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La Loi sur la citoyenneté

Projet de loi modificatif--Troisième lecture

10 juin 2021


L’honorable Margaret Dawn Anderson [ + ]

Propose que le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada), soit lu pour la troisième fois.

 — Honorables sénateurs, je propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.

Son Honneur le Président [ + ]

Honorables sénateurs, l’honorable sénatrice Anderson, avec l’appui de l’honorable sénatrice Duncan, propose que le projet de loi soit lu pour la troisième fois.

La sénatrice Simons a la parole.

Honorables sénateurs, je suis ravie d’avoir l’occasion de prendre la parole pour appuyer le projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté (appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada).

Je veux commencer par vous raconter un des épisodes les plus canadiens, les plus albertains, que j’aie vécus.

Cela s’est produit en avril 2016, alors que le Canada était en train d’accueillir des centaines de réfugiés syriens. L’Edmonton Mennonite Centre for Newcomers, qui aide beaucoup les réfugiés à s’établir en Alberta, organisait un repas en l’honneur des familles et des groupes communautaires qui parrainaient des réfugiés, ainsi que pour accueillir certaines familles de réfugiés syriens réinstallées à Edmonton.

Ce repas était servi au centre culturel lusitano-canadien et comprenait de la nourriture halal donnée par des chefs cuisiniers locaux. On y trouvait des plats italiens, sud-asiatiques et français, de même que des shawarmas, des fatayers et des baklavas. Une chorale multiculturelle a chanté en anglais, en swahili, en tagalog et en arabe.

Le clou de la soirée, ça a été un chant d’honneur et une série de numéros par les chanteurs, batteurs et danseurs du groupe Thundering Spirit Drum.

Lonny Potts, l’un des leaders de Thundering Spirit, s’est adressé aux nouveaux arrivants en cri et en anglais et leur a dit ceci tandis qu’un interprète traduisait son propos en arabe :

Écoutez et laissez-vous porter par la chanson. Nous savons que vous avez traversé des épreuves. Puissiez-vous trouver réconfort et apaisement au milieu de notre peuple.

Ce fut l’un des instants les plus remarquables de ma vie. Beaucoup de membres de la communauté visée par le Traité no 6 s’étaient rassemblés autour de chefs et d’artistes des Premières Nations pour accueillir officiellement et dans la joie des réfugiés qui venaient d’arriver. Le symbole était puissant et a eu un effet déterminant. Les nouveaux arrivants syriens avaient la chance de comprendre les racines profondes et l’histoire du pays dans lequel ils étaient sur le point de s’installer. Les artistes autochtones, eux, avaient la chance non seulement d’être mis en valeur et de susciter le respect, mais aussi de faire partie intégrante du processus d’installation des réfugiés.

J’ai pris le temps de parler à M. Potts à la fin de la représentation de son groupe. Il m’a dit qu’il se sentait en phase avec les Syriens déplacés. Il a fait des parallèles entre l’expérience de sa propre communauté et celle des réfugiés. L’accueil qu’il leur a réservé était sincère et ancré dans un profond sentiment d’empathie.

Plus tard, j’ai discuté avec l’un des réfugiés syriens, un jeune homme qui s’appelle Basel Abou Mamrah. C’est un druze qui s’est enfui avec sa famille lorsque leur maison, près de Damas, a été détruite lors d’un bombardement. Il a été profondément touché par la prestation du groupe Thundering Spirit. Il m’a dit : « Lorsque je les écoute, ils m’amènent dans un autre monde. C’est formidable. »

Je me dis encore qu’il est très important que la première impression que ce réfugié et tous ces nouveaux arrivants ont eu des peuples autochtones ait été aussi favorable, festive, joyeuse et spirituelle.

Je pense que c’est pour la même raison que ce projet est très important.

Cette semaine, la sénatrice Omidvar a indiqué qu’il peut souvent y avoir un fossé entre les néo-Canadiens et les premiers occupants du territoire canadien. Si nous voulons dire les choses franchement, même si c’est inconfortable, nous devons reconnaître qu’il est trop facile pour les nouveaux immigrants et les réfugiés d’assimiler les préjugés racistes et les craintes qui sont propagés dans la société au sujet de leurs concitoyens autochtones, et pour les peuples autochtones de se méfier tout autant des nouveaux arrivants. Cela peut être particulièrement vrai dans les quartiers défavorisés où les deux communautés peuvent se faire concurrence pour les emplois et les ressources sociales.

Inclure la reconnaissance des traités et des droits constitutionnels des Autochtones dans le serment de citoyenneté est une mesure importante. C’est un geste symbolique extrêmement important qui souligne adéquatement que les traités sont essentiels au développement de ce pays et qui engage tous les nouveaux citoyens non seulement à prêter serment d’allégeance à la Couronne, mais aussi à préserver l’honneur de la Couronne

Cela nous rappelle vivement que la plupart d’entre nous sommes des colons du Canada, que notre famille soit arrivée ici en 1815, en 1915 ou en 2015, et que les traités sont des documents dynamiques, aussi pertinents aujourd’hui et demain qu’au moment où ils ont été signés, que cela remonte à 100 ans ou à 10 ans. Grâce à la version révisée du serment de citoyenneté, les prochaines générations de néo-Canadiens seront encouragées à découvrir les droits que la Constitution confère aux Autochtones et à apprendre pourquoi ils concernent aussi les néo-Canadiens; en fait, ils seront tenus d’acquérir ces connaissances.

La modification du serment de citoyenneté est un premier pas. J’aimerais suggérer aux organisateurs des cérémonies de citoyenneté de poursuivre dans l’élan de cette inspiration et d’aller un peu plus loin.

J’ai eu le plaisir et le privilège d’assister à de nombreuses cérémonies de citoyenneté, parfois comme journaliste, plus souvent en tant qu’amie, et d’accueillir ainsi, dans la grande famille canadienne, des gens auxquels je tiens.

Je dois dire que, bien que l’assermentation soit un moment important pour les personnes qui sont assermentées et leurs proches, c’est un événement plutôt ennuyant et bureaucratique. Il n’y a ni musique, ni poésie, ni qualité spirituelle dans ce moment. Ce n’est pas une cérémonie de transformation, alors qu’elle marque pourtant une transformation solennelle.

Mon collègue le sénateur Cormier, un homme de théâtre, a soutenu qu’il pourrait être bon d’ajouter quelque chose à la cérémonie, par exemple de demander à des aînés ou à des joueurs de tambour de la région d’y participer. Au lieu de faire ce genre d’ajout seulement à l’occasion, comme ce que le ministre Mendicino a décrit aujourd’hui, il pourrait devenir normal et même obligatoire de commencer et de clore la cérémonie de citoyenneté avec quelque chose de beau ou d’important dans la culture des communautés autochtones de la région, par exemple une prière, une danse, une chanson ou un rituel de purification. Ce n’est pas le genre de chose qu’on ajouterait à un projet de loi, mais c’est une inspiration que je souhaite glisser à l’oreille des organisateurs de ces cérémonies.

Cela dit, ce n’est vraiment pas suffisant d’ajouter quelques mots au serment de citoyenneté, ni même d’ajouter quelques éléments de culture autochtone à la cérémonie.

Il faut que des chefs de file des communautés et des cultures tissent des liens entre les Premières Nations et les néo-Canadiens.

Je suis fière de pouvoir dire que ma ville, Edmonton, excelle dans ce domaine. Par exemple, je peux faire l’éloge les partenariats uniques que la Bent Arrow Traditional Healing Society, l’un des principaux groupes de soutien communautaire autochtones de la ville, a établis avec le Edmonton Mennonite Centre for Newcomers ainsi qu’avec l’organisme Islamic Relief Canada, la Muslim Association of Canada, à Edmonton, et l’Islamic Family & Social Services Association. Ensemble, ils offrent des programmes conjoints aux communautés qu’ils servent et des cérémonies d’accueil pour les nouveaux immigrants. Avant la COVID-19, ils envoyaient parfois des joueurs de tambour, des danseurs et des chanteurs à l’aéroport d’Edmonton pour accueillir les nouveaux arrivants. Pendant la COVID-19, le personnel de Bent Arrow a plutôt enregistré des prières et des chansons de bienvenue en cri à leur intention.

Jusqu’à maintenant, les gens n’ont fait que semer. Comme tout jardinier ou agriculteur vous le dira, il faut commencer par semer avant de récolter. Développer des relations significatives et durables prend du temps. C’est néanmoins les relations que nous devons établir et nourrir.

Malheureusement, ce qui relie les communautés immigrantes et autochtones, c’est surtout l’expérience du racisme cru et des injustices économiques et sociales.

Dimanche dernier, quatre membres de la famille Afzaal, de London, en Ontario, ont été tués par une camionnette-bélier alors qu’ils faisaient une promenade en soirée. La police a porté des accusations contre un homme de 20 ans, Nathaniel Veltman, et allègue qu’il a agi par fanatisme religieux et racial. En fait, elle soutient qu’il s’agit d’un crime haineux ciblé.

Dès le lendemain, c’est-à-dire le jour où nous avons appris la tragédie qui venait de se produire à London, Brayden Bushby, un homme de 22 ans de Thunder Bay, a reçu une peine de huit ans d’emprisonnement pour homicide involontaire dans l’affaire du meurtre de Barbara Kentner, une Autochtone de 34 ans. Elle est décédée après que Bushby ait dirigé un lourd attelage de remorque vers elle au moment où elle marchait en bordure de route. Comme il est terrible et surréel que, au Canada, le simple fait de se promener à pied suffise à provoquer une attaque mortelle, une agression empreinte de méchanceté et de lâcheté commise par un homme assis en sécurité dans son véhicule.

Que les Autochtones et les immigrants au Canada se sentent unis en tant que victimes de racisme est une véritable mise en cause du pays que nous aimons.

Une alliance fondée sur la discrimination ne peut servir de fondement pour l’établissement des relations saines, bénéfiques et tournées vers l’avenir que nous appelons de tous nos vœux.

Ce que nous devons réellement favoriser, ce sont les alliances solides fondées sur les perspectives politiques, sociales et économiques, alliances au sein desquelles les néo-Canadiens, les Premières Nations, les Métis et les Inuits pourront unir leurs talents, leurs motivations entrepreneuriales, leurs dons artistiques, leurs capacités stratégiques et leurs compétences professionnelles et techniques pour trouver des occasions d’affaires, réaliser des créations artistiques et des inventions, mener des projets de recherche et fonder des mouvements politiques qui propulseront le Canada vers un avenir meilleur.

De telles alliances fondées sur le respect et la compréhension mutuels devraient être les fondements du Canada que nous voulons pour tous.

Alors, non. Les mots d’un serment de citoyenneté ne sont pas une incantation magique. Ils ne nous transporteront pas instantanément dans un meilleur endroit. Cependant, un serment est toujours une promesse, et c’est un pacte. C’est un vœu qu’il fait exaucer, au risque de perdre tout honneur. Si seulement nous pouvions tous prêter serment, en tant que Canadiens, d’honorer nos obligations constitutionnelles et découlant de traités.

Si vous me le permettez, je vais terminer mon intervention en vous racontant une dernière histoire ce soir.

Il y a presque 10 ans de cela, j’ai eu la joie et l’honneur de passer une journée à l’école élémentaire Saint-François-d’Assise, dans le Nord d’Edmonton. L’école servait une population démographique particulière. En effet, à l’époque, environ 40 % des enfants qui fréquentaient l’école étaient des réfugiés ou des enfants de réfugiés du Soudan du Sud, dont les familles avaient fui un pays ravagé par une guerre civile.

Environ 55 % étaient des enfants des Premières Nations, qui participaient au populaire programme bilingue en cri de l’école. Cependant, la directrice se trouvait devant un dilemme. La population étudiante était si divisée. Il y avait deux groupes distincts d’élèves à l’école. Les élèves du programme bilingue en cri suivaient très peu de cours avec les élèves sud-soudanais. On observait des tensions dans les couloirs et la cour de récréation. La directrice, Katherine Dekker, a donc pris une décision plutôt radicale. Elle a décidé de rassembler les enfants. La journée de ma visite, l’une des membres d’Asani, un groupe primé de chanteuses autochtones, était présente à l’école pour offrir un cours spécial de musique à tous les élèves de quatrième et cinquième années. Tous les enfants étaient ensemble, et ils apprenaient à battre le tambour et à chanter une chanson en cri. Ils apprenaient tous et célébraient tous la riche histoire de leurs communautés.

Un garçon de 9 ans m’a dit :

Nous admettons tous les enfants à cette école, quelle que soit leur culture. Être ami avec tout le monde est une bonne action; on se sent bien dans son for intérieur.

Ces élèves de 4e et de 5e années que j’ai rencontrés ce jour-là ont environ 18 ans aujourd’hui. Ils arrivent à maturité et s’apprêtent à devenir des chefs de file dans un pays qui n’a toujours pas appris à tenir ses propres promesses. Nous n’avons pas encore tout à fait trouvé le courage d’être amis avec tout le monde.

Lorsque nous le ferons, nous nous sentirons peut-être bien nous aussi dans notre for intérieur. Merci, hiy hiy.

L’honorable Dennis Glen Patterson [ + ]

Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-8, Loi modifiant la Loi sur la citoyenneté concernant l’appel à l’action numéro 94 de la Commission de vérité et réconciliation du Canada.

En guise de préambule, j’aimerais souligné que, à titre de vice-président du Comité des peuples autochtones, j’ai échangé avec le ministre Hussen au sujet de la version antérieure du projet de loi C-8 le 6 décembre 2017, en compagnie de la sénatrice Omidvar, du sénateur Christmas et des anciens sénateurs Dyck, Sinclair et Watt. C’était une réunion constructive. Toutefois, je n’ai pas été autrement consulté au sujet de projet de loi C-8 ou de ses prédécesseurs, les projets de loi C-99 et C-6.

En fait, chers collègues, je dois vous répéter, comme je l’ai mentionné au ministre Mendicino en comité plénier aujourd’hui, que je n’ai assisté à aucune séance d’information et je n’ai reçu aucun matériel d’information concernant ce projet de loi. Mon bureau a reçu une communication au sujet du projet de loi tard hier soir, et j’ai réussi à m’entretenir brièvement avec le ministre à midi aujourd’hui, entre deux réunions de comité. Certains attribueront cela aux délais serrés, mais je ferai remarquer que l’étude article par article du projet de loi à l’autre endroit s’est terminée le 4 février dernier et que le comité en a fait rapport à la Chambre des communes le 5 février.

Inexplicablement, alors que le gouvernement vante constamment son engagement à l’égard d’une « relation renouvelée de nation à nation », l’étape du rapport à la Chambre basse ne s’est conclue que le 1er juin, et celle de la troisième lecture a débuté et pris fin le même jour, le 3 juin.

Je tiens aussi à souligner qu’un autre projet de loi récemment adopté par le Sénat, soit le projet de loi C-5, a également été rapidement adopté à l’autre endroit après avoir langui pendant des mois au Feuilleton. Ce projet de loi a été renvoyé sans amendement le 25 novembre 2020 et a seulement franchi l’étape du rapport le 28 mai et l’étape de la troisième lecture le 6 juin 2021.

Nous n’avons pas eu le temps de l’étudier au Sénat après l’étape de la deuxième lecture au comité.

Au cours de tous ces débats, qui ont été limités par une motion de débat d’urgence, presque tous les intervenants ont parlé de la tragédie de Kamloops. J’ai moi-même parlé de la tragédie dans cette enceinte et j’ai raconté des histoires personnelles dont je parle très rarement en public. La tragédie de Kamloops, qui est, à juste titre, à l’avant-plan des pensées de tout le monde, a clairement incité le gouvernement à finalement reprendre l’examen des projets de loi liés aux Autochtones.

Je me demande toutefois ouvertement pourquoi il a fallu une tragédie nationale pour que le gouvernement fasse avancer un projet de loi qui, selon lui, est une priorité. Il dit qu’« aucune relation n’est plus importante ».

Le projet de loi C-8 a eu deux versions antérieures. Tout d’abord, il y a eu le projet de loi C-99, qui a été présenté dans les derniers jours d’un gouvernement majoritaire, juste avant les élections. Il n’a pas franchi l’étape de la première lecture le 28 mai, mais je suppose que les libéraux peuvent techniquement faire valoir qu’ils l’ont présenté au cours de leur premier mandat.

Ensuite, il y a eu le projet de loi C-6, qui s’est au moins rendu à l’étape de la deuxième lecture en février de l’année dernière, mais qui est mort au Feuilleton à l’autre endroit lorsque le gouvernement a brusquement prorogé le Parlement, le 18 août 2020, apparemment en raison du scandale de l’organisme UNIS.

Cela dit, je tiens à revenir à mon point précédent. Pourquoi le gouvernement n’a-t-il pas daigné solliciter l’appui du Sénat en utilisant les méthodes habituelles, comme une séance d’information technique, une séance d’information pour le porte-parole ou un dossier d’information, même après que le projet de loi a franchi l’étape de l’étude en comité à l’autre endroit?

Est-ce parce que le gouvernement connaît mal le processus législatif? Pire encore, est-ce parce qu’il méprise le Sénat et le rôle constitutionnel qu’il joue dans l’examen des projets de loi? Est-ce parce qu’il a encore oublié? Je ne suis pas satisfait de voir que le rôle de l’opposition officielle, qui, selon moi, est un élément important de notre fonction de Chambre de second examen objectif, soit relégué aux oubliettes.

Permettez-moi de dire respectueusement que je crois qu’il est du devoir du bureau du représentant du gouvernement au Sénat de coordonner ce genre de choses et de s’assurer que nous recevons le respect que nous méritons en tant que parlementaires. Nous ne pouvons pas permettre à un tel précédent d’être créé. Les sénateurs ont besoin d’informations et de réponses pour pouvoir s’acquitter de leur tâche de second examen objectif.

En raison de l’incapacité du gouvernement à gérer son calendrier législatif, nous nous retrouvons à étudier à la hâte un autre projet de loi, un projet de loi qui, à première vue, ne nécessite aucune réflexion. Après tout, il a été adopté par la Chambre des communes avec l’appui de tous, sauf du Bloc québécois. Ce que le projet de loi tente de faire est une étape importante pour la réconciliation. Il permet à tous les néo-Canadiens de reconnaître et d’affirmer que les droits des Autochtones font partie intégrante de la citoyenneté canadienne.

Cependant, chers collègues, je vous demande de penser à ceci : lorsqu’un projet de loi demande l’inclusion des peuples autochtones dans quelque chose dont ils ont historiquement été exclus, comme le serment solennel de citoyenneté, il me semble logique que les peuples autochtones soient consultés.

Dans leurs réponses écrites au comité de l’autre endroit, les fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada ont énuméré 10 organisations qu’ils ont consultées, et seulement quatre d’entre elles étaient autochtones : l’Assemblée des Premières Nations, la Nation métisse, l’Inuit Tapiriit Kanatami et la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales. Une fois de plus, nous constatons qu’aucune tentative n’a été faite pour inclure les représentants des 11 traités numérotés. Leur inclusion est vitale, car la modification du serment de citoyenneté tente de saisir la manière dont les peuples autochtones souhaitent que les néo‑Canadiens soient initiés aux relations complexes entre la Couronne, les Canadiens non autochtones et les Canadiens autochtones, y compris, bien sûr, la relation sacrée entre la Couronne et les Autochtones inscrite dans les traités historiques.

Au lieu de mener de vastes consultations auprès des peuples autochtones — il y avait suffisamment de temps pour en faire —, l’actuel gouvernement a encore une fois limité ses efforts à trois organismes autochtones nationaux et à une organisation qui se consacre à la mise en œuvre de traités modernes. Je m’empresse d’ajouter que l’un des organismes autochtones nationaux en particulier, l’Assemblée des Premières Nations, a été désigné par des dirigeants autochtones, durant l’étude du projet de loi C-15, comme un groupe de lobbying et de défense d’intérêts qui n’a pas le droit de parler au nom de certains, notamment les signataires des traités nos 6, 7 et 8. J’ai entendu Perry Bellegarde, le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, l’admettre lui-même.

Toutefois, les signataires de traités n’ont pas été les seuls à être écartés. J’ai été attristé à la lecture de témoignages comme celui d’Elmer St. Pierre, le chef national du Congrès des peuples autochtones, qui a clairement affirmé devant le comité de l’autre endroit qu’il n’avait pas été consulté. Au cours de son témoignage, il a déclaré :

L’un de nos plus gros problèmes — aussi bien le dire —, c’est le racisme et la discrimination qui nous empêchent parfois de participer à ce genre de réunion. Parfois, c’est une invitation de dernière minute. La plupart du temps, nous n’avons même pas la chance de parler, et lorsque nous pouvons le faire, on ne nous prévient qu’une demi-heure ou une heure à l’avance, en nous jetant en passant, « Très bien, vous aurez l’occasion de parler. » Ce qui ne nous laisse pas vraiment le temps de nous préparer.

Lorraine Whitman, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, a fait écho à cette récrimination générale concernant le manque de consultation au sujet du projet de loi. Elle a dit :

[...] je vais m’exprimer devant vous dans le cadre d’une invitation que je ne peux qualifier que de dernière minute. J’espère que les députés qui sont ici réunis excuseront le fait que l’Association des femmes autochtones semble offrir son opinion si tard dans le processus. La vérité, c’est que nous n’avons été informés que la semaine dernière du contenu du projet de loi C-8 et des travaux de votre comité.

Si vous prévoyez adopter d’autres lois qui auront une incidence sur la vie des femmes, des filles et des personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones au Canada, nous nous ferons un plaisir de participer aux discussions dès le début, en même temps que vous entendrez les organisations autochtones dirigées par des hommes. Je vous prie instamment de garder à l’esprit que l’AFAC, qui existe depuis 1974, est la plus grande organisation représentant les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones au Canada. Lorsque vous nous consultez, ce sont les femmes des Premières Nations, Métis et Inuites de toutes les régions du Canada que vous consultez.

Chers collègues, Mme Whitman était d’accord avec la division en groupes distinctifs utilisée pour parler des droits, mais elle a demandé que les réalités des personnes de diverses identités de genre soient reflétées dans le serment de citoyenneté.

J’ai été déçu de voir le gouvernement rater encore une fois des possibilités de consultation, puisqu’il a passé plus de temps à parler de la modification du serment de citoyenneté avec des organismes axés sur les nouveaux arrivants qu’avec des Autochtones, alors que ces changements concernent les Autochtones. De plus, il n’a pas tenu compte de tous les commentaires fournis par les organismes autochtones nationaux et la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales.

Natan Obed, président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, ou ITK, a dit au comité de l’autre endroit que son organisation avait proposé une autre version du serment de citoyenneté, qui se lit comme suit :

Je jure (ou j’affirme solennellement) que je serai fidèle et porterai sincère allégeance à Sa Majesté la Reine Elizabeth Deux, Reine du Canada, à ses héritiers et successeurs, que j’observerai fidèlement les lois du Canada, y compris les traités, les accords et les arrangements constructifs conclus avec les Premières Nations, les Métis et les Inuits, et que je remplirai loyalement mes obligations de citoyen canadien.

Par ailleurs, Marlene Poitras, chef régionale de l’Assemblée des Premières Nations en Alberta, a soumis une formulation proposée par le conseil d’administration de l’Assemblée des Premières Nations, qui voulait inclure expressément les « droits inhérents » dans le serment.

Pour les sénateurs qui s’intéresse à la concordance entre la version anglaise et la version française des projets de loi, je précise que, selon la version anglaise du serment proposé dans le projet de loi C-8, le nouvel arrivant au Canada « reconnaît et confirme les droits autochtones et issus de traités des Premières Nations, des Inuits et des Métis », et selon la version française, le nouvel arrivant peut reconnaître ou confirmer « les droits — ancestraux ou issus de traités — des Premières Nations, des Inuits et des Métis ».

Ce genre de différence, que nous avons aussi observée dans le projet de loi C-15, me semble considérable. Pourquoi ne pas reconnaître expressément les droits ancestraux, ou inhérents, dans la version anglaise, comme l’a demandé la chef Poitras, ou alors pourquoi ne pas simplement parler des « droits autochtones » dans la version française?

Chers collègues, nous n’avons pas eu l’occasion d’examiner cette question importante au comité, en raison du calendrier qui nous est imposé. Ainsi, deux des quatre points de vue autochtones pris en compte ne se reflètent pas dans le libellé dont nous sommes saisis. Le comité n’a pas entendu les Métis ni la Coalition pour les ententes sur les revendications territoriales à propos de ce projet de loi, et on n’a pas accordé au Sénat l’occasion de faire son propre examen. Je n’ai donc aucun moyen de savoir s’ils sont d’accord avec le libellé ou pas.

Chers collègues, je suis aussi préoccupé, parce que le Sénat vise à défendre les régions. Cependant, aux termes de ce projet de loi, les néo-Canadiens doivent proclamer leur adhésion à la Loi constitutionnelle de 1982 puisque c’est l’article 35 de cette loi qui définit les droits des peuples autochtones.

Comme nous le savons, beaucoup de Québécois trouveraient cela inacceptable, puisque les néo-Canadiens devraient reconnaître quelque chose qu’aucun politicien québécois n’a reconnu. Comme la députée de Saint-Jean l’a expliqué lors de l’étude article par article de ce projet de loi dans l’autre endroit :

Le libellé actuel du serment de citoyenneté qui figure dans le projet de loi fait en sorte qu’on leur demandera de reconnaître quelque chose que le Québec n’a jamais reconnu, à savoir la Constitution — je devrais plutôt dire la Loi constitutionnelle de 1982. Dans son témoignage, le professeur Cardinal avait bien expliqué la différence entre la Constitution canadienne et la Loi constitutionnelle. La Constitution est l’ensemble des règles et des décisions des tribunaux qui régissent le droit canadien. Dans le serment de citoyenneté, il est question plus précisément de la Loi constitutionnelle de 1982 [...]

On va demander à de futurs citoyens canadiens et aussi québécois de reconnaître la Constitution canadienne alors qu’aucun gouvernement québécois, qu’il soit souverainiste ou fédéraliste, n’a signé la Constitution dans l’honneur et l’enthousiasme. Une question se pose. La mention de la Constitution est-elle nécessaire dans le serment de citoyenneté?

Le témoin cité par la députée est Éric Cardinal, un enseignant de droit autochtone, qui a dit ce qui suit au comité de l’autre endroit :

[...] les nouvelles formules de déclarations proposées tant pour le serment que pour l’affirmation solennelle n’amènent pas la personne à promettre le respect des droits autochtones, mais plutôt le respect de la Constitution.

Honorables sénateurs, malheureusement, le gouvernement a encore une fois fait la preuve qu’il n’applique pas avec succès une approche pangouvernementale à l’égard de la réconciliation, comme l’avait promis le premier ministre. La mise en œuvre des appels à l’action continue d’avancer à pas de tortue. Toutes les lettres de mandat comprennent la section suivante :

Bon nombre de nos engagements les plus importants nécessitent un partenariat avec les gouvernements provinciaux et territoriaux et les administrations municipales ainsi qu’avec les partenaires, les communautés et les gouvernements autochtones. Même en cas de désaccord, nous garderons à l’esprit que notre mandat nous a été confié par les citoyens qui sont servis par tous les ordres de gouvernement et qu’il est dans l’intérêt de tous de travailler ensemble pour trouver un terrain d’entente.

Le premier ministre poursuit ces lettres de mandat en répétant : « Il n’y a pas de relation plus importante pour moi et pour le Canada que celle que nous entretenons avec les peuples autochtones. » Pourtant, nous avons une mention de la Loi constitutionnelle à laquelle le Québec s’oppose et des preuves d’une consultation médiocre des Autochtones.

Pendant ce temps, la formule proposée dans les appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation est fondée sur six années de travail et a été rédigée par des Autochtones. Je suis également conscient qu’il ressort nettement du peu de consultations effectuées que les Autochtones ne se considèrent pas tous comme étant visés par les traités, que les trois groupes autochtones du Canada désirent que l’on fasse la distinction entre eux, tout en mentionnant explicitement leurs droits inhérents. D’autres explications sur ce que sont ces droits inhérents et ce que signifie ce terme seront incluses, nous l’espérons, dans la prochaine version du guide sur la citoyenneté, qui devrait — et j’insiste sur le mot « devrait » — être publiée après l’adoption du projet de loi. Cela concorderait avec l’appel à l’action numéro 93, mais, je suis désolé de le dire, tout le monde sait que le bilan du gouvernement en matière de délais, qu’ils soient imposés par les tribunaux ou par ce dernier, n’est pas bon.

L’intention de l’appel à l’action numéro 94 a été expliquée par Marie Wilson, ancienne commissaire de la Commission de vérité et réconciliation, qui a déclaré que nous devons aider les nouveaux arrivants au Canada :

Il faut donc trouver des façons de les aider à comprendre, dès le départ, qu’il existe un contexte au Canada, que nous avons un beau et grand pays et que, peu importe où on se trouve, on est sur les terres ancestrales de quelqu’un. Nous devons nous doter de meilleurs outils didactiques et sociétaux pour connaître ce contexte et pour comprendre qu’il s’agit du fondement même de la réconciliation en cours.

Chers collègues, si ce serment représente la première fois où les nouveaux arrivants entendent parler des peuples autochtones et de leur importance pour le Canada, je crois qu’il faudrait nous assurer qu’ils apprennent qu’il y a trois groupes principaux qui ont des droits inhérents à titre de Premières Nations du Canada, tel qu’affirmé et reconnu dans la jurisprudence canadienne et dans les traités traditionnels conclus avec la Couronne. La production du guide sur la citoyenneté avant l’entrée en vigueur du projet de loi à l’étude serait un élément important favorisant l’éducation et la compréhension, en particulier auprès des néo-Canadiens.

Encore une fois, je suis déçu par l’incapacité du gouvernement à mener des consultations significatives et par sa volonté de faire adopter le projet de loi à la va-vite. Encore une fois, on nous demande d’étudier à la hâte un projet de loi qui comporte des lacunes évidentes sans nous permettre d’étudier des amendements réfléchis ou de faire des observations. Au moins, en tant que porte-parole, j’ai l’occasion de faire un discours et de consigner au compte rendu certains arguments. Je ne voterai pas contre cette mesure de réconciliation, mais je veux souligner que je dénonce le processus, le manque de consultations et le fait qu’on n’ait pas tenu compte des préoccupations du Québec concernant le libellé proposé. Merci. Qujannamik. Taima.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) [ + ]

Le sénateur Patterson accepterait-il de répondre à une question?

Le sénateur Patterson [ + ]

Oui.

La sénatrice Gagné [ + ]

Sénateur Patterson, vous avez dit qu’aucune séance d’information et qu’aucun renseignement n’ont été donnés au sujet du projet de loi et que l’étude de ce dernier est menée à la va-vite.

Saviez-vous que le projet de loi C-8 a été déposé à la Chambre des communes le 22 octobre 2020, que le bureau du représentant du gouvernement a tenu une séance d’information technique pour tous les sénateurs au sujet de ce projet de loi le 19 novembre, à 11 heures, et qu’un résumé législatif et un document d’information étaient joints à l’invitation envoyée à tous les sénateurs?

Le sénateur Patterson [ + ]

Je vous remercie de votre question, sénatrice Gagné. J’ai été porte-parole de plus de 10 projets de loi pendant la dernière législature et de 3 projets de loi depuis le début de la législature actuelle. Il existe une bonne pratique et une tradition bien établie selon laquelle le gouvernement — ou l’agent des relations gouvernementales au Sénat — offre une séance d’information au porte-parole de l’opposition officielle. Je le précise parce que cette séance d’information est différente de celle qui est offerte à tous les sénateurs. Elle permet au porte-parole d’avoir une rencontre individuelle avec des fonctionnaires du ministère, ce qui comporte deux avantages.

Premier avantage : les fonctionnaires et le personnel politique ont ainsi une idée des enjeux qui seront soulevés pendant les débats ou lors de l’étude en comité et qu’ils gagneraient à régler. Deuxième avantage : ces séances peuvent permettre au porte-parole de parler des enjeux avec les personnes qui présentent la séance d’information. C’est ce qui arrive à l’occasion, et ces discussions peuvent s’avérer utiles et éclairantes pour le sénateur.

Les séances destinées à l’ensemble des sénateurs sont utiles, mais dans ce vaste groupe, une personne n’a parfois qu’une seule occasion de poser une question. J’ai assisté à certaines de ces séances. J’ai probablement reçu l’invitation à la séance sur le projet de loi C-8 que vous avez mentionnée, à l’intention de tous les sénateurs. Je dois toutefois dire qu’à mon avis, il est dans l’intérêt du gouvernement d’aller à la rencontre des porte-parole pour les projets de loi de ce genre.

Au mois d’octobre dernier, je n’avais pas encore été nommé porte-parole pour le projet de loi. Je ne savais même pas encore que j’allais être si investi dans ce projet de loi.

J’espère que cela répond à votre question. Merci.

Son Honneur la Présidente intérimaire [ + ]

Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

Une voix : Avec dissidence.

(La motion est adoptée et le projet de loi, lu pour la troisième fois, est adopté, avec dissidence.)

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