polie et je vous laisse vous exprimer. J’aimerais qu’on me rende la pareille ce soir. Quelqu’un de votre groupe vient tout juste de m’interrompre.

Son Honneur le Président [ + ]

À l’ordre, s’il vous plaît.

Posez votre question, s’il vous plaît, sénatrice Moncion.

La sénatrice Moncion [ + ]

Oui, j’y suis.

Comment les intérêts économiques de l’industrie du pétrole et de certaines provinces surpassent-ils les préoccupations environnementales des Canadiens telles qu’ils les ont exprimées?

Son Honneur le Président [ + ]

Je suis désolé, sénatrice Simons, mais votre temps est écoulé. Demandez-vous plus de temps?

Absolument, je demande plus de temps.

Le sénateur Plett [ + ]

Cinq minutes, peut-être plus.

Son Honneur le Président [ + ]

À l’ordre. Le consentement est-il accordé?

Merci. Je sens qu’il y a une autre question derrière celle-ci concernant la décision de la Cour suprême. C’est directement en lien avec les raisons qui expliquent la nécessité de l’amendement du sénateur Patterson. Je crois que c’est tout à fait exact de dire que la jurisprudence donne à penser que les Premières Nations n’ont pas le pouvoir de réglementer les eaux au large des côtes de leur territoire. L’amendement du sénateur Patterson ne leur accorderait pas ce droit. Il ne ferait qu’exempter, si on veut, cette zone de l’application totale et entière du projet de loi C-48. C’est peut-être une des lacunes de l’amendement que nous avons adopté plus tôt aujourd’hui. La disposition de non-dérogation, comme vous l’avez correctement souligné, ne fera peut-être pas l’affaire, précisément à cause des raisons de la décision que vous avez citées.

C’est, selon moi, une raison de plus d’appuyer l’amendement du sénateur Patterson. C’est la touche finale qui vient compléter l’amendement dont ont si éloquemment parlé le sénateur Sinclair, le sénateur Pratte, la sénatrice McCallum, la sénatrice LaBoucane-Benson et le sénateur Woo hier soir. Je crois que, si nous les fusionnons, nous avons la réponse.

Pour répondre à votre question, je doute que le secteur pétrolier ait le droit de dicter au gouvernement la teneur de sa politique sur la pollution maritime. Ma question à moi est plus subtile : « Quel prix la Confédération est-elle prête à payer si on ne trouve pas de compromis? » Je me souviens de ce qu’a dit le sénateur Woo hier soir. Il a dit de manière on ne peut plus éloquente que nous ne devrions pas avoir à choisir entre deux extrêmes. Il a aussi souligné avec beaucoup de justesse que, des deux côtés, on avait tendance à voir les conséquences bien pires que ce qu’elles seront en réalité.

Rappelons-nous ce que le sénateur Woo disait hier soir : nous devons trouver un compromis. Même si j’appuyais de tout mon cœur l’amendement qui a été mis aux voix plus tôt aujourd’hui, je vous demande tous, quel que soit votre parti ou votre affiliation, d’étudier sérieusement l’amendement du sénateur Patterson, car je crois qu’en plus de respecter l’esprit du traité avec les Nisga’a, il permettra d’atténuer le terrible sentiment de rejet qui balaie l’Alberta. J’ai connu le Programme énergétique national, alors je pensais que l’histoire était en train de se répéter, mais depuis 24 heures, une bête brute traîne la patte vers Bethléem, et je voudrais bien qu’elle ne naisse point.

L’honorable Sandra M. Lovelace Nicholas [ + ]

L’honorable sénatrice accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Lovelace Nicholas [ + ]

Merci beaucoup. Savez-vous à qui appartiennent la plupart des raffineries et des entreprises pétrolières qui se trouvent sur les terres des Nisga’as?

J’ai bien peur de ne pas connaître la réponse. J’ignorais qu’il y avait des raffineries et des entreprises pétrolières sur les terres des Nisga’as.

L’honorable Murray Sinclair [ + ]

Honorables sénateurs, j’aimerais parler de la compatibilité de cet amendement avec celui que le Sénat a adopté hier soir, car je me suis rendu compte de certaines incohérences qui méritent d’être portées à l’attention des sénateurs.

L’un des problèmes les plus évidents, c’est que le processus dont il est question dans l’amendement du sénateur Patterson contourne manifestement le processus de consultation proposé dans l’amendement d’hier soir. Nous sommes tous d’avis — du moins, de ce côté-ci — que l’amendement a l’avantage d’exiger que des études scientifiques soient menées sur les conséquences du projet de loi et de tout projet qui pourrait utiliser les eaux de cette région.

De plus, nous avons déjà souligné qu’il faut également tenir compte des retombées sur les activités économiques actuelles des Premières Nations dans la région.

Mon inquiétude relativement à cet amendement est l’utilisation du mot « peut » à la première ligne, ce qui permet au ministre de prendre des règlements s’il le désire. Le ministre pourrait donc agir unilatéralement. Par le passé, les décisions unilatérales de ministres n’ont pas toujours été prises dans l’intérêt des Premières Nations. Je me dois de le rappeler. Je crains qu’on accorde ici un pouvoir au ministre sans qu’aucune limite soit prévue pour l’exercice de ce pouvoir. Il n’y a aucune obligation de mener des consultations ou de collaborer avec d’autres communautés. On laisse entendre qu’il pourrait y avoir une coopération avec la nation Nisga’a, mais le ministre n’est pas tenu de consulter d’autres Premières Nations qui seraient touchées.

Par ailleurs, cet amendement crée un corridor marin. Ce n’est pas une possibilité qui est envisagée. Selon l’information dont le Sénat dispose, le gouvernement s’est déjà prononcé sur la question. Le ministre a clairement affirmé que le gouvernement n’est pas disposé à accepter un corridor marin parce que ce serait comme permettre une table de fumeurs dans un restaurant non-fumeurs, si je peux reprendre sa comparaison légèrement maladroite.

S’il se produisait un déversement dans cette région après qu’on a permis la création d’un corridor, cela nuirait aux droits liés à la pêche, aux droits concernant les ressources et au tourisme dans les autres collectivités qui sont directement touchées par ces éléments de l’industrie. Toutefois, l’industrie pétrolière ne serait pas forcément touchée par un tel déversement.

Il n’est pas nécessaire d’établir un processus conformément au processus d’examen qui a été créé aux termes de l’autre amendement. En outre, il semble que cet amendement autoriserait un processus plus autonome en ce qui concerne la nation nisga’a.

Comme la sénatrice Simons l’a reconnu, la Loi sur l’Accord définitif nisga’a ne prévoit aucun droit d’accès à l’océan pour les Nisga’as. Bien sûr, les Nisga’as ont le droit de contrôler ce qui se passe sur leurs terres et d’y construire ce qu’ils veulent, mais ils ne jouissent pas du droit à un corridor d’accès, comme le laisse entendre cet amendement.

Selon moi, si cet amendement est adopté, il pourrait causer des problèmes très importants, car il créerait un conflit dans le projet de loi. Pour ma part, je vais voter contre cet amendement, et j’encourage les autres sénateurs à faire de même.

Le sénateur Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je vais essayer de poser deux questions rapidement. La première porte sur le fait que le sénateur se dit préoccupé par l’utilisation du mot « peut ».

Vous êtes le juriste, mais je crois comprendre que, lorsqu’il s’agit d’exigences constitutionnelles, comme l’obligation de consulter et d’accommoder, le mot « peut » est en fait interprété comme une obligation. Compte tenu de ce précédent, ne pensez-vous pas que cet amendement obligerait le ministre à élaborer des règlements en collaboration avec la nation nisga’a, dont l’entente sur les revendications territoriales globales est protégée par la Constitution? N’êtes-vous pas d’accord?

Le sénateur Sinclair [ + ]

Je remercie le sénateur de sa question.

La question de savoir quand les termes « may » et « peut » expriment une obligation et quand les termes « must » et « doit » renvoient à une possibilité est un débat byzantin qui dure depuis des générations dans le milieu juridique. Dans le monde anglophone, il remonte à l’époque où on utilisait le mot « shall » plutôt que le mot « must ».

Pour que les mots « may » et « peut » aient le sens de « must » et « doit », il faut qu’il y ait une obligation préalable existante dans la loi en question qui oblige le ministre à agir. Ce faisant, il peut prendre des règlements à cette fin. Il n’y a aucune obligation dans le projet de loi qui crée l’interprétation nécessaire. Je n’adhère donc pas nécessairement à votre interprétation à cet égard.

De toute évidence, les décisions de la Cour suprême du Canada rendent l’obligation de consulter de plus en plus claire. Je pense que l’obligation de mettre en œuvre les dispositions de la Loi sur l’Accord définitif nisga’a pourrait obliger le ministre à tenir des consultations sur les domaines touchés par l’accord définitif, mais les voies navigables à l’extérieur du territoire n’en sont pas un.

Le sénateur Patterson [ + ]

Le ministre aurait apparemment jugé un amendement irrecevable, quoiqu’il y ait un certain flou à ce sujet. Apparemment, il aurait aussi déclaré qu’il serait ouvert à certains amendements. Même s’il est vrai que le ministre a jugé un amendement irrecevable, dites-vous que nous devrions l’écouter, sans tenir compte des préoccupations des Nisga’as? Devrions-nous nous prosterner devant le ministre?

Ne serait-il pas préférable de faire ce qu’il y a de mieux pour les Nisga’as et leurs droits protégés par la Constitution au lieu de se laisser régenter par un ministre qui présume des amendements seront éventuellement proposés par le Sénat?

Envers qui devons-nous faire preuve de loyauté : les Nisga’as ou le ministre Garneau?

Le sénateur Sinclair [ + ]

Merci de la question sénateur. Je l’interprète comme une question, même s’il s’agit en fait d’un point que vous soulevez.

Je tiens à vous signaler que votre version des choses ne correspond pas à celle des Nisga’a et à ce qu’ils nous ont dit lorsque nous les avons consultés. Nous leur avons parlé des dispositions particulières que prévoit notre amendement et ils se sont dits disposés à l’accepter parce qu’ils savent qu’ils doivent s’entendre avec leurs voisins. Ils savent que leurs voisins du sud vont être touchés par l’interdiction des pétroliers. Ils savent qu’ils vont être affectés en cas de déversement provenant d’un pétrolier. Ils savent que l’industrie du tourisme et de la pêche de ces collectivités et de la leur sera touchée en cas de déversement provenant d’un pétrolier. Par conséquent, le processus que nous jugions nécessaire de mettre en place avant tout changement à l’interdiction des pétroliers les a intéressés, car cela leur permettait de coopérer avec d’autres collectivités pour s’assurer que tout est fait dans les normes.

Si j’ai bien compris, vous avez parlé avec la nation Nisga’a, mais pas avec les autres, les Premières Nations côtières, et cela m’inquiète.

Son Honneur le Président [ + ]

Les sénateurs sont-ils prêts à se prononcer?

Son Honneur le Président [ + ]

L’honorable sénateur Patterson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Stewart Olsen, propose que le projet de loi C-48 ne soit pas lu pour la troisième fois, mais qu’il soit modifié, à l’article 4... puis-je me dispenser de lire l’amendement?

Son Honneur le Président [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont en faveur de la motion veuillent bien dire oui.

Son Honneur le Président [ + ]

Que les sénateurs qui sont contre la motion veuillent bien dire non.

Son Honneur le Président [ + ]

À mon avis, les non l’emportent.

Son Honneur le Président [ + ]

Je vois deux sénateurs se lever. Y a‑t‑il entente au sujet de la sonnerie?

La sonnerie retentira pendant une heure. Le vote aura lieu à 21 h 54.

Convoquez les sénateurs.

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