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Le Code criminel—La Loi réglementant certaines drogues et autres substances

Motion d'amendement

3 novembre 2022


L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu [ - ]

Par conséquent, honorables sénateurs, je propose l’amendement suivant :

Que le projet de loi C-5 ne soit pas maintenant lu une troisième fois, mais qu’il soit modifié à l’article 14, à la page 3, par substitution, à la ligne 20, de ce qui suit :

« remplacés par ce qui suit :

e) il ne s’agit pas d’une infraction prévue à l’une ou l’autre des dispositions ci-après et poursuivie par une mise en accusation :

(i) l’article 221 (causer des lésions corporelles par négligence criminelle),

(ii) l’article 264 (harcèlement criminel),

(iii) l’article 267 (agression armée ou infliction de lésions corporelles),

(iv) l’article 270.01 (agression armée ou infliction de lésions corporelles — agent de la paix),

(v) l’article 271 (agression sexuelle),

(vi) l’article 279 (enlèvement),

(vii) l’article 279.02 (avantage matériel — traite de personnes),

(viii) l’article 281 (enlèvement d’une personne âgée de moins de quatorze ans),

(ix) l’article 349 (présence illégale dans une maison d’habitation). ».

L’honorable Pierre J. Dalphond [ - ]

Est-ce que le sénateur Boisvenu accepterait de répondre à une question? Puisque l’on refait un peu le débat et qu’on l’a déjà fait au comité, sénateur Boisvenu, je comprends que la liste des infractions que vous proposez d’ajouter et qui vont rendre impossible une remise en liberté dans ces conditions n’est pas exactement la même que celle qui existe actuellement dans le Code criminel. Qu’est-ce qui vous a amené à retirer certaines des infractions qui figuraient dans le Code criminel et à en ajouter d’autres à leur place?

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Celles que nous examinons sont celles qui se trouvent dans le projet de loi. Comme j’ai dit plus tôt, ce sont les infractions les plus communes et elles sont complémentaires à la violence familiale. Je les ajoute, car selon les données que j’ai obtenues sur les peines avec sursis, actuellement, 80 % des hommes qui agressent une femme écopent d’une peine avec sursis. Cette peine est de six mois en moyenne. Donc, le fait de supprimer encore du Code criminel ou d’ajouter au Code criminel encore plus de crimes liés la violence conjugale fera en sorte que moins d’hommes seront incarcérés et que plus d’hommes seront en liberté. Quand on constate que, dans beaucoup de cas, les conditions ne sont pas respectées, surtout l’interdiction de ne pas s’approcher de la victime, je pense qu’on met la sécurité des femmes encore plus à risque.

Le sénateur Dalphond [ - ]

C’est le même amendement qui a été présenté au comité, si je comprends bien? La liste qui est là est celle qui existe dans le Code criminel actuellement, sauf pour certains éléments qui ont été supprimés et d’autres qui ont été ajoutés?

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Oui, c’est exact.

Le sénateur Dalphond [ - ]

Dans le cas de ceux que vous avez enlevés, je crois que vous êtes d’accord avec le gouvernement sur le fait qu’ils doivent être retirés?

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Si j’avais fait une longue liste, très peu de mes collègues auraient été enchantés de modifier en profondeur le projet de loi C-5. Ce que je vise en particulier, ce sont les crimes liés à la violence conjugale. Cela commence souvent par du harcèlement et des agressions sexuelles, et il y a toujours une progression qui se fait si ces crimes ne sont pas punis sévèrement lorsqu’ils sont commis dans un contexte de violence conjugale. Soyez assurés qu’en 2023, en 2024 et en 2025, le nombre de femmes assassinées va augmenter.

Le sénateur Dalphond [ - ]

Merci beaucoup.

Honorable sénateurs, je veux d’abord dire à quel point j’apprécie le travail accompli par le sénateur Boisvenu au fil des ans pour défendre les droits des femmes qui vivent des situations où elles subissent de la violence familiale. Pas plus tard qu’aujourd’hui, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a étudié un projet de loi d’intérêt public du Sénat qui porte aussi sur certains de ces enjeux. Je crois que personne ici ne serait prêt à refuser au sénateur Boisvenu les félicitations qu’il mérite pour ses efforts de longue date concernant cet enjeu de justice sociale.

Dans les derniers jours au Sénat, nous avons entendu des discours remarquables de nos collègues, notamment de la sénatrice Boniface, de la sénatrice Hartling et du sénateur Manning, concernant ce même enjeu. Le fléau de la violence familiale au Canada, qu’il s’agisse de violence entre partenaires intimes ou de violence entre les parents et leurs enfants adultes, est un lourd fardeau pour l’âme collective du pays et pour le système de justice pénale. Lorsque j’étais journaliste au Edmonton Journal, j’ai couvert un nombre incalculable d’histoires à briser le cœur de familles détruites par la violence. J’ai eu le privilège d’interviewer le fier mari de notre collègue la sénatrice LaBoucane-Benson, Alan Benson, qui a consacré une bonne partie de sa carrière à ce domaine et qui a été membre du comité d’examen des décès dus à la violence familiale, en Alberta, qui étudie certains des cas les plus horribles.

Je ne veux pas que qui que ce soit ici me considère comme laxiste en matière de violence familiale. Il est vrai que les peines avec sursis doivent être appliquées avec la plus grande prudence dans les cas où l’agresseur se trouve dans la même collectivité que la victime. C’est l’évidence même. On ne veut clairement pas d’un système d’arrestation et de mise en liberté permettant à un contrevenant — qui représente un danger bien réel — d’être relâché d’aller harceler, agresser et tuer des victimes, dans le pire des cas.

Cela étant dit, je crois que la liste présentée par le sénateur Boisvenu dans son amendement ratisse trop large et comprend un trop grand nombre d’infractions pour lesquelles les peines avec sursis seraient exclues.

Je voudrais en passer quelques-unes en revue. La première infraction mentionnée dans l’amendement est celle qui est visée à l’article 221, à savoir causer des lésions corporelles par négligence criminelle.

Pendant les années où j’ai suivi des procès en Alberta, j’ai pu constater qu’un grand nombre d’affaires portaient sur la négligence criminelle. Dans certains cas, cette négligence est si abominable, si inconsidérée, si égoïste et si mesquine qu’elle représente un crime des plus atroces.

Cependant, dans d’autres cas, la négligence criminelle peut être quelque chose de bien moins répugnant moralement. Avant d’ajouter quelque chose comme la négligence criminelle à une liste, nous devons comprendre qu’il y a un continuum. Il y a un spectre, et ce type de négligence criminelle peut parfaitement convenir à une peine avec sursis, tandis que d’autres types de négligence criminelle appellent une peine de prison.

L’article 264 traite du harcèlement criminel. Tout politicien qui a une vie publique, toute personne qui a vécu à Ottawa au cours des 10 derniers mois, sait ce que le harcèlement criminel peut être dans sa forme la plus mineure, et potentiellement dans sa forme la plus grave.

Nous pouvons tous imaginer un cas où le harcèlement criminel provoque un traumatisme pour la conscience et où la personne impliquée mérite à juste titre une peine d’emprisonnement. Nous pouvons également tous concevoir que la meilleure chose à faire pour une personne reconnue coupable de négligence criminelle pourrait être de l’assigner à résidence et de lui confisquer tous ses ordinateurs.

Une fois de plus, nous ne voulons pas ratisser trop large afin de ne pas priver les juges du pouvoir discrétionnaire d’utiliser une peine avec sursis lorsque cela est justifié.

L’article 267 concerne l’agression armée ou l’infliction de lésions corporelles. Si une personne se fait infliger des lésions corporelles à l’aide d’une arme à feu ou d’un couteau, une peine d’emprisonnement peut clairement être une bonne solution. On peut également imaginer qu’une agression armée correspond à une personne qui se fait frapper avec... J’ai vu certaines choses en cour, et je me suis demandé : « Est-ce bien une arme? » Toutefois, le tribunal estime qu’il peut s’agir d’une arme, ce qui peut comprendre l’arme préférée du sénateur Gold, le gaz poivré, ou un outil de jardinage utilisé pour frapper quelqu’un.

L’article 270.01 concerne la même chose, mais il porte expressément sur l’agression d’un agent de la paix, ce qui devrait choquer la conscience du pays. Tout le monde peut imaginer qu’une personne ayant agressé un agent de la paix devrait être incarcérée pendant très longtemps. Nous pouvons aussi imaginer des policiers qui tentent de mettre fin à une bagarre ou à une bousculade et qui se font frapper sur la tête avec une pancarte. En pareil cas, nous n’envisagerions peut-être pas une peine d’emprisonnement.

Je ne veux pas vous ennuyer en passant en revue toute la liste, je vais donc passer au dernier article. L’article 349 concerne la présence illégale dans une maison d’habitation. Si on s’introduit dans la maison d’une personne pour l’agresser, alors c’est absolument un cas d’incarcération. Toutefois, être présent illégalement dans une maison d’habitation constitue également une infraction au Code criminel si on squatte une maison, si on squatte un bâtiment abandonné pour consommer des drogues ou si on se met à l’abri dans une maison abandonnée pour se protéger quand on vit dans la rue.

Quand ma fille était à la Faculté de droit, sa classe devait juger d’une affaire fictive où une personne s’est perdue alors qu’elle faisait du camping sur une plage. Cette personne est entrée par effraction dans un chalet pour se réchauffer. Je crois que ma fille jouait le rôle de la procureure du tribunal fictif, et elle exigeait la peine maximale. Je lui ai fait valoir que si une personne était vraiment en détresse, perdue dans la forêt, entrer dans un chalet pour y passer la nuit n’était pas la pire des infractions.

Je prends note du point entièrement juste qu’a soulevé le sénateur Boisvenu, que nous ne devons pas utiliser de manière frivole les peines avec sursis, surtout dans les cas de violence conjugale et de harcèlement familial. Cependant, avec tout le respect que je lui dois, je demanderais aux sénateurs de ne pas appuyer cet amendement parce que je ne pense pas qu’il accomplira le désir du sénateur Boisvenu. Au lieu de cela, il privera les juges de l’autonomie, du pouvoir discrétionnaire et de la responsabilité d’appliquer des peines avec sursis lorsqu’elles sont justifiées et nécessaires.

L’honorable Denise Batters [ - ]

Sénatrice Simons, vous aviez commencé à passer en revue certaines infractions. La première que vous avez nommée est la négligence criminelle. Vous n’avez pas mentionné qu’il s’agit de causer des lésions corporelles par négligence criminelle.

Puis, vous avez affirmé que vous ne vouliez pas énumérer toutes les infractions parce que ce serait peut-être trop long. Cependant, vous avez omis de mentionner les agressions sexuelles, les enlèvements et la traite des personnes. Ne croyez-vous pas que ce sont les infractions pour lesquelles il y aurait peut-être le moins de situations où il est approprié de recourir aux peines avec sursis, c’est-à-dire de permettre aux auteurs de ces crimes de purger leur peine dans la même collectivité que leurs victimes?

Sénatrice Batters, vous êtes avocate, ce qui n’est pas mon cas. J’observe toutefois ce qui se passe dans les salles d’audience depuis très longtemps.

En ce qui concerne les agressions sexuelles, je crois comprendre — je vous prie de me corriger si je fais erreur, car je n’ai pas votre expertise en droit — qu’une agression sexuelle peut prendre toutes sortes de formes, du viol horrible et violent jusqu’à une personne qui montre ses parties génitales dans un parc. Il faut comprendre, je crois, que la notion d’agression sexuelle recouvre toutes sortes de facettes de la condition humaine et des péchés humains. Il est absolument crucial de ne pas imposer une solution unique, parce qu’il y a une grande différence entre l’agression sexuelle commise par un violeur qui vous saute dessus dans un stationnement et vous agresse brutalement, et l’agression sexuelle que commet un type qui vous touche de façon inappropriée dans un bar. Je n’aime pas me faire tripoter dans un bar. En fait, cela ne m’est pas arrivé depuis longtemps. Je suis désolée; c’était une blague facile et de mauvais goût. Pardonnez-moi.

Bref, une vaste gamme d’infractions peuvent être considérées comme des agressions sexuelles.

Dans le cas des enlèvements, il existe une différence entre un enlèvement en vue d’obtenir une rançon et une ingérence dans la garde d’un enfant, qui est souvent considérée comme un enlèvement aux fins des accusations. De toute évidence, je ne cherche pas à excuser les parents qui contreviennent à une ordonnance de garde et enlèvent un enfant, mais ce n’est pas la même chose qu’une tentative armée dans le but d’obtenir une rançon.

Ce sont toutes des questions très difficiles, et je ne veux en aucun cas minimiser les dangers que représentent les criminels pour la société. Je ne veux en aucun cas minimiser les dangers liés aux cas de violence familiale, où les gens sont souvent piégés par des circonstances économiques et sociales. Lorsque la justice intervient enfin, ils ont besoin que les tribunaux les protègent. Je pense simplement que l’amendement en question ratisse trop large.

La sénatrice Batters [ - ]

Sénatrice Simons, ce à quoi vous faites référence constitue probablement une action indécente. Dans bien des cas de délits, s’il n’est pas approprié de porter une accusation pour l’infraction la plus grave, comme certaines de celles qui sont énumérées ici, la police, les procureurs et les tribunaux s’en occupent en portant le type d’accusation approprié.

En ce qui concerne l’autre infraction que vous avez mentionnée tout à l’heure, à savoir la présence illégale dans une habitation, vous vous souviendrez peut-être que ce type d’infraction peut souvent être évoqué lorsqu’un ex-conjoint traque sa conjointe, parfois pour lui faire du mal. Cela s’est produit dans des causes très importantes.

En fait, je pense que le sénateur Boisvenu s’est efforcé de faire la liste des accusations les plus graves dans les cas possibles de violence familiale. N’êtes-vous pas d’accord pour dire que c’est le genre de choses dont nous devrions nous préoccuper, en particulier en ce qui concerne les condamnations avec sursis qui pourraient permettre à certains détenus de revenir dans la communauté pour faire du mal à d’autres personnes?

Comme je l’ai dit, je ferais confiance aux responsables membres de la magistrature pour qu’ils n’imposent pas des ordonnances avec sursis comme on distribue des bonbons d’Halloween. Ce type de peines seraient réservées à des affaires très précises; on y aurait recours seulement lorsqu’elles seraient appropriées, en se fondant sur des faits. Je ne ferais jamais valoir que le même traitement devrait être réservé à une personne qui entre par infraction dans une maison pour y menacer ses occupants et une autre qui s’introduit dans un chalet pour ne pas mourir de froid après s’être perdue en forêt pendant l’hiver.

Le sénateur Boisvenu [ - ]

La sénatrice accepterait-elle de répondre à une question?

Ai-je encore le temps?

Son Honneur la Présidente intérimaire [ - ]

Il reste trois minutes.

Oui, si vous voulez.

Le sénateur Boisvenu [ - ]

Sénatrice, vous avez employé un mot qui m’a quelque peu « défrisé », même s’il ne me reste pas beaucoup de cheveux. Vous avez dit qu’il était possible que les juges ne distribuent pas les sentences avec sursis comme des bonbons, mais ils le font actuellement; 80 % des hommes accusés de violence conjugale écopent d’une peine avec sursis. Le projet de loi fera en sorte que 90 % des hommes recevront une peine avec sursis. Quel message lance-t-on à la société, si l’on dit : « Mon homme, tu as battu ta femme pendant 10 ans, tu retournes chez toi purger deux ans de pénitencier à la maison », sachant que 40 % des contrevenants ne respectent pas leurs conditions? Ils pourront alors se rapprocher de leur femme.

Ne croyez-vous pas que c’est ce qui se passe déjà lorsque vous parlez de « bonbons »?

Je ne sais pas d’où vient ce chiffre. S’il est exact, cette situation me défrise aussi, et j’ai les cheveux bouclés.

Je suis d’accord avec vous. Comme je l’ai dit plus tôt, je ne crois pas au système des portes tournantes pour les hommes qui ont été violents avec leur conjointe. C’est très important de bien gérer ce type de situations, surtout dans les cas où l’homme montre des signes que ses comportements pourraient empirer. Je pense tout simplement que cet amendement ne s’attaque pas au cœur de ce que vous tentez de faire. Cela dit, je souscris entièrement à votre objectif.

Le sénateur Boisvenu [ - ]

J’ai une autre question. Les trois ou quatre derniers jugements de la Cour suprême en matière de violence conjugale — et surtout les jugements prononcés par la Cour d’appel du Québec — ont conclu qu’il fallait que les juges imposent des sentences plus sévères. Il faut lancer à la société canadienne un message clair. Est-ce que le projet de loi C-5 envoie un message de sévérité en matière de violence conjugale?

Je crois qu’effectivement, nous devons envoyer un message clair à la société comme quoi nous ne tolérerons ni la violence familiale ni sa minimisation. J’ai trouvé le discours du sénateur Manning l’autre jour profondément émouvant. Les histoires de gens de sa communauté qu’il a racontées devraient — je ne veux pas dire nous inspirer — nous pousser à appuyer la sénatrice Boniface, la sénatrice Hartling, la sénatrice Audette et tous les sénateurs qui ont consacré leur vie à lutter contre la violence familiale. À mon avis, le temps est venu de mettre sagement de côté la politique axée sur l’idéologie ou la partisanerie et de parler d’une seule voix pour communiquer clairement que le Sénat ne tolérera pas la violence familiale.

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